Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, nous avions échangé, le 7 mai dernier sur la présentation de la stratégie de sortie de crise et sur l'évolution des aides d'urgence déployées.
Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui à nouveau pour cette audition afin de faire le point sur la réforme de l'assurance chômage, à la veille de son entrée en vigueur.
La mesure de bonus-malus applicable aux employeurs entrera en vigueur dès demain, 1er juillet, date à partir de laquelle le comportement des entreprises commencera à être observé. La dégressivité des allocations et les critères d'éligibilité évolueront quant à eux dès que les clauses de retour à meilleure fortune seront remplies.
Seule la mise en oeuvre des nouvelles règles de calcul de l'allocation chômage a été suspendue suite à la décision du Conseil d'État, le 22 juin.
Je vais revenir en premier lieu sur le contenu de cette décision rendue mardi dernier, qui valide les principes de la réforme.
Aucun des arguments au fond soulevé par les organisations syndicales n'a été retenu. En revanche, cette décision questionne la temporalité d'un des éléments de la réforme. Le Conseil d'État nous dit que ce n'est pas le bon moment pour modifier le mode de calcul de l'allocation chômage.
Pour que les demandeurs d'emploi continuent de percevoir leurs indemnités, nous avons donc prolongé à titre conservatoire jusqu'au 30 septembre les règles actuelles de calcul de l'allocation chômage par un décret publié ce matin.
Si le Conseil d'État nous demande de repousser l'application de cette partie de la réforme, c'est parce qu'il estime que la conjoncture économique est encore incertaine.
Je voudrais en premier lieu souligner que le recours aux contrats courts est un phénomène largement indépendant de la conjoncture économique. Il s'agit là, pour l'essentiel, d'habitudes des acteurs. En revanche, les paramètres de l'assurance chômage sont un facteur déterminant de ces habitudes et comportements. À titre d'exemple, la durée minimale d'emploi ouvrant droit à l'assurance chômage influence directement la durée des contrats proposés par les employeurs. Les études montrent que le passage, en 2019, de six mois à quatre mois pour l'ouverture des droits s'est traduit par une forte augmentation des contrats de quatre mois.
Pour ma part, je constate par ailleurs que l'économie repart. C'est sur ce point également que nous souhaitons rassurer le Conseil d'État. L'Insee a publié son enquête de conjoncture de juin, qui met en évidence une très nette amélioration du climat des affaires, qui atteint même un niveau supérieur à celui de l'avant-crise. Les signaux sont également positifs sur le marché de l'emploi, puisque les intentions d'embauche des entreprises en 2021 sont dynamiques et supérieures à ce qu'elles étaient en 2019.
Nous avons atteint au mois de mai un niveau d'embauches inégalé depuis quinze ans. Logiquement, sur ce même mois, nous assistons à une baisse de près de 135 000 demandeurs d'emploi sans activité. Je rappelle que la réouverture de certaines activités n'est pourtant intervenue que partiellement.
D'ores et déjà, de nombreux secteurs, notamment la restauration, le bâtiment ou encore l'industrie, font état de difficultés de recrutement, et vous devez toutes et tous le constater dans vos territoires. C'est donc dès maintenant qu'il nous faut faire évoluer les comportements sur le marché du travail. L'objectif de la réforme de l'assurance chômage reste inchangé. Nous voulons en finir avec un système qui encourage le recours excessif aux contrats courts et qui enferme des centaines de milliers de travailleurs dans la précarité.
Avant toute chose, nous souhaitons réformer le système pour le rendre plus juste. Je rappelle que l'allocation est aujourd'hui calculée en fonction des revenus des jours travaillés et non du revenu moyen sur la période.
Cela peut conduire un demandeur d'emploi qui a travaillé précédemment par exemple un jour sur deux à bénéficier d'une allocation quasiment double de celui qui travaille tous les jours à mi-temps, alors que les deux ont travaillé le même nombre d'heures.
Nous devons, en outre, adapter les paramètres de l'assurance chômage pour mettre fin à ces effets pervers qui encouragent le recours aux contrats courts. Nous devons en premier lieu revoir les règles de calcul de l'allocation chômage, tout d'abord parce que nous refusons d'enfermer des demandeurs d'emploi dans des trappes à précarité. Je rappelle que la France possède et conservera après la réforme l'un des systèmes d'assurance chômage les plus protecteurs au monde.
Contrairement à ce que certains répètent à l'envi, aucun demandeur d'emploi actuellement indemnisé ne verra son allocation changer. La réforme du calcul des allocations n'aura également aucun impact sur les salariés qui se retrouvent ponctuellement au chômage après avoir travaillé de façon continue sur la période précédente.
Le montant global des droits auxquels peuvent prétendre les demandeurs d'emploi restera inchangé. Si le montant mensuel de l'allocation pourra être moins élevé, le demandeur d'emploi sera indemnisé plus longtemps, ce qui lui donnera le temps de se tourner vers un emploi plus stable.
Par ailleurs, nous avons entendu les organisations syndicales et avons introduit un plancher dans la règle de calcul en dessous duquel les allocations ne pourront descendre, mais les règles doivent aussi évoluer, car le rôle de l'assurance chômage n'est pas de financer le besoin en flexibilité des entreprises.
D'aucuns disent que notre réforme repose sur l'idée que les chômeurs optimiseraient leur temps de travail. Je veux le dire ici très clairement : la réforme ne repose absolument pas sur ce présupposé. S'il y a un point sur lequel beaucoup d'études et de témoignages concordent, c'est bien le fait que les règles actuelles de l'assurance chômage réduisent la capacité de négociation des salariés. Ces derniers ne sont en effet pas incités à prétendre à des contrats plus longs.
Plus grave, certains employeurs n'hésitent pas à demander à leurs salariés en contrats courts de rester disponibles entre les missions, instituant ainsi une sorte d'astreinte, qu'ils ne financent même pas : c'est l'assurance chômage qui se retrouve devoir la prendre en charge.
Autrement dit, le système actuel déresponsabilise les entreprises quant à la précarité qu'elles imposent à leurs salariés. C'est cette logique que nous voulons remettre en cause.
Je rappelle par ailleurs que cette alternance entre contrats courts et périodes de chômage n'est pas viable pour l'équilibre financier du régime, puisqu'elle coûte 2 milliards d'euros chaque année à l'Unédic.
Au-delà des règles de calcul de l'allocation chômage, nous allons d'autre part imposer un bonus-malus aux employeurs pour les inciter à proposer des contrats plus longs.
Je sais que la majorité sénatoriale a toujours accueilli avec une certaine fraîcheur le dispositif de bonus-malus, et cela depuis l'examen de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018.
Ce bonus-malus entrera bien en vigueur dès demain, 1er juillet, date à partir de laquelle le comportement des entreprises commencera à faire l'objet d'une observation, avec un premier impact sur leurs cotisations en septembre 2022.
Je tiens à préciser que l'application de ce bonus-malus a vocation à se poursuivre à l'issue du décret de carence, en novembre 2022, selon des modalités qui sont d'ores et déjà explicitées au sein de ce décret, en application de la loi de septembre 2018.
Du fait de leur situation particulière, les entreprises qui ont fait l'objet de fermeture administrative dans le cadre de la crise sanitaire ne seront pas concernées par le bonus-malus pour la première période d'observation. Cela touche par exemple le secteur de l'hôtellerie, café, restauration et du tourisme.
Quant à celles qui sont concernées, et qui recevront prochainement à ce titre un message des Urssaf, elles seront bien évidemment accompagnées et bénéficieront, si elles le souhaitent, de la prestation de conseil en ressources humaines proposée par les services de mon ministère.
Plus globalement, nous allons intensifier la lutte contre l'utilisation excessive des contrats courts, en lien étroit avec les branches concernées.