Madame Puissat, je suis pour que l'on responsabilise les partenaires sociaux. La situation que j'ai trouvée lorsque je suis arrivée à la tête de mon ministère, ne me semble pas satisfaisante : l'État est le seul à avoir la main, les partenaires sociaux demeurant sur le banc de touche sans prendre part au débat, ou se réservant de critiquer les propositions gouvernementales
Si on en est là, c'est que les partenaires sociaux n'ont pas trouvé d'accord.
Cela nous amène à réfléchir à la façon dont on peut faciliter la recherche d'un accord. À cet égard, je suis convaincue que l'on devrait passer davantage de temps en amont pour partager le diagnostic non seulement de l'équilibre de l'assurance chômage, mais aussi de l'impact de tous les paramètres de l'assurance chômage sur le marché du travail.
Or j'entends peu nos interlocuteurs s'en préoccuper. Je le disais, quand on est passé d'une période d'éligibilité à six mois à une période d'éligibilité à quatre mois, la durée des CDD s'est ajustée sur quatre mois. Je pense donc que les paramètres de l'assurance chômage ont une part de responsabilité dans l'explosion des contrats courts à laquelle on a assisté ces dernières années.
Vous connaissez les chiffres : 250 % d'augmentation des CDD de moins d'un mois en quinze ans, avec dix fois plus de recours aux CDD courts en France qu'en Allemagne. Je ne pense pas que notre économie se soit à ce point transformée en quinze ans ni qu'elle soit à ce point différente de celle de notre voisin allemand. Je pense donc essentiel de pouvoir partager en amont ce diagnostic, sans même parler du fait que notre pays présente une certaine singularité dans la persistance d'un haut niveau de chômage, y compris dans les périodes de reprise économique, qui coexistent avec des difficultés de recrutement de nos entreprises.
Cela fait partie du chantier que nous avons ouvert avec les partenaires sociaux sur la gouvernance de l'assurance chômage. Il faudra à l'avenir prendre le temps du diagnostic. Je suis convaincue que si on le partage, cela permettra de trouver un compromis entre l'État et les partenaires sociaux.
S'agissant du système de bonus-malus, on est parti du taux de séparation, c'est-à-dire le nombre de fins de contrats qui se traduisent par une inscription des ex-salariés à Pôle emploi rapporté aux effectifs globaux de l'entreprise. On constate que certains secteurs se singularisent. Si la norme est à 100, quelques-uns sont à 350 et d'autres à 50.
Le principe qui a été retenu est de mettre en place ce système de bonus-malus pour les secteurs au-dessus de 150 si la moyenne est à 100. Cela me paraît très sain, sans aller jusqu'à ce qui peut se pratiquer aux États-Unis, où malus et bonus sont liés au comportement de chaque entreprise. Plus vous mettez fin à des contrats qui conduisent des salariés à s'inscrire à Pôle emploi, plus vos choix d'employeurs coûtent à l'assurance chômage.
Le raisonnement par secteur permet de comparer des entreprises a priori dans le même marché. Il ne s'agit pas de pénaliser les entreprises, mais de soutenir les pratiques d'employeurs les plus vertueuses.
Je pourrais vous en faire passer la liste mais, comme vous l'avez dit, l'arrêté a été publié au Journal officiel de ce matin. L'industrie agroalimentaire se trouve être le secteur qui a le taux de séparation le plus élevé. On pourrait aussi parler de la logistique.
On a fait le choix de ne pas soumettre au bonus-malus les entreprises ayant fait l'objet d'une fermeture administrative. On peut en effet comprendre que leur recrutement va être perturbé au redémarrage. Les secteurs de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) que vous mentionniez sont en plein redémarrage et connaissent de nombreuses incertitudes, notamment en Île-de-France, du fait de leur dépendance vis-à-vis du tourisme international.
On a bien tenu compte du fait qu'il existait des secteurs plus fragiles ou plus affectés que d'autres par la crise sanitaire. On a donc reporté d'un an la mise en place du dispositif de bonus-malus pour ces secteurs.
Vous avez également souligné, alors que notre économie repart, que beaucoup d'entreprises connaissaient des difficultés de recrutement. Je pense que personne, dans notre pays, ne peut se satisfaire d'une situation dans laquelle on trouve encore près de 6 millions de demandeurs d'emploi dans les catégories A, B et C, alors qu'il existe des entreprises qui n'arrivent pas à recruter.
Cela rejoint les questions posées par Martin Lévrier : on passe beaucoup de temps dans des débats passionnants sur les modes de calcul de l'allocation chômage, ce qui a l'air de motiver un certain nombre de nos interlocuteurs, mais je pense que l'on gagnerait à passer bien plus de temps sur les modalités d'accompagnement et de formation des demandeurs d'emploi. Au-delà de l'intérêt que peut avoir le mode de calcul de l'allocation chômage d'un demandeur d'emploi, notre premier devoir vis-à-vis est d'abord de lui proposer le meilleur accompagnement, la meilleure formation pour pouvoir retrouver le plus rapidement possible une activité durable.
Quelques chiffres pour répondre aux questions qui ont été posées à propos de la formation. Aujourd'hui, les entrées en formation se déroulent très bien. Je rappelle que l'investissement massif dans les compétences décidé par le Président de la République depuis le début du quinquennat représente 15 milliards d'euros.
Il s'agit d'une compétence des régions, mais l'État a décidé d'apporter 15 milliards d'euros. Ils font naturellement l'objet d'une contractualisation avec les régions et permettent de quasiment doubler l'effort de celles-ci en termes de formation des demandeurs d'emploi.
Il est important d'avoir une vision d'ensemble. Elle traduit notre volonté d'accompagner et de former les demandeurs lorsque c'est nécessaire afin qu'ils puissent retrouver un emploi.
Depuis le début de l'année 2021, 356 000 personnes en recherche d'emploi sont entrées en formation. On est légèrement au-dessus de 2019. On mobilise notamment les préparations opérationnelles à l'emploi collectives (POEC), qui permettent de réagir rapidement en cas de tensions dans le recrutement. Nous avons fortement rehaussé leur budget, passant de 135 millions d'euros en 2018 à 235 millions d'euros cette année.
Quelques secteurs sont très identifiés au niveau national, comme les métiers du soin, notamment du grand âge, sur lesquelles nous travaillons avec Brigitte Bourguignon depuis un moment, le secteur des hôtels-cafés-restaurants avec la reprise, le secteur du bâtiment. Il s'agit d'une mobilisation nationale de Pôle emploi. J'ai demandé aux préfets de travailler avec les branches professionnelles, les collectivités, localement, pour identifier les métiers en tension et mener les démarches sur les trois secteurs que j'ai évoqués.
Quant à l'assurance chômage universelle et la possibilité désormais offerte aux travailleurs indépendants et aux démissionnaires de bénéficier d'une allocation chômage, je reconnais que les chiffres ne sont pas à la hauteur de ce qu'on avait imaginé, puisqu'environ 1 000 travailleurs indépendants ont pu bénéficier à ce stade de l'allocation pour les travailleurs indépendants (ATI). Évidemment, la conjoncture ne simplifie pas la mise en oeuvre de cette réforme. Cela vaut aussi pour les démissionnaires, puisqu'on est moins incité à envisager un autre projet professionnel dans le contexte de la crise sanitaire.
Au-delà, nous travaillons avec Alain Griset à des simplifications qui pourraient être apportées à ce dispositif pour permettre à des indépendants dont l'entreprise est en difficulté de bénéficier d'un accompagnement et de s'inscrire à Pôle emploi avec 800 euros d'allocation pendant six mois.