Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires tient tout d’abord à affirmer, face au présent texte, son sentiment premier, à savoir une grande inquiétude. Nous remarquons en effet que, depuis quelques années maintenant, la France est le théâtre d’une succession de lois sécuritaires, qui se veulent antiterroristes, mais qui sont surtout liberticides.
Ces lois ont toutes pour objet de faire entrer dans notre droit commun un certain nombre de mesures qui, si l’on pouvait entendre leur légitimité en temps de danger imminent pour la sécurité intérieure, juste après les attentats par exemple, n’ont pourtant rien à faire dans le quotidien des Français.
Cette observation se vérifie particulièrement sous ce quinquennat : au motif de la crise sanitaire, puis au nom de la « sécurité globale » et de la lutte contre de prétendus « séparatismes », ce gouvernement a constamment diminué, petit bout par petit bout, les libertés individuelles des Français.
Oui, lutter efficacement contre la menace terroriste est un objectif que nous visons tous. Mais cela ne peut se faire au prix de l’affaiblissement des droits et libertés garantis par notre Constitution.
Cette longue suite de textes liberticides aboutit aujourd’hui à ce projet de loi.
Venons-en donc aux faits. La présente motion vise à déclarer irrecevable le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement en raison des risques d’irrecevabilité constitutionnelle que présentent certaines de ses dispositions portant atteinte à la liberté d’aller et de venir, au secret des correspondances, au secret professionnel, à la vie privée et familiale de nos concitoyens – autant de libertés que nous nous devons, nous, législateurs, de ne pas mettre en péril par la loi.
En premier lieu, ce projet de loi reprend, dans son article 5, des dispositions précédemment censurées par le Conseil constitutionnel.
En effet, la loi n° 2020-1023 du 10 août 2020, dite « Mesures de sûreté », a fait l’objet d’une large censure de la part du juge constitutionnel dans sa décision n° 2020-805 DC du 7 août 2020, au motif que ces mesures contrevenaient à la liberté d’aller et de venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale d’une manière qui n’était ni adaptée ni proportionnée à l’objectif de prévention d’actes terroristes.
Il n’est pas concevable que le Parlement introduise de nouveau dans un projet de loi une disposition précédemment jugée attentatoire aux libertés individuelles et écartée par le Conseil constitutionnel.
En second lieu, la pérennisation des dispositions de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ou loi SILT, prévue aux articles 1er à 4 du projet de loi, revient à introduire dans notre ordre juridique des mesures liberticides exorbitantes du droit commun, telles que la perquisition administrative, l’assignation à résidence, les périmètres de protection.
La récurrence des états d’urgence, la prorogation de ces mesures, puis leur pérennisation, ont pour effet de limiter nos libertés publiques individuelles sous couvert des impératifs de sécurité de nos concitoyens. Mais que protègent-elles réellement, ces mesures qui affaiblissent tant les libertés des Français ?
Le recours intensif à des procédures administratives, jugées plus rapides que les procédures judiciaires, doit nous alerter : de telles procédures contournent le contrôle du juge judiciaire, garant des libertés individuelles conformément à l’article 66 de la Constitution. Cette déjudiciarisation en marche doit, là encore, sérieusement nous alerter.
En troisième lieu, la surveillance généralisée des URL prévue aux articles 13 et 14 porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, pourtant reconnu comme principe à valeur constitutionnelle depuis la décision n° 99-416 DC du Conseil constitutionnel en date du 23 juillet 1999.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, estime en ce sens que le recueil des URL est susceptible de faire apparaître des informations relatives au contenu des éléments consultés ou aux correspondances échangées.
Sur l’ensemble des dispositifs qui concernent le déploiement des mesures de renseignement, une procédure de validation par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement a été instituée, sans aucun caractère contraignant.
Le Premier ministre peut ainsi toujours déroger à l’avis de cette commission, ce qui nous semble problématique. La préservation d’un strict équilibre entre la sécurité publique, la protection des intérêts fondamentaux de la Nation et le respect de la vie privée nécessite des garanties, ainsi que le contrôle par une autorité indépendante du pouvoir politique.
Enfin, les restrictions à l’accès aux archives prévues à l’article 19 du présent texte contreviennent au droit d’accès aux documents administratifs, pourtant consacré par la décision n° 2020-334 QPC – question prioritaire de constitutionnalité – du Conseil constitutionnel en vertu de l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La défense nationale ne peut justifier que l’on entrave le travail des chercheurs.
Observons tout de même que la majorité sénatoriale avait déjà tenté de réécrire les dispositifs les plus liberticides de la loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés. Cela n’a pas empêché leur censure par le Conseil constitutionnel. De tels procédés témoignent de l’intention d’affichage politique qui préside seule à l’écriture de ces lois sécuritaires, laquelle se fait en dépit de toute réflexion sur leur validité juridique.
Ce projet de loi avait initialement pour objet de renforcer l’arsenal pénal pour répondre à l’enjeu sécuritaire du terrorisme. Mais il perd de vue cet objet et tombe dans le piège où ont sombré toutes les précédentes lois attentatoires aux libertés individuelles.
Comme nous le déplorons régulièrement devant ce type de textes, force est de constater qu’aucune réflexion de fond n’est encore menée quant au problème réel que représente la radicalisation, particulièrement en détention.
Face à la menace terroriste, la réponse législative se démultiplie, au rythme de plus d’une loi par an depuis dix ans. L’efficacité des dispositifs votés est parfois hypothétique, alors qu’ils rognent sans ménagement les libertés fondamentales. Cette accumulation de lois sécuritaires complique le travail de l’autorité administrative et de l’autorité judiciaire.
Une telle loi n’est ni opportune ni proportionnée, tant au regard des besoins des services de renseignement que, plus encore, du point de vue de son efficience en matière de réduction du risque terroriste. L’objectif politique est manifestement de « cranter » les thématiques régaliennes avant la présidentielle, la sécurité étant devenue un thème omniprésent dans le débat public.
Inscrire dans notre droit commun des procédures d’exception affaiblit peu à peu notre État de droit ; nous ne saurions en être complices.
Ainsi, en application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires invite le Sénat à déclarer irrecevable le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, adopté par la commission des lois le 16 juin 2021.