Intervention de Florence Parly

Réunion du 29 juin 2021 à 21h30
Prévention d'actes de terrorisme et renseignement — Article 19, amendements 106 101

Florence Parly :

Je ne dis pas que la communauté des historiens ne compte pas d’opinions dissidentes ; je rappelle simplement que cette concertation a été menée avec sérieux, sous l’égide du ministère de la culture.

Il a fallu mettre au point un système légal permettant de concilier ces différents objectifs. C’est dans cette perspective que nous avons essayé d’identifier, en les circonscrivant au mieux, quatre nouvelles catégories de documents pour lesquelles il n’est pas possible de fixer par avance un délai au-delà duquel toute sensibilité aurait disparu.

D’ailleurs, je n’ai pas le sentiment que vous-mêmes contestiez cette impossibilité : comme le texte du Gouvernement, les amendements présentés tendent à prolonger autant que nécessaire l’incommunicabilité de certains documents.

Toutefois, alors que le Gouvernement défend l’instauration d’un délai glissant, qui expire automatiquement au moment où le document considéré perd sa sensibilité, ces amendements visent à mettre en œuvre une prolongation expresse du délai d’incommunicabilité par tranches de dix années. Monsieur Sueur, je pense résumer fidèlement les dispositions que vous proposez.

Je comprends tout à fait cette démarche : il s’agit de répondre à un certain nombre de craintes, que je vais tenter de lever méthodiquement, l’une après l’autre.

Tout d’abord, la prolongation de la durée d’incommunicabilité restera exceptionnelle : ce qui le garantit, c’est le caractère ciblé et résiduel des catégories de documents pour lesquelles une prolongation sera possible.

La définition de ces catégories a été calibrée au plus près des besoins, dans le cadre du processus de consultation et de concertation que je viens d’évoquer, qui a d’ailleurs conduit à des évolutions du texte. Je puis vous le garantir : le texte initial du Gouvernement était très différent de celui que nous avons tout compte fait soumis au Parlement. C’est aussi la preuve que certaines opinions et préoccupations ont été prises en compte.

Ensuite, vous semblez penser qu’une prolongation du délai d’incommunicabilité par tranches de dix ans serait plus favorable aux historiens qu’un délai visant à protéger le document le temps strictement nécessaire à la préservation de la sécurité nationale – c’est bien de cela que nous parlons.

Or, en vertu de ces amendements, ce délai pourrait être renouvelé sans limites et, surtout, les chercheurs obtiendraient moins de garanties : même pour un document ayant perdu sa sensibilité, il faudrait attendre l’expiration du délai de dix ans avant que la communication ne soit permise. À l’inverse, en vertu du texte que le Gouvernement vous propose, le document deviendra communicable à l’instant même où il perdra sa sensibilité.

Ainsi, pour ce qui concerne les armes ou les équipements, c’est tous les ans que le Gouvernement actualisera la liste des documents accessibles ; quant aux bâtiments, leurs archives deviendront communicables dès leur désaffectation.

En parallèle, certains ont mis en cause la constitutionnalité de l’article 19, au motif que les cas de prolongation envisagés ne sont pas limités aux documents dont la divulgation représenterait une menace grave pour la sécurité nationale.

Sur ce point aussi, je vais m’efforcer de vous assurer. Le Conseil d’État n’a émis aucun doute sur la constitutionnalité de ces dispositions ; si certains commentateurs ont cru déceler des opinions contraires dans les conclusions prononcées voilà deux semaines au contentieux, devant le Conseil d’État, je peux vous affirmer que leurs interprétations sont tout à fait inexactes. Au contraire, ces conclusions insistent sur le fait que l’article 19 opère une conciliation entre les enjeux de communicabilité et les principes constitutionnels.

Pour terminer – j’ai conscience de parler longuement –, j’insisterai sur deux conséquences délicates qu’entraînerait l’adoption de vos amendements.

Ces dispositions contraindraient les administrations à identifier a priori tous les documents devant bénéficier d’une prolongation de leur incommunicabilité. Or ceux qui fréquentent les archives le savent : souvent, les bordereaux de versement ne sont pas renseignés pièce par pièce. Quant aux documents qui restent détenus par les services qui les ont produits et qui sont également des archives publiques, ils n’ont vraisemblablement jamais fait l’objet d’un quelconque inventaire.

Cela signifie qu’il faudra rechercher, puis passer en revue l’ensemble des documents susceptibles de bénéficier d’une prolongation à l’issue du délai de cinquante ans. J’ajoute qu’il faudrait reprendre ce travail tous les dix ans. Vous le comprenez : pour les services, cette tâche immense ne pourrait pas être menée à bien sans des renforts humains considérables. Une telle mécanique risquerait fort de s’enrayer, au détriment des chercheurs et des historiens.

Ainsi, le système que vous proposez est très lourd et pourrait lui-même se révéler imparfait : des documents sensibles échapperaient inévitablement à cette revue et nous n’aurions aucune corde de rappel pour éviter leur diffusion, aux conséquences potentiellement graves.

Je le dis avec une certaine solennité : toutes ces raisons pratiques, invoquées par les trois services d’archives de l’État, méritent votre attention.

Je le répète, nous avons des objectifs communs, mais, selon moi, les dispositions des amendements identiques n° 6 rectifié bis, 37, 52 rectifié, 85 et 94 rectifié bis ne permettent pas de les atteindre de manière satisfaisante. J’y suis donc défavorable, de même qu’aux amendements identiques n° 3 rectifié et 95 rectifié bis.

En revanche, je suis favorable à l’amendement n° 106, sous réserve de l’adoption de l’amendement n° 101 rectifié.

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