Je vais me focaliser sur le secteur agricole. Ces questions économiques nous regardent de très près, mais l'aspect climatique y est encore plus prépondérant. Depuis plusieurs années, les phénomènes climatiques sont d'une intensité exceptionnelle, et s'enchaînent quasiment tous les ans. Presque tous les territoires de notre pays ont été touchés. Certains ont subi quatre années consécutives de sécheresse. Pour d'autres, l'année a vu se succéder épisodes de sécheresse, de grêle et de neige. Cette situation dramatique n'épargne personne. Certaines régions qui se sentaient à l'abri il y a quelques années ne peuvent plus dire qu'elles passeront à côté d'un sinistre, qu'il s'agisse de tempêtes, de sécheresses, d'inondations ou de canicules.
Nous ne pouvons plus nous contenter d'évaluer les dégâts a posteriori. C'est un constat partagé entre le secteur de l'assurance, les agriculteurs, et l'État. Cette situation nous engage tous : agriculteurs, pouvoirs publics, acteurs de l'assurance et de la réassurance. Il nous faut désormais mieux prévenir, mieux préparer, et surtout mieux réparer, afin de permettre aux entreprises agricoles d'être plus résilientes. Cette résilience permet de mieux redémarrer après de tels épisodes. Certains exploitants ont subi cette année l'épisode de gel puis un épisode de grêle. En particulier, 250 hectares d'une même commune ont été ravagés par ces deux sinistres consécutifs. On croirait voir des vignes en plein hiver. Psychologiquement, cette situation est insupportable pour les agriculteurs concernés.
Il est de notre responsabilité collective de réformer en profondeur le modèle de gestion des risques que nous connaissons aujourd'hui. Nous avons un système assurantiel, qui a évolué avec le temps, et qui s'incarne aujourd'hui dans le système de multirisques climatiques. Vous avez évoqué Mme Lustman un taux de pénétration de 30 % en moyenne, qui concerne surtout le secteur grande culture, ainsi que la viticulture. Sur l'arboriculture, nous ne sommes qu'à 4 ou 5 % de pénétration, et sur la prairie, autour de 1 à 2 %.
Il y a, parallèlement à ce dispositif assurantiel, le fonds des calamités agricoles, qui a fait ses preuves. Il est fondé sur un principe de solidarité, en prévoyant une taxe additionnelle assise sur les cotisations d'assurance acquittées par chaque agriculteur sur ses biens d'exploitation. Son taux, originellement fixé à 11 %, a été réduit il y a quelques années à 5,5 %. Cette taxe représentait, jusqu'à il y a cinq, six ans, un rendement de 120 millions d'euros chaque année, versés au fonds des calamités agricoles, un montant en principe équivalent à l'abondement de l'État. La contribution des agriculteurs représentait, sur les vingt dernières années, 52 % des recettes du fonds, contre 48 % par l'État. Le fonds était donc abondé annuellement de 250 millions d'euros en moyenne.
Aujourd'hui, les agriculteurs qui travaillent à ciel ouvert ne peuvent plus faire face seuls aux changements climatiques. Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de l'Agriculture ont été clairs là-dessus. L'enjeu politique est fondamental. Il y a un objectif de pérennisation de la production sur tous nos territoires, y compris dans les zones plus difficiles. A la FNSEA, nous tenons à ce que l'agriculture soit présente sur tous nos territoires. C'est un maillon clé de notre souveraineté alimentaire ; si l'on ne fait rien pour apporter de la résilience, elle sera atteinte. Certains pensent que l'on pourra toujours trouver à manger. Peut-être, mais notre alimentation risque d'être de plus en plus issue de l'importation.
La solidarité nationale doit jouer son rôle dans le cadre d'un schéma global, qui articule assurance récolte et fonds d'indemnisation des calamités agricoles. Ce débat a été largement engagé dans le cadre du Varenne agricole de l'eau et du changement climatique, que nous avions appelé de nos voeux. Des groupes de travail ont été initiés. Le premier se réunit toutes les semaines, avec les assureurs, les réassureurs et les pouvoirs publics. Mais nous ne pouvons pas nous contenter de mobiliser des moyens, nous devons obtenir des résultats et des décisions politiques courageuses.
La solidarité nationale doit s'appuyer sur une gouvernance équilibrée. Il y a un vrai débat sur la mise en place d'un « pool » de co-réassurance. Tout le monde n'est pas d'accord sur le sujet. Mais nous pensons, en tant qu'agriculteurs, qu'il doit y avoir un tel « pool », dont le taux d'indemnisation comme le curseur de détermination des aléas catastrophiques doivent encore être précisés. Cette articulation est fondamentale, car les agriculteurs ne peuvent plus subvenir seuls à leurs risques ou par la seule assurance.
Il est également nécessaire d'appliquer les acquis du règlement européen « Omnibus ». Dans le cadre de la politique agricole commune, il est possible d'aller plus loin en termes d'attractivité du système assurantiel. L'ensemble des filières agricoles le demandent, tout comme d'ailleurs le député Frédéric Descrozaille. Dans son rapport sur la gestion des risques en agriculture, il demandait à baisser le seuil et le niveau de franchise à 20 %, et d'augmenter la part subventionnée à 70 %. Je rappelle que l'Italie a mis en place le règlement omnibus depuis 2018.
Enfin, il y a une question douloureuse, qui ralentit probablement le développement de l'assurance, c'est le système de la référence, que nous appelons communément la « moyenne olympique ». C'est un dispositif où on calcule l'indemnisation à partir des cinq années passées, en enlevant la meilleure et la moins bonne. Mais dans un contexte de sinistres répétés, année après année, le rendement se trouve fortement rabaissé, et l'assurance ne déclenche pas l'indemnisation dans des proportions satisfaisantes. Il faut que nous aboutissions à un nouveau dispositif pour quantifier le vrai potentiel de production d'une entreprise agricole en situation normale. L'objectif est de pouvoir indemniser au plus juste pour permettre aux agriculteurs de repartir dans les meilleures conditions possibles. De nos groupes de travail, il ressort que la combinaison de la contribution via une assurance et de la solidarité nationale va devenir indispensable.
Nous allons un peu plus loin sur la question de l'obligation ou du volontariat. Jusqu'à présent, nous étions sur un principe d'assurance volontaire. Mais on ne peut plus continuer, à l'heure où de nombreux drames se jouent dans les entreprises, avec le système actuel. Or, si l'on veut qu'un système de coassurance et de solidarité nationale fonctionne, il doit être assis sur le principe d'une souscription obligatoire. Nous sommes prêts à aller jusque-là pour donner un vrai coup de « boost » au développement de l'assurance.
Ce que nous constatons aujourd'hui, et je le déplore fortement, c'est que les assureurs sont fortement sollicités dans l'accompagnement du secteur agricole. Le rapport des cotisations sur les sommes décaissées pour sinistres dépasse 100 %, certaines régions frôlant les 200 %, 240 % certaines années. Nous sommes conscients que cela ne peut pas continuer. L'offre assurantielle à destination de l'agriculture est en retrait, certains contrats sont revus à la hausse dès cette année, avec des augmentations de tarifs importantes ou le retrait de certaines options. Si nous comprenons la difficulté de maintenir ces contrats pour les assureurs, nous pensons également que ce n'est pas le meilleur moment pour effectuer de tels changements, alors que nous sommes à la veille d'une réforme. Il y a urgence à mettre en place un nouveau dispositif, avec la transition la plus courte possible.
L'État doit comprendre que sans la solidarité nationale, c'est la souveraineté alimentaire qui est mise en danger.