Concernant le fait que les voiries et les ouvrages d'art et d'infrastructures publiques ne sont pas couverts par l'assurance catastrophes naturelles, il faut rappeler que ces ouvrages ne sont pas exposés aux vols ou aux incendies. L'assurance dommages aux biens devait à l'origine couvrir le vol et l'incendie, c'est simplement une surprime, une extension de garantie qui couvre les dommages consécutifs à une catastrophe naturelle. Il n'est cependant pas du tout interdit d'envisager une assurance obligatoire et spécifique dont la prime serait calculée en fonction des capitaux assurés. Ce sont des choses tout à fait faisables.
Le fonds européen de garantie pour les risques climatiques est très séduisant, même si on ne sait pas trop s'il aurait vocation à couvrir les catastrophes naturelles ou seulement les risques climatiques pesant sur les récoltes. J'ai travaillé sur cette idée avec des collègues italiens, allemands ou espagnols. Toutefois, le fait est que l'exposition aux risques naturels est très diverse d'un pays à l'autre : le risque sismique et volcanique pour les Italiens, le risque inondations pour les Allemands. Si vous ajoutez à cela la diversité culturelle par rapport à la socialisation des risques et à l'intervention de l'État, vous en concluez vite que l'idée même d'un étage européen, sans parler d'un système européen, est très compliquée. Même s'ils reconnaissent le mérite du régime français des catastrophes naturelles, nos homologues allemands n'ont pas du tout la même approche que nous.
Pour illustrer mon propos liminaire, je voudrais revenir sur le régime pour couvrir les pertes d'exploitation et la réforme de l'assurance des risques climatiques sur récoltes. Il est absolument critique et indispensable de clarifier le rôle entre l'assurance agricole et le fonds de gestion des risques en agriculture. Tant que l'on n'aura pas fait cet effort, en limitant très clairement l'intervention du régime des calamités agricoles à des situations très spécifiques, il n'y aura jamais d'assurances agricoles viables et pertinentes.
J'ai indiqué qu'il fallait également éviter la tentation du couteau suisse. Il y a quelque chose qui existe aujourd'hui pour le terrorisme, c'est le GAREAT (Gestion de l'Assurance et de la Réassurance des risques Attentats et actes de Terrorisme). C'est un pool de co-assurance par lequel, lorsqu'il y a un attentat qui cause des dommages à une grande entreprise, les assureurs en couvrent le coût de manière solidaire. C'est en même temps un groupement d'achat de réassurance par lequel ils achètent en commun la réassurance auprès du marché privé. Copier ce dispositif pour les risques agricoles ne semble pas être la bonne option. Nous avons en effet aujourd'hui affaire à des assureurs dont le modèle économique sur les risques agricoles est profitable et d'autres pour lequel il l'est moins. La partie pool de co-assurance aurait donc déjà du mal à fonctionner. Quant au groupement d'achat de réassurance, il n'y a pas de problème de capacité sur le marché privé de la réassurance en matière de risque agricole. C'est un risque qui est couvert massivement, partout dans le monde, qui se mutualise très bien à l'échelon international et ces mêmes capacités existent en France.
Sur le risque agricole, ce que j'ai retenu des difficultés de cette assurance, c'est qu'elle est techniquement déficitaire, quasiment tous les ans. Si on veut qu'elle prospère, et indépendamment de toute idée de régime ou de partenariat public-privé, il faut tout de même, comme pour les catastrophes naturelles, se dire que cela doit concerner des événements rares, les catastrophes au sens strict du terme. Par exemple, pour les catastrophes naturelles, sont visées celles qui surviennent moins d'une fois tous les dix ans. Si cela intervient tous les deux-trois ans, on comprend bien que ce ne peut pas être financièrement équilibré. Le prix de l'assurance ou le surcoût que l'on fait peser sur le contribuable serait trop élevé. En revanche, la réassurance publique des catastrophes naturelles est quasiment équilibrée. En près de quarante ans d'exercice, on a fait appel une fois à la garantie de l'État et pour un montant assez modique. Cela signifie que la prime de réassurance permet l'équilibre et apparaît suffisante. On a donc un dispositif certes public, mais qui s'équilibre. Si l'idée était de faire intervenir la réassurance publique pour couvrir les pertes récurrentes et certaines d'un dispositif de couverture des risques agricoles, alors il ne faudrait pas appeler cela de la réassurance publique mais il faudrait créer un fonds, par exemple en recyclant le fonds de gestion des risques en agriculture, qui deviendrait un fonds de solidarité abondé par le contribuable. C'est important pour la crédibilité de nos dispositifs de réassurance publique.
Sur les pertes d'exploitation sur dommages, je pense qu'il y a deux voies. La difficulté que nous avons rencontrée, outre la frilosité et l'opposition de certaines parties prenantes, était ce sentiment d'être devant un risque binaire : soit le risque ne survient pas, et il peut ne pas survenir pendant 30 ou 40 ans, soit le risque survient et cela peut coûter 50 ou 60 milliards d'euros. Ce n'est pas du tout la même configuration que le risque catastrophes naturelles, où il y a toujours de 300 à 600 millions d'euros de catastrophes naturelles de tailles diverses et variées par an, et de temps en temps plusieurs milliards d'euros. Cette non-granularité du risque de pandémie appliquée aux pertes d'exploitation était une vraie difficulté. Si on veut couvrir ces pertes, il y a deux approches possibles. La première est assez libérale : on n'impose aucune obligation, aucune extension obligatoire de garantie mais on cherche simplement à promouvoir les garanties d'assurance pertes d'exploitation, qui ne sont pas généralisées chez les PME et les ETI. Elles sont encore plus rares pour les pertes sans dommages, du fait aussi de difficultés techniques : ces garanties sont techniquement très difficiles à définir, à tarifer, à mettre en place et à indemniser. Il n'y a guère que les grandes entreprises qui arrivent à obtenir des garanties d'assurance sur mesure, pour leurs besoins. Si on veut développer ce marché, il faut être très modeste, l'appliquer à des domaines spécifiques, par exemple l'annulation de billetteries de spectacles ou encore les cautions que doivent donner les agences de voyage. Si on doit aller vers un régime général, je rejoins l'idée qu'il faut qu'il y ait une forme d'obligation d'assurance, d'extension obligatoire de garantie d'assurance. Dans le cas contraire, il n'y aurait pas de possibilité de mutualiser les risques.