Comme vous le savez, monsieur le Président, mes chers collègues, nous avons connu, en 2020, une très grave crise sanitaire qui s'est traduite par une contraction historique de l'activité dont les effets ont été absorbés à plus de 80 % par les administrations publiques afin de préserver la situation des ménages et des entreprises.
Alors que nous attendions initialement une croissance de l'ordre de 1,3 % en 2020, les restrictions sanitaires et les mesures de confinement ont entrainé une chute très importante du produit intérieur brut (PIB).
Quelques indicateurs permettent d'en rendre compte. En 2020, le nombre d'heures travaillées a chuté de 9,1 %, soit 3,9 milliards d'heures travaillées en moins par rapport à 2019. Dans certains secteurs comme l'hébergement-restauration, cette contraction a même atteint 35 %. De même, la valeur ajoutée brute des entreprises s'est contractée de 8,1 % par rapport à 2019 avec, là-aussi, des résultats très impressionnants par secteur. Je pense, par exemple, au secteur du transport dont la valeur ajoutée a chuté de 17,1 %.
Au final, la France a connu une récession de 7,9 % en 2020, ce qui est un peu plus qu'en zone euro et bien plus qu'en Allemagne.
Chacun le sait, cette crise a rendu urgente et vitale la mise en oeuvre de mesures de soutien aux entreprises et aux ménages. Cela s'est fait en France, comme dans le reste des principales économies avancées, au travers de la mise en oeuvre de plan de soutien mêlant versement de subventions directes, allégements ou reports d'impôt, intervention en capital et mise en jeu de la garantie de l'État.
Le plan de soutien et de relance français, annoncé pour les années 2020 et 2021 représentait, à cet égard, un engagement équivalent à 25,5 points de PIB, ce qui est un niveau comparable à nos partenaires. Il a toutefois présenté une spécificité : celle de reposer pour plus de la moitié sur l'engagement de la responsabilité de l'État, plutôt que sur des mesures ayant un impact sur le déficit public.
En ne regardant que les dispositifs consistant à verser directement des subventions - je pense par exemple au fonds de solidarité et à l'activité partielle -, on constate que les administrations publiques ont engagé 58,7 milliards d'euros en 2020.
Dans le même temps, je rappelle que le montant de l'encours des prêts garantis par l'État contractés en 2020 s'élevait à 5 % du PIB.
Avant d'en venir à une présentation plus exhaustive de l'état de nos finances publiques, je souhaite dire quelques mots sur la manière dont le choc économique que nous avons subi a été absorbé par les différents acteurs.
En 2020, la crise économique et sanitaire s'est traduite par une contraction du revenu brut disponible au niveau national de 7,8 % soit 149,6 milliards d'euros.
Pour mémoire, le revenu brut disponible représente la somme des revenus primaires des agents économiques majorés des transferts qu'ils perçoivent et minorés des impôts et cotisations dont ils s'acquittent. En d'autres termes, c'est en observant le revenu brut disponible d'un agent que l'on peut évaluer l'impact de la crise, en tenant compte des effets des mesures de soutien.
Ce qui ressort lorsque l'on regarde la répartition de la baisse du revenu disponible entre chaque secteur de l'économie, c'est la part très importante des administrations publiques. Ainsi, en France 85,1 % de la baisse de revenu a été absorbée par les administrations publiques. Cela fait beaucoup mais c'est moins qu'en zone euro ou qu'en Allemagne.
En parallèle, les entreprises ont - quant à elles - conservé à leur compte 21,8 % de la contraction du revenu disponible. Ce montant, toutefois, pourrait être un peu plus faible en tenant compte des annulations d'impôts qui, au plan comptable, ne sont pas retracées au niveau du revenu disponible.
Cette situation découle, à mon sens, du choix fait par le Gouvernement de recourir davantage aux prêts garantis par l'État qu'à des aides directes sur fonds publics.
En effet, faute d'avoir assaini nos finances publiques avant la crise, nous avons disposé d'une capacité moindre pour intervenir sur fonds publics.
Ce qui peut être constaté, c'est que les ménages dans leur ensemble - sans me prononcer sur les situations particulières - ont été préservés du choc économique sous l'effet, notamment, de mesures comme le soutien à l'activité partielle.
Ainsi, en France comme en Allemagne, le revenu brut disponible des ménages a progressé en 2020 respectivement de 0,7 % et de 0,9 %.
J'en viens maintenant à la présentation de la situation de nos finances publiques qui sont, en conséquence de cette crise et des mesures de soutien, particulièrement dégradées.
En 2020, le déficit public a atteint 9,2 % du PIB après 3,1 % en 2019. C'est un record, qui devrait toutefois être battu dès 2021 avec un déficit de 9,4 %. Cette dégradation est principalement portée par l'État et les administrations de sécurité sociale.
Ce déficit procède d'abord d'une forte contraction des recettes publiques de l'ordre de 63,8 milliards d'euros, c'est-à-dire de 5 % par rapport à 2019. La contraction des prélèvements obligatoires représente à elle seule 44 milliards d'euros, soit une baisse de 4,1 %.
Les administrations publiques centrales et les administrations de sécurité sociale assument, chacune, une perte d'environ 21 milliards d'euros. Les administrations publiques locales ont subi, quant à elles, une contraction des prélèvements obligatoires de l'ordre de 2,8 milliards d'euros.
Toutefois, je veux rappeler ici l'impact très important des pertes de recettes tarifaires et domaniales et saluer les efforts entrepris par le Sénat pour obtenir, de la part du Gouvernement, la mise en oeuvre de mécanismes de compensation adaptés avec, par exemple, l'amélioration et la reconduction du filet de sécurité.
La diminution en valeur des prélèvements obligatoires perçus par les différentes administrations publiques ne pèse pas de la même manière en volume sur chacune d'entre elles.
Ainsi, pour les administrations centrales, la perte des 21 milliards d'euros de prélèvements correspond à une baisse de recettes de 6,4 %. Pour les administrations de sécurité sociale, cette contraction équivalente en valeur est plus faible en volume, puisqu'elle correspond à une baisse des prélèvements obligatoires de 3,6 %. Enfin, pour les administrations publiques locales, la baisse des prélèvements obligatoires de 2,8 milliards d'euros en valeur correspond à une variation d'un peu moins de 2 %.
Au global, l'aggravation du déficit public procède, ensuite, d'une hausse des dépenses publiques de l'ordre de 73,5 milliards d'euros.
Sur ce montant, le coût de l'ensemble des mesures de soutien face à la crise est évalué à 72,7 milliards d'euros en incluant les dépenses de santé.
En miroir de cette dégradation du déficit public, nous avons assisté en 2020 à une augmentation spectaculaire de l'endettement équivalent à 17,5 points du PIB.
Sur cette variation, 7,9 points résultent du besoin de financer notre déficit primaire et 7,2 points s'expliquent par un effet « boule de neige » particulièrement défavorable. Pour mémoire, l'effet « boule de neige » mesure l'évolution spontanée du ratio dette sur PIB lorsque le solde primaire est à l'équilibre. Cet effet « boule de neige » défavorable implique que même si nous avions atteint l'équilibre primaire - c'est-à-dire sans déficit - notre ratio de dette sur PIB aurait quand même augmenté de 7,2 points.
Malgré l'aggravation de notre niveau d'endettement qui est plus que problématique, nos conditions de financement sont restées très favorables. En témoigne, notamment, la diminution du taux apparent de la dette publique et la baisse continue de la charge de la dette rapportée au PIB.
Avant d'entrer plus en détail dans l'exécution du budget de l'État, il faut reconnaitre qu'il nous est difficile, en 2020, de mesurer l'ampleur des efforts de maitrise de la dépense hors crise. Le Gouvernement indiquait dans la version initiale du projet de loi que les administrations auraient réalisé un effort en dépense équivalent à 1,5 point de PIB potentiel. Plus nuancé, le Haut Conseil des Finances Publiques estimait quant à lui que cette estimation n'avait « aucune signification ». Je partage cette opinion. En effet, à combien s'élèvent les économies en dépenses qui sont imputables à la crise ? Cela n'est pas véritablement évalué s'agissant de l'État. Quelle part des dépenses de soutien et des aides à l'économie doit-elle être considérée comme exceptionnelle et temporaire ? Il y a ici matière à débat.
J'en viens à présent au budget de l'État proprement dit.
Le déficit budgétaire s'établit en 2020 à un niveau de 178,1 milliards d'euros, dépassant de loin le niveau de 148,8 milliards d'euros atteint lors de la crise financière de 2010.
Ce déficit est d'ailleurs supérieur de 85 milliards d'euros par rapport au niveau prévu en loi de finances initiale. Bien sûr, l'écart est dû pour l'essentiel à la crise sanitaire, qui crée des dépenses, surtout avec la nouvelle mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », et diminue les recettes.
Ce déficit est toutefois inférieur au déficit de 223,3 milliards d'euros prévu par la quatrième loi de finances rectificative du 30 novembre 2020, car celle-ci s'était fondée sur des hypothèses de dépenses supplémentaires qui n'ont pas été vérifiées. Les plafonds de crédit prévus par le dernier collectif budgétaire n'ont donc pas été dépassés, mais au contraire sous-exécutés.
Les recettes diminuent nettement en 2021, sous l'effet de la crise économique qui réduit de 9,0 % les recettes fiscales nettes. Elles sont toutefois supérieures de 6,7 milliards d'euros à la prévision de la quatrième loi de finances rectificative.
Les recettes d'impôt net sur les sociétés sont de 36,3 milliards d'euros, soit un quart de moins que la prévision en loi de finances initiale. En effet les derniers acomptes, versés en décembre, ont été très faibles comme on le voit dans le niveau, mois après mois, des recettes brutes. En recettes nettes, il est toutefois en hausse de 2,9 milliards d'euros par rapport à 2019 à cause de l'effet de plusieurs réformes décidées avant la crise, notamment la transformation du crédit d'impôt d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) qui a réduit les remboursements et dégrèvements.
La TICPE, également, a été particulièrement touchée : son produit brut a chuté lors des deux confinements du printemps et de l'automne, car cet impôt est très lié aux secteurs les plus concernés par les restrictions d'activité et de déplacements. Sur l'ensemble de l'année, son produit net diminue de 38,9 % par rapport à 2019.
En revanche, l'impôt net sur le revenu s'établit à 74,0 milliards d'euros, soit un niveau proche de la prévision en loi de finances initiale comme de l'exécution 2019 : comme on l'a vu, les revenus des salariés ont été globalement préservés, grâce notamment au financement de l'activité partielle.
Enfin la TVA a connu une évolution spontanée de - 6,5 %, car c'est un impôt dont l'évolution est proche de celle de l'activité. Toutefois, en chiffres absolus elle diminue de 15,2 % par rapport à 2019 en raison, notamment, d'un nouveau transfert de TVA à la sécurité sociale. La part de TVA revenant à l'État a particulièrement diminué au cours des dernières années.
Enfin, les recettes non fiscales s'établissent en 2020 à un niveau de 14,8 milliards d'euros, proche de l'exécution 2019 : la chute des dividendes, qui résulte de la crise sanitaire, a été compensée par des recettes exceptionnelles liées notamment à des amendes et à la signature d'une convention judiciaire d'intérêt public avec la société Airbus.
Les dépenses nettes du budget général s'établissent à un niveau de 389,7 milliards d'euros, y compris les fonds de concours, soit une hausse considérable de 16,0 % par rapport à 2019.
L'augmentation des dépenses est bien plus importante qu'en 2010, où elle avait été de 10,9 %. À l'époque cette augmentation avait été suivie, dès 2011, d'un retour au niveau de dépenses antérieur à la crise. Ce n'est pas le cas cette fois, puisque les dépenses continuent à augmenter en 2021, et les documents déjà transmis par le Gouvernement en vue du débat d'orientation des finances publiques laissent penser qu'il faudra plusieurs années avant de revenir à une véritable maîtrise de la dépense publique.
Si l'on compare les crédits exécutés avec ceux prévus en loi de finances initiale, le fait essentiel est bien sûr la création de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », qui a été dotée de 69,6 milliards d'euros de crédits budgétaires au total, dont elle a consommé 41,8 milliards d'euros. Elle n'est dépassée en importance que par les missions « Enseignement scolaire » et « Défense ».
Les missions « Solidarité, insertion et égalité des chances » et « Cohésion des territoires » ont également fait l'objet d'ouvertures de crédit importantes en cours d'année pour financer des dépenses à caractère social induites, pour la plus grande partie, par la crise sanitaire.
En sens inverse, la persistance des taux bas a une nouvelle fois abaissé la charge de la dette à un niveau inférieur à la prévision de plus de 2 milliards d'euros. C'est le paradoxe que nous avons déjà souligné : la charge de la dette, en comptabilité générale, diminue dans des proportions identiques à la hausse de la dette. Ne nous y trompons pas : cette diminution aura une fin, probablement dès 2021 avec la reprise de l'inflation. La dette, elle, ne diminuera pas avant plusieurs années.
La masse salariale augmente en 2020 de 1,7 %, ce qui correspond à la prévision en loi de finances initiale, en raison notamment de la mise en oeuvre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR). Sur les trois premières années du quinquennat, l'ensemble des dépenses de personnel (c'est-à-dire la masse salariale plus les contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions ») augmentent à un rythme moyen de 1,4 %. La maîtrise « stricte » de la masse salariale qu'annonçait la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 n'a pas été réalisée, puisque l'augmentation est supérieure à celle qui a été réalisée à la même période du précédent quinquennat.
En particulier, je rappelle que la quatrième loi de finances rectificative a acté une augmentation d'environ 2 800 emplois de l'État, dont l'effet en termes de dépenses sera surtout visible en 2021. Le rapport préparatoire au débat d'orientation des finances publiques indique explicitement que l'objectif du Gouvernement se limite désormais à la stabilité de l'emploi au sein de l'État et de ses opérateurs, alors qu'il annonçait naguère une réduction des 50 000 emplois au sein du Gouvernement et des opérateurs.
Enfin, il est nécessaire lors de l'examen d'un projet de loi de règlement, de vérifier de quelle manière a été respectée la loi de programmation des finances publiques. Nous notions un premier dépassement de 3,0 milliards d'euros l'an dernier pour la norme de dépenses pilotables, alors que ce n'était que la deuxième année d'application. L'écart est, bien sûr, beaucoup plus important en 2020 : la croissance très élevée des dépenses a placé loin derrière les objectifs en termes de dépenses pilotables comme en termes de dépenses totales. L'écart de 15,4 milliards d'euros sur les dépenses pilotables n'inclut pas les dépenses de la mission « Plan d'urgence », donc il s'agit de l'effet des dépenses d'urgence sur les missions traditionnelles, ainsi que de la conséquence des mesures prises en 2019 - déjà au nom de l'urgence économique et sociale.
Voilà les quelques éléments d'analyse que je souhaitais partager avec vous, vous trouverez des développements plus détaillés dans le rapport général qui accompagne vos contributions en tant que rapporteurs spéciaux.
Je crois que cette présentation retrace l'année exceptionnelle que nous avons vécue, avec notamment l'ouverture de près de 70 milliards d'euros de crédits sur la seule mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » qui n'existait même pas dans la loi de finances initiale !
S'agissant de notre vote sur ce texte, plusieurs éléments doivent être rappelés.
D'un côté, nous avons, en conscience et en responsabilité, voté les quatre projets de loi de finances rectificative, en obtenant d'ailleurs d'importantes évolutions et apports du Sénat. Nous avons en particulier validé les mesures de soutien, essentielles pour maintenir les entreprises à flot et protéger les ménages.
De l'autre, nous ne partagions pas les choix du Gouvernement qui ont guidé la construction de la loi de finances initiale pour 2020 et qui restent d'actualité. En particulier, nous déplorions, comme en 2019, que le Gouvernement ait manifestement renoncé à redresser les comptes publics. Or l'assainissement de nos finances publiques nous auraient permis d'avoir de plus grandes marges de manoeuvre lorsque la crise est survenue. Nous nous étions aussi opposés à de nombreuses mesures et avions regretté de n'avoir pas été entendu sur le schéma de financement pour les collectivités territoriales au titre de la suppression de la taxe d'habitation.
Par ailleurs, s'il n'y a pas de problème de respect de l'autorisation parlementaire au titre de cet exercice budgétaire compte tenu de la sous-exécution des crédits votés lors du dernier projet de loi de finances rectificative, le Gouvernement a, en revanche, procédé à des opérations de reports massifs en fin d'année, vers l'année 2021, et sans nécessairement conserver la destination initialement prévue.
Aussi, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, je m'en remettrai à la sagesse de notre commission pour le vote sur ce projet de loi.