Intervention de Laurent Lafon

Mission d'information Conditions de la vie étudiante — Réunion du 6 juillet 2021 à 17:5
Examen du projet de rapport

Photo de Laurent LafonLaurent Lafon, rapporteur :

Merci, monsieur le président. Je vous remercie à mon tour, chers collègues, pour votre implication tout au long de cette mission et pour votre présence en nombre à cette dernière réunion.

Je souhaite vous proposer quelques remarques introductives avant d'aborder les propositions qui concluent ce rapport.

D'abord, la crise sanitaire a été un révélateur et un amplificateur de difficultés déjà existantes sur le plan de la vie étudiante, qu'il s'agisse des questions de santé, de logement ou de l'alimentation. La pandémie a amplifié des difficultés auxquelles des étudiants étaient déjà confrontés avant la crise.

Par ailleurs, les difficultés rencontrées par un certain nombre d'étudiants dans leur vie résultent probablement d'un phénomène de massification de l'enseignement supérieur à l'oeuvre depuis plusieurs années, qui a conduit les politiques publiques à privilégier l'accueil de nombreux étudiants - 20?000 à 35?000 étudiants supplémentaires chaque année, cet effort quantitatif s'étant probablement fait au détriment d'un accueil plus qualitatif, autour de la vie étudiante. Nous partageons tous l'idée selon laquelle l'accompagnement de l'étudiant contribue à sa réussite universitaire. Cet accompagnement n'est pas strictement lié aux aspects académiques de son cursus, mais recouvre les autres éléments de son environnement (logement, santé, etc.) qui contribuent également à la réussite des études. Nous devons donc tendre vers un accompagnement individualisé, dans la mesure du possible, davantage ciblé vers les étudiants qui connaissent des difficultés.

Enfin, nous rencontrons un problème de statistiques précises, qui complexifie parfois les analyses. On ne peut que saluer le travail de l'OVE, mais ce manque de statistiques explique pourquoi les pouvoirs publics et le gouvernement peinent notamment à cibler les étudiants en difficulté.

Les propositions du rapport s'articulent autour de quatre axes : privilégier l'ancrage territorial de l'enseignement supérieur, tirer les conséquences de la crise pour améliorer la condition étudiante, mieux accompagner les étudiants dans leur parcours et limiter les obstacles financiers aux études supérieures.

Nous avons vu au travers des auditions l'importance de l'ancrage des établissements d'enseignement supérieur dans leur environnement local, à travers des relations étroites avec les collectivités territoriales et les entreprises. Ces relations peuvent d'ailleurs, entre autres avantages, favoriser l'accès des étudiants aux stages. Un certain nombre de collectivités sont demandeuses de ce lien avec les établissements d'enseignement supérieur. Il nous semble important d'affirmer que les politiques d'enseignement supérieur et la localisation de ces établissements doivent être replacées dans une politique d'aménagement du territoire. La conception des cycles universitaires permet notamment de réaliser son premier cycle dans un établissement de proximité, de taille plus restreinte, qui favorise un accompagnement personnalisé, évite un éloignement du milieu familial et permet probablement une meilleure qualité de vie. L'enjeu est également de s'inscrire contre le phénomène de métropolisation qui a marqué le choix de localisation des établissements d'enseignement supérieur depuis plusieurs dizaines d'années. Cette logique a conduit à privilégier le regroupement de grands sites universitaires, au détriment d'un enseignement de proximité mieux réparti sur l'ensemble du territoire.

Une série de propositions (recommandations 1 à 6) tirent les conséquences de ces constats : elles plaident notamment pour une diversité territoriale de l'offre universitaire, pour inscrire l'enseignement supérieur dans une dynamique d'aménagement du territoire et pour favoriser l'implication des collectivités territoriales aux côtés des établissements d'enseignement supérieur, à travers la création de sociétés publiques locales dans le domaine de l'entretien de l'immobilier universitaire. Nos recommandations plaident en outre pour la territorialisation de l'objectif de construction de logements étudiants.

La deuxième série de propositions concerne les enseignements à tirer de la crise sanitaire sur la santé, la prévention de la précarité dans le domaine alimentaire, l'amélioration de l'offre de logements étudiants, le développement de l'enseignement à distance et la vie associative.

Les recommandations 7 à 11 concernent la santé. Nous proposons de prolonger le dispositif des chèques «?psy?» mis en place pendant la crise, pour les étudiants qui en ont besoin et sur prescription médicale. Il a également été soulevé à plusieurs reprises les difficultés spécifiques des étudiants ultramarins, s'agissant plus particulièrement de la couverture santé. La recommandation 8 invite ainsi à trouver un problème rapide au problème d'affiliation à la sécurité sociale que rencontrent les étudiants ultramarins issus de certains territoires.

Pour accompagner les étudiants, l'offre de santé présente sur les campus universitaires se concentre sur des actions de prévention et la mise à disposition de services de médecine préventive et de promotion de la santé. Ces services sont toutefois très hétérogènes et leurs moyens très insuffisants au regard de la population étudiante. À titre d'exemple, les effectifs sont les suivants : un équivalent temps plein (ETP) d'infirmière pour 10?000 étudiants, un ETP de médecin pour 16?000 étudiants et un ETP de psychologue pour 30?000 étudiants. Les taux de couverture sont donc relativement faibles. Enfin, un étudiant sur quatre environ, durant son parcours universitaire, fréquente un service médical. C'est très peu. Du point de vue de la prévention psychologique, l'organisation des soins est assez faible, avec seulement 18 bureaux d'aide psychologique universitaires. De grandes agglomérations comme Bordeaux, Lyon, Nantes ou Toulouse n'ont pas de bureau d'aide psychologique universitaire (BAPU), et Paris ne dispose que de deux structures de ce type. La couverture est donc très faible.

Les recommandations 12 à 14 concernent la lutte contre la précarité alimentaire. Les Restos du coeur nous ont signalé que la fréquentation par les étudiants était bien antérieure à la crise covid, qui l'a amplifiée. Se pose ici la question des tickets restaurant à un euro qui ont été mis en place pendant la crise. Nous proposons de les prolonger pour les étudiants boursiers, au-delà de la crise. Cette prolongation pose la question de son financement, mais l'utilité de la mesure a été reconnue par tous. Nous avons également vu les problèmes posés par l'accès à un restaurant universitaire, car tous les étudiants n'en ont pas à proximité de leur lieu d'études. Nous préconisons ainsi, dans la recommandation 13, de développer les partenariats entre les Centre régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) et les acteurs locaux pour offrir à tous les étudiants une offre de restauration à un tarif social. Enfin, la dernière recommandation sur ce sujet consiste à préconiser le relèvement du plafond d'emploi des Crous pour permettre de recourir davantage à des personnels, dans un contexte marqué par des besoins importants en termes d'accompagnement social.

S'agissant de l'offre de logements étudiants, qui constitue un problème majeur pour tant d'étudiants, nous savons que le nombre et le rythme des constructions sont insuffisants au regard des besoins. Il manquerait ainsi au moins 250?000 logements étudiants pour répondre à la demande. Les différents plans successifs visant à accélérer cette construction se sont heurtés à des difficultés considérables et n'ont pas atteint leur cible. Nous proposons d'aller vers une territorialisation des objectifs en matière de logements étudiants. En effet, les besoins et le marché du logement diffèrent d'un territoire à l'autre. En fonction des besoins et du marché, il est nécessaire d'accentuer l'effort dans certains territoires. Par ailleurs, le logement étudiant ne se conçoit pas sans les communes. Il est donc important de définir des objectifs partagés en la matière.

Au-delà de la seule notion de construction, il s'agit aussi de porter attention à la qualité des conditions de logement des étudiants. Il convient, dans cet esprit, de favoriser le label «?qualité résidences étudiantes?» qui contribue à l'information des étudiants dans leur recherche d'un logement de qualité et incite les professionnels à assurer un niveau de service satisfaisant sur l'ensemble du territoire.

Les étudiants peuvent bénéficier d'aides pour l'accès au logement et en atténuer le coût. Si les aides publiques au logement sont bien identifiées par les étudiants, le dispositif Visale, qui correspond à la garantie contre les impayés de loyers, est peu ou mal connu par les étudiants eux-mêmes alors qu'il présente un intérêt certain. Il convient donc de mieux le promouvoir en amont et au moment de la rentrée universitaire.

J'en viens à l'enseignement à distance. La rentrée de 2021 doit privilégier l'enseignement présentiel pour permettre un meilleur retour des étudiants à une vie plus normale. Une réflexion doit être engagée sur l'équilibre entre présentiel et distanciel dans l'enseignement, en identifiant les matières qui constituent une réelle plus-value dans l'enseignement distanciel. Son développement doit aller de pair avec une réorganisation des emplois du temps pour que les temps de visioconférence soient répartis dans la semaine de manière équilibrée. Cet enseignement distanciel implique en outre une formation soutenue des enseignants car il suppose une pédagogie adaptée. Tel est l'objet de la recommandation 19. La recommandation 21 concerne les enjeux juridiques de l'enseignement à distance, qui appellent une réflexion approfondie.

Les recommandations 22 et 23 visent quant à elles à encourager l'engagement associatif, un aspect important de la vie étudiante. Elles visent le soutien financier de ces associations et une meilleure reconnaissance de l'engagement associatif étudiant.

Sur le sujet de l'accompagnement des étudiants dans leur parcours, un effort doit être consacré à l'accueil des primo-arrivants, notamment dans les universités où le changement est plus marqué par rapport au secondaire, du point de vue de l'organisation des cours par exemple. Nous avons vu qu'un certain nombre de bonnes pratiques ont été en place, qui mériteraient d'être généralisées. L'objectif de la recommandation 25 est d'améliorer le continuum entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur. Pour les primo-arrivants ultramarins, la rupture est probablement plus forte encore et nécessite un accompagnement dès avant l'arrivée en métropole : la recommandation 27 invite donc à anticiper cette étape.

Les recommandations 28 à 32 concernent quant à elles la réussite académique et la lutte contre le décrochage. Sur la question de la compatibilité des études supérieures avec un travail salarié, situation qui correspond à une réalité, il est nécessaire d'identifier les étudiants pour lesquels la charge de travail liée à cet emploi est telle que le parcours d'enseignement supérieur se trouve pénalisé. Le nombre d'heures travaillées en emploi salarié pose en effet question, nous l'avons vu au cours des auditions, au regard de la réussite du parcours universitaire. L'identification de ces étudiants concernés doit permettre la mise en place d'un accompagnement plus personnalisé, afin d'éviter que la charge de travail due à l'activité salariée ne pénalise leur réussite.

Un certain nombre de propositions concernent les étudiants en situation de handicap. Des progrès restent à faire pour améliorer l'accompagnement de ces étudiants, en particulier pour la mise à disposition d'équipements adaptés et en matière d'accessibilité des contenus pédagogiques.

Les recommandations 36 à 41 visent les stages et mobilités internationales. L'accès aux stages peut poser des problèmes et constituer un élément de stress important. Dans les établissements d'enseignement supérieur bien ancrés dans leur territoire, le lien avec le tissu économique peut permettre un accès plus simple aux stages que dans les grandes universités. Un certain nombre de propositions visent à faciliter l'accès aux stages, notamment via des banques d'offres de stage en ligne et des recherches de partenariats avec les collectivités et les acteurs du monde économique. La recommandation 38 invite les entreprises à communiquer sur le nombre de stagiaires accueillis et les types de missions qui leur sont confiées.

Les recommandations 42 et 43 portent sur les violences sexuelles et sexistes dans l'enseignement supérieur qui, même si elles sont difficiles à quantifier, ont été chiffrées à environ 4 % des étudiants par l'Observatoire de la vie étudiante. Rapportée à un effectif de 2,7 millions d'étudiants, cette proportion est élevée.

J'en viens au dernier axe du rapport, qui vise les aspects financiers. En ce qui concerne d'abord le budget de l'État, l'effort global est supérieur à 5 milliards d'euros, répartis en trois catégories : 2,3 milliards d'euros consacrés aux bourses sur critères sociaux, 1,5 milliard d'euros pour les APL et 1,7 milliard d'euros en ce qui concerne les mesures fiscales. Ce montant est donc significatif. Compte tenu des contraintes budgétaires, il n'est pas certain qu'il soit réaliste d'en demander une augmentation.

Une remarque me semble importante : la démographie étudiante est en croissance, mais viendra à se stabiliser, voire à diminuer. Le pic pourrait intervenir en 2025. Quand on entrera en phase de baisse, il faudra maintenir l'effort à son niveau actuel, afin d'augmenter l'effort budgétaire par étudiant. Il ne faudra pas prétexter cette évolution démographique pour diminuer les moyens. Sur la question des bourses (2,3 milliards d'euros pour 750?000 étudiants bénéficiaires environ), un certain nombre de remarques ont été partagées, notamment sur les échelons et les effets de seuil très marqués. Les difficultés auxquelles se heurtent certains étudiants interrogent l'efficience de la dépense publique. Les effets de seuil pénalisent particulièrement les catégories moyennes en cas d'augmentation de revenu, même légère. Une réflexion doit ainsi être menée sur les effets de seuil.

Par ailleurs, les bourses ne tiennent pas compte de la notion de pouvoir d'achat et de la réalité des dépenses liées à la vie étudiante. En fonction des zones géographiques et du coût du logement, l'impact sur le pouvoir d'achat des étudiants n'est pas le même. Nous émettons donc la recommandation suivante : instaurer le calcul d'un « reste à charge », après la prise en compte des dépenses obligatoires (logement, charges courantes). Cette notion permettrait de mieux cibler les étudiants qui ont besoin d'une aide supplémentaire. Nous formulons également un certain nombre de propositions concernant la communication sur ces aides, nombreuses et parfois peu lisibles, via par exemple la mise en place d'un guichet unique. Enfin, nous sommes prudents sur la question de l'emprunt étudiant, qui peut se poser quand les frais de scolarité sont élevés, ce qui est le cas dans certains établissements d'enseignement supérieur. Personnellement, j'estime que le recours à l'emprunt peut être envisagé dans des cas très encadrés, car il s'agit d'une charge pour l'avenir de l'étudiant, a fortiori quand cet emprunt a vocation non pas à financer la scolarité mais la vie étudiante.

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