Intervention de Valérie Boyer

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 9 juin 2021 : 1ère réunion
Échange avec le centre pour les droits des femmes polonais et des sénatrices polonaises sur la situation des droits des femmes en pologne et la législation en matière de violences intrafamiliales

Photo de Valérie BoyerValérie Boyer, présidente du groupe interparlementaire d'amitié France-Pologne :

Je remercie l'ensemble des participants à ce webinaire et tiens à souligner à quel point le dialogue et l'échange de bonnes pratiques sont essentiels au renforcement de nos législations respectives. Le chemin à parcourir dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux familles - je préfère le terme « violences conjugales » à celui de « féminicide », puisque ces violences se déroulent au sein du foyer, lieu où l'on devrait être protégé - est encore long, et nécessite notre mobilisation à tous. Je crois que nous avons beaucoup à apprendre des expériences d'autres pays, et notamment de partenaires et amis comme la Pologne au sein de l'Union européenne. Je remercie à cet égard Mme la présidente Billon d'avoir dressé un portrait international de ce qu'il s'est passé et des difficultés auxquelles nous sommes confrontés, surtout depuis le retrait de la Turquie de la Convention d'Istanbul. Nous avons également assisté à une montée des violences dont les femmes sont les premières victimes.

La prise de conscience qui est en train de s'opérer sur cette question me semble salutaire. Elle est internationale. Trop longtemps, notre société a tu la réalité des violences intrafamiliales. Leur persistance est une meurtrissure qui ne peut plus être ignorée. Elle nous enjoint à agir.

La question de la lutte contre les violences intrafamiliales n'est cependant pas nouvelle en France. Je rappelle que sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le gouvernement de François Fillon a créé, par la loi du 10 juillet 2009, un parcours d'orientation pour les femmes victimes de violences, lancé l'expérimentation d'un dispositif de surveillance électronique des conjoints violents et créé l'ordonnance de protection.

À l'époque, nous n'avions pas pu développer le bracelet anti-rapprochement car le Conseil constitutionnel l'interdisait, estimant qu'il s'agissait d'une atteinte corporelle. Nous avons mis plusieurs années à le mettre en place. Aujourd'hui, un budget a été débloqué pour 1 000 bracelets anti-rapprochement. Au 8 juin 2021, 147 bracelets ont été prononcés, dont 96 actifs. Ce dispositif n'empêche malheureusement pas toujours les crimes, mais je pense néanmoins que nous devons le développer, tout comme le téléphone grave danger, créé en 2010.

Ce sont les associations, les forces de l'ordre, les avocats et les magistrats qui sont en première ligne pour pallier les carences qui sont constatées sur le terrain. Leur travail et leur dévouement forcent l'admiration et le respect, bien qu'ils se sentent souvent livrés à eux-mêmes par manque de moyens, de temps ou de formation pour traiter ce phénomène de masse. Nous parlons toujours des femmes et enfants qui meurent. Dans ces chiffres, nous ignorons les centaines de personnes qui sont malades, qui souffrent ou qui finissent par décéder à cause de violences conjugales. Cette mort à petit feu n'entre pas dans les statistiques des décès. Elle est pourtant bien réelle. Elle pèse énormément sur la société française et, j'imagine, sur la société polonaise. Elle pèse par des violences psychosociales. Elle représente un coût très important pour la société. Surtout, elle représente un coût éminemment important pour les enfants de ces familles, qui sont des victimes. C'est ce que je pense et que j'ai porté dans plusieurs textes. Je souhaite faire en sorte qu'un enfant témoin de violences conjugales puisse être considéré comme une victime à part entière. J'espère que nous y parviendrons.

En tant que législateur, nous avons pour rôle de soutenir ces familles en améliorant l'efficacité des outils qui existent et en apportant des réponses concrètes aux nouvelles difficultés qui se posent.

Avant de siéger au Sénat, je siégeais à l'Assemblée nationale depuis 2007. J'y étais vice-présidente de la délégation aux droits des femmes et présidente du groupe d'étude sur les violences intrafamiliales. J'ai déposé dix propositions de loi sur les violences physiques et sexuelles à l'Assemblée nationale et il y a quelques mois au Sénat. Comme mes collègues s'intéressant à ces questions, je me suis attachée à trois priorités :

- d'abord, mieux définir les violences conjugales, notamment avec l'utilisation de plus en plus courante des moyens électroniques.

Je me félicite d'avoir fait voter, avec le soutien d'Annick Billon et de mes collègues, la reconnaissance du syndrome de la femme battue, ou plutôt de la personne battue, il y a une dizaine de jours. C'est extrêmement innovant en droit français. C'est une inspiration du droit canadien qui, depuis 1990 et l'arrêt Lavallée, reconnait ce syndrome. Le syndrome de la femme battue a été pour la première fois évoqué en France par un expert psychiatrique, dans l'affaire Valérie Bacot, qui sera jugée dans les jours à venir. Le jugement d'une femme ou d'une personne vivant depuis des années dans la terreur des coups qu'elle subit, sous l'emprise de son conjoint violent, est altéré, car elle vit en situation de danger de mort permanent. Le Sénat français a considéré, par le vote de cet amendement, que le fait d'être sous l'emprise d'une tierce personne depuis plusieurs années, d'être battue, torturée, violée, pouvait, dans des cas exceptionnels reconnus par des experts psychiatres, altérer le jugement d'une personne. La plupart du temps, une femme victime de violences meurt de dépression, de maladie ou sous les coups de son conjoint. Dans des cas exceptionnels, elle dit « c'est lui ou moi » ou « c'est lui ou moi et mes enfants » - les enfants entrent en effet souvent en jeu dans cette défense. Elle est alors bourreau, puisqu'elle a tué quelqu'un, mais aussi et surtout victime. C'est ce que nous devons considérer ;

- ensuite, mieux surveiller les auteurs de violences conjugales. Je crois que nous devons améliorer la prise en compte des plaintes. Nous avons vu dans de récentes affaires que la prise en compte des plaintes n'avait pas été assez performante, qu'elle n'avait pas empêché que des femmes soient assassinées. Personnellement, j'avais plaidé pour que nous procédions à une comparaison des dépôts de plainte et des affaires poursuivies, par juridiction. Cet amendement a été refusé. Je pense qu'il faudra y revenir, car il est très important de voir pourquoi, à certains endroits du territoire, les plaintes sont poursuivies, et pourquoi elles ne le sont pas ailleurs ;

- enfin, mieux protéger les enfants. Le Sénat français a voté le 28 décembre 2018 une proposition de loi, que j'avais soutenue, reconnaissant le fait qu'un parent violent ne peut pas être considéré comme un bon parent. Nous avons simplifié la possibilité de retirer l'autorité parentale de façon provisoire. Je pense qu'aujourd'hui nous devrions progresser pour faire en sorte que l'enfant témoin de violences soit lui aussi considéré comme une victime à part entière.

Je suis convaincue que nos échanges permettront de dégager des pistes d'action communes. La coopération entre les Sénats français et polonais est particulièrement dynamique. Je rappelle que nous aurons l'honneur d'accueillir une délégation du Sénat polonais à compter du 28 juin.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion