Intervention de Annick Billon

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 9 juin 2021 : 1ère réunion
Échange avec le centre pour les droits des femmes polonais et des sénatrices polonaises sur la situation des droits des femmes en pologne et la législation en matière de violences intrafamiliales

Photo de Annick BillonAnnick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat français :

En France, 213 000 femmes sont victimes chaque année de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur conjoint ou ex-conjoint. Près de 150 femmes en meurent. En 2020, le nombre de féminicides a enregistré une baisse significative de l'ordre de 40 % par rapport à 2019, puisque le nombre de femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint s'est établi à 90. Il convient toutefois d'attendre les prochains mois pour voir si cette tendance se confirme. Depuis le début de l'année 2021, nous comptons déjà, hélas, 49 féminicides.

Ces violences n'épargnent pas les enfants.

140 000 enfants vivent dans un foyer violent. Les études montrent qu'ils sont témoins directs des violences dans 40 à 60 % des cas. 40 % des cas de maltraitance sur les enfants sont liés à la violence conjugale. En outre, chaque année ce sont vingt-cinq enfants mineurs qui sont tués par un de leurs parents dans un contexte de violences au sein du couple.

La question des violences conjugales et celle de la protection des enfants sont donc intimement liées, comme le soulignait Valérie Boyer. Je tiens à le dire avec force : un conjoint violent n'est pas et ne sera jamais un bon parent.

La France est depuis plusieurs années engagée dans la prévention et la lutte contre les violences intrafamiliales. En particulier, pour ne citer que les initiatives les plus récentes, un Grenelle des violences conjugales a été organisé à l'automne 2019, en présence d'acteurs de terrain, de professionnels, d'associations et de familles de victimes. Deux lois ont en outre été récemment adoptées sur ces sujets spécifiques : la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille et la loi du 21 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.

Ces textes ont notamment permis d'accélérer la délivrance des ordonnances de protection (OP) et de faciliter l'attribution de téléphones grave danger (TGD). Ils ont autorisé la saisie des armes, introduit le bracelet anti-rapprochement (BAR) et prévu une suspension de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale.

Hélas, les chiffres et les affaires des récents féminicides démontrent que la loi est là mais que son application reste limitée et insuffisante.

J'en viens au sujet qui nous occupe plus particulièrement aujourd'hui, à savoir la protection des enfants en cas de violences intrafamiliales.

L'article 31 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d'Istanbul, impose la prise en compte des actes de violences lors de la délivrance des ordonnances judiciaires régissant les droits de garde et de visite. Il prévoit que l'exercice de ces droits ne doit pas porter atteinte à la sécurité des victimes et de leurs enfants.

Cet article se traduit aujourd'hui par plusieurs dispositions dans la législation française. Tout d'abord, le juge dispose de la faculté de retirer l'autorité parentale ou de restreindre son exercice en cas de violences intrafamiliales. En cas de crime ou délit sur la personne de l'autre parent, la juridiction de jugement a, depuis 2014, l'obligation de se prononcer sur le retrait de l'autorité parentale. Depuis la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, il est possible pour un juge pénal ou civil de prononcer le retrait de l'exercice de l'autorité parentale dans tous les cas où il pouvait auparavant prononcer le retrait de l'autorité parentale, ce qui inclut donc les cas de violences conjugales. Auparavant, les juges ne disposaient que de la faculté de retirer partiellement ou totalement l'autorité parentale, décision radicale lourde de conséquences, ce qui restreignait très fortement son application.

Le retrait de l'exercice de l'autorité parentale entraîne le retrait du droit de visite et d'hébergement, sauf décision contraire du juge, sans pour autant affecter les obligations de contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants pesant sur tout parent.

En outre, depuis la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, l'exercice de l'autorité parentale et tout droit de visite et d'hébergement sont suspendus de plein droit dès le stade des poursuites en cas de crime commis par un parent sur l'autre parent. Cette suspension est effective jusqu'à la décision du juge et pour une durée maximale de six mois. Ces dispositions sont applicables à toutes les poursuites engagées et les condamnations prononcées depuis le 30 décembre 2019.

Désormais, il existe donc, dans la législation française, un double mécanisme de suspension de l'exercice de l'autorité parentale en cas de crime commis par un parent sur l'autre parent :

- la suspension de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale qui revêt un caractère provisoire pour une durée de six mois à compter de l'engagement des poursuites ;

- au stade de la condamnation, une nouvelle suspension de l'exercice de l'autorité parentale peut être prononcée.

La plus récente loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales introduit de nouvelles dispositions importantes. Elle prévoit l'attribution prioritaire du logement conjugal à la victime de violences domestiques. Elle donne au juge pénal la possibilité, dans le cadre d'un placement sous contrôle judiciaire, de suspendre le droit de visite et d'hébergement de l'enfant mineur. Enfin, elle réduit les droits des auteurs de violences conjugales en matière de succession et décharge leurs enfants de leurs obligations de pension alimentaire.

Le code civil permet aussi au juge aux affaires familiales de retirer l'autorité parentale ou son exercice, ou de restreindre les droits de garde et de visite si l'intérêt de l'enfant le commande, notamment dans des situations de violences conjugales, et ce même en dehors de toute condamnation pénale.

En cas de danger pour l'autre parent, le juge aux affaires familiales peut aussi organiser les modalités des droits de garde et de visite et prévoir, par exemple, que la remise de l'enfant s'effectue dans un espace de rencontre qu'il désigne ou avec l'assistance d'un tiers de confiance ou du représentant d'une personne morale qualifiée. Les moments où les conjoints séparés se retrouvent pour confier l'enfant à l'autre parent sont en effet souvent des moments de tension propices à la répétition des violences.

La législation française est donc désormais en conformité avec l'article 31 de la Convention d'Istanbul. Pour autant, des progrès peuvent encore être accomplis dans la mise en oeuvre de ces outils juridiques et dans leur appropriation par les magistrats.

Pour conclure, j'aimerais aussi profiter de nos échanges d'aujourd'hui pour vous dire quelques mots de la proposition de loi que j'ai déposée en novembre 2020 et qui a été promulguée le 21 avril 2021.

Cette loi vise à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste. Elle introduit dans le droit français le principe de non-consentement de tout mineur de 15 ans à une relation sexuelle avec un adulte. Désormais, tout rapport sexuel entre un mineur de 15 ans et un adulte sera considéré comme un viol sans que le mineur ait à apporter la preuve des éléments constitutifs du crime subi : violence, menace, contrainte ou surprise. En outre, ce seuil de non-consentement est fixé à 18 ans dans les cas d'inceste.

La loi française pose donc désormais un interdit clair et fort afin de protéger les enfants des violences sexuelles commises par des adultes, souvent d'ailleurs par ceux ayant un ascendant direct sur eux. Plus de 80 % des crimes sexuels sur mineur sont en effet le fait de l'entourage proche. Plus jamais un enfant de moins de 15 ans ne sera considéré comme « complice » ou « complaisant » à l'égard d'un adulte commettant sur lui des actes sexuels. La loi protège ainsi les enfants des agresseurs en inscrivant dans le code pénal des infractions spécifiques : le viol sur mineur, le viol incestueux, l'agression sexuelle sur mineur et l'agression sexuelle incestueuse.

Je vous remercie pour votre attention.

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