Intervention de Françoise Brié

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 9 juin 2021 : 1ère réunion
Échange avec le centre pour les droits des femmes polonais et des sénatrices polonaises sur la situation des droits des femmes en pologne et la législation en matière de violences intrafamiliales

Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) :

Je vous remercie de cette invitation et de cet échange entre la France et la Pologne. Il est toujours intéressant de récolter des informations et des retours d'expérience dans différents pays.

Je commencerai évidemment par évoquer la Convention d'Istanbul et l'importance de son article 31 en matière de droit de visite et d'hébergement dans les situations de violence. Il rappelle qu'il est nécessaire de prendre en compte les actes de violence avant de décider de tout ce qui touche à l'autorité parentale et au droit de visite et d'hébergement. Il est essentiel de placer la mise en sécurité des femmes et des enfants avant toute autre chose. Je peux constater, en tant qu'association, que ce problème traverse de nombreux États et pas uniquement la France et la Pologne. D'autres pays, en Europe et ailleurs, sont également concernés. Cette question est centrale dans la sécurité et la prévention des femmes et des enfants.

En introduction, je souhaite ajouter que nous sommes bien conscients que les rôles parentaux sont toujours inégalitaires. Il est important de le souligner lorsque nous parlons de résidence alternée ou d'hébergement. Les tâches domestiques et parentales reposent principalement sur les épaules des femmes. Cet élément est important dans les suites qui seront données dans le cadre de séparations. Nous devons travailler en amont sur le partage de ces tâches, pour plus d'égalité entre les femmes et les hommes et pour nous assurer que la coparentalité dans le couple existe durant la vie commune, mais également après la séparation.

Les violences conjugales sont un facteur d'inégalité entre les femmes et les hommes extrêmement important dans la sphère privée. C'est un phénomène de grande ampleur. En France comme ailleurs, des femmes et des enfants sont tués par ces violences. Il est important de veiller à leur sécurité.

Il existe également des violences post-séparation. Nous le savons, la séparation est une période à risque. Les femmes, lorsqu'elles partent, s'exposent à un risque réel. 30 % des féminicides en France sont commis lors de la séparation. Les violences post-séparation se déroulent souvent à travers les enfants. Les agresseurs affirment aux femmes que, si elles partent, elles n'auront plus le droit de garder leurs enfants. L'idée reçue selon laquelle un mari violent peut être un bon père a la vie dure. Elle traverse nos deux pays. Il est important de rappeler que c'est un stéréotype et qu'il faut le casser. C'est la violence qui détruit la famille, pas la séparation. Il est nécessaire de prendre ces éléments en compte dans les décisions qui seront prises.

La ligne d'écoute nationale, le 3919, a reçu 42 370 appels de la part de femmes victimes de violences conjugales en 2019. 79 % d'entre elles avaient au moins un enfant. Nous voyons que ceux-ci sont très impactés par les violences conjugales. Ils sont présents et peuvent être considérés comme des co-victimes.

La résidence alternée ne doit pas être prononcée lorsqu'il y a des violences conjugales.

Chaque situation doit être observée avec une grande attention, en tenant compte des inégalités sur le plan économique, mais aussi au regard des violences physiques, psychologiques, sexuelles commises à l'encontre des femmes et des enfants. Nous savons que la maltraitance sur les enfants est bien plus importante dans les cas de violence conjugale. Certaines enquêtes montrent en outre que les cas d'inceste sont cinq à six fois plus élevés dans les couples où il y a de la violence conjugale, en particulier pour les filles. Ce point doit faire l'objet d'une vigilance accrue.

Sur le plan législatif, des évolutions très intéressantes ont eu lieu en France, notamment sur les enfants exposés aux violences, circonstance devenue aggravante dans le cadre des violences conjugales. Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes vient de publier un rapport indiquant que 2 695 demandes de poursuites ont été lancées sur ces circonstances aggravantes en 2019. 1 480 situations ont entraîné une condamnation. Cette nouvelle avancée législative commence à être appliquée. Il faut absolument augmenter son impact.

En France, nous avons également l'interdiction de la médiation pénale et familiale dans les cas de violences conjugales, ce qui correspond aux demandes de la Convention d'Istanbul. Nous devons poursuivre son application pour qu'il n'y ait plus du tout de médiation familiale et pénale en cas de violences conjugales.

Existe aussi, depuis 2019, la possibilité de prononcer le retrait de l'autorité parentale au pénal et la suspension provisoire de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement d'un parent en cas de crime contre l'autre parent. Depuis 2020, une autre loi permet la suspension du droit de visite et d'hébergement dans le cadre d'un contrôle judiciaire. Des modifications législatives sur les ordonnances de protection prévoient également une motivation de la décision en cas de droit de visite non encadré au profit de l'auteur de violences conjugales.

Des statistiques de 2019 viennent de sortir sur ces points. Il faut continuer à améliorer les lois et mieux les appliquer. Nous devons en particulier permettre aux femmes de quitter le domicile avec leurs enfants sans être sanctionnées. Vous avez parlé des condamnations des femmes cherchant à protéger leurs enfants lorsque ceux-ci sont victimes de violences. Il est important d'étudier ces situations, et de ne pas re-victimiser les femmes par des condamnations lorsqu'elles cherchent à protéger leur famille. Évidemment, nous demandons l'exclusion de la résidence alternée en présence de violences conjugales et intrafamiliales. Surtout, nous demandons d'inscrire ces violences comme motif grave justifiant un retrait du droit de visite et d'hébergement ainsi que de l'autorité parentale du parent violent, au moins temporairement. Nous demandons également de faciliter les lieux médiatisés, lorsque les droits de visite et d'hébergement peuvent reprendre et de favoriser les mesures d'accompagnement protégé des enfants (MAP). Des intervenants peuvent conduire l'enfant chez le parent reprenant les droits de visite, observer la situation et en référer aux autorités judiciaires le cas échéant. L'augmentation de ces lieux médiatisés avec des professionnels nous semble nécessaire, comme la prise en compte des violences sur les enfants et des violences conjugales dans les dossiers de non-représentation de l'enfant.

Nous avons, vous le voyez, encore quelques améliorations à porter. Les enfants deviennent un enjeu majeur dans les séparations pour violences. C'est un élément essentiel à prendre en compte. Nous devons être extrêmement vigilants si nous ne voulons pas re-victimiser les femmes victimes de violences et si nous voulons garantir leur sécurité et la protection de leurs enfants.

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