Intervention de Urszula Nowakowska

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 9 juin 2021 : 1ère réunion
Échange avec le centre pour les droits des femmes polonais et des sénatrices polonaises sur la situation des droits des femmes en pologne et la législation en matière de violences intrafamiliales

Urszula Nowakowska, présidente du Centre du droit des femmes :

Merci de me laisser la possibilité de rencontrer des membres du Sénat français et d'une association similaire à la nôtre. Je suis un peu moins optimiste que vous concernant notre législation. Je constate beaucoup de lacunes dans la loi polonaise et dans la construction même de la coopération interdisciplinaire prévue dans la loi de lutte contre les violences familiales. À mes yeux, le système mis en place en Pologne est trop bureaucratique. Il n'est pas favorable aux femmes victimes qui devraient être aidées rapidement. Il ne se base pas sur les entités spécialisées, par exemple les centres d'aide sociale, qui remplissent un rôle primordial. En outre, de nombreuses institutions et personnes ne souhaitent pas participer aux rencontres du groupe interdisciplinaire. Cela prend beaucoup de temps, sans nécessairement apporter une vraie assistance et une vraie aide.

De nombreuses personnes se présentant dans notre centre n'ont bien souvent pas bénéficié de l'aide de ce groupe interdisciplinaire.

En Pologne, nous peinons à connaître les chiffres exacts des victimes de violences conjugales. Les statistiques officielles sont bien souvent en baisse. Elles ne montrent pas l'ampleur du problème et ne font état que des cas enregistrés, dévoilés.

Dans la mise en place de la procédure évoquée par Mme la sénatrice, je m'inquiète également de la chute des condamnations constatées, notamment sur la base de l'article 207, qui traite de la violence conjugale. Nous constatons que la violence au sein de la famille n'est pas réellement perçue comme un crime, mais plutôt comme le problème d'une famille qui doit éventuellement être aidée.

Selon moi, nous devons repenser le système en vigueur en Pologne et décider si nous souhaitons traiter ces situations comme des crimes ou des problèmes familiaux.

Je m'inquiète aussi de savoir qu'il existe bien souvent des signalements réciproques en Pologne. Les agresseurs, pour se défendre, demandent également qu'un signalement de violences soit établi pour eux. En Pologne, contrairement à d'autres pays ayant mis en place des procédures pour constater qui est la victime et qui est l'agresseur, la défense des femmes contre l'agression est considérée sur le même pied d'égalité que la violence qu'elles ont subie. Deux signalements sont donc établis. Ce sujet doit être rediscuté avec l'aide des associations s'engageant dans la défense contre les violences.

Nous devons aussi nous intéresser à ces problèmes en prenant en compte le sexe. Durant des années, il a été très difficile de dire que le crime avait un sexe. La situation commence à évoluer grâce à la Convention d'Istanbul. Vous le savez, des tentatives ont visé à la supprimer en Pologne. Le Premier ministre a saisi le Tribunal constitutionnel pour qu'il constate son éventuelle inadéquation avec la loi polonaise. Nous nous préoccupons énormément de la suite qui sera donnée à la Convention en Pologne.

Nous ne partageons en outre pas la joie exprimée par le ministre de la justice et d'autres membres du gouvernement quant à la loi polonaise, si efficace que nous n'aurions même pas besoin de la Convention. Nous savons que les standards du pays ne sont pas à la hauteur. Nous assistons à une pénurie d'unités spécialisées d'aide. Vous avez mentionné les centres de soutien. Notre organisation en gère un. D'autres sont dirigés par des collectifs locaux. Il n'y en a que trente-six dans toute la Pologne. C'est très peu. Les autres centres auxquels peuvent s'adresser les femmes ne sont pas des centres spécialisés mais plutôt des centres de crise ou d'urgence. Ils peuvent aider d'autres personnes, et pas nécessairement les femmes, en cas de crise. Nous devons nous appuyer davantage sur les unités spécialisées, qui peuvent assurer une aide plus stable et efficace.

Les problématiques de violences à l'égard des femmes et des enfants ne sont malheureusement pas regardées de la même manière en Pologne et en France. Le fait que le partenaire soit violent à l'égard de sa femme représente pourtant une violence psychique à l'égard des enfants. Même si des procédures sont ouvertes, même si des signalements sont établis, l'enfant se perd dans cette affaire. Je me souviens d'une cliente qui souhaitait que son fils de treize ans témoigne devant la juridiction. Elle a été accusée d'impliquer cet enfant dans les problèmes des adultes. Ses compétences en tant que mère ont été remises en cause. Bien souvent, l'enfant est pourtant le seul témoin de la violence. Il devrait avoir la possibilité de prendre la parole. Dans notre pays, les enfants n'ont pas la parole, on ne leur pose pas de question, on ne leur demande pas s'ils préfèrent rester avec leur père ou leur mère. Du point de vue de la loi, c'est pourtant une obligation. Le code de la famille comprend une disposition concernant le droit de visite et de contact, mais aussi concernant l'obligation de contact. J'ai le sentiment que cette obligation ne concerne que les femmes et les enfants.

De nombreuses associations de pères sont désormais très actives. Ils veulent avoir des contacts avec leurs enfants. Les juridictions polonaises ne prennent pas en compte la violence lorsqu'elles décident de la résidence de la garde d'enfant ou du lieu de domicile. Dans certains cas extrêmes, les femmes, pour éviter l'agression, ont quitté le domicile avec leurs enfants pour chercher un abri. Le tribunal décide finalement que les enfants doivent retourner vivre chez leur père, puisque leur mère n'a pas de domicile ou de stabilité.

Cette décision a été prise dans une affaire que j'ai suivie. Se déroulait en parallèle une affaire pénale, très avancée. Le juge a tout de même décidé que les enfants devaient retourner chez leur père, qui ne souhaitait pas qu'ils puissent garder un lien avec leur mère. Celle-ci a dû payer des sommes importantes pour contacter ses enfants, leur père vivant à plusieurs centaines de kilomètres du lieu où elle s'était établie en fuyant la violence, puisqu'elle n'était pas en sécurité à proximité de son mari.

Nous sommes donc très éloignés des standards de la Convention. Pour l'instant, aucune initiative législative n'a été prise. À l'exception de pétitions, peu d'actions sérieuses sont menées. À l'heure actuelle, je ne pense pas qu'il soit possible de proposer des solutions en vigueur en France pour les appliquer en Pologne. Nous avons constaté de nombreux exemples au cours desquels le tribunal décidait que les enfants devaient avoir un contact illimité avec leur père, même en cas d'agression très brutale de sa part à l'égard de sa compagne. En Pologne, nous manquons d'endroits où organiser des contacts supervisés et médiatisés. Nous avons assisté à des décisions absurdes de tribunaux décidant que le père devait avoir la possibilité de voir dans quelles conditions vivait son enfant. Nous avons fait en sorte que ces décisions ne soient pas mises en oeuvre. Ce n'est maintenant plus le cas.

Nous disposons d'un centre au sein duquel nous proposons des consultations. Il n'existe pas d'autres endroits assurant cette supervision de contact dans les cas de violences passées. Nous avons proposé ce type de dispositif mais cette idée n'a pas, pour l'instant, été accueillie favorablement. Il nous est répondu que cela coûte cher et qu'il n'est pas nécessaire de faire entrer d'autres institutions dans ces situations. Le contact supervisé n'a pas été institutionnalisé.

Revenons aux questions de contact. J'ai observé les décisions concernant l'autorité parentale et son retrait. En 2019, seuls 300 pères ont été privés de leur autorité parentale. Nous comptons de nombreux exemples tragiques liés au contact entre le père agresseur et ses enfants. Je peux citer un cas très connu. Une femme accusait son mari de l'avoir maltraitée. Celui-ci a emmené son enfant sans le consentement de la mère, à plusieurs reprises. Ce contact était illimité et non supervisé. Après un nouvel enlèvement, le tribunal a décidé que le contact devait avoir lieu sous la tutelle d'un curateur. Malheureusement, durant un contact supervisé au sein d'une galerie marchande, cet homme est entré dans les toilettes et a empoisonné son fils. Ils sont morts tous les deux. Sa fille est restée seule à l'aire de jeux. Il y a quelques mois, un autre enfant a été tué par son père, qui s'est ensuite suicidé lui aussi. Avant, il a envoyé un texto à la mère lui indiquant qu'il ne lui permettrait pas de rester avec son enfant. Bien souvent, ces contacts sont utilisés par les hommes pour poursuivre les violences à l'égard de la femme et des enfants.

Dans des pareils cas, les femmes sont bien souvent accusées de ne pas avoir agi pour défendre leur enfant. Qu'a fait l'État pour les défendre ? Pas grand-chose. En Pologne, une conviction très forte perdure, selon laquelle le père doit être présent même s'il est violent. L'enfant a le droit de garder un contact avec celui-ci, mais ce droit se transforme bien souvent en obligation de contact avec l'agresseur. En revanche, si ce dernier ne souhaite pas de contact, il n'y est pas contraint. Il n'est pas pénalisé s'il ne paie pas la pension alimentaire. Les femmes, quant à elles, peuvent être pénalisées si elles défendent leur enfant contre les agressions. Nous avons de ce fait besoin d'une loi qui nous permettrait de mieux défendre les victimes, de les mettre plus en sécurité, pour éviter que le contact avec les enfants ne permette aux agresseurs de poursuivre la violence. Nous connaissons de nombreuses situations de ce type.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion