L'accès des filles aux filières dépend fortement de l'éducation. On le sait, celle-ci est sexiste. Même si les enseignants agissent de façon incroyable, chacun dans leur domaine, il y a une fabrication différente des sexes. Les femmes se sentent moins légitimes dans les métiers scientifiques. Soulignons également l'absence de modèles identificatoires. Dans les sujets du baccalauréat de cette année, il me semble qu'une seule femme a été citée. Nous parlons de quotas. La première mesure serait d'intégrer des femmes dans les manuels, les sujets, les modèles. Il y a des femmes extraordinaires partout. On ne les voit pas. Nous devons les remettre à leur place dans les écoles, dans les livres, dans les noms d'établissements, et bien évidemment dans les médias. La question des modèles identificatoires est centrale.
Au-delà de cela, le sexisme est très fort. Je partage votre souhait d'instaurer des objectifs chiffrés d'hommes dans les métiers majoritairement féminins. Le choix du métier se fait souvent à l'adolescence. À cette période, les garçons sont souvent soumis à un double problème identificatoire :
- l'identification sexuée : je fais ce que font majoritairement les garçons ;
- l'idée que les métiers du care sont moins valorisés - c'est vrai, ils sont sous-payés -, ce qui ne leur donne pas envie de transgresser des normes sexuées.
Les filles, de leur côté, acceptent de transgresser ces normes puisqu'elles vont vers des emplois valorisés. Il y a là une asymétrie assez forte. Nous constatons que dans un premier choix, les adolescents de 18 ans ne s'orientent pas vers les filières du care, mais qu'ils y reviennent vers 22 ou 23 ans, après un premier échec dans des filières qui leur semblaient préférables en tant qu'hommes, mais où ils n'ont pas trouvé leur place. Ils sont alors revenus vers les métiers de leur choix : le transfert, la proximité, le care. Nous sommes là dans du sexisme institutionnel fort, gluant, créant des résistances et impactant les choix. Je n'ai qu'une peur, celle que la réforme du choix d'options au lycée vienne consolider ces choix sexués et stéréotypés des filles et des garçons, et que les filles se détournent encore plus des options mathématiques en estimant qu'elles ne sont pas faites pour elles.
Je crois que nous devons mettre le sexisme au coeur de nos réflexions. Au HCE, nous avons pour obligation législative de faire un état des lieux du sexisme en France chaque année, comme la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l'homme) dresse annuellement un état des lieux du racisme. C'est un problème central. Le sexisme est partout, y compris dans l'intelligence artificielle. Des débiaiseurs de sexe sont installés dans les logiciels, qui sont des machines apprenantes. Tous les biais se renforcent dans leur apprentissage interne. Nous affrontons tout de même un sujet très lourd. Nous l'avons étudié au sein du CSEP, avec un rapport sur l'intelligence artificielle et le sexisme. Même les logiciels de base de recrutement tels que le modèle des Big Five posent des questions hallucinantes. Les avatars auxquels on demande aux femmes de se conformer sont tous masculins dans l'un de ces Big Five.
Nous avons bien conceptualisé la notion d'emprise dans les violences, ou celle de psycho-traumatismes chez les femmes en ayant été victimes. Nous n'avons, en revanche, pas suffisamment conceptualisé, dans un langage populaire et clair, ce phénomène de disqualification que vivent les femmes dans le milieu social. Elles sont formidables et talentueuses. Elles ne craignent rien mais ont tout de même peur. Elles savent que les obstacles qu'elles auront à affronter seront différents, d'où l'importance des réseaux de femmes. Ce sont des formes de réassurance et d'apprentissage collectif. Tout ce que vous disiez sur l'intériorisation d'une forme d'infériorité ou de manque d'audace est très clair. De nombreuses études menées au MIT montrent d'ailleurs que lorsqu'un homme demande une augmentation, celle-ci est acceptée, car l'égoïsme ou l'égocentrisme lui sont autorisés. Lorsqu'une femme demande une augmentation, au-delà même du fait qu'elle a dû se forcer à le faire, les hommes recruteurs la reçoivent mal. Les femmes sont connotées altruistes. Lorsqu'elles demandent quelque chose pour elles-mêmes, elles sont mal notées. C'est la double peine. Il est difficile de demander, car personne ne nous a appris à le faire. Nous étions vouées au care. En plus de cela, notre demande entraîne souvent une réponse et un impact négatifs, car nous n'avons pas vocation à valoriser notre ego, mais à travailler avec autrui.
Ces éléments doivent être mis sur la table bien plus qu'ils ne le sont actuellement. Nous faisons de beaux progrès aujourd'hui avec les entreprises, avec l'initiative Stop Sexisme ordinaire notamment. Nous mettons en place des systèmes de lutte contre le sexisme en interne. Il n'y a toutefois aucun contentieux au titre de l'agissement sexiste dans les entreprises. C'est pourtant une disposition légale introduite en 2015. C'est extrêmement grave. Nous voyons, dans le non-dit, une reconnaissance de ce qui fait la disqualification des femmes sur le marché du travail, malgré leur talent.