Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 5 juillet 2021 à 16h00
Article 1er de la constitution et préservation de l'environnement — Adoption en deuxième lecture d'un projet de loi constitutionnelle modifié

Éric Dupond-Moretti :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de présenter une nouvelle fois à la Haute Assemblée le projet de révision constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement.

La genèse de cette réforme historique en faveur du climat, de l’environnement et de la diversité biologique est connue de tous ; je me bornerai donc à rappeler que le projet qui vous est soumis est d’abord le fruit du travail et de l’engagement des 150 Français de la Convention citoyenne pour le climat. Qu’ils en soient ici chaleureusement remerciés.

Ce projet tient aussi à l’engagement du Président de la République de reprendre leur proposition citoyenne de modification de l’article 1er de la Constitution, dans le cadre d’un projet de loi constitutionnelle.

Nos précédents débats avaient fait apparaître que les désaccords se cristallisaient sur l’emploi de deux des dix-huit mots du projet de loi. Ces deux mots, qui ont donné lieu à de savantes exégèses, sont les verbes « garantir » et « lutter ».

Vous le savez, le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont souhaité, dans un esprit d’ouverture et de conciliation, faire un pas vers votre Haute Assemblée. L’expression « lutter contre le dérèglement climatique » a donc été remplacée par « agir contre le dérèglement climatique ».

Je comprends, au regard du projet proposé par votre commission et qui fait l’objet d’un amendement de réécriture de l’article unique, que la main tendue n’a pas été saisie. Je le regrette, car vous fermez ainsi la possibilité pour les Français de s’exprimer sur le sujet de première importance qu’est l’avenir écologique de notre pays.

Au soutien de la proposition de réécriture, vous avez reproché au Gouvernement d’entretenir zones d’ombre et contradictions quant aux effets juridiques attendus du projet de révision constitutionnelle. Je vais donc m’employer, une nouvelle fois, à préciser le sens et la portée de cette réforme.

Je dirai quelques mots, pour commencer, sur le texte que vous proposez. Vous souhaitez indiquer que « la France agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre le dérèglement climatique dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ».

On peut se demander, à la lueur de cette rédaction bien timide, si ce qui vous inquiète, finalement, ne réside pas tant dans les prétendues incertitudes juridiques entourant notre projet que dans la volonté, pleinement assumée par la majorité présidentielle, de renforcer juridiquement la préservation de l’environnement.

À l’inverse, la rédaction que vous proposez ne produirait aucun effet juridique nouveau, comme votre commission l’a d’ailleurs reconnu. À l’heure où nous vivons une crise climatique majeure qui inquiète les Français et mobilise, en particulier, notre jeunesse, première concernée par les conséquences de cette crise, une réforme purement symbolique n’est pourtant pas envisageable.

Il n’est pas possible de convoquer les Français à un référendum pour leur dire : « Nous réformons la Constitution, mais notre but est de ne strictement rien changer ». Or c’est cela que vous nous proposez, ne rien changer en répétant le préambule de notre Constitution et en renvoyant simplement à la Charte de l’environnement, qui existe déjà.

Le Gouvernement et l’Assemblée nationale pensent au contraire qu’il faut assumer pleinement la responsabilité historique qui est aujourd’hui la nôtre et affirmer que la portée juridique de la protection de l’environnement doit évoluer, que ce qui est une ambition doit devenir une garantie.

Je souhaiterais tellement vous convaincre du bien-fondé du projet repris de la Constitution citoyenne pour le climat !

Il s’agit, tout d’abord, de rehausser la protection de l’environnement au cœur de nos principes constitutionnels.

Certes, comme vous le savez, elle est inscrite dans la Charte de l’environnement résultant de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Cette Charte, mentionnée dans le préambule de notre Constitution, fait donc pleinement partie du bloc de constitutionnalité, et le Conseil constitutionnel, par sa jurisprudence récente, en particulier par deux décisions de 2020, a contribué à renforcer les principes qu’elle contient.

Il subsiste toutefois d’importantes limites. En effet, dans sa décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a jugé que la préservation de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constituait seulement un objectif à valeur constitutionnelle.

Je rappelle qu’un objectif à valeur constitutionnelle, à la différence d’une règle constitutionnelle ayant un caractère impératif, n’emporte qu’une obligation de moyens et nécessite, pour sa mise en œuvre, l’intervention du législateur. Nous voulons ici mettre en place un principe à valeur constitutionnelle, qui pourra être invoqué même lorsque le législateur n’est pas intervenu.

Par ailleurs, je vous rappelle que les objectifs à valeur constitutionnelle ne sont théoriquement pas invocables à eux seuls à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. Il s’agit donc bien de renforcer le poids constitutionnel de la protection de l’environnement.

Ensuite, le Gouvernement vise, avec ce projet, à instaurer un véritable principe d’action des pouvoirs publics, nationaux comme locaux, en faveur de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique.

Bien sûr, l’article 2 de la Charte prévoit déjà pour toute personne le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. Mais, ici, nous allons plus loin : nous voulons créer, à la charge des pouvoirs publics, une garantie de la préservation de l’environnement.

Enfin, j’en viens à la signification du fameux verbe « garantir », que vous craignez tant. Je dois avouer que je suis toujours surpris que l’emploi de ce terme fasse l’objet d’un tel rejet de la part de votre Haute Assemblée : faut-il de nouveau rappeler que notre Constitution l’emploie déjà ?

Ainsi, lorsque les constituants ont inscrit dans la Constitution, en 1946, la garantie de la santé et de la protection matérielle, du repos, des loisirs, ils n’ont pas imposé une responsabilité automatique de l’État pour toute personne malade ou en grande précarité. Les dangers que vous dénoncez, sur ce point, sont illusoires.

S’agissant des effets juridiques du verbe « garantir » sur la mise en jeu de la responsabilité des personnes publiques, je ne puis que répéter ce qui a déjà été exposé : il est certain que l’État peut déjà voir sa responsabilité engagée en matière environnementale, mais nous voulons aller plus loin et créer une quasi-obligation de résultat ou, comme je l’ai toujours dit, une obligation de moyens renforcée pour les pouvoirs publics.

Cela signifie tout simplement faciliter la charge de la preuve pour les requérants et, à l’inverse, rendre beaucoup plus difficile pour la personne publique mise en cause de s’exonérer de ses obligations.

Il ne s’agit donc pas de se satisfaire des carences ou de l’inaction des pouvoirs publics pour les condamner ensuite, mais bien au contraire de les obliger à agir pour protéger concrètement et efficacement l’environnement.

La Constitution doit s’adapter aux enjeux et aux défis de notre temps. Elle doit donc être aujourd’hui à la hauteur du défi écologique majeur auquel notre pays se trouve confronté.

Voilà pourquoi le Gouvernement et l’Assemblée nationale, à l’unisson de la Convention citoyenne pour le climat, entendent garantir la protection de l’environnement. Ce combat est aujourd’hui le nôtre, il devrait aussi être le vôtre, car c’est le combat de la France pour le siècle à venir.

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