Séance en hémicycle du 5 juillet 2021 à 16h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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La séance est ouverte à seize heures cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai le profond regret de vous faire part du décès, survenu cette nuit, de notre collègue Patrick Boré, qui était sénateur des Bouches-du-Rhône depuis août 2020.

M. le président du Sénat prononcera son éloge funèbre ultérieurement, mais je tiens d’ores et déjà à saluer sa mémoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement (projet n° 703, rapport n° 725).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de présenter une nouvelle fois à la Haute Assemblée le projet de révision constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement.

La genèse de cette réforme historique en faveur du climat, de l’environnement et de la diversité biologique est connue de tous ; je me bornerai donc à rappeler que le projet qui vous est soumis est d’abord le fruit du travail et de l’engagement des 150 Français de la Convention citoyenne pour le climat. Qu’ils en soient ici chaleureusement remerciés.

Ce projet tient aussi à l’engagement du Président de la République de reprendre leur proposition citoyenne de modification de l’article 1er de la Constitution, dans le cadre d’un projet de loi constitutionnelle.

Nos précédents débats avaient fait apparaître que les désaccords se cristallisaient sur l’emploi de deux des dix-huit mots du projet de loi. Ces deux mots, qui ont donné lieu à de savantes exégèses, sont les verbes « garantir » et « lutter ».

Vous le savez, le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont souhaité, dans un esprit d’ouverture et de conciliation, faire un pas vers votre Haute Assemblée. L’expression « lutter contre le dérèglement climatique » a donc été remplacée par « agir contre le dérèglement climatique ».

Je comprends, au regard du projet proposé par votre commission et qui fait l’objet d’un amendement de réécriture de l’article unique, que la main tendue n’a pas été saisie. Je le regrette, car vous fermez ainsi la possibilité pour les Français de s’exprimer sur le sujet de première importance qu’est l’avenir écologique de notre pays.

Au soutien de la proposition de réécriture, vous avez reproché au Gouvernement d’entretenir zones d’ombre et contradictions quant aux effets juridiques attendus du projet de révision constitutionnelle. Je vais donc m’employer, une nouvelle fois, à préciser le sens et la portée de cette réforme.

Je dirai quelques mots, pour commencer, sur le texte que vous proposez. Vous souhaitez indiquer que « la France agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre le dérèglement climatique dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ».

On peut se demander, à la lueur de cette rédaction bien timide, si ce qui vous inquiète, finalement, ne réside pas tant dans les prétendues incertitudes juridiques entourant notre projet que dans la volonté, pleinement assumée par la majorité présidentielle, de renforcer juridiquement la préservation de l’environnement.

À l’inverse, la rédaction que vous proposez ne produirait aucun effet juridique nouveau, comme votre commission l’a d’ailleurs reconnu. À l’heure où nous vivons une crise climatique majeure qui inquiète les Français et mobilise, en particulier, notre jeunesse, première concernée par les conséquences de cette crise, une réforme purement symbolique n’est pourtant pas envisageable.

Il n’est pas possible de convoquer les Français à un référendum pour leur dire : « Nous réformons la Constitution, mais notre but est de ne strictement rien changer ». Or c’est cela que vous nous proposez, ne rien changer en répétant le préambule de notre Constitution et en renvoyant simplement à la Charte de l’environnement, qui existe déjà.

Le Gouvernement et l’Assemblée nationale pensent au contraire qu’il faut assumer pleinement la responsabilité historique qui est aujourd’hui la nôtre et affirmer que la portée juridique de la protection de l’environnement doit évoluer, que ce qui est une ambition doit devenir une garantie.

Je souhaiterais tellement vous convaincre du bien-fondé du projet repris de la Constitution citoyenne pour le climat !

Il s’agit, tout d’abord, de rehausser la protection de l’environnement au cœur de nos principes constitutionnels.

Certes, comme vous le savez, elle est inscrite dans la Charte de l’environnement résultant de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Cette Charte, mentionnée dans le préambule de notre Constitution, fait donc pleinement partie du bloc de constitutionnalité, et le Conseil constitutionnel, par sa jurisprudence récente, en particulier par deux décisions de 2020, a contribué à renforcer les principes qu’elle contient.

Il subsiste toutefois d’importantes limites. En effet, dans sa décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a jugé que la préservation de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constituait seulement un objectif à valeur constitutionnelle.

Je rappelle qu’un objectif à valeur constitutionnelle, à la différence d’une règle constitutionnelle ayant un caractère impératif, n’emporte qu’une obligation de moyens et nécessite, pour sa mise en œuvre, l’intervention du législateur. Nous voulons ici mettre en place un principe à valeur constitutionnelle, qui pourra être invoqué même lorsque le législateur n’est pas intervenu.

Par ailleurs, je vous rappelle que les objectifs à valeur constitutionnelle ne sont théoriquement pas invocables à eux seuls à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. Il s’agit donc bien de renforcer le poids constitutionnel de la protection de l’environnement.

Ensuite, le Gouvernement vise, avec ce projet, à instaurer un véritable principe d’action des pouvoirs publics, nationaux comme locaux, en faveur de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique.

Bien sûr, l’article 2 de la Charte prévoit déjà pour toute personne le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. Mais, ici, nous allons plus loin : nous voulons créer, à la charge des pouvoirs publics, une garantie de la préservation de l’environnement.

Enfin, j’en viens à la signification du fameux verbe « garantir », que vous craignez tant. Je dois avouer que je suis toujours surpris que l’emploi de ce terme fasse l’objet d’un tel rejet de la part de votre Haute Assemblée : faut-il de nouveau rappeler que notre Constitution l’emploie déjà ?

Ainsi, lorsque les constituants ont inscrit dans la Constitution, en 1946, la garantie de la santé et de la protection matérielle, du repos, des loisirs, ils n’ont pas imposé une responsabilité automatique de l’État pour toute personne malade ou en grande précarité. Les dangers que vous dénoncez, sur ce point, sont illusoires.

S’agissant des effets juridiques du verbe « garantir » sur la mise en jeu de la responsabilité des personnes publiques, je ne puis que répéter ce qui a déjà été exposé : il est certain que l’État peut déjà voir sa responsabilité engagée en matière environnementale, mais nous voulons aller plus loin et créer une quasi-obligation de résultat ou, comme je l’ai toujours dit, une obligation de moyens renforcée pour les pouvoirs publics.

Cela signifie tout simplement faciliter la charge de la preuve pour les requérants et, à l’inverse, rendre beaucoup plus difficile pour la personne publique mise en cause de s’exonérer de ses obligations.

Il ne s’agit donc pas de se satisfaire des carences ou de l’inaction des pouvoirs publics pour les condamner ensuite, mais bien au contraire de les obliger à agir pour protéger concrètement et efficacement l’environnement.

La Constitution doit s’adapter aux enjeux et aux défis de notre temps. Elle doit donc être aujourd’hui à la hauteur du défi écologique majeur auquel notre pays se trouve confronté.

Voilà pourquoi le Gouvernement et l’Assemblée nationale, à l’unisson de la Convention citoyenne pour le climat, entendent garantir la protection de l’environnement. Ce combat est aujourd’hui le nôtre, il devrait aussi être le vôtre, car c’est le combat de la France pour le siècle à venir.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

M. François-Noël Buffet, président la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d ’ administration générale, r apporteur . Monsieur le garde des sceaux, avec cette réforme constitutionnelle, vous portez un bien lourd fardeau. Le poids du devoir vous oblige, nous pouvons le comprendre, mais tout de même : il ne suffit pas que les gouvernements affirment quelque chose pour que cela soit la vérité !

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Le travail de la Haute Assemblée est d’essayer de trouver cette vérité constitutionnelle à laquelle nous aspirons.

Dans les propos tenus au cours de la première lecture et réitérés il y a quelques minutes, le Gouvernement nous dit qu’il entend rehausser la protection de l’environnement ; il ajoute, quelques secondes plus tard, que cette garantie ne changera finalement pas grand-chose ; enfin, il affirme qu’il s’agit d’exiger quasiment une obligation de résultat…

De deux choses l’une, soit « garantir » a un vrai sens et une vraie portée, et alors il faut s’en expliquer clairement, soit nous sommes là pour entériner ce que la Convention citoyenne a proposé, dans une démarche que l’on peut estimer légitime, mais dont il nous revient à nous, parlementaires et constitutionnalistes pour la circonstance, d’apprécier la réalité des effets.

Nous avons toujours dit à cette tribune que nous souhaitions naturellement que les parlementaires assument cette responsabilité de constitutionnalistes, en ne permettant pas au Conseil constitutionnel de devenir un véritable gouvernement des juges. C’est pourquoi la précision est nécessaire.

Le Sénat est donc saisi, en deuxième lecture, d’un projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement, modifié par l’Assemblée nationale en deuxième lecture le 11 mai dernier.

La commission des lois n’a pu que constater, à regret, que les conditions d’un accord entre les deux assemblées sont encore très loin d’être réunies.

Je vous rappelle que le projet initial du Gouvernement, décalque de l’une des 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat, prévoyait d’insérer à l’article 1er de notre Constitution une phrase selon laquelle la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. » Il avait été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, sans modification.

Saisi de ce texte, le Sénat avait observé que la rédaction proposée avait une portée juridique beaucoup trop vague pour pouvoir être adoptée en l’état.

Comme le soulignait alors la commission, et contrairement aux allégations qui ont été exprimées, les pouvoirs publics sont d’ores et déjà soumis à de fortes obligations de valeur constitutionnelle ayant pour objet la protection de l’environnement, obligations qui découlent de la Charte de l’environnement de 2004.

En revanche, compte tenu, notamment, de l’emploi du verbe « garantir » et du défaut d’articulation avec la Charte, il avait paru impossible à notre commission de déterminer avec un tant soit peu de précision les effets des dispositions envisagées, d’une part, sur l’engagement de la responsabilité des personnes publiques, et, d’autre part, sur la validité des actes des pouvoirs publics.

Le Sénat avait donc substitué aux dispositions proposées une phrase selon laquelle la France « préserve l’environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ».

Cette rédaction supprimait la référence à la notion de « garantie » et levait, grâce à un renvoi exprès, tout problème d’articulation entre l’article 1er de la Constitution, modifié, et la Charte de l’environnement, partie intégrante du bloc de constitutionnalité.

La substitution du verbe « agir » au verbe « lutter », déjà suggérée par le Conseil d’État, visait seulement, quant à elle, à éviter un effet rhétorique dénué de toute portée juridique. Je veux bien que nous soyons « en guerre » contre bien des choses, y compris contre le dérèglement climatique, mais, dans la loi fondamentale, nous préférons la sobriété du style aux effets de manche.

En deuxième lecture, l’Assemblée nationale, sous couleur de rechercher un terrain de compromis avec le Sénat, a presque intégralement rétabli le texte initial, en acceptant seulement le remplacement du verbe « lutter » par le verbe « agir », un point tout à fait accessoire en réalité.

Le texte adopté par les députés, aux termes duquel la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique », ne lève aucune des zones d’ombre du projet initial, et ses effets juridiques restent tout aussi indéterminés.

Les députés n’ont pas cherché à répondre aux arguments juridiques exposés par le Sénat. Bien au contraire, les débats en deuxième lecture à l’Assemblée nationale n’ont fait qu’entretenir le flou sur les effets que le Gouvernement et sa majorité attendent de ce projet de révision.

Permettez-moi d’en citer quelques exemples. Le Gouvernement, après avoir répété à qui voulait l’entendre que son texte visait à instituer « un véritable principe d’action des pouvoirs publics » en faveur de la protection de l’environnement, a enfin reconnu devant la commission des lois de l’Assemblée nationale que la Charte de l’environnement s’applique aux autorités publiques depuis seize ans. Dont acte ! C’est une avancée que nous relevons.

Alors qu’il prétendait auparavant que le projet de révision visait à assigner aux pouvoirs publics une « quasi-obligation de résultat » en matière de protection de l’environnement, le Gouvernement ne parle plus désormais que d’une « obligation de moyens renforcée ». Il faudrait savoir ce que cela veut dire et quel est le sens de cette notion, qui n’a ni source ni signification.

En effet, les notions d’« obligation de moyens », d’« obligation de moyens renforcée », d’« obligation de résultat » ou encore d’« obligation de résultat atténuée » n’ont pas tout à fait la même acception.

Pour donner corps à cette notion, le Gouvernement déclare que son objectif est d’inverser la charge de la preuve et d’obliger ainsi les pouvoirs publics, si leur responsabilité est recherchée en justice, à établir eux-mêmes la démonstration qu’ils ont accompli toutes les diligences raisonnables pour assurer la préservation de l’environnement.

Soit, mais il faut tout de même beaucoup d’imagination pour faire produire au verbe « garantir » de tels effets sur le régime de la preuve dans le procès administratif. La notion de garantie, dans le langage courant comme dans le langage juridique, a une autre signification.

Pendant ce temps, le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale prétend toujours que le texte aurait pour effet « d’ériger la protection de l’environnement en principe constitutionnel », ce qui est tout simplement faux ou relève d’une ignorance de sa part. En effet, chacun sait que la Charte de 2004 fait partir du bloc de constitutionnalité et a valeur constitutionnelle.

Il a également déclaré que le texte adopté par les députés pourrait constituer « le support d’actions en carence contre le législateur », ce qui, pour le coup, constituerait une nouveauté, puisque, dans notre État de droit et conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, aucune juridiction n’a le pouvoir d’adresser des injonctions au législateur non plus d’ailleurs que de condamner l’État à réparer les dommages causés par d’éventuelles carences du législateur. Il est bien évident que la disposition proposée ne suffirait pas, à elle seule, à opérer un tel bouleversement juridique.

Si l’on en croit les déclarations faites en séance publique par le rapporteur de l’Assemblée nationale, la prétendue concession faite au Sénat serait l’expression de « l’esprit de dépassement et de rassemblement » qui, comme chacun sait, anime le parti majoritaire… §Au moins, cela ne manque pas d’humour.

Eh bien, monsieur le garde des sceaux, nous avons, nous aussi, le souci du « dépassement » et du « rassemblement ». Pour tout vous dire, nous sommes surtout assez impatients que ce débat constitutionnel entre enfin dans le dur et devienne, plutôt qu’une opération de communication, un véritable débat de droit.

Nous nous posons aujourd’hui la question : s’agit-il de gagner la bataille de la communication ou celle du droit ? Pour notre part, nous avons fait le choix de défendre le droit, conformément à notre mission première.

La commission a donc déposé un amendement dont la rédaction est légèrement différente de celle qui a été adoptée par le Sénat en première lecture.

Nous proposons d’inscrire à l’article 1er de la Constitution que la France non plus « préserve », comme dans notre première rédaction mais « agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ». Telle est la proposition que la commission des lois a acceptée et qui est adressée au Sénat cette après-midi et.

J’ai entendu, il y a quelques jours, et ce matin encore, de la part de deux membres du Gouvernement – pas vous, monsieur le garde des sceaux – des propos extrêmement désagréables à l’égard du Sénat.

Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Nous serions ici pour bloquer le système, notre ringardise serait absolue, nous ne souhaiterions pas la protection de l’environnement et l’Assemblée nationale aurait fait un pas vers le Sénat…

Mêmes mouvements.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Monsieur le garde des sceaux, je répondrai à vos deux collègues que, eux-mêmes, en défendant ce qui est presque indéfendable, ont commis un faux pas, et même plus qu’un faux pas : une faute.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, pour la seconde fois, nous sommes convoqués pour débattre du projet de loi constitutionnelle visant à modifier l’article 1er pour y inscrire la protection de l’environnement.

Sans surprise, le Sénat, en première lecture, a réécrit le texte afin d’en affaiblir la portée, réduisant l’insertion à une sorte de tautologie renvoyant à la Charte de l’environnement.

Sans surprise non plus, après l’annonce par le Président de la République que le texte continuerait de cheminer, l’Assemblée nationale a rétabli le fameux « garantit » concernant la protection de l’environnement, tout en cédant sur le verbe « lutter » s’agissant de dérèglement climatique.

Nous voilà donc coincés dans un débat purement sémantique sur la portée concrète des verbes « garantir », « préserver » et « agir », dans le cadre d’une navette qui pourrait se poursuivre éternellement.

J’avais dit, en première lecture, que nous nous inscrivions en faux contre cette instrumentalisation du Parlement, une manœuvre dilatoire aux effets pervers. En effet, loin de consacrer constitutionnellement la protection de l’environnement, ces rédactions fragilisent au contraire la Charte, sans créer aucune obligation de quasi-résultats, malgré vos déclarations, monsieur le garde des sceaux.

Pour cette raison, nous vous avions proposé de réduire ces modifications constitutionnelles, non pas aux symboles, mais à l’enrichissement de la Charte, selon les principes de solidarité écologique et de non-régression.

Ces dispositions utiles auraient permis au juge constitutionnel de censurer un certain nombre de lois récentes, comme la réautorisation des néonicotinoïdes ou les mesures de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, la loi ASAP.

Les faits sont cependant têtus, et l’objectif du Gouvernement, comme de la majorité sénatoriale, n’est pas d’être utile, mais bien de faire illusion. Je dois vous le dire : cette farce constitutionnelle commence à nous agacer sérieusement, …

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

… d’autant que, nous le savons tous ici, le fameux référendum qui justifie ce texte ne verra jamais le jour.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Pour bien me faire comprendre, je citerai Le Guépard de Visconti et son fameux « il faut que tout change pour que rien de change », qui décrit exactement la stratégie de ce gouvernement en matière de transition écologique, avec la complicité de la majorité sénatoriale.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

La discussion du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets en est un exemple criant. Nous avons passé deux semaines à débattre d’une poignée de mesures insignifiantes, déjà obsolètes, qui ne remettent en cause ni l’organisation du système financier et de production ni la préservation des intérêts économiques et les droits acquis.

Cette manière de procéder décrédibilise le Parlement et la politique dans son ensemble. Ce n’est pas en poursuivant ces débats stériles que nous convaincrons nos concitoyens d’user de leur droit de vote.

Cette réforme constitutionnelle passe ainsi à côté de l’essentiel : elle ne porte pas les évolutions constitutionnelles dont notre pays a tant besoin pour sortir de la présidentialisation du régime, pour engager l’irruption citoyenne et le respect de la souveraineté populaire, notamment en rééquilibrant les pouvoirs en faveur du Parlement.

Concernant le climat, aucune réforme constitutionnelle n’aura d’effectivité sans mettre en œuvre de politiques publiques ambitieuses. Il faudrait ainsi, et prioritairement, faire respecter la Charte.

Il faudrait également remettre en cause les accords de libre-échange et les politiques libérales de privatisation et de casse du service public ; engager un vaste plan de reconquête dans les secteurs clés que sont les transports et l’énergie, en s’appuyant sur les opérateurs publics, EDF et la SNCF, voire en revenant dans le capital de certains opérateurs ; enfin, respecter les engagements contractés dans l’accord de Paris.

Des décisions de justice administrative récentes nous y obligent. Le Conseil d’État vient ainsi d’enjoindre le Gouvernement, dans le cadre de « l’affaire du siècle », à prendre toutes les mesures utiles pour que la France tienne ses objectifs. Dans un jugement du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris avait déjà reconnu une carence partielle de l’État, qui engageait sa responsabilité.

Pour reprendre l’image de la maison qui brûle, je dirais que depuis le début de ce mandat, c’est à grand renfort d’essence que vous nous nourrissez ce feu. Il ne restera bientôt que des cendres et la colère de nos concitoyens ; une colère légitime face à l’inaction climatique de la France, mais aussi, et surtout, face à l’incapacité du politique à agir pour garantir à chacun des conditions d’existence dignes, trop occupés que vous êtes à démanteler tous les conquis sociaux.

Nous confirmons donc notre vote négatif sur ce projet de loi inutile et inopérant, qui n’a d’autre objet que détourner notre attention des véritables objectifs de ce gouvernement.

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont pas souhaité donner suite aux trois points soulevés par le Sénat le 21 juin dernier.

À cet égard, monsieur le garde des sceaux, le débat entre les deux chambres n’est pas uniquement sémantique. Permettez-moi de rappeler les trois points avancés par le Sénat.

Le premier concerne l’incertitude béante quant aux conséquences d’une telle garantie par la Nation. Je veux bien admettre que, sur ce point, le choix du verbe ait une incidence.

Deux autres points n’ont pas été abordés par l’Assemblée nationale : d’une part, notre refus d’une hiérarchie entre les normes constitutionnelles ; d’autre part, notre attachement au droit dit « subjectif » et à une conception des droits de l’homme qui est traditionnelle, mais respectable, monsieur le garde des sceaux, car c’est celle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Nous nous opposons donc au basculement des droits dits « subjectifs », les droits de l’homme, vers des droits dits « objectifs », ceux de la nature. À titre personnel, il me semble que l’éthique à l’égard de l’être humain doit rester première. Parmi les motifs évoqués, ce troisième élément me semblait le principal.

Monsieur le garde des sceaux, permettez-moi tout d’abord de réagir à votre intervention, assez incisive, puisque vous avez commencé en nous disant que le Sénat n’avait pas souhaité saisir la main tendue. Mais où est la main tendue, ne serait-ce que sur l’un des trois points soulevés par le Sénat ? Où est la volonté de dialogue ? Où est le désir d’aboutir à un accord ?

Par ailleurs, vous nous dites que les propositions du Sénat n’auraient pas d’effet juridique. Nous ne partageons pas ce point de vue, puisque celles-ci visent à ajouter, à la préservation de la biodiversité et de l’environnement figurant dans la Charte de l’environnement, la référence à la lutte contre le dérèglement climatique, qui n’y figure pas.

En outre, sans même entrer dans le débat sur l’effet des propositions formulées, la contradiction intellectuelle du Gouvernement et de l’Assemblée nationale sur ce sujet est tout à fait patente.

En effet, on nous dit, d’une part, que ce texte constituerait l’expression d’une haute ambition environnementale – très bien ! –, et, d’autre part, qu’il n’y aurait pas de modification de la hiérarchie des normes juridiques. Or la seule manière de donner un sens au dispositif que vous nous proposez résiderait précisément dans le changement de hiérarchie des normes juridiques.

Il semble donc, monsieur le garde des sceaux, que la contradiction intellectuelle n’est peut-être pas là où vous l’avez située durant votre intervention.

Vous avez d’ailleurs complété votre propos en essayant de nous dire que, certes, la préservation de l’environnement et de la biodiversité figurait bien dans notre Constitution, mais que tout cela relevait d’un objectif constitutionnel qui, au fond, n’avait pas de portée réelle. Or tel n’est pas le cas : tout cela a bien une valeur normative.

Nous sommes bien d’accord pour estimer que le Conseil constitutionnel exerce un contrôle moins strict d’une disposition lorsqu’il le fait à la lumière d’un objectif à valeur constitutionnelle plutôt que d’une norme constitutionnelle précisément détaillée. Mais il s’agit uniquement de technique.

En revanche, qu’il soit bien clair pour chacun d’entre nous que l’ensemble des éléments qui figurent dans la Charte de l’environnement sont bien constitutifs d’une norme juridique applicable dans notre pays.

Enfin, déclarer qu’une révision de la Constitution serait menée pour une question de charge de la preuve est un élément assez étonnant. Assez nombreux sont les juristes siégeant dans cet hémicycle, et je n’oublie pas, monsieur le garde des sceaux, votre qualité éminente à cet égard. La charge de la preuve est une donnée procédurale : jamais personne n’a envisagé d’en faire un élément ayant un caractère, de près ou de loin, constitutionnel.

Je veux à présent tracer trois perspectives complémentaires pour expliquer la position de notre groupe et vous alerter, mes chers collègues, sur un point que vous connaissez bien, à savoir la juridictionnalisation de notre société, ainsi que sur la redécouverte de la portée des engagements.

La juridictionnalisation de la société est une donnée constante. Demandée par nos concitoyens, elle peut, à mon avis, être abordée avec beaucoup de sérénité en utilisant plus largement le dialogue avec les juges et entre eux, ainsi que nos moyens législatifs. Nombreux sont ces derniers ; je pense notamment aux articles 88-4 et 88-6 de la Constitution, relatifs à la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE.

Ce qui change aujourd’hui, en matière de juridictionnalisation de notre société, c’est que les juridictions s’emparent de dispositions adoptées par les États, soit à l’échelle nationale, soit dans le cadre d’accords internationaux.

La raison de l’arrêt Big Brother Watch de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, c’est l’existence des articles 8 et 10 de la CEDH. De la même manière, l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net, trouve sa raison d’être dans le règlement général sur la protection des données, le RGPD. Et si la Cour de cassation a pu vous poser quelques problèmes, monsieur le garde des sceaux, sur la notion de décence en matière de détention, c’est parce qu’il y a eu des dispositions en la matière.

J’en arrive à l’arrêt non négligeable rendu le 1er juillet 2021, donc il y a quelques jours, par le Conseil d’État. Ce dernier constate que notre pays ne tient pas ses engagements dans l’accord de Paris. Historiquement, dans ce pays, les engagements pris par l’exécutif n’engageaient que ceux qui les écoutaient, autant dire qu’ils n’engageaient pas. Les juges ne voient pas la question de la même manière.

Cela signifie aussi que le débat sur la notion de garantie, qui ne me paraissait pas constituer le point essentiel lors de la séance du 21 juin dernier, prend, aujourd’hui, un reflet différent. Ainsi, de plus en plus régulièrement et, finalement, d’une manière assez justifiée, les juges donneront des effets juridiques aux différentes normes européennes ou, via le Conseil constitutionnel, nationales.

Le Sénat tient d’autant plus à la référence à la Charte de l’environnement que le Gouvernement – c’est ce qui fait la curiosité de sa proposition –, à aucun moment, n’explique en quoi la Charte de l’environnement serait défaillante. En quoi cet outil mis à la disposition de notre pays ne permettrait-il pas de défendre correctement l’environnement ?

Nous sommes étonnés que, à aucun moment, le Gouvernement ne nous ait présenté un bilan de l’application de la Charte de l’environnement, laquelle a pourtant permis, à diverses reprises, une protection convenable en matière d’environnement.

C’est dire que la volonté de dialogue exprimée par le Sénat n’a pas été saisie par l’Assemblée nationale. Par conséquent, le groupe Union Centriste ne manquera pas d’approuver la proposition faite par la commission des lois.

Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Kerrouche

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, si j’étais taquin, je dirais que tout cela devient croquignolesque, alors que le sujet appelle gravité et sérieux.

Comme dans un remake parlementaire d’Un Jour sans fin, j’ai le sentiment que nous sommes enfermés dans une boucle temporelle.

De nouveau, nous voilà débattant d’une révision constitutionnelle portant sur l’article 1er de notre Constitution, sans que la navette parlementaire ait permis d’avancer.

De nouveau, cette révision donne à lieu à des débats de pharisiens dans lesquels chacun, Gouvernement, majorité à l’Assemblée nationale et majorité au Sénat, feint de chercher un compromis dans un jeu de poker menteur.

Ces postures parlementaires et gouvernementales font peser un doute sérieux sur l’organisation d’un référendum ou la tenue d’un Congrès avant la fin du quinquennat. Dès l’origine, il y avait d’ailleurs peu de chances d’aboutir, au regard des délais, ce qui révèle l’insincérité de la volonté initiale de l’exécutif dans cette entreprise. Bref, « tout ça pour ça ».

Aussi, mes chers collègues, quel est le sens de notre discussion ? La loi fondamentale et la préservation de la planète méritent-elles autant d’instrumentalisation politique, au point de perdre de vue l’essentiel de ce qui devrait nous occuper ?

Nul, ici ou ailleurs, n’a besoin du décryptage du jeu de dupes qui se joue. L’objectif est bel et bien qu’il n’y ait pas d’accord et que la réforme de la Constitution, une nouvelle fois, échoue. Il n’est, malheureusement, point question ici d’environnement.

Dans la perspective de la prochaine élection présidentielle, ce texte relève purement du prétexte. Emmanuel Macron cherche à déporter une double responsabilité sur le Sénat et, singulièrement, sur la majorité sénatoriale.

Il s’agit, premièrement, de la responsabilité de son manque d’ambition face au défi climatique. Le projet de loi Climat et résilience l’a récemment illustré. À la lecture de son programme présidentiel, le volontarisme d’Emmanuel Macron en la matière ne sautait pas aux yeux. Sur ce point-là, on ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir tenu ses promesses !

Sourires sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Kerrouche

Deuxièmement, il s’agit de la responsabilité de ne pas honorer l’engagement pris devant la Convention citoyenne pour le climat, permettant ainsi au Président de la République de s’en dédouaner.

La majorité sénatoriale, quant à elle, tente d’échapper à ce piège politique grossier tendu par le Président de la République. Elle est face à un dilemme : faut-il offrir un référendum au chef de l’État à la veille de la présidentielle de 2022 ou faut-il le bloquer, quitte à cultiver le cliché, certes erroné, d’une chambre ringarde en décalage avec son temps ?

La majorité sénatoriale a choisi : elle préfère endosser le blâme de ne pas réviser la Constitution, tout en dénonçant l’Assemblée nationale. Ainsi, s’appuyant sur l’avis du Conseil d’État et la responsabilité du constituant, elle invoque une rédaction juridique incertaine, qui ferait peser des risques sur notre ordre constitutionnel. Elle lui préfère une rédaction dont elle reconnaît la faible portée normative, sans méconnaître sa portée symbolique, mais en la réduisant à un placebo.

Malheureusement, ces discussions sémantiques, aussi intéressantes qu’interminables, se tiennent au détriment de la finalité.

En définitive, la majorité sénatoriale fait ce que l’exécutif attendait d’elle et vient ripoliner en vert l’image d’Emmanuel Macron. Dans une des matinales radios d’aujourd’hui, le porte-parole du Gouvernement, connu pour sa hauteur de vue, son sens de la mesure et sa sincérité, parlait du Sénat qui empêcherait de lancer le référendum et dont la majorité ne serait généralement pas favorable aux mesures en faveur de l’environnement, par climatosceptisme… Fermez le ban !

Las, pendant que chaque joueur d’échecs tente de mesurer le coût politique de telle ou telle option, quel est le résultat de ce manège ? Quel est le coût pour la démocratie et pour l’avenir de la planète ? Telles sont les vraies questions que nous devrions nous poser, c’est-à-dire celle du fond, et non de la forme.

Du point de vue démocratique, tout d’abord, je crains que nos débats parlementaires suscitent plus de désintérêt qu’autre chose de la part des Français que nous avons pour responsabilité de représenter. Les calculs politiques des uns ne font qu’alimenter la crise démocratique aux yeux des autres ; à cet égard, n’oublions pas le coup de semonce du dernier scrutin électoral.

Du point de vue démocratique encore, on peut contester la mise en place de la Convention citoyenne pour le climat et considérer que ce ne sont pas 150 citoyens, pourtant impliqués, qui devraient indiquer la marche à suivre au Parlement.

Cette posture, qui confine souvent à la caricature, pose une question légitime, qui, en réalité, n’est pas la bonne. La question est davantage celle d’un Président de la République qui ne souhaite pas vraiment tenir ses promesses, en rejetant la faute sur le Parlement, alors même que ce dernier, en responsabilité, assume son travail de législateur.

Du point de vue de la planète, ensuite, la transition écologique se retrouve l’otage de considérations politiques qui n’ont rien à voir avec elle. Parlementaires et juristes, nous avons disserté à l’envi sur les verbes « agir » et « garantir », au détriment de l’enjeu final. Le rapporteur spécial des Nations unies indique lui-même que de telles avancées constitutionnelles dans d’autres pays n’ont pas eu de conséquences dramatiques…

L’environnement est ainsi complètement passé à l’arrière-plan, au profit de l’exégèse. Pourtant, avons-nous une responsabilité en matière de réchauffement climatique ? Qui, dans cet hémicycle, peut oser répondre par la négative à cette question ? Qui peut oser s’affranchir d’une quelconque responsabilité envers les générations futures ?

En effet, du club de Rome au groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, les rapports se suivent et se ressemblent, s’accumulent, s’entassent et se répètent sans jamais se contredire : la situation n’est plus tenable, et la crise sanitaire en est l’une des illustrations.

Le prérapport du GIEC indique qu’une augmentation du réchauffement climatique au-delà de 1, 5 degré pourrait déjà entraîner « des conséquences graves, pendant des siècles, et parfois irréversibles ». L’organisation météorologique mondiale estime à 40 % la probabilité de dépasser ce seuil d’ici à 2025.

Pour ceux qui préfèrent le droit – ils sont nombreux ici –, la lecture de la récente décision du Conseil d’État est éclairante : celui-ci a sommé l’État d’agir pour le climat en donnant au Gouvernement jusqu’au mois d’avril 2022 pour prendre « toutes les mesures utiles », afin d’atteindre ses objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre, sous peine d’astreinte financière – une future décision qui interviendra donc en pleine campagne présidentielle.

Pour les contemplatifs – il y en a quelques-uns –, l’actualité parle d’elle-même : vagues de sécheresse, inondations à répétition, phénomènes de submersion, cycles de canicule, dôme de chaleur au Canada, tempête de grêle en Franc, etc.

Aussi, cette révision constitutionnelle méritait mieux que des calculs politiques, au regard du défi que nous devons relever collectivement. Notre Charte de l’environnement n’est pas suffisante. La Constitution doit donc s’adapter aux nécessités de notre temps.

Deux questions éminemment politiques auraient dû animer notre débat et nos décisions.

D’une part, quelle est notre volonté politique face à cet enjeu environnemental essentiel pour l’avenir de l’humanité ? Nous pensons toujours qu’elle doit être la plus forte possible, ce qui impose une réécriture la plus ambitieuse possible de l’article 1er de notre Constitution.

Dans cette perspective, nous étions attachés à l’intégration de la notion complémentaire de « préservation des biens communs mondiaux », qui nous semblait centrale et qui a fait l’objet d’une proposition de loi socialiste forte, portée par notre collègue Nicole Bonnefoy. Le droit de propriété doit pouvoir être contraint pour préserver ces biens communs. C’était d’ailleurs l’esprit de l’un des projets de texte constitutionnel pour la IVe République, projet qui n’a pas été retenu.

D’autre part, voulons-nous ou non laisser les Français s’exprimer sur ce sujet, ou bien les priver de cette parole ? Nous pensons que ce droit leur appartient.

Ainsi, si le vote conforme est désormais plus que compromis, nous ne souhaitons pas ajouter de l’obstruction à l’obstruction. Nous avons préféré ne pas déposer d’amendement et voter contre ceux de la majorité.

Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Guy Benarroche applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la prise de conscience de l’urgence face au péril que constitue le dérèglement climatique doit être mondiale.

Ses effets sont visibles dans tous les recoins de notre planète. Le Canada enregistrait, la semaine dernière, une température de 49, 6 degrés Celsius, rendant l’air irrespirable, provoquant de nombreux décès et écrasant tout le vivant sous ce phénomène de « dôme de chaleur ».

Des effets météorologiques violents sont répertoriés à intervalles très réguliers ; la France les a subis en nombre cette année : ils ont des impacts sur tous nos concitoyens, dans leur vie, mais aussi dans leur travail. Je pense notamment à nos agriculteurs, qui vivent encore les conséquences du gel du début du printemps dernier.

Sur mon territoire, nous vivons, depuis une vingtaine d’années, une sécheresse toujours plus précoce et grave, ainsi que des saisons de moins en moins prévisibles. Plus personne ne nie aujourd’hui ces changements, que nous cherchons à enrayer.

Le projet de loi constitutionnelle, que nous retrouvons dans cet hémicycle en deuxième lecture, a encadré l’étude d’un autre projet, celui du projet de loi Climat et résilience. Les centaines d’articles qu’il contient concernent des domaines très variés, ayant pour objectif principal la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre dans un avenir très proche.

Le Sénat a travaillé à insérer ce texte dans une logique réaliste et pragmatique. Nous ne pouvons pas orienter notre pays avec la seule logique environnementale. Notre transition, pour être efficace, doit être ancrée dans le réel.

L’article unique dont nous faisons une nouvelle étude est arrivé de l’Assemblée nationale avec des termes encore différents de ceux que nous avions modifiés lors de notre première lecture. L’examen que nous en avons fait la semaine dernière en commission des lois soulève presque les mêmes problèmes qu’à l’origine. Je tiens, à cet égard, à saluer le travail de la commission, ainsi que nos échanges.

Le verbe « garantir » a refait son apparition, ce que nous avons encore une fois dénoncé. Nous lui préférons le verbe « agir », pourtant préservé en première lecture à l’Assemblée nationale. La vision du groupe Les Indépendants reste la même qu’en première lecture : nous ne pouvons faire entrer l’incertitude dans notre Constitution.

S’il y a une urgence, c’est surtout celle de faire les choses bien. Ce n’est pas la rédaction issue de l’Assemblée nationale qui nous semble issue de l’Assemblée nationale qui nous semble répondre à cela, ni aux besoins ni aux doutes quant à l’avenir.

Au lieu d’opposer nos libertés, nous devons les concilier. La protection de l’environnement impliquera inévitablement les volets sociaux et économiques de notre système. Une écologie humaniste et libérale fera de nos investissements et de nos innovations autant de moteurs primordiaux de la lutte contre le changement climatique.

Demain, nous circulerons dans des transports propres, ce qui représente l’un de nos plus grands défis. Nous aurons décarboné des pans entiers de nos industries les plus polluantes, comme celles de l’acier ou du ciment, très émettrices de CO2. Notre économie sera beaucoup plus circulaire. Nos bâtiments, tout au long de leur vie, nous permettront des économies d’énergie. Le numérique, qui prend une place grandissante dans nos habitudes, sera également moins énergivore. Notre mode de vie aura évolué et sera beaucoup plus respectueux.

Néanmoins, cela ne se fera que si l’on s’en donne la possibilité et si notre relance et notre croissance sont vertes. Cela ne se produira que si la protection de l’environnement est pensée dans son ensemble, avec tous les acteurs et citoyens, pas seulement français, mais du monde entier.

Pour cela, notre Constitution doit rester une alliée. Nous ne sommes pas contre le fait d’inscrire la préservation de notre environnement dans son article 1er. Nous souhaitons simplement le faire efficacement en en mesurant toutes les conséquences. Il faut écarter le flou autour de la définition future du verbe « garantir ».

Il faut également se préserver d’un potentiel glissement vers un gouvernement des juges. Je le répète, les arbitrages éminemment politiques ne peuvent être confiés aux juges. Ces arbitrages doivent rester le lieu de discussion des élus.

Les sénateurs, qui sont les représentants des collectivités locales et qui, pour beaucoup, ont été ou sont encore des élus locaux, savent les contraintes qui pèsent sur les maires ou sur les conseillers généraux lorsque l’on veut construire des routes, par exemple. Ces contraintes, nous les acceptons, nous faisons avec et sommes même heureux de les accepter.

La France doit donc « agir pour lutter contre le changement climatique et en faveur de la préservation de l’environnement et de la diversité biologique ». Elle doit le faire dans les conditions que la Charte de l’environnement nous propose.

Cette Charte, qui fait de la protection de l’environnement un objectif de valeur constitutionnelle, est un trésor de notre bloc de constitutionnalité sur lequel nous avons la chance de pouvoir nous appuyer. Ne l’oublions pas.

Tel est le sens de la rédaction que propose notre rapporteur, via un amendement dont nous allons discuter. Sous réserve de l’adoption de cet amendement, dont je ne doute pas, le groupe Les Indépendants votera à l’unanimité en faveur de ce texte, dans sa rédaction modifiée.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a des jours où l’on va, le cœur léger, participer à des moments dont on sait qu’ils compteront et d’autres où, le cœur lourd, on se rend à l’enterrement de belles idées.

C’est quelque peu l’impression que j’ai, ici, aujourd’hui : assister à l’enterrement prévisible, préparé et prémédité d’une idée, d’une proposition et d’une promesse, grâce à l’action conjuguée du Président de la République et de son gouvernement et de la majorité de droite du Sénat.

« La vie sur terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes. L’humanité ne le peut pas. » Ces mots ne sont ni de moi ni, je vous rassure, d’une horde de décroissants. Ils sont ceux de membres du GIEC, il y a moins de deux semaines.

Nous n’avons plus le temps de tergiverser. Je refuse de me résigner à une inaction de notre pays ou, comme l’a encore rappelé le Conseil d’État jeudi dernier, à une action bien trop peu ambitieuse.

Je le rappelle devant cette assemblée parfois trop frileuse vis-à-vis des mécanismes de démocratie participative, la Convention citoyenne pour le climat a émis, dans ses travaux, le souhait d’inscrire le principe de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique au sein de l’article 1er de notre Constitution.

Soyons clairs, le texte initial du Gouvernement et celui qui nous revient de l’Assemblée nationale ont des limites. Notre groupe le sait, le dit et le montre au travers des amendements que nous avons déposés.

Nous aurions préféré une rédaction différente, plus complète, demandée depuis des années par tout le mouvement écologiste. Mais voilà, le verbe « garantit » semble vraiment irriter majorité de notre assemblée. J’ai déjà fait part de mon incrédulité devant le fait que ce simple mot provoque effroi et peur. Toutefois, la sémantique a ses limites.

Nous, membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, comprenons bien que le terme « garantit » vous effraie, chers collègues, en ce qu’il implique, en quelque sorte, une obligation d’actions pour les décideurs publics. Vous n’hésitez pas à affirmer que nous sommes en danger et qu’il faut sauver la vie sur terre. Mais vous renâclez à l’idée que ce combat soit essentiel et que nous puissions utiliser tous les moyens pour le mener.

Pourtant, partout sur le terrain, nos élus et nos concitoyens ont compris et mettent en œuvre, eux, prioritairement, des mesures et des actions dans ce sens.

Nous souhaitons donc vivement une inscription, à la symbolique forte, de l’ambition environnementale et de la lutte contre le dérèglement climatique à l’article 1er de notre Constitution. Une telle inscription obligerait la France, ainsi que ses législateurs.

L’impact réel et les effets sur l’action publique qu’aurait une telle inscription au niveau supranational n’est pas négligeable. Nous regrettons tous, sur ces travées, l’absence de procédures de présentation de texte de ratification devant notre Haute Assemblée, par exemple pour le CETA, le Comprehensive Economic and Trade Agreement, ou accord économique et commercial global.

Aussi, inscrire cette garantie au cœur de l’article 1er pourrait devenir un outil majeur pour définir les contours de traités commerciaux internationaux acceptables pour la préservation de l’environnement et de la biodiversité.

Je vous l’ai déjà dit, mes chers collègues, je crains que votre posture ne soit politique, et en rien technique.

Ce jeu de dupes a certes été lancé par le président Macron et son gouvernement, mais vous acceptez bien volontiers d’y jouer, vous appuyant l’un sur l’autre et faisant fi de la réalité de l’urgence. Vous souhaitez tous, à un an de l’élection présidentielle, vous rejeter la faute de la non-tenue d’un référendum.

Il est évident que les seuls qui avancent de manière transparente sur le sujet, depuis longtemps, sont les écologistes, que nous représentons ici.

Mme Éliane Assassi ironise.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

L’urgence climatique nous guide. Nous souhaitons que, à l’avenir, les exécutifs au pouvoir ne puissent ignorer la protection de l’environnement dans leur action. L’alternance politique de notre pays ne saurait se faire au détriment de l’écologie, donc des citoyens.

Osons présenter ce projet à l’ensemble des citoyens ; n’ayons pas peur d’eux. Notre ambition de voter ce texte dans les mêmes termes que ceux de l’Assemblée nationale est ancrée dans notre devoir envers les citoyens, afin de leur permettre de débattre, de se prononcer et d’être consultés.

Ce projet de loi constitutionnel n’est sûrement pas à la hauteur des enjeux, tout comme le projet de loi Climat et résilience ne l’a pas été. Néanmoins, il peut et il doit constituer une étape essentielle vers une prise en compte meilleure et plus systématique des enjeux environnementaux.

Bien sûr, les renoncements successifs de ce gouvernement sur les objectifs de réduction des gaz à effet de serre, sur l’utilisation du glyphosate, sur le retour de l’utilisation des néonicotinoïdes et sur tant d’autres dossiers ne seraient pas absous par ce semblant de virage écologique. Nous ne sommes pas dupes de l’ambition du Gouvernement d’utiliser le soutien à ce texte comme un faire-valoir d’une politique environnementale lacunaire.

Cependant, nous devons avancer. La Convention citoyenne pour le climat, les marcheurs pour le climat, les collectifs et associations écologistes, les scientifiques et experts et les citoyens qui agissent quotidiennement nous le demandent.

Même si ce texte ne va pas au bout de la démarche que les écologistes portent depuis des années, il est temps d’agir plus vite et plus fort. Nous sommes prêts à voter ce texte dans sa version issue de l’Assemblée nationale. Nous voterons, bien entendu, contre les amendements du rapporteur de la commission des lois du Sénat.

M. Bernard Jomier applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce deuxième rendez-vous sur le projet de loi constitutionnel visant à inscrire la préservation de l’environnement à l’article 1er de notre Constitution nous amène à un double constat.

D’une part, contrairement à ce qui avait été auguré ici ou là lors de l’examen en première lecture, la navette a bien suivi son cours.

D’autre part, la politique des petits pas, que traduisent les modifications portées par les rapporteurs des deux assemblées, ne suffit pas à poser les bases d’un compromis.

La deuxième lecture, telle qu’elle se profile, confirme en l’état les vives réticences de la majorité sénatoriale sur la révision proposée par la Convention citoyenne pour le climat et reprise par l’exécutif dans la perspective d’une adoption par référendum. Nous le regrettons.

Alors que nous pouvons tous partager la conviction que la France doit s’armer de nouveaux instruments juridiques pour répondre à l’urgence climatique, la divergence de méthode persiste. Elle s’est focalisée, dans nos débats, sur la portée des termes retenus dans le projet de révision, mais elle traduit je crois, au-delà de la seule sémantique, une différence d’ambition intrinsèque.

Déjà, lors de l’examen du texte en première lecture, nous nous étonnions qu’une partie de l’hémicycle défendît l’adoption d’une réécriture du rapporteur qui revendiquait l’absence d’effet juridique. La réécriture de substitution qui nous sera présentée ultérieurement par le rapporteur et le président du groupe Les Républicains semble confirmer cette volonté de priver d’effet juridique la révision constitutionnelle. Le renvoi tautologique à la Charte de l’environnement en témoigne.

Notre étonnement ne peut qu’être affermi à l’examen du rapport de deuxième lecture, qui se borne à déconstruire les conséquences du texte adopté par l’Assemblée nationale, sans évoquer les effets recherchés par la rédaction alternative proposée.

Certes, l’absence de consensus entre les constitutionnalistes sur la portée des différents verbes retenus ne concourt pas à clarifier le débat. Elle nous enjoint en tout cas au parti pris. La révision portée par le Gouvernement serait tantôt inutile, tantôt dangereuse. Dans la mesure où il nous semble difficile de considérer qu’un texte puisse être à la fois dépourvu d’effet et porteur d’une menace, nous choisissons la voie médiane.

La portée de ce texte était déjà précisée dans les travaux préparatoires de l’Assemblée nationale : il ne s’agit pas d’introduire une prééminence de l’environnement sur les autres principes ni de bloquer toute action des pouvoirs publics. Je le rappelle, la majorité présidentielle n’a pas souhaité modifier le préambule de 1946 dans une rédaction qui aurait induit une prééminence, contraire à notre tradition juridique, de l’environnement sur les autres principes constitutionnels.

Le verbe « garantir » qui figure déjà au sein du bloc de constitutionnalité et que l’on accuse d’introduire une difficulté d’articulation avec l’article 6 de la Charte de l’environnement de 2004 signerait une rupture avec les objectifs du développement durable.

Là encore, il est utile de rappeler que, au sein de cette Charte, l’article 2 met à la charge de toute personne l’obligation de prendre part non seulement à la préservation, mais aussi à l’amélioration de l’environnement, exigence forte, qui s’impose sans mentionner le progrès économique et social. Or les objectifs de développement durable, que nous soutenons, n’ont pas été mis à mal par cette disposition.

Mes chers collègues, nous pensons que le texte qui nous arrive de l’Assemblée nationale ne remet pas en cause le principe d’une conciliation entre les différents droits et libertés fondamentaux. Ce point a été rappelé lors des auditions : les verbes dont il est question ne portent pas en eux une force qui les ferait échapper au contexte dans lequel le juge les interprète.

Le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis nous semble, en revanche, ambitieux. Tout d’abord, il répond de manière symbolique à la prise en compte croissante par nos concitoyens des problématiques liées à l’environnement.

Or ces considérations ne peuvent pas être réduites aux tracasseries d’un « comité de salut public 3.0 », pour reprendre la désignation teintée de mépris que l’on a pu entendre dans l’enceinte de cet hémicycle à propos de la Convention citoyenne pour le climat.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Plus important encore, le texte offre au Conseil constitutionnel un levier juridique supplémentaire, dans son appréciation de la constitutionnalité des textes qui lui seront soumis. Il vise, en effet, à renforcer la place de la préservation de l’environnement dans la conciliation du juge. En outre, l’obligation de moyens renforcés mise à la charge des pouvoirs publics accompagne le mouvement jurisprudentiel sur la responsabilité, que l’on a pu observer encore récemment.

Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, réformer la Constitution n’est jamais un acte anodin. Vous maintenez votre désaccord avec la réforme ambitieuse engagée par la majorité présidentielle, dans la continuité des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, et vous nous présentez une proposition de réécriture qui se cristallise encore une fois sur les verbes employés.

Vous souhaitez de nouveau inscrire la révision proposée dans le contexte de la Charte de 2004. Or il ressort des travaux préparatoires du Sénat que cette rédaction ne produira pas d’effet juridique.

Si nous poussons le raisonnement à son terme, devons-nous donc comprendre que soutenir le « oui » au référendum consisterait à convaincre les citoyens de se rendre aux urnes pour approuver une révision constitutionnelle dont les auteurs revendiquent qu’elle n’aura pas de portée ? Ce parti pris cynique nous paraît très en deçà de l’urgence environnementale à laquelle nous devons faire face.

Le groupe RDPI ne pourra se résoudre à voter le projet de révision constitutionnelle, ainsi réécrit et minoré par la majorité de la Haute Assemblée.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Corbisez

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’arrêt du Conseil d’État daté du 1er juillet dernier, Commune de Grande-Synthe (Nord), tombe à pic. L’instabilité juridique a déjà commencé. Elle est la conséquence de l’insuffisance des efforts de l’État en matière environnementale, certes depuis de nombreuses années.

Dans le monde, comme dans notre pays, le contentieux climatique n’en est qu’à ses balbutiements. Le verdissement récent de la jurisprudence administrative et constitutionnelle poursuivra son cours, avec ou sans le projet de loi constitutionnelle.

Dans son arrêt, le Conseil d’État rappelle que le principe de la protection de l’environnement occupe déjà la plus haute place dans la hiérarchie des normes. Son inscription à l’article 1er ne lui conférerait donc aucune prééminence d’ordre juridique sur les autres normes constitutionnelles, ce que le Sénat fait mine de craindre.

Pourtant, les auditions menées nous ont assez bien éclairés : il n’y aura pas de dérèglement du contentieux, malgré la volonté du Gouvernement de porter un effet accélérateur de l’engagement de la responsabilité pour faute des pouvoirs publics.

Le professeur Dominique Rousseau a rappelé qu’il ne fallait pas accorder une valeur juridique plus contraignante aux termes « garantir » ou « préserver », étant donné qu’aucun droit n’est absolu et que le droit constitutionnel ne fait pas la distinction entre une obligation de moyens et une obligation de résultat.

Si la réforme devait aboutir, les inquiétudes devraient rapidement se dissiper, du fait du double filtrage en matière de question prioritaire de constitutionnalité, ou QPC, à savoir la saisine indirecte du Conseil constitutionnel par les parties et le contrôle préalable opéré par le Conseil d’État et la Cour de cassation.

Rappelons également que le Conseil constitutionnel, avant de se prononcer, anticipe les incidences économiques, sociales et politiques de ses décisions, et en tient compte.

La commission des lois du Sénat choisit donc de maîtriser les conséquences de la réforme pour que celle-ci n’ait très exactement aucun effet, même symbolique. En effet, plus que juridique, cette réforme est d’abord symbolique. Or la Constitution recèle bien des symboles qu’il ne nous viendrait pas à l’esprit de contester aujourd’hui.

Au-delà des symboles, si le Gouvernement voulait nous prouver qu’il entend placer la préservation de l’environnement parmi les priorités de l’action de la France, il pouvait nous le démontrer par des actes, à commencer par un renforcement de l’ambition de la loi Climat. Pour l’instant, tel n’est pas le cas.

Certes, le Gouvernement est sans doute allé un peu vite en besogne. L’élaboration de la Charte de l’environnement avait impliqué, quant à elle, la constitution d’un comité d’experts présidé par M. Yves Coppens, et fait l’objet d’assises territoriales. La politique environnementale, au regard du manque d’adhésion d’une grande partie de nos concitoyens, inquiets à juste titre de ses conséquences sociales, méritait que l’on s’y attelle plus longuement.

Nous sommes donc pris dans un étau de jeux politiciens qui se concrétisera par une navette infinie. Le citoyen n’est pas dupe, et l’issue de ces débats ne satisfera personne.

Ceux qui voudraient aller plus loin dans la préservation de l’environnement estimeront que cette mesure est purement cosmétique. Ceux qui sont d’avis contraire la jugeront dangereuse. Je constate d’ailleurs que, entre la première et la deuxième lecture, le projet de loi constitutionnelle a perdu un certain nombre de voix à l’Assemblée nationale.

Pendant que nous nous attardons sur un débat sémantique complètement superfétatoire, le climat, lui, s’emballe. Tergiverser et temporiser nos actions, c’est l’assurance que les restrictions à nos libertés seront, à l’avenir, plus sévères et abruptes. Quant à l’anticipation, elle nous garantit que la transition écologique sera progressive et juste.

Or le Haut Conseil pour le climat persiste dans son analyse : en raison du retard accumulé par la France, le rythme actuel de réduction annuelle des émissions de CO2 devra pratiquement doubler sur la période du troisième budget carbone, c’est-à-dire entre 2024 et 2028. Nous n’y sommes pas !

Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, dans son prérapport pour 2022, affirme sans hésiter que l’homme ne survivrait pas à un changement climatique majeur, contrairement à la planète, sans changement radical de ses comportements.

Quelle que soit la fin de cette aventure parlementaire, il est plus que certain que la France n’agit pas comme elle le devrait pour la préservation de l’environnement et contre le dérèglement climatique.

On peut toujours graver dans le marbre qu’elle agit, ce qui d’ailleurs serait conforme à la réalité, puisqu’elle le fait malgré tout, mais cette réforme n’apporterait strictement rien si la version proposée par le Sénat devait être retenue.

En l’absence de consensus des deux chambres, et lassé par ces manœuvres comme nous le sommes nous-mêmes, le citoyen se déplacera-t-il si le référendum devait avoir lieu ? Rien n’est moins sûr.

Comme en première lecture, je m’opposerai, avec une partie de mon groupe, au texte du Sénat.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Martin Lévrier et Guy Be na r roche applaudissent également.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, grâce à la Charte de l’environnement, voulue par le président Jacques Chirac, la protection de l’environnement est une exigence constitutionnelle depuis 2005.

Aussi, pourquoi cette nouvelle réforme constitutionnelle ? Que va-t-elle changer ? Quelles nouvelles obligations implique-t-elle ? Personne, monsieur le garde des sceaux, n’a été capable de le dire, ni la Convention citoyenne pour le climat, ni le Gouvernement, ni même le Conseil d’État, qui a cependant exprimé avec netteté ses réserves.

C’est que les implications de ce texte sont, en réalité, inconnues et même imprévisibles.

Ce que nous avons, tout d’abord, c’est que l’article 1er de la Constitution n’a pas plus de valeur juridique que la Charte de l’environnement. La distinction entre une règle constitutionnelle et un objectif à valeur constitutionnelle ne dépend pas de la localisation de la norme constitutionnelle dans les textes fondamentaux.

Le nouvel article 1er et la Charte sont contradictoires, telle est notre deuxième certitude. L’article 6 de la Charte prévoit en effet que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. »

Quant à l’article 1er, il prévoirait, si ce texte était adopté, que « la République garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique ». Chaque mot compte en droit ! Celui de « préservation » est plus fort que ceux de « protection » et de « mise en valeur ».

Ce n’est cependant pas l’essentiel, car le verbe « garantir » exclut le verbe « concilier ». La garantie de la protection et de la mise en valeur de l’environnement ne serait donc pas corrélée, comme dans la Charte, à l’exigence de conciliation avec le développement économique et le progrès social. Tel est le choix politique qui est opéré. Et c’est la raison pour laquelle, en effet, monsieur le garde des sceaux, votre projet ne peut pas être sans conséquence.

Un troisième élément de certitude tient à ce que la combinaison de l’article 6 de la Charte et du nouvel article 1er sera par conséquent impossible. Ce sera l’un ou l’autre. Et puisque la nouvelle règle fixée à l’article 1er sera la plus récente, elle s’imposera normalement pour trancher le conflit de normes, en donnant nécessairement un effet utile à la modification du texte dont nous délibérons.

Dans le cas contraire, la rédaction qui nous est proposée serait pratiquement dépourvue de toute portée ; ce serait un coup d’épée dans l’eau qui ne mériterait ni un vote du Parlement ni, encore moins, le recours au référendum. Le peuple français ne saurait être convoqué pour ne rien décider. Un référendum ne peut se réduire à une simple opération de communication.

Cependant, j’ai compris, monsieur le garde des Sceaux, que vous ne vouliez pas de cette option. Le rideau de fumée répandu autour de ce projet de loi constitutionnelle ne semble pas vous déranger. Loin de le dissiper et de nous éclairer sur la portée réelle du texte, vous vous en remettez, en quelque sorte, à la sagesse du Conseil constitutionnel, pour déterminer a posteriori le contenu du changement proposé. Cela s’appelle un saut dans l’inconnu.

Vous paraissez vous accommoder de cette incongruité. Elle n’a pourtant aucun précédent dans notre histoire constitutionnelle. Elle laisserait le législateur de demain dans l’incertitude et elle placerait les législateurs d’hier et d’aujourd’hui sous la menace de nouvelles questions prioritaires de constitutionnalité, au résultat tout aussi incertain.

Après la deuxième lecture de l’Assemblée nationale, qui en réalité n’a tenu aucun compte de nos travaux, le choix entre les verbes « lutter » et « agir » étant en réalité accessoire s’agissant du réchauffement climatique, nous devrions adopter ce texte comme s’il était à prendre ou à laisser – en somme, à l’aveugle ! Nous devrions renoncer à exercer pleinement notre responsabilité de constituants et accepter ce cas singulier d’incompétence constitutionnelle, comme il y a des cas d’incompétence législative, que nulle juridiction ne pourrait évidemment censurer.

Cependant, si nous n’avons pas le droit d’adopter une loi floue, à plus forte raison devrions-nous nous interdire de voter une règle constitutionnelle ectoplasmique. Un objectif à valeur constitutionnelle clair, comme celui de la Charte, vaudra toujours mieux qu’une règle constitutionnelle indéterminée et ambiguë.

Cette révision constitutionnelle est à la Constitution ce que les montres de Dali sont à l’horlogerie.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Cet aréopage n’a probablement pas pris le temps, non plus, de mettre son expertise juridique au niveau de l’expertise écologique dont il se prévaut. À cet égard, il n’a qu’une lointaine parenté avec l’Antiquité grecque, puisque, à Athènes, les 150 archontes de la colline d’Arès n’avaient pas été choisis au hasard, mais étaient tous issus des plus hautes magistratures. Cette différence explique sans doute un résultat aussi désolant pour la Constitution que pour l’écologie.

Nulle institution de la République, hormis le Sénat, n’a pourtant osé remanier ce projet de loi constitutionnelle, pour lui faire prendre sens et lui apporter la sécurité juridique qui est nécessaire. Il faut remercier le président de la commission des lois, M. Buffet, de s’y être attelé avec l’efficacité et la sagacité que nous lui connaissons.

Peut-on imaginer une révision constitutionnelle scellant l’accord du Président de la République, du Gouvernement, de l’Assemblée nationale, du Sénat et, en définitive, du peuple français appelé à s’exprimer par référendum sur un texte dont le contenu réel reposerait sur une contradiction, sans doute délibérée, entre deux normes constitutionnelles opposées ?

Dites-nous ce que vous voulez vraiment, monsieur le garde des sceaux ! Vous restez au milieu du gué.

Si vous voulez rejeter dans les oubliettes de l’histoire la notion de développement durable, parce qu’elle est à vos yeux dépassée, assumez-le franchement et ne tergiversez plus ! Tranchez la question et ne laissez pas subsister un article 6 de la Charte de l’environnement orthogonal au texte que vous voulez faire adopter.

Dites clairement ce que vous n’avez écrit qu’obscurément, à savoir que la garantie de préservation de l’environnement est plus importante, à vos yeux, que le développement économique et le progrès social, et que vous voulez donc faire prévaloir celle-ci sur ceux-là.

Vous avez le droit d’avoir cette conviction. Nous ne la partageons pas. Cependant, pour la clarté du débat, il est essentiel de dire aux Français qu’il y a d’un côté ceux qui veulent inscrire la politique écologique dans le cadre du développement durable – nous en sommes ! – et ceux – vous en êtes ! – qui veulent l’en faire sortir.

Vous avez raison de rappeler que le Conseil constitutionnel a l’habitude de concilier des principes constitutionnels dont les implications sont susceptibles d’être opposées. C’est même le cœur de sa fonction, dans l’application de nos principes fondamentaux.

Cependant, parmi nos droits fondamentaux, il n’existe pas de droits contradictoires, mais seulement des droits de nature différente, chacun avec leur limite fixée par la loi. Ils sont non pas antagonistes, mais relatifs, ce qui n’est tout de même pas la même chose et permet de trouver des compromis.

Le plus bel exemple est celui de la liberté. Dans son article IV, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Cela implique de concilier les droits des uns avec la liberté des autres, aucun droit n’étant absolu. L’article IV enfonce d’ailleurs le clou, pour ainsi dire : « L’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ».

Partout, la même logique est à l’œuvre. Des droits sont reconnus, puis leurs limites sont énoncées, et sans cesse prévaut le souci de concilier droits individuels et intérêt général. Il en va de même à l’article 6 de la Charte de l’environnement, qui appelle une conciliation entre l’écologique, l’économique et le social.

Certes, dans ce cas, le Conseil constitutionnel sait ce qu’il a à faire, directement guidé par l’énoncé même de nos principes fondamentaux : il ne s’érige pas en constituant délégué.

Cependant, si on lui demande d’un côté de concilier l’écologique, l’économique et le social, puis, de l’autre, de garantir seulement l’écologique, sans aucune mention de l’économique et du social, il sera confronté à une authentique contradiction qu’il sera bien obligé de résoudre pour donner une portée utile au nouveau texte, comme vous le souhaitez et comme il devra le faire, en rejetant le développement durable dans un passé lointain.

Le Conseil constitutionnel ne peut pas, en effet, refuser de donner son plein effet utile à un texte adopté par le pouvoir constituant.

Le choix sera binaire. Il n’y a pas de moyen terme entre le droit à la protection de l’environnement posé par la Charte, qui trouve sa limite dans les exigences du développement économique et du progrès social, et la garantie de la protection de l’environnement proposée par la Convention citoyenne, qui serait absolue, puisqu’aucune limite n’est énoncée pour en tempérer la portée. Telle est d’ailleurs sa seule raison d’être, malgré tous les efforts réalisés pour le dissimuler.

En adoptant cette révision constitutionnelle dans les termes votés par l’Assemblée nationale, le Parlement et le peuple français se lieraient les mains.

Ils signeraient un chèque en blanc au Conseil constitutionnel et aux groupes de pression susceptibles de le saisir. Ils contraindraient gravement les gouvernements et les législateurs de demain dans l’exercice même de la souveraineté nationale. En effet, constitutionnellement, aucune loi ne pourrait plus venir atténuer ou corriger la rigueur et la portée de mesures législatives déjà prises pour renforcer la protection de l’environnement.

Le Président de la République, qui a engagé ce processus de révision constitutionnelle, devrait pourtant se souvenir que, lorsqu’il lui a fallu renoncer dans la précipitation à l’écotaxe, d’ailleurs votée contre la position du Sénat, il n’était finalement peut-être pas si inutile que le législateur ait eu alors la faculté constitutionnelle d’atténuer les contraintes excessives posées au nom de l’écologie, pour mettre fin au mouvement des « gilets jaunes ». Celui-ci a pu ainsi désamorcer la crise, en ajoutant la préoccupation économique et sociale à la préoccupation environnementale qui seule avait été prise en compte, à l’origine.

Telle est la manière dont la Charte prévoit que le législateur pourra procéder. Or cette faculté, nous ne l’aurions plus demain, si les pouvoirs du Parlement devaient être drastiquement limités par un texte comme celui qui nous est présenté.

C’est donc aussi en protecteur de nos institutions, de la fonction présidentielle et de la mission du Parlement que le Sénat doit rejeter la rédaction proposée par la Convention citoyenne pour le climat et souscrire à la proposition de notre commission des lois de réécrire le texte. Nous ne devons pas aliéner notre capacité souveraine de légiférer. Le Parlement ne doit pas se soumettre par avance aux aléas d’une jurisprudence constitutionnelle qui n’aurait pas été encadrée par l’expression claire de la volonté du constituant. Ce renoncement serait pour lui une véritable abdication.

C’est au Gouvernement, ainsi qu’au Parlement, quand la loi est nécessaire, de déterminer librement la politique écologique de la Nation. Il leur appartient aussi d’en changer, si l’intérêt national et la volonté du peuple le commandent, sans que pèse sur eux l’épée de Damoclès d’un interdit invisible.

La Constitution ne saurait prendre des gages sur les politiques de demain, qu’il s’agisse de l’environnement ou des autres domaines de l’action publique. La République doit pouvoir continuer à préférer la voie étroite, mais féconde, du développement durable à l’écologie de la décroissance que ce projet vise à inscrire dans le marbre de notre loi fondamentale.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La discussion générale est close.

La parole est à M. le président de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Monsieur le président, je sollicite une suspension de séance de vingt minutes, afin que la commission puisse examiner les amendements déposés sur ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Nous allons donc interrompre nos travaux pour vingt minutes.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La séance est reprise.

Nous passons à la discussion du texte adopté par l’Assemblée nationale.

Après la troisième phrase du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Elle garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique. »

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’amendement n° 6, présenté par M. Folliot, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Philippe Folliot.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

Je ne reviendrai pas sur les arguments que M. le rapporteur et mon collègue et ami Philippe Bonnecarrère ont excellemment développés, mais, à l’instar de ce que j’avais fait lors de la première lecture, je ne voterai pas ce texte.

Comme je l’ai déjà expliqué, il me semble dangereux de modifier la Constitution pour des raisons d’opportunité, politique ou autre. En effet, à mon sens, il n’est pas anodin de toucher à notre loi fondamentale : il est au contraire important de veiller à une certaine stabilité de celle-ci.

Vous avez déclaré, monsieur le garde des sceaux, que, finalement, l’adoption de ce texte, donc la modification de l’article 1er de la Constitution, ne produirait aucun effet juridique nouveau. Dès lors, à quoi bon réviser la Constitution ?

Je ne reviendrai pas non plus sur le terme « garantit » et sur toutes les difficultés qu’il posera sur le plan juridique, dans la mesure où nos collègues en ont déjà largement parlé.

En ce qui me concerne, j’ai vu plus de 200 maires ces dernières semaines dans mon département : aucun ne m’a dit qu’il était indispensable de modifier la Constitution. Je rencontre aussi un certain nombre de nos concitoyens : personne n’a soutenu l’idée qu’il fallait la réviser !

Certes, lutter contre le changement climatique est primordial, mais il faut avant tout agir dans le cadre des politiques mises en œuvre pour défendre l’environnement. Ce n’est pas en modifiant la norme juridique fondamentale que nous allons résoudre les problèmes.

À ce stade, il est essentiel que le Parlement, plus particulièrement le Sénat, dans sa grande sagesse, envoie un signal clair : on ne veut pas entrer dans ce jeu-là.

Or la meilleure façon d’adresser ce message, c’est somme toute de voter la suppression de l’article, ce qui conduirait à ne pas modifier la Constitution et à maintenir l’équilibre actuel.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Je rappelle qu’un amendement similaire avait été déposé en première lecture et que nous ne l’avions pas adopté, et cela pour une raison simple : un tel amendement tend à supprimer l’article unique du projet de loi constitutionnelle, alors que la commission des lois a décidé non pas de le supprimer, mais de le modifier.

Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement, mon cher collègue, faute de quoi j’y serais défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. En réalité, monsieur le sénateur, vous voulez supprimer l’objet même de cette réforme.

M. Philippe Folliot acquiesce.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Vous comprendrez que, dans la mesure où il s’agit d’une réforme que le Gouvernement défend, je ne puis qu’être défavorable à votre amendement.

Je déplore par ailleurs que vous n’ayez rencontré aucun citoyen vous ayant dit que cette réforme était indispensable. Pour notre part, nous en avons rencontré 150 !

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Mais sans doute n’est-ce pas suffisant…

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L’amendement n° 3 est présenté par M. Buffet, au nom de la commission.

L’amendement n° 5 rectifié est présenté par MM. Retailleau, Marseille, Allizard, Anglars, J.M. Arnaud, Babary, Bacci, Bas, Bascher et Bazin, Mmes Bellurot, Belrhiti, Berthet et Billon, M. J.B. Blanc, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonne, Bonneau, Bonnecarrère et Bonnus, Mme Borchio Fontimp, M. Bouchet, Mmes Boulay-Espéronnier et V. Boyer, MM. Burgoa, Cadic et Calvet, Mme Canayer, MM. Canévet, Capo-Canellas, Cardoux et Cazabonne, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chatillon et Chauvet, Mme Chauvin, M. Cigolotti, Mmes de Cidrac et de La Provôté, M. Cuypers, Mme L. Darcos, MM. Darnaud, Daubresse et Delahaye, Mme Delmont-Koropoulis, M. S. Demilly, Mmes Deroche, Deromedi et Deseyne, M. Détraigne, Mmes Di Folco, Dindar, Doineau et Drexler, M. Duffourg, Mmes Dumas, Dumont, Estrosi Sassone et Eustache-Brinio, M. Favreau, Mme Férat, M. B. Fournier, Mme C. Fournier, M. Frassa, Mmes Garnier, Garriaud-Maylam et Gatel, M. Genet, Mmes F. Gerbaud, Gosselin et N. Goulet, MM. Grand et Gremillet, Mmes Gruny et Guidez, MM. Henno et L. Hervé, Mme Herzog, MM. Hingray, Houpert, Hugonet et Husson, Mmes Imbert, Jacquemet et Jacques, M. Janssens, Mmes Joseph et M. Jourda, MM. Joyandet, Karoutchi, Kern, Klinger, Lafon et Laménie, Mme Lassarade, M. Laugier, Mme Lavarde, MM. Le Nay, Lefèvre, de Legge et H. Leroy, Mme Létard, M. Levi, Mme Loisier, MM. Longeot, Le Rudulier et Longuet, Mme Lopez, MM. Louault, Mandelli, P. Martin et Maurey, Mmes M. Mercier et Micouleau, MM. Milon, Mizzon et Moga, Mme Morin-Desailly, M. Mouiller, Mmes Muller-Bronn et Noël, MM. Nougein, Pellevat et Perrin, Mme Perrot, M. Piednoir, Mme Pluchet, MM. Poadja et Pointereau, Mme Primas, M. Prince, Mmes Puissat et Raimond-Pavero, MM. Rapin, Reichardt et Rietmann, Mme Saint-Pé, MM. Saury, Sautarel, Savary et Savin, Mme Schalck, MM. Sido et Sol, Mme Sollogoub, MM. Somon et Tabarot, Mme Tetuanui, M. Vanlerenberghe, Mmes Ventalon, Vérien et Vermeillet et MM. C. Vial et Vogel.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Remplacer les mots :

garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique

par les mots :

agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 3.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, cet amendement vise à revenir à une rédaction de l’article unique proche de celle qui résulte des travaux du Sénat en première lecture.

Nous souhaitons que l’article 1er de la Constitution reconnaisse que la France « agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ».

Il est inutile d’expliquer de nouveau les raisons pour lesquelles nous voulons supprimer le terme « garantit » et renvoyer aux dispositions de la Charte de l’environnement de 2004. Cette dernière, je le rappelle, fait partie du bloc de constitutionnalité et préserve une forme d’équilibre en matière de développement durable.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Philippe Bas, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Comme chacun peut le constater, notre amendement est identique à celui de la commission des lois.

C’est l’occasion pour nous de souligner qu’il ne peut pas y avoir l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre nous, le groupe Les Républicains, et la commission des lois.

Il peut en revanche y avoir plusieurs politiques écologiques. Le Gouvernement avance masqué avec la sienne : il s’agit d’une politique écologique qui vise, grâce à une révision constitutionnelle, à rompre avec une conception du développement durable qui concilie écologie, économie et progrès social.

Si nous voulons mentionner la Charte de l’environnement dans notre Constitution, c’est parce que nous sommes pour le développement durable. Nous demandons par conséquent que l’Assemblée nationale et le Gouvernement saisissent la main que nous leur tendons, en vue de parvenir à un accord sur cette base.

Nous pensons que les Français sont profondément attachés au développement durable, qu’ils ne veulent ni d’une écologie punitive ni d’une écologie de la décroissance. Ils veulent à la fois l’écologie, le développement économique, celui de l’emploi, et le progrès social.

Tel est le sens de cet amendement et de celui de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’amendement n° 9, présenté par MM. Benarroche et Gontard, Mme Benbassa et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :

Après le mot :

préservation

insérer les mots :

et l’amélioration constante

La parole est à M. Guy Benarroche.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Tout d’abord, j’observe que la commission des lois et le groupe Les Républicains, entre lesquels il n’existe pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette – nous l’avions bien compris ! –, mettent tous deux en avant un certain nombre d’arguments repoussant l’écologie de la décroissance au profit d’une écologie pragmatique.

J’ai encore du mal à comprendre exactement de quoi ils parlent, mais nous aurons sûrement l’occasion, dans un autre débat, d’évoquer ces sujets. Nous avons essayé de le faire, mais, manifestement, aucune réponse ne nous a été apportée.

Pour anticiper la probable adoption des amendements du groupe Les Républicains et de la commission des lois et éviter que nous ne nous retrouvions avec un texte sensiblement différent de celui qui nous a été transmis, qui empêcherait d’aboutir au référendum que nous appelons de nos vœux, nous avons déposé plusieurs amendements.

Ces amendements ont pour principal objet de défendre un certain nombre de convictions, notamment le principe d’« amélioration constante » de l’environnement, auquel nous sommes attachés. Il s’agit de consacrer une obligation positive qui pèse sur l’État, celle de respecter les dispositions législatives et réglementaires relatives à la protection de l’environnement qu’il s’est lui-même fixées.

Ce principe d’amélioration constante de l’environnement n’a aujourd’hui qu’une valeur législative, puisqu’il est inscrit à l’article L. 110-1 du code de l’environnement.

Afin de renforcer sa portée juridique et d’élargir son champ d’application, il doit être élevé au rang constitutionnel. Il faut lui conférer une valeur égale à celle des principes constitutionnels du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre, généralement invoqués pour autoriser la mise sur le marché des néonicotinoïdes, par exemple, ou de certains produits phytosanitaires excessivement nocifs pour la santé et l’environnement.

La France pourrait ainsi être mieux armée sur le plan juridique pour se conformer aux objectifs fixés par l’accord de Paris qu’elle a elle-même signé et, plus généralement, à ses engagements internationaux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de promotion de la résilience.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

L’amendement n° 9 est contraire à la position de la commission, puisqu’il tend à revenir sur la rédaction de l’article que celle-ci a retenue.

De plus, la Charte de l’environnement prévoit et impose déjà à toute personne, y compris d’ailleurs aux pouvoirs publics, de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. La Charte de l’environnement, je le redis, fait également partie du bloc de constitutionnalité.

Par conséquent, la commission sollicite le retrait de l’amendement n° 9. À défaut, elle y serait défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je tiens tout de même à redire que le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont, que vous le vouliez ou non, fait un pas dans votre direction, ou plutôt, pour changer d’expression, qu’ils ont tendu la main au Sénat.

Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

En deuxième lecture à l’Assemblée nationale, deux mots continuaient à faire débat. Nous avons accepté que l’un d’entre eux soit modifié conformément à vos attentes. Pour le reste, vous ne voulez pas bouger : c’est une réalité, et chacun en tirera les conclusions qui s’imposent.

Personnellement, je n’entends plus vous convaincre. J’ai cru, jusqu’à il y a quelques minutes, que vous pourriez entendre raison, ou en tout cas entendre la raison du Gouvernement, mais, à l’évidence, ce n’est pas le cas.

Je ne souhaite pas allonger artificiellement les débats. Je n’ai pas, tout comme vous sans doute, le sens de l’effort inutile. J’ai bien compris que vous ne vouliez pas de ce texte et que vous n’en voudrez pas, mais je persiste et je signe : si une petite modification a été introduite dans ce texte, c’est bien grâce à nous.

Je suis donc défavorable à ces trois amendements.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Kerrouche

M. Éric Kerrouche. Monsieur Bas, une petite précision me semble utile : vous avez affirmé qu’il n’y avait aucune différence entre la position du groupe Les Républicains et celle de la commission des lois ; je pense que vouliez dire qu’il n’y avait aucune différence entre votre position et celle de la majorité de la commission des lois.

Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Kerrouche

M. Éric Kerrouche. En effet, entre la position de la commission et celle des autres groupes, il y a bien plus que l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette : il y a même beaucoup de tabac !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Kerrouche

Pour en revenir aux amendements identiques n° 3 et 5 rectifié, le jeu sémantique est certes intéressant, mais les effets que le groupe Les Républicains attribue au verbe « garantir » nous semblent largement exagérés, comme cela a déjà été dit plusieurs fois. Je rappelle que, en droit, certains termes ont leur signification propre. Par exemple, le verbe « garantir » n’a pas le même sens en droit constitutionnel ou en droit pénal.

L’affrontement porte donc uniquement sur un plan sémantique. La proposition du Gouvernement n’était déjà pas très ambitieuse ; la proposition qui nous est soumise ne sert à rien. Elle a même un caractère extrêmement tautologique, notamment dans sa référence à la Charte de l’environnement de 2004.

Nous voterons donc contre ces deux amendements identiques.

Les amendements sont adoptés.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

En conséquence, l’amendement n° 9 n’a plus d’objet.

L’amendement n° 10, présenté par MM. Benarroche et Gontard, Mme Benbassa et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :

Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :

Elle garantit aux générations présentes et à venir le droit de vivre dans un environnement sain et sûr.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymonde Poncet Monge

Cet amendement a pour objet le droit de vivre dans un environnement sain et sûr.

Les liens entre santé, sécurité et environnement ne sont plus à démontrer. Aussi, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande la consécration au rang constitutionnel du droit des générations actuelles et futures à vivre dans un environnement sain.

Les nombreuses atteintes à la biodiversité et à l’environnement pourraient à terme entraîner la destruction de l’humanité. Ainsi, la France doit mettre en œuvre toutes les politiques environnementales nécessaires, afin de limiter les effets de l’activité humaine à un niveau permettant à l’humanité de disposer des fonctions essentielles de la biosphère.

Cette affirmation découle surtout d’un positionnement intergénérationnel. « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants » : cette formule est bien connue. Encore faut-il en tirer les conséquences !

Le 30 octobre 2018, le comité des droits de l’homme des Nations unies a exprimé ses craintes quant aux incidences notables du changement climatique : « La dégradation de l’environnement, le changement climatique et le développement non durable comptent parmi les menaces les plus imminentes et les plus graves qui pèsent sur le droit à la vie des générations actuelles et futures. »

Nous souhaitons ainsi rappeler que nos décisions actuelles ont des conséquences sur la capacité des générations futures à vivre dans de bonnes conditions environnementales.

Ce droit à un environnement sain, dans lequel il faut inclure le droit à l’eau, un air non pollué et les bénéfices de la biodiversité a été reconnu en France et inscrit dans la Charte de l’environnement de 2004. Il convient cependant d’en renforcer la portée juridique en l’érigeant en principe constitutionnel inscrit à l’article 1er de la Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Comme vous l’avez indiqué vous-même, ma chère collègue, la Charte de l’environnement satisfait déjà votre amendement, puisqu’elle fait notamment référence au droit des générations futures.

Je répète que cette Charte fait déjà partie du bloc de constitutionnalité et a donc bien valeur constitutionnelle.

La commission émet donc un avis défavorable.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’amendement n° 12, présenté par MM. Benarroche et Gontard, Mme Benbassa et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :

Compléter cet article par les mots :

, dans le respect des limites planétaires

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymonde Poncet Monge

Davantage qu’une notion générale de non-régression ou d’amélioration de l’environnement, il est nécessaire d’introduire dans la Constitution des objectifs environnementaux quantifiables.

Ce concept a été proposé par une équipe internationale de vingt-six chercheurs, dont les travaux ont été publiés dès 2009. Il a d’ores et déjà été utilisé par de grands groupes industriels privés qui cherchent à confronter leur impact environnemental avec la capacité de notre planète à l’absorber.

L’objectif est clair : nous voulons inscrire ce concept dans la Constitution, pour que l’évolution de notre société ne se fasse pas au détriment des capacités de notre planète, de ses ressources naturelles, de sa faculté éventuelle à se renouveler. Toute mesure quantifiée n’a de sens que dans un cadre fini, celui des limites planétaires.

La réduction de nos émissions de gaz à effet de serre ne fera sens et ne sera acceptée par la population que si elle s’inscrit dans une réflexion plus générale sur les limites à respecter pour ne pas consommer l’ensemble des ressources de la planète.

L’introduction de ce concept dans la Constitution renforcerait toutes les démarches visant à inscrire dans le droit des objectifs chiffrés en termes d’émissions de CO2, ainsi que des quotas de coupe forestière ou de pêche.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Cet ajout me paraît superflu. Par définition, je vois mal comment on pourrait préserver l’environnement sans respecter les limites planétaires.

La commission est donc défavorable à l’amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymonde Poncet Monge

Monsieur le rapporteur, vous semblez dire qu’il ne nous arrive jamais de ne pas respecter les limites planétaires, mais c’est pourtant ce que nous faisons : vous savez très bien que, chaque année, le « jour du dépassement » intervient de plus en plus tôt !

Il faut faire en sorte que, à l’avenir, ce jour du dépassement ne tombe plus au mois d’août, au mois de juillet ou au mois de juin, mais au mois de décembre, au moment de l’année où il doit avoir lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je ne voterai pas cet amendement, mais je me demande s’il n’est pas inutilement restrictif.

En effet, nous sommes tous conscients des difficultés croissantes que connaît l’espace : nous avons envoyé bien au-delà de l’atmosphère des satellites dont les particules métalliques ont fini par polluer l’espace. Cela justifierait, je crois – peut-être la réflexion pourrait-elle s’engager avec votre groupe, ma chère collègue –, que l’on prenne en compte, non seulement les limites planétaires, mais aussi les limites interstellaires !

Rires.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

En tout cas, c’est très ambitieux !

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’amendement n° 11, présenté par MM. Benarroche et Gontard, Mme Benbassa et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :

Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :

Elle assure un haut niveau de protection de l’environnement selon le principe de non-régression.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymonde Poncet Monge

Cet amendement vise le principe de non-régression.

La gestion d’un avenir durable doit permettre de garantir que les acquis environnementaux ne seront pas remis en question. Le principe de non-régression protège les droits des générations futures, en renforçant l’exigence écologique lors des prises de décision.

L’effectivité d’un droit humain à l’environnement ne deviendra réalité qu’à une condition : obtenir la garantie juridique que chaque avancée en faveur de la préservation de l’environnement ne pourra être remise en cause ultérieurement.

Ce principe n’implique pas une impossibilité d’agir de la part des autorités. Il crée au contraire une obligation positive, notamment pour le législateur, de ne pas dégrader les avancées écologiques.

Toutefois, en dépit de l’urgence climatique, certaines décisions législatives ou réglementaires sont moins-disantes au niveau environnemental : ce retour sur la protection de l’environnement et de la biodiversité est insupportable.

Au vu des dernières décisions, qui ont permis au juge de valider un retour en arrière concernant la limitation des néonicotinoïdes, il est essentiel d’inscrire dans la Constitution que, à défaut de faire plus, on ne peut plus se permettre de faire moins.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Je rappelle que cet amendement est partiellement satisfait, puisque la jurisprudence du Conseil constitutionnel consacre déjà le principe de non-régression.

Dans une décision du 10 décembre dernier, le Conseil a ainsi dégagé de la Charte de l’environnement un principe de non-régression tempéré en matière environnementale.

Il a considéré que le législateur « ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement. »

Il a par ailleurs jugé que « les limitations portées par le législateur à l’exercice de ce droit ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. »

Enfin, il a estimé que le législateur « doit prendre en compte, notamment, le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement mentionné à l’article 2 de la Charte de l’environnement. »

Il me paraît déraisonnable, en l’état, d’aller plus loin. Les pouvoirs publics doivent être en mesure de prendre les dispositions rendues nécessaires par l’intérêt général et/ou par toute autre exigence constitutionnelle.

C’est la raison pour laquelle la commission est défavorable à cet amendement.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Même avis, pour exactement les mêmes raisons.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ article unique est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’amendement n° 2 rectifié ter, présenté par MM. Canévet, Henno, Moga et Delcros, Mmes Vermeillet et Guidez, MM. Louault, Kern et Le Nay, Mmes Sollogoub et Saint-Pé et M. Détraigne, est ainsi libellé :

Après l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À l’article 75-1 de la Constitution, après le mot : « régionales », sont insérés les mots : «, y compris celles enseignées de manière intensive ».

La parole est à M. Olivier Henno.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Henno

M. Olivier Henno. Cet amendement est davantage d’inspiration bretonne que ch’tie ou picarde, puisqu’il a été déposé sur l’initiative de Michel Canévet.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Henno

Il vise à inscrire dans notre Constitution l’apprentissage intensif des langues régionales : celles-ci sont une richesse et un patrimoine commun qui participent à la diversité de nos territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Cet amendement n’a pas de lien direct avec le texte que nous examinons, car il ne vise pas l’inscription de la préservation de l’environnement dans notre Constitution.

Je vous demande par conséquent de bien vouloir le retirer, mon cher collègue ; à défaut, j’y serais défavorable.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par MM. Canévet, Henno, Moga et Delcros, Mmes de La Provôté et Vermeillet, MM. Louault, Kern et Le Nay, Mmes Morin-Desailly, Sollogoub et Saint-Pé et M. Détraigne, est ainsi libellé :

Après l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution, après le mot : « élus », sont insérés les mots : «, y compris pour la représentation dans les établissements publics de coopération ».

La parole est à M. Olivier Henno.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Henno

Cet amendement tend à donner davantage de liberté aux exécutifs locaux pour la représentation des établissements publics de coopération, au nom de la liberté fondamentale des collectivités territoriales reconnue par le Conseil d’État.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

On ne comprend pas bien le lien entre le texte et cet amendement. Ce dernier vise à compléter l’article 72 de la Constitution, qui, je le rappelle, dispose que les « collectivités s’administrent librement par des conseils élus », en précisant « y compris pour la représentation dans les établissements publics de coopération ».

Sur le fond, cette disposition fait débat et, en plus, elle n’a pas de lien direct avec le projet de loi constitutionnelle dont nous débattons.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi constitutionnelle, je donne la parole à Mme Muriel Jourda, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Je dirai quelques mots pour expliquer la position du groupe Les Républicains, même si je suis sûre que vous l’avez aisément comprise.

Monsieur le garde des Sceaux, nous ne croyons guère ni à la main tendue du Gouvernement

M. le garde des sceaux lève les bras au ciel.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Nous sommes bien sûr inquiets de l’utilisation du terme « garanti », qui est considéré tantôt comme une quasi-obligation de résultat, tantôt comme une obligation de moyens renforcée, et dont en réalité personne n’est capable de dire quelle est la portée juridique.

Ce que nous souhaitons, vous l’aurez compris, c’est que la préservation de l’environnement ne se fasse au détriment ni du progrès social ni du développement économique, c’est-à-dire qu’elle s’inscrive dans le cadre des principes du développement durable qui sont prévus par l’article 6 de la Charte de l’environnement.

C’est pourquoi le groupe Les Républicains, dans son immense majorité, suivra la position du rapporteur François-Noël Buffet, que nous remercions

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, modifié, l’ensemble du projet de loi constitutionnelle.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 156 :

Le Sénat a adopté.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour renforcer la prévention en santé au travail (proposition n° 378, texte de la commission n° 707, rapport n° 706).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Laurent Pietraszewski

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, nous entamons aujourd’hui l’examen en séance publique de la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail, afin de franchir, ensemble, une nouvelle étape dans la transformation et la réforme de notre dispositif de santé au travail.

Je souhaite rappeler le choix réalisé par le Gouvernement, au début du mois de mars 2020, de proposer aux partenaires sociaux d’engager une négociation sur cet enjeu essentiel d’amélioration de la santé au travail.

Les partenaires sociaux, après six mois de négociation, ont conclu un accord solide et équilibré au début du mois de décembre 2020.

La signature de cet accord national interprofessionnel (ANI) par le Mouvement des entreprises de France (Medef), la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), l’Union des entreprises de proximité (U2P), la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Force ouvrière (FO), la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) et la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) nous prouve la capacité des partenaires sociaux à construire une vision convergente en matière d’évolution de la santé au travail, après un travail approfondi, rendu encore plus essentiel en cette période de crise sanitaire.

Le contenu de ces négociations est riche : développement de la prévention primaire, promotion de la qualité de vie au travail ou encore développement d’une offre de services en santé au travail efficace et adaptée auprès des entreprises et de leurs salariés. Nous aurons, je le sais, largement l’occasion d’y revenir dans les débats.

Je me réjouis de la vitalité de notre dialogue social, qui, en cette période de crise, prend encore plus pleinement son sens. Nos partenaires sociaux ont su dépasser leurs antagonismes pour se faire force de proposition et concrétiser l’ambition d’une santé au travail résolument orientée vers la prévention.

La démocratie parlementaire a ensuite pris très rapidement le relais, avec le dépôt, dès le 23 décembre 2020, de la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail, portée par les députés Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean, et son adoption par l’Assemblée nationale en février dernier.

Ce texte est désormais soumis à l’examen de votre assemblée. Cette nouvelle étape doit conforter l’existence d’une vision, partagée le plus largement possible, de la santé au travail dans notre pays.

Je souhaite à cet égard souligner l’engagement et le travail de fond de chacun d’entre vous sur les questions de santé au travail, tout particulièrement celui de la commission des affaires sociales du Sénat, notamment des rapporteurs Pascale Gruny et Stéphane Artano, au travers de leur rapport d’information réalisé dès 2019 et des échanges nourris qu’ils ont eu avec les deux députés rapporteurs du texte à l’Assemblée nationale.

D’ailleurs, ces échanges montrent aussi, je crois, notre capacité à mener un travail efficace entre les deux chambres. C’est un autre bon indicateur au moment où nous abordons l’examen de ce texte, qui a donc été largement partagé. Cette forte implication doit permettre de donner corps à la négociation fructueuse des partenaires sociaux, en construisant le socle de sa traduction législative.

Le Gouvernement se félicite de cette méthode de transposition – inédite, il est vrai – et veillera jusqu’à l’issue de la navette parlementaire à assurer le respect des équilibres obtenus par les organisations patronales et syndicales.

Évidemment, la traduction de l’ANI du 10 décembre dernier ne se limite pas à un ensemble de mesures législatives. Un important chantier réglementaire, mais également organisationnel, est engagé, et les partenaires sociaux en sont bien logiquement des acteurs majeurs.

Je souhaite d’ores et déjà valoriser certaines avancées inscrites dans cette proposition de loi, qui accélère la modernisation de notre système de santé au travail.

Je n’en citerai que quelques-unes, puisque nous allons débattre du texte, à commencer par le renforcement de l’approche préventive de la santé au travail et de la traçabilité collective de l’exposition aux risques professionnels, notamment chimiques.

Par ailleurs, la qualité des prestations des services de prévention et de santé au travail, les SPST, sera améliorée par la définition d’une offre de services socle. Cette dernière, qui sera déployée auprès de l’ensemble des entreprises, y compris de petite taille, par les SPST, constitue une avancée très importante.

Je pense aussi à la création d’une procédure de certification de ces services, qui, associée à la tarification en plus complète transparence, permettra de soutenir leurs efforts de qualité sur l’ensemble du territoire.

Je pourrais citer d’autres points, comme la lutte contre la désinsertion professionnelle par la constitution de cellules dédiées dans les services de prévention et de santé au travail interentreprises, les SPSTI, pour favoriser le maintien en emploi, ou encore le renforcement des équipes des services de prévention et de santé au travail au travers d’une formation plus homogène des infirmiers et de la possibilité donnée, pour les infirmiers qualifiés, d’exercer en pratique avancée, ainsi que du développement des délégations de tâche.

Votre commission, mesdames, messieurs les sénateurs, a effectué un travail important sur le texte adopté par l’Assemblée nationale, sans le dénaturer ni trahir les intentions de ses auteurs ou modifier les équilibres parfois délicats auxquels étaient parvenus les partenaires sociaux.

Je souhaite souligner un point sur lequel la proposition de loi a subi une nette évolution lors de son passage en commission des affaires sociales au Sénat : tenant compte des réalités de fonctionnement des petites entreprises, la commission a retenu que celles-ci pourraient définir leurs actions de prévention sans se voir imposer le formalisme d’un programme annuel de prévention.

D’autres évolutions significatives, apportées par ses soins, semblent aussi devoir être mentionnées : l’ouverture aux travailleurs indépendants de l’offre socle des services de prévention et de santé au travail ; les ajustements apportés sur le rendez-vous de liaison, pour permettre d’anticiper la reprise d’activité du salarié ; la définition d’un cadre pour la santé au travail des salariés des particuliers employeurs et des assistants maternels, qui, avec des ajustements que je serai amené à proposer au cours du débat, me semble permettre d’instaurer, dans le cadre d’un dialogue social de branche, une prise en charge effective de ces publics.

Parmi vos amendements de séance, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai noté de nombreuses propositions visant à préciser les missions des services de prévention et de santé au travail sur certaines thématiques ou certains publics spécifiques, parfois en les priorisant.

Je comprends parfaitement les enjeux ainsi portés. Il me semble toutefois inapproprié, voire contre-productif, d’entrer dans ce niveau de précision au stade où nous en sommes. Mais nous aurons l’occasion de revenir sur le sujet au cours de la discussion.

Me fondant sur les déplacements que j’ai réalisés depuis plus d’un an, je veux enfin témoigner de la forte attente des salariés et des entreprises pour que les services de prévention et de santé au travail les accompagnent au quotidien.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire au cours de mon audition par votre commission des affaires sociales, j’ai également pu constater la forte mobilisation de ces services au cours de la crise sanitaire, mobilisation centrée actuellement sur la vaccination et l’accompagnement à la reprise et au retour progressif en entreprise.

Le retour d’expérience de la pandémie doit permettre de construire, ensemble, un modèle de santé au travail plus proche de l’entreprise et des salariés, plus orienté vers l’accompagnement et le conseil pour la mise en place de mesures de prévention collective.

Les acteurs, me semble-t-il, sont prêts aux évolutions portées dans la proposition de loi. Il est en effet essentiel de moderniser notre système de santé au travail, pour qu’il puisse s’adapter et répondre aux enjeux des parcours professionnels du XXIe siècle. Pour cette raison, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutiendra résolument cette proposition de loi.

M. Martin Lévrier applaudit.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi fait suite à un long processus de démocratie sociale, ayant abouti à la conclusion de l’accord national interprofessionnel « pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail » du 9 décembre 2020.

Le champ de la proposition de loi, dans sa version initiale, s’aligne en quelque sorte sur le périmètre de cet ANI.

Cet accord a lui-même été précédé par la publication de plusieurs rapports proposant de faire évoluer notre système de santé au travail, dont celui que j’ai porté avec ma collègue Pascale Gruny, au nom de la commission des affaires sociales, en 2019.

Le diagnostic, largement partagé, est celui d’une grande hétérogénéité dans le contenu et la qualité de l’offre des services de santé au travail, qui sont confrontés à de multiples défis, dont celui de la démographie médicale, et d’une prévention primaire encore insuffisamment développée en entreprise. La proposition de loi se fixe ainsi pour premier objectif de consacrer le document unique d’évaluation des risques professionnels, le DUERP, comme l’outil central dans la démarche de prévention et de traçabilité des expositions.

Cette évolution est conforme aux orientations du rapport que Pascale Gruny et moi-même avons élaboré en 2019. Nous y appelions à faire du DUERP un « document stratégique permettant de démontrer l’implication de l’employeur dans la mise en œuvre de son obligation de sécurité ».

Nous concevons en effet le DUERP comme une protection, non seulement pour les travailleurs, mais également pour l’employeur. C’est notamment ce document qui lui permettra d’établir qu’il s’est bien engagé dans une véritable démarche de prévention.

Soucieuse de tenir compte de la réalité des entreprises, notre commission a réservé l’élaboration d’un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail aux seules entreprises de plus de 50 salariés, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État.

Les entreprises aux effectifs plus réduits, tout particulièrement les très petites entreprises, les TPE, ne disposent pas des ressources internes leur permettant d’établir un programme d’une telle complexité. L’évaluation des risques qu’elles conduiront débouchera alors sur la définition d’actions de prévention et de protection, dont la liste pourra être consignée dans le document unique.

Afin de faire véritablement du DUERP un instrument de traçabilité des expositions collectives, objectif confirmé par l’ANI, notre commission a également veillé à réunir les conditions d’une conservation pérenne du document. Suivant un calendrier échelonné selon la taille des entreprises, le DUERP et ses mises à jour devront faire l’objet d’un dépôt dématérialisé sur un portail numérique centralisé et administré par les organisations patronales.

Convaincue que l’établissement d’une frontière étanche entre la santé au travail et le reste du parcours de soins du travailleur n’a plus de sens à l’heure du concept One Health ou « une seule santé », la commission a adopté plusieurs dispositions participant du décloisonnement de la santé au travail et de la santé publique.

En complément de ses missions principales dans la prévention de l’altération de l’état de santé du travailleur du fait de son travail, elle a ainsi reconnu la contribution de la médecine du travail à l’atteinte d’objectifs de santé publique qui permettent, au cours de la vie professionnelle, de préserver un état de santé compatible avec le maintien en emploi.

Si le dispositif du médecin praticien correspondant, préconisé par l’ANI, doit permettre aux SPST de faire appel aux médecins de ville pour renforcer leurs ressources médicales, nous considérons qu’il ne peut constituer une solution durable au problème de la démographie médicale.

Afin de ne pas dénaturer la spécialité de la médecine du travail, dont la fine connaissance du milieu de l’entreprise est déterminante pour un suivi de qualité, la commission a donc encadré le recours au médecin praticien correspondant. Celui-ci sera limité aux situations dans lesquelles les ressources du SPST ne lui permettent pas d’assurer ses missions dans le respect des délais réglementaires.

Pour répondre au défi de la démographie médicale, nous misons plutôt sur un renforcement de l’attractivité de la santé au travail, tant par la valorisation des compétences complémentaires acquises par les médecins du travail en prévention que par une montée en compétences cliniques et paracliniques des infirmiers, dont la contribution à la prévention mérite d’être reconnue et soutenue.

Tel est, mes chers collègues, l’esprit dans lequel la commission des affaires sociales a abordé l’examen de ce texte. Elle vous demande en conséquence d’adopter cette proposition de loi, sous réserve de l’adoption de quelques amendements qui contribueront encore à l’enrichir.

Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte vise à répondre, à la suite de l’accord national interprofessionnel du 9 décembre dernier, à un enjeu majeur : la promotion de la prévention primaire, au moment même où nous sortons à peine d’une culture de la réparation.

Selon la dernière enquête du ministère du travail, moins de 40 % des entreprises employant moins de dix salariés ont élaboré ou actualisé au cours de l’année leur document unique d’évaluation des risques professionnels, le DUERP, qui est pourtant obligatoire.

Pis encore, cette proportion est en baisse par rapport à la précédente enquête, qui portait sur l’année 2013. La proportion de TPE ayant mis en œuvre des actions de prévention contre les risques physiques aurait ainsi diminué d’au moins 10 % entre 2013 et 2016.

Le constat est donc sans appel : la culture de la prévention est très insuffisamment répandue au sein des TPE et PME, qui vivent encore la santé au travail comme un ensemble de contraintes administratives, et non comme un levier d’amélioration de leur performance.

L’ambition de cette proposition de loi est précisément de systématiser la démarche d’évaluation des risques professionnels dans toutes les entreprises, indépendamment de leur taille, et de garantir sa traduction opérationnelle dans la mise en œuvre d’actions de prévention et de protection.

À cet effet, les services de santé au travail, renommés « services de prévention et de santé au travail », devront jouer un rôle pivot dans l’accompagnement des employeurs, tout particulièrement auprès des TPE et PME.

Or, en la matière, les partenaires sociaux se sont rejoints, dans le cadre de l’ANI, sur le diagnostic de la grande hétérogénéité des prestations des services de prévention et de santé au travail interentreprises. Nous en avions déjà fait le constat, mon collègue Stéphane Artano et moi-même, dans notre rapport de 2019 sur la santé au travail.

Dans cette perspective, la première réponse apportée par la proposition de loi est de prévoir que chaque SPSTI fournira obligatoirement un ensemble socle de services, ainsi que, de manière facultative, une offre de services complémentaires qu’il déterminera.

Soucieuse de garantir que les SPSTI proposeront à l’ensemble des entreprises adhérentes les prestations les plus homogènes possible, la commission a précisé la définition de cette offre socle.

La proposition de loi revoit en conséquence, à l’article 9, les modalités de tarification des SPSTI. Le texte issu de l’Assemblée nationale confirme implicitement le principe jurisprudentiel du calcul de la cotisation en équivalents temps plein, ou ETP, qui est source de contentieux, peu respecté en pratique et ne correspond pas à la réalité des missions des SPSTI – en matière de prévention et de santé au travail, on ne peut effectuer un suivi partiel des salariés. La commission propose donc de consacrer un mode de calcul per capita, et non proratisé en ETP.

Par ailleurs, suivant le souhait des partenaires sociaux affirmé dans l’ANI, elle a inscrit dans le texte le principe d’un « tunnel » pour encadrer la fixation de la cotisation par référence au coût moyen national de l’ensemble socle de services.

Le deuxième apport de la proposition de loi au sujet de la qualité et de l’effectivité des services rendus, également issu de l’ANI, est la mise en place d’une procédure de certification des SPSTI par un organisme indépendant et accrédité. Favorable à ce dispositif, la commission a souhaité que les partenaires sociaux aient l’initiative dans la définition du cahier des charges, via le Comité national de prévention et de santé au travail, le CNPST.

L’Assemblée nationale a par ailleurs élevé au niveau législatif la procédure d’agrément administratif à laquelle sont soumis tous les SPST, sans toutefois renforcer sa portée.

La commission a introduit, en complément de cette procédure, un régime d’administration provisoire qui doit permettre, sans interrompre le service, de lui donner les moyens de se réorganiser lorsque sa gouvernance est défaillante.

La proposition de loi franchit une première étape dans l’amélioration du suivi de l’état de santé de certaines catégories de travailleurs, suivi aujourd’hui insatisfaisant. Sont concernés, en particulier, les indépendants ou encore les intérimaires.

Nous souscrivons à cet objectif, et la commission a enrichi le texte sur ce point, en ouvrant au chef d’entreprise la possibilité de bénéficier du suivi délivré par le SPST auquel adhère son entreprise et en proposant des modalités spécifiques de suivi des salariés du particulier employeur.

Des améliorations pourront encore être apportées au texte lors de nos débats, avec l’objectif partagé de renforcer la prévention et le suivi de l’ensemble des travailleurs.

La commission des affaires sociales vous demande donc, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de loi dans la rédaction qu’elle vous soumet.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Henno

M. Olivier Henno. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, lors de la préparation de mon intervention, j’ai retrouvé une citation de Pierre Dac qui m’a semblé fort à propos pour notre débat de ce jour : « Le travail, c’est la santé… mais à quoi sert alors la médecine du travail ? »

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Henno

Évidemment, cette citation est à prendre avec recul et humour ; cela étant, elle nous interroge tout de même sur le lien entre travail et santé.

Comme nombre d’entre nous sur ces travées, je suis issu d’une génération qui ne s’est jamais posé la question du travail. Celui-ci donne un socle et, d’une certaine façon, un sens à la vie. Comme mes parents, je n’ai jamais imaginé une vie sans travail.

Cependant, le monde évolue et d’autres questions s’imposent, dont celles qui sont liées à la pénibilité, aux troubles musculo-squelettiques, à l’exposition à des matières ou substances dangereuses ou encore aux risques psychosociaux. Longtemps passées sous silence, elles ont été identifiées, puis considérées progressivement.

Le rôle de la médecine du travail est donc fondamental, notamment pour la détection, la prévention et la protection face à ces risques.

Toutefois, la baisse du nombre de médecins du travail ne peut qu’affaiblir l’accompagnement que les travailleurs sont en droit d’exiger. De plus, notre paradigme se devait d’être réévalué, et le concept One Health invite à un rapprochement entre le suivi dans le cadre du travail et la médecine de ville. Cela correspond à une évolution de nos sociétés vers une vie plus équilibrée et sans doute, nous l’espérons, plus heureuse.

Cette proposition de loi est le fruit d’un long travail d’échanges avec les syndicats et les partenaires sociaux, comme l’a souligné M. le secrétaire d’État. Je m’en réjouis à mon tour. Depuis mon élection en tant que parlementaire, je milite pour une démocratie plus apaisée, qui écoute et sollicite les corps intermédiaires.

Ces corps sont une source de propositions et d’informations essentielles pour le législateur. En étant au plus proche du terrain, dans les entreprises, ils nous communiquent régulièrement l’état des demandes, l’ambiance, les ressentis, mais aussi les difficultés vécues par les salariés, pour que nous puissions y répondre le plus rapidement possible.

Quand je vois que cet accord national interprofessionnel a été signé par l’ensemble des organisations patronales et syndicales, à l’exception de la Confédération générale du travail, la CGT, et que nous sommes capables de le transformer en un texte ambitieux pour la santé des travailleurs, mon attachement au paritarisme et au dialogue social en sort renforcé.

Le paritarisme n’est pas le concurrent de la démocratie parlementaire ; il est son indispensable complément !

Je tiens par ailleurs à féliciter nos rapporteurs Pascale Gruny et Stéphane Artano de la qualité du texte obtenu.

J’en viens à quelques-unes de ses principales avancées, celles qui tiennent particulièrement au groupe Union Centriste. La première d’entre elles est le renforcement de la prévention et la fin du cloisonnement entre les notions de santé au travail et de santé publique.

Je suis intimement persuadé que la prévention doit être au cœur de notre action pour toutes nos politiques publiques. Mais cela vaut encore plus pour les questions de santé, car un mal traité en amont coûtera moins à l’État. Si nous sommes capables de le voir venir, de le prévenir, alors nous pourrons le maîtriser. C’est vrai pour le tabac ou l’alcool, mais pas seulement : savoir déceler les premiers signaux d’un mal-être au travail peut sauver une carrière et permettre à un salarié de se remettre sur les rails.

Cette prévention doit être la même partout, et je me réjouis que ce texte mette fin aux inégalités que l’on peut observer entre les entreprises en fonction de leur taille ou de l’engagement de leurs dirigeants sur ces questions essentielles.

Cette prévention s’accompagne d’une simplification bienvenue des procédures. J’entends effectivement les patrons de nos TPE et PME qui, loin de ne pas être sensibilisés à la santé de leurs salariés, se plaignent régulièrement de procédures trop complexes, trop techniques ou trop nombreuses, d’autant plus que la prévention est le talon d’Achille du système de santé français.

Un autre point essentiel de ce texte est la reconnaissance de la contribution de la santé au travail à la santé publique. « Enfin ! », ai-je envie de dire…

Je ne sais pas pourquoi, mes chers collègues, nous avons si longtemps mis une barrière entre la santé publique et la santé au travail. Comme si nous revenions chez nous dans un autre corps que le nôtre ou que nous étions capables de laisser sur le pas de notre porte tous nos tracas professionnels. C’est évidemment faux, chacun le sait ici.

C’est pourquoi je salue pleinement la dynamique engagée par nos rapporteurs. La santé au travail, au même titre que la santé maternelle ou infantile, la santé environnementale, la santé par le sport, etc. a toute sa place dans la réalisation des objectifs de notre politique nationale de santé publique.

C’est sans doute évident pour certains, mais cela va mieux en le disant : la santé publique peut et doit concerner tous les domaines de la santé.

Un deuxième sujet de cette proposition de loi qui me semble important à relever et à saluer est l’homogénéisation de l’offre des services de prévention et de santé au travail, ainsi que la garantie de leur haut niveau de qualité.

Quand je lis dans l’accord national interprofessionnel que les partenaires sociaux se sont accordés sur le diagnostic d’une « grande hétérogénéité » des prestations rendues par les SPST, notamment en matière de prévention, je trouve cela tout simplement insupportable. Or c’est dans ce domaine que l’attente est la plus forte de la part des employeurs et des salariés.

Nous devons nous engager pour que chaque salarié dispose de la prévention en santé au travail dont il a besoin. Ce texte permettra, je l’espère, et nous devrons y veiller particulièrement, de combler les trous dans la raquette et de s’assurer que les salariés disposent d’un socle minimal ambitieux.

Un troisième axe développé dans cette proposition de loi m’a aussi particulièrement interpellé. Il met en lumière la désinsertion professionnelle – le terme est peut-être mal choisi, mais il correspond à un mal profond de notre société – et propose des solutions pour mieux la prévenir.

Je tiens donc à saluer, au nom des membres de mon groupe, toutes les mesures de la proposition de loi qui permettront de lutter contre ce phénomène : création d’une cellule pluridisciplinaire dédiée ; systématisation des échanges d’informations entre les organismes d’assurance maladie et les services concernés ; mise en place d’une visite à mi-carrière ; organisation de visite de préreprise et reprise, ainsi que de rendez-vous de liaison avec l’employeur. Ces mesures vont dans le bon sens.

Enfin, le quatrième et dernier sujet important aux yeux de mon groupe est la revalorisation de l’engagement des professionnels de santé au travail.

Les inégalités d’accès aux ressources médicales en santé sur notre territoire sont un véritable problème. Face à la pénurie médicale à laquelle nous sommes confrontés, ce texte va évidemment dans le bon sens.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi. Nous nous félicitons que le Parlement, main dans la main avec les syndicats, porte une proposition ambitieuse pour les travailleurs de notre pays et pour leur santé.

J’espère qu’elle est la première d’un cycle de propositions de loi importantes, coconstruites et pragmatiques, que nous pourrons nous féliciter d’adopter.

Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Joël Guerriau applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Émilienne Poumirol

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, chaque année, on ne déplore pas moins de 50 à 600 morts au travail, plus de 30 000 incapacités permanentes et plus de 600 000 arrêts de travail. L’ampleur de ces chiffres révèle l’importance du sujet de la santé et du bien-être au travail de nos concitoyens.

La crise du covid-19 et les périodes de confinement successives ont entraîné une dégradation de la santé des travailleurs, avec une hausse importante des troubles psychosociaux. Cette crise a également montré toute l’importance du médecin du travail, relais des pouvoirs publics dans la lutte contre la pandémie au sein de l’entreprise et interlocuteur privilégié des salariés en télétravail.

D’après une enquête menée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la Dares, au début de l’année 2021, l’état de santé psychique des travailleurs s’est fortement dégradé, avec un doublement du risque de dépression et une forte détérioration de la santé perçue, et cela d’autant plus que leurs conditions de travail ont été affectées par la crise sanitaire. Les actifs sont également plus nombreux à déclarer des troubles du sommeil, des douleurs plus fréquentes ou plus fortes.

Le texte que nous examinons aujourd’hui a pour ambition de réformer l’offre de services et la gouvernance des services de santé, ainsi qu’à améliorer le suivi médical des salariés et la prévention de la désinsertion professionnelle ; il reprend en grande partie les dispositions de l’accord national interprofessionnel, l’ANI, sur la santé au travail, signé le 10 décembre 2020 après plus de deux années de négociations par les partenaires sociaux – nous déplorons d’ailleurs que les professionnels du secteur de la santé au travail n’aient pas été consultés à cette occasion !

Si ce texte a un objectif louable, il est loin de répondre aux attentes des acteurs concernés ; il passe à côté d’enjeux essentiels en matière de santé au travail, surtout en ce qui concerne la prévention primaire des risques professionnels ; il provoque même une confusion entre la santé au travail au regard de l’organisation du travail – les critères de pénibilité ont par exemple disparu – et la santé du travailleur en entreprise, en faisant la promotion individuelle de la santé – consommation de tabac ou d’alcool, pratique sportive, etc.

De même, le texte ne contient aucun apport concernant la reconnaissance des maladies professionnelles, en particulier celles qui sont liées aux risques psychosociaux. Ces derniers constituent pourtant le deuxième groupe de pathologies les plus fréquentes dans le monde du travail, après les troubles musculo-squelettiques.

Au-delà de ces insuffisances, ce texte comporte certains risques pour les travailleurs, en ce qu’il organise une certaine déresponsabilisation de l’employeur en matière de sécurité et de protection de la santé des salariés. De nombreuses mesures tendent à transférer cette responsabilité vers les salariés eux-mêmes ou vers les services de prévention et de santé au travail.

L’instauration d’un passeport prévention à l’article 3 en est la parfaite illustration. Ce passeport semble être un blanc-seing permettant aux employeurs de se dégager de leur responsabilité en matière de sécurité, au motif qu’un travailleur a été préalablement formé.

Un autre point doit retenir notre attention : la possibilité pour le médecin du travail d’accéder au dossier médical partagé, le DMP. Si donner accès à ce dossier au médecin du travail pour y verser des éléments présente un intérêt indéniable, l’inverse n’est pas vrai : les données personnelles de santé des salariés ne doivent pas être visibles par le médecin du travail !

En effet, la possibilité pour le médecin du travail d’accéder à ces données, même avec l’accord du patient, risque d’être préjudiciable aux salariés, en particulier lors des visites d’embauche et de reprise du travail, surtout lorsqu’il y a une nécessité d’adaptation à l’emploi.

Enfin, ce texte ne répond pas au problème concret de la pénurie de médecins du travail. Nous comptons aujourd’hui 1 médecin pour 4 000 salariés : c’est deux fois moins qu’il y a quinze ans ! Pour faire face à cette pénurie, vous proposez de recourir à des médecins correspondants. C’est pour le moins surprenant, compte tenu du contexte de désertification médicale que connaît actuellement notre pays.

En outre, ces médecins correspondants, même avec deux années de formation complémentaires, ne pourront pas faire de la prévention en entreprise – c’est pourtant le rôle essentiel du médecin du travail.

En somme, la crise sanitaire, comme dans un grand nombre d’autres domaines, a mis en lumière d’importants dysfonctionnements : pénurie de médecins du travail, systèmes illisibles et difficiles d’accès, inégalités territoriales.

Cette proposition de loi, porteuse de grands espoirs, n’apporte en réalité aucune solution concrète, et nous le regrettons.

Ainsi, en l’absence d’amélioration significative du texte à l’issue de nos débats, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne votera pas cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.

M. Martin Lévrier applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, il y a quelques mois, les partenaires sociaux ont signé l’ANI sur la santé au travail, dont la présente proposition de loi est la transcription. Celle-ci prévoit une réforme de la santé au travail visant à harmoniser et à renforcer les actions de prévention des risques professionnels.

L’article 1er formalise ce changement de paradigme en renommant les services de santé au travail en services de prévention et de santé au travail ; il s’agit de structures financées par les cotisations des entreprises.

Les consultations d’un médecin du travail sont très variées, allant des conseils de prévention à la reconnaissance d’inaptitudes médicales au travail, ce qui entraîne de nombreux mécontentements de la part des salariés ou de l’entreprise, donc des contentieux. Je pense que la protection du médecin du travail vis-à-vis des services qui l’emploient est un sujet fondamental et mérite d’être renforcée.

Le médecin du travail partage son temps entre les visites médicales, les tâches administratives et les actions en milieu de travail. Il consacre un temps essentiel à l’étude des postes et à l’analyse des risques au sein des entreprises qu’il visite.

Ainsi, il apporte ses conseils sur l’amélioration des conditions de travail, sur l’adaptation des postes de travail – pour des personnes handicapées, par exemple – ou sur la surveillance et le suivi d’agents chimiques par l’intermédiaire d’un toxicologue, notamment en cas de réactions allergiques.

Il est également compétent en matière de rangement des produits nocifs et dispense ses conseils sur la structure et l’organisation même de l’entreprise. Il a donc, par nature, un rôle de prévention fondamental concernant aussi bien les risques chimiques et physiques que le suivi à long terme des personnes exposées.

Sous la responsabilité de l’employeur, il participe à l’élaboration du document unique d’évaluation des risques professionnels identifiés dans l’entreprise.

Véritable carte d’identité de l’entreprise, ce document est le point de départ des actions de prévention nécessitant une mise à jour annuelle. Un amendement adopté par l’Assemblée nationale vise à étendre la durée de conservation du document à quarante ans au minimum, ce qui permet de tenir compte d’effets nocifs sur la santé à très long terme.

La médecine du travail est essentielle au bon fonctionnement de la société et doit nécessairement s’adapter à l’évolution de celle-ci. En cela, le texte que nous examinons prévoit certaines avancées, comme le fait pour les intérimaires, les salariés d’entreprises prestataires ou sous-traitantes et les travailleurs indépendants de bénéficier du suivi des services de prévention et de santé au travail. La commission des affaires sociales du Sénat a d’ailleurs étendu ce suivi aux chefs d’entreprise.

La création d’un médecin praticien correspondant, formé en médecine du travail, contribuera à pallier la pénurie de médecins du travail dans les territoires concernés. Certaines missions pourront en outre être déléguées aux infirmiers qualifiés, sous la responsabilité du médecin du travail.

Monsieur le rapporteur, vous avez insisté pour y mettre beaucoup de limites ; je partage votre avis. Nous sommes favorables à l’expérimentation que vous proposez, qui vise à étendre le pouvoir de prescription du médecin du travail à des fins de prévention. Son rôle en sera ainsi valorisé.

La médecine du travail et la médecine de ville sont actuellement très cloisonnées, au détriment du suivi des patients et de la prévention des maladies professionnelles. La complémentarité de leurs activités doit être renforcée.

Le médecin du travail n’est pas l’acteur du suivi personnalisé d’un traitement – aux bêtabloquants, par exemple –, ni de l’adaptation de ce traitement. C’est en ce sens que ses prescriptions sont d’ordre préventif : l’acte de soin n’est pas du ressort du médecin du travail.

Quant aux vaccinations, je tiens à souligner que le médecin du travail a déjà la possibilité de les réaliser dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de covid-19. C’est une belle évolution, qui correspond parfaitement à l’objectif de prévention auquel tend cette proposition de loi.

Concernant l’accès au DMP, la commission des affaires sociales du Sénat a renforcé les garanties de sécurité et de protection des données personnelles de santé des travailleurs et a encadré la transmission des données entre les organismes de sécurité sociale et les services de prévention et de santé au travail.

L’accord du patient est essentiel, c’est un point sur lequel nous devons rester extrêmement vigilants. Pour autant, c’est aussi une évolution que l’on peut espérer dans un certain nombre de situations.

En résumé, ce texte conforte certaines avancées ; la commission des affaires sociales du Sénat a largement contribué à améliorer et à sécuriser les dispositifs proposés. Notre groupe est favorable à cette réforme, partagée par les partenaires sociaux. Aussi voterons-nous en sa faveur.

M. Martin Lévrier applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Annie Le Houerou applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymonde Poncet Monge

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur la prévention en santé au travail, vous auriez dû, monsieur le secrétaire d’État, nous proposer un projet de loi ambitieux, dépassant l’ANI signé en 2020 et prenant la mesure des responsabilités régaliennes sur la prévention de la santé des travailleurs.

C’est d’autant plus vrai que, en France, un écart de presque dix ans d’espérance de vie en bonne santé sépare l’ouvrier du cadre, et cela en grande partie du fait du travail.

Vous auriez dû inviter les parlementaires à un véritable travail et à un débat de fond. Mais vous les en avez privés par vos ordonnances de 2017, dont je veux rappeler ici une mesure inique : la suppression des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT. Alors que ces instances de proximité accomplissaient leurs missions au plus près des unités de travail et des salariés, lesdites ordonnances ont porté un coup inédit à la prévention en santé au travail, à l’analyse des risques professionnels et à leur réduction.

Monsieur le secrétaire d’État, nous aurions dû vous entendre sur les raisons de la non-signature par la France de multiples conventions de l’Organisation internationale du travail, l’OIT, relatives à la santé au travail, en particulier les conventions n° 161 et 170.

À la place, nous avons une proposition de loi qui se contente d’une transcription incomplète de l’ANI. Le présent texte n’est pas à la hauteur des enjeux et, loin de marquer un coup d’arrêt à la dégradation des SST par les réformes antérieures, il prend prétexte de la pénurie annoncée des médecins du travail pour poursuivre, par de nombreux dispositifs, la démédicalisation de la santé au travail. En outre, à cause de lui, l’employeur risque d’échapper à sa responsabilité personnelle en matière de santé et de sécurité.

Pour contraindre le travail législatif, cette proposition de loi se présente comme une simple nécessité de transcription de l’ANI, tout en enjoignant de respecter l’équilibre auquel ce dernier est parvenu.

Pourtant, elle est loin de toujours en honorer l’esprit ; elle ne s’interdit pas de soustraire des points d’équilibre que les organisations syndicales, y compris les organisations signataires, nous invitent à réintroduire par voie d’amendements.

Respecter l’équilibre : cela rappelle douloureusement que les facteurs de pénibilité des expositions professionnelles ont été compromis en contrepartie de l’allongement de l’âge de la retraite… En 2017, six facteurs de pénibilité à l’origine de 90 % des expositions altérant la santé ont ainsi été retirés !

De plus, c’est dénier au législateur le principe que, en matière de santé et de sécurité au travail, tout ne se négocie pas. Derrière les statistiques, il y a des accidents du travail – plus de 500 morts sont comptabilisées chaque année dans le secteur privé –, des maladies professionnelles et des inaptitudes.

Nous ne pouvons être totalement tenus par l’accord de compromis signé dans le cas d’un équilibre des forces sociales ; vous conviendrez en effet que celui-ci reste en défaveur des salariés. Le législateur est légitime à avoir une expression propre en matière de santé en général et de santé au travail en particulier.

Aussi, notre groupe présentera plusieurs amendements, dont certains visent à supprimer les dispositifs actant l’effacement du médecin du travail. C’est une tendance ancienne, car, malgré les alertes, rien n’a été entrepris pour lutter contre les sous-effectifs ou pour renforcer l’attractivité, y compris pour les médecins collaborateurs.

Force est de constater l’inaction pour contrer la baisse des seuls professionnels protégés. Nous nous élevons notamment contre l’introduction des médecins praticiens correspondants. Rarement les médecins du travail, dont la spécialisation dure quatre ans, n’ont fait l’objet d’une telle dépréciation, voire d’un tel mépris. Cela explique que l’attractivité soit en berne.

Au-delà, c’est bien le lien entre santé et travail, pour prévenir à la source toute altération de la santé par le travail, qui est nié. Il n’est pas étonnant, dès lors, qu’une majorité de professionnels de toutes disciplines – médecins, infirmiers au travail, ergonomes – contestent un grand nombre de dispositifs et estiment que la prévention primaire n’est en rien confortée.

Cette proposition de loi a véritablement été élaborée contre l’avis de ces professionnels ; vent debout, ils dénoncent la plupart de ses dispositions.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires regrette, une fois de plus, une occasion manquée et appelle à une grande loi sur la santé au travail. Faute d’adoption des amendements que les membres de notre groupe ou d’autres collègues défendront, nous ne soutiendrons pas cette proposition de loi.

Applaudissements sur des travées du groupe SER.

M. Joël Guerriau applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Martin Lévrier

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la santé au travail doit trouver toute sa place dans la réalisation des objectifs de notre politique nationale de santé publique.

Elle trouve ses racines dans la loi Villermé de 1841. Depuis lors, le cadre législatif l’encadrant n’a cessé de croître, afin de protéger davantage les salariés ; je pense notamment à la loi du 9 avril 1898 qui prévoyait l’indemnité des salariés en cas d’accident survenu au travail. Quant aux lois de 2002, de 2011 et de 2016, elles furent autant d’étapes renforçant le droit à une protection de la santé au travail.

En 2019, en France, quelque 16 millions de travailleurs relevaient d’un service de santé au travail interentreprises, ou SSTI. On estime à 7 millions le nombre de visites réalisées chaque année. Mais les médecins du travail et les collaborateurs médecins ont perdu près de 10 % de leurs effectifs entre 2015 et 2019.

Démographie médicale en peine, contenu et qualité hétérogène de l’offre des SST, difficile développement de la prévention primaire en entreprise : voilà les défis que notre système doit relever.

Aussi, de la stratégie nationale de santé 2018-2022 mise en place par le Gouvernement aux réflexions menées par l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, en passant par les rapports parlementaires, nombreux sont les travaux qui ont clairement identifié les problématiques de ce système ces dernières années.

Les rapporteurs de ce texte, ici, au Sénat, ont rédigé un rapport proposant des évolutions destinées à garantir un service universel de la santé au travail de qualité pour tous les travailleurs. Les auteurs de la proposition de loi, à l’Assemblée nationale, se sont quant à eux penchés sur la manière de moderniser la santé au travail en France, via la rénovation de sa gouvernance.

Je me réjouis que les parlementaires se saisissent d’un sujet plus que jamais déterminant, à la faveur de la crise sanitaire. Leurs travaux auront, entre autres, permis d’alimenter les réflexions des partenaires sociaux qui, dans l’ANI, ont repris plusieurs des propositions formulées.

Oui, il aura fallu de longues discussions et de nombreuses négociations avant de parvenir, le 9 décembre 2020, à la conclusion de l’ANI pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail, signé par la quasi-totalité des partenaires sociaux, excepté la CGT.

Mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est le fruit d’un long processus de démocratie sociale et parlementaire et, à l’instar des députés, il nous faut veiller à ce que la transcription de l’ANI dans la loi respecte aussi bien son contenu que son équilibre.

La proposition de loi s’articule autour de quatre axes. Premièrement, renforcer la prévention au sein des entreprises et décloisonner la santé publique et la santé au travail. Deuxièmement, améliorer la qualité du service rendu par les SST. Troisièmement, renforcer l’accompagnement de certains publics, notamment vulnérables, et lutter contre la désinsertion professionnelle. Quatrièmement, et enfin, réorganiser la gouvernance de la santé au travail, que celle-ci soit interne aux SST ou concerne le pilotage national et territorial de celle-ci.

À l’instar de l’ANI, cette proposition de loi renomme les missions des SST en services de prévention et de santé au travail, offre un socle pour ces derniers et crée un passeport prévention.

La commission des affaires sociales, saisie au fond, s’est réunie le mercredi 23 juin 2021 pour examiner le rapport de nos collègues Stéphane Artano et Pascale Gruny – je loue le travail d’enrichissement qu’ils ont fourni.

Bien que la commission partage les principaux objectifs de la proposition de loi, elle a veillé à garantir le caractère opérationnel de plusieurs de ses dispositions phares et à réunir les conditions d’un développement effectif de la prévention au sein des entreprises.

La commission a précisé la définition de l’offre socle de services proposée par les services de prévention et de santé au travail interentreprises, les SPSTI ; elle a réaffirmé le rôle du médecin du travail dans l’animation et la coordination d’une équipe pluridisciplinaire, qui a vocation à se diversifier ; elle a étendu aux services de prévention et de santé au travail des obligations de mise en conformité aux référentiels d’interopérabilité et de sécurité, en faveur d’une meilleure protection et d’une exploitation plus efficace des données en santé au travail.

Néanmoins, certaines dispositions qui nous semblaient importantes ont été supprimées ou modifiées lors de l’examen du texte en commission : à l’article 17 bis, la mutualisation du suivi de l’état de santé des salariés en cas de pluralité d’employeurs a été supprimée et, à l’article 20, des modifications ont été apportées à la désignation des représentants. Nous proposerons donc de rétablir ces articles dans leur rédaction issue de l’Assemblée nationale.

Enfin, nous entendons nous assurer du rôle central des acteurs de la santé au travail au sein des conseils locaux de santé mentale, dont nous savons l’importance.

Mes chers collègues, la transcription dans la loi de l’ANI respecte aussi bien son contenu que son équilibre. Concours de circonstances, elle intervient au moment où la Commission européenne a publié, il y a quelques jours, le cadre stratégique qui viendra orienter sa politique en matière de santé et de sécurité au travail.

À l’échelle nationale, nous pouvons collectivement nous réjouir d’un texte qui, demain, protégera davantage les travailleurs français. Ainsi, si toutes les orientations de cette proposition de loi ne sont pas dénaturées ou modifiées durant nos débats, notre groupe votera en sa faveur.

M. Joël Guerriau applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Cathy Apourceau-Poly

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi visant à renforcer la prévention en santé au travail transcrit dans la loi l’ANI signé le 10 décembre 2020 par le patronat et par une partie des organisations syndicales de salariés.

Cet accord sur de nouvelles mesures pour la santé au travail est déconnecté de la réalité de la situation des travailleuses et des travailleurs. Alors que la crise sanitaire a profondément bouleversé les organisations de travail, le texte ne prévoit aucune mesure sur l’encadrement du recours au télétravail.

Pourtant, les conséquences physiques et psychiques de l’isolement du télétravail, imposé et généralisé, ont été largement dénoncées. Aux fins de compléter le texte, notre groupe a déposé des amendements visant à conditionner le recours au télétravail à la signature d’une convention collective, à garantir un droit à la déconnexion et à assurer le financement des dépenses liées au télétravail.

Avec ce projet de loi déguisé, le Gouvernement veut faire oublier la suppression des CHSCT en 2017, profond recul pour les représentants du personnel et pour la santé et la sécurité des travailleurs – la pandémie a pourtant montré combien ils étaient essentiels.

Ce texte ne prévoit rien sur la mise en place d’une véritable politique de prévention primaire des risques professionnels prenant en compte la pénibilité des postes et l’usure professionnelle.

En réalité, la proposition de loi ne s’attaque qu’à une partie extrêmement réduite de la santé au travail. De nombreux sujets ne sont pas abordés, tels que la prise en compte de la pénibilité, la question du temps de travail, du travail de nuit et de la prévention des violences sexistes et sexuelles, ou encore la multiplication des licenciements pour inaptitude au poste de travail.

La proposition de loi se limite à renommer les SST en services de prévention en santé au travail, sans fournir de moyens supplémentaires ; elle crée un passeport prévention, mais celui-ci renvoie la responsabilité de la santé et de la sécurité sur chaque salarié, sans prendre en compte le travail réel et son organisation.

En outre, le texte introduit un rendez-vous de liaison entre le salarié et l’employeur, qui remet en cause la visite de préreprise en court-circuitant le médecin du travail. Ces rendez-vous sont pourtant fondamentaux dans la prévention des inaptitudes et permettent d’éviter les pressions managériales.

Face à la pénurie de médecins du travail, le Gouvernement a choisi de créer des médecins praticiens correspondants et de déléguer les fonctions et les missions du médecin du travail aux infirmières. Nous pensons, au contraire, que la situation exige d’augmenter le nombre de places au concours des médecins du travail, à revaloriser la formation dans les universités et à améliorer les conditions de travail.

La logique de rationalisation de la santé au travail justifie l’instauration d’une certification des services de prévention par des organismes privés, qui remplissent pourtant une mission de service public.

En autorisant les médecins du travail à accéder au DMP, vous prenez le risque de voir apparaître un certain nombre de discriminations à l’embauche. Les informations médicales du DMP des salariés pourraient, par exemple, dévoiler des cas d’affection de longue durée pour séropositivité…

Les garanties ne sont pas suffisantes pour nous rassurer. En effet, si l’accord exprès du salarié est prévu, comment allez-vous garantir l’absence de pression sur les salariés ou vous assurer que ce choix a été fait de manière éclairée ?

Le texte prévoit l’archivage du document unique d’évaluation des risques pour une durée minimum de quarante ans. La commission des affaires sociales a prévu la création d’un site internet pour l’archivage, géré par les organisations patronales.

Pour notre part, nous considérons que la traçabilité des expositions aux risques professionnels doit être confiée à un organisme public indépendant, tel que la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, la Carsat, ou la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, la Direccte. Évidemment, cette mission d’archivage nécessitera des moyens supplémentaires.

En conclusion, le texte ne prévoit aucune proposition pour de véritables droits pour les salariés et leurs représentants. Pourtant, les syndicats et les professionnels de la santé au travail en formulent : amélioration du suivi des salariés privés d’emploi, allongement des délais de contestation des avis d’inaptitude, rattachement des SST au travail à la sécurité sociale, rétablissement des CHSCT.

Enfin, mes chers collègues, je tenais à évoquer un point concernant nos travaux et notre rôle en tant que parlementaires. Un grand nombre d’amendements ont été déclarés irrecevables sur le fondement de l’article 45 de la Constitution : 44 amendements que nous avions déposés ne seront donc pas étudiés, parce qu’ils ont été considérés comme des cavaliers législatifs.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera contre cette proposition de loi, qui passe à côté des enjeux essentiels de la santé au travail !

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Émilienne Poumirol et M. Jean-Pierre Corbisez applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à vous rassurer : je n’utiliserai pas l’ensemble de mon temps de parole, qui est de quatorze minutes. Voilà déjà une bonne nouvelle !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

Ce n’est pas la première fois que notre assemblée examine un texte visant à transposer un accord national interprofessionnel, ou ANI. Toutefois, qu’un tel travail soit d’origine gouvernementale ou officiellement labellisé d’origine parlementaire, l’exercice est toujours un peu compliqué : il nous faut respecter l’esprit de l’ANI tout en amendant la rédaction qui nous est soumise, afin de l’améliorer.

À l’heure où certains veulent discréditer les corps intermédiaires, je considère pour ma part la transcription de cet ANI comme une preuve éloquente de la vivacité de notre démocratie sociale et, surtout, de sa compatibilité avec la démocratie politique.

Négocié en pleine crise sanitaire, l’accord du 9 décembre dernier apporte des réponses importantes, inspirées d’expériences de terrain vécues par les salariés comme par les employeurs.

Nous réformons donc notre droit du travail après que les partenaires sociaux se sont mis d’accord : c’est la concrétisation des jalons posés par la loi Larcher en 2007 pour moderniser les règles afférentes au dialogue social, texte dont j’avais eu l’honneur d’être le rapporteur au Sénat.

Le sujet de cette après-midi est d’actualité. Les précédents orateurs l’ont rappelé : nous avons vu tout au long de la crise sanitaire que le traitement curatif des risques professionnels ne suffit pas. Il convient de renforcer la vigilance en amont et de mieux identifier les risques, notamment psychosociaux, susceptibles de toucher les salariés.

Les auteurs de plusieurs travaux récents appellent ces évolutions de leurs vœux. Je pense notamment à nos deux rapporteurs, Pascale Gruny et Stéphane Artano, qui, dans un excellent rapport d’information daté de 2019, proposaient déjà des évolutions destinées à garantir en matière de santé au travail un service universel de qualité, pour tous les travailleurs.

La proposition de loi soumise à notre examen comporte des avancées significatives. Elle élargit notamment le champ de la prévention à la désinsertion professionnelle, qui contribue à des situations de chômage de longue durée et d’éloignement du marché du travail préjudiciables à notre économie comme aux intéressés.

Au-delà de la transformation des services de santé au travail en services de prévention et de santé au travail, les SPST, je tiens à mentionner un certain nombre d’améliorations. Ces dernières permettront de répondre à plusieurs préoccupations, exprimées en particulier par les entreprises.

Tout d’abord, je pense à l’amélioration du document unique d’évaluation des risques professionnels, le DUERP, qui représente une étape importante, et à l’instauration d’un passeport prévention, souhaité par les signataires de l’ANI.

Ensuite, je songe aux nouvelles missions confiées à la médecine du travail en matière de prévention, ainsi qu’à l’amélioration de l’articulation entre la médecine de ville et la médecine du travail. En témoigne en particulier l’élargissement des accès au dossier médical partagé ou au dossier médical en santé au travail.

La clarification des services que les SPST sont tenus d’offrir aux salariés est la bienvenue. En parallèle, le déploiement d’une offre socle ne pourra que renforcer l’égalité entre les différents services œuvrant à l’échelle nationale.

L’ANI consacrait des dispositions spécifiques à de nouvelles catégories de travailleurs, notamment les personnes en situation de handicap et les salariés d’entreprises sous-traitantes. Le présent texte reprend ces diverses dispositions de bon sens, qui permettront une couverture plus large des risques professionnels.

De plus, je note que les dispositions concernant la réorganisation de la gouvernance des services de prévention vont dans le sens d’un meilleur continuum de suivi, notamment en conférant aux infirmiers de santé au travail un véritable statut.

Par ailleurs, au travers du DUERP, je salue la volonté de préserver les PME de contraintes trop fortes. Je me réjouis en outre que l’on simplifie la visite de mi-carrière en la rapprochant des dispositifs existants.

Sensible aux fractures territoriales et aux risques de désertification médicale, notre commission a également souhaité adopter différentes mesures pour pallier les manques de médecins du travail dans les zones sous-dotées. Au reste, force est de consacrer que ces praticiens font défaut dans l’ensemble de notre pays.

Enfin, je salue l’expérimentation que nos rapporteurs proposent de lancer dans trois régions volontaires. Dans ce cadre, les médecins du travail pourront prescrire des arrêts de travail et des soins nécessaires à la prévention de l’altération de la santé du salarié du fait de son travail.

Mes chers collègues, du haut de cette tribune, nous avons souvent dénoncé la démocratie du tirage au sort, qui contourne les droits du Parlement : récemment encore, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience nous a encore conduits à le souligner. À ces méthodes de travail, nous préférons de loin celles de la démocratie sociale et de la négociation syndicale, qui aboutissent à des compromis exigeants, mais réalistes.

Vous l’avez compris : les élus du groupe Les Républicains accueillent ce texte avec un esprit constructif et fidèle aux équilibres trouvés par les partenaires sociaux. L’Assemblée nationale est parfois sortie de ce cadre, contrairement à nos rapporteurs, Pascale Gruny et Stéphane Artano, qui sont restés plus fidèles à l’accord négocié, tout en l’améliorant.

Je l’indiquais en préambule : l’équilibre entre transcription et initiative exige beaucoup de délicatesse. En la matière, nous ne saurions aller trop loin ; mais, en même temps, nous devons améliorer les dispositions qui nous sont soumises.

C’est précisément ce que nos rapporteurs ont réussi à faire et, je n’en doute pas, la navette parlementaire permettra d’atteindre le meilleur compromis possible : personne ne peut souhaiter que cette « proposition de loi » n’aboutisse pas !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Bilhac

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent texte est la traduction de l’accord national interprofessionnel du 9 décembre 2020. Cet ANI a été signé par toutes les organisations syndicales sauf une, au terme d’une concertation préalable prévue par la loi, laquelle a été menée en bonne et due forme.

Les précédents orateurs ont déjà abordé de nombreux points. Pour ma part, je tiens à rappeler le rôle de nos précurseurs en matière de santé au travail : ils se sont battus pour que nous en soyons là aujourd’hui.

Assurer la santé des ouvriers ou des salariés est une préoccupation ancienne : il y a 2 500 ans, on en parlait déjà sur les chantiers pharaoniques. Plus près de nous, Hippocrate identifia le plomb comme cause des maladies des ouvriers métallurgistes.

Toutefois, il faut attendre l’ère préindustrielle et un décret de 1810 pour que l’on impose aux patrons de payer les frais médicaux des ouvriers victimes d’accidents du travail ; 1841 pour que la loi Cunin-Gridaine interdise le travail des enfants de moins de huit ans dans les entreprises de plus de vingt salariés ; ou encore 1897 pour qu’une inspection du travail soit créée, pour les seuls enfants néanmoins.

Après l’adoption du premier code du travail, en 1910, René Barthe est, dans les années 1930, un pionnier de la médecine du travail. Cette discipline est consacrée par la loi en 1946. Son évolution vers une approche de prévention des risques professionnels et de santé au travail, tant physiques que psychologiques, s’amorce avec les lois Auroux de 1982, créant les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT. Enfin, une approche pluridisciplinaire émerge dans les années 1990 et 2000.

Cette proposition de loi a pour objet d’ouvrir sur la médecine de ville la prévention en santé au travail et de tenir compte des avancées du droit, par exemple pour ce qui concerne la définition du harcèlement au travail. Elle fait du document unique d’évaluation des risques professionnels un outil destiné à homogénéiser les services de santé au travail en assurant un socle commun de prestations.

Le volet dédié à la gouvernance de ces services garantit le partage des informations médicales, y compris entre l’assurance maladie et les services de prévention au travail. La représentation des salariés n’est pas oubliée, et l’effort doit se poursuivre pour que les représentants des salariés des petites et moyennes entreprises soient associés encore plus étroitement. Les élus du RDSE ont d’ailleurs déposé des amendements en ce sens.

La dématérialisation numérique et la télémédecine constituent des perspectives intéressantes pour le suivi individuel. Toutefois, avec plusieurs sénateurs de mon groupe, j’ai déposé des amendements visant à limiter d’éventuels excès dans ce domaine.

Avant de conclure, je tiens à saluer le travail précieux accompli par les rapporteurs, auteurs d’un précédent rapport il y a deux ans, en 2019. Leur expertise a notamment permis d’adapter le volet d’évaluation. Je pense en particulier à l’article 2, relatif au DUERP, et au souci de simplification qu’il traduit. L’article 14 contribue au maintien dans l’emploi des personnes malades ou handicapées. Quant à l’article 16, instaurant une visite de mi-carrière, il représente une véritable avancée.

Je suis favorable à ces dispositifs, qui inscrivent la santé au travail dans une logique pluridisciplinaire plus ouverte sur la médecine de ville, associant les psychologues, les kinésithérapeutes, les ergonomes et bien d’autres professionnels encore.

Donner un plus grand rôle aux infirmiers permettra aussi de pallier le manque d’effectifs en médecins du travail. Aujourd’hui encore, trop peu d’étudiants en médecine choisissent cette voie : nous devons donc nous efforcer de la rendre plus attractive. Avec ce texte, les praticiens pourront d’ores et déjà se concentrer sur les salariés les plus en difficulté.

La pandémie de la covid-19 a mis en exergue l’importance du volet de prévention en santé au travail. Les employeurs et les partenaires sociaux ont dû déployer dans l’urgence les moyens d’assurer la sécurité des salariés face à la contamination virale, que ce soit en favorisant le télétravail ou en fournissant des matériels de désinfection et de protection.

En parallèle, d’autres défis se profilent, avec l’émergence de nouveaux types d’emplois adossés aux applications et aux plateformes numériques. Ces évolutions impliquent de nouvelles formes de pénibilité au travail, portant atteinte aux corps des travailleurs.

Ainsi, chaque manutentionnaire des entrepôts de e-commerce déplace, en moyenne, rien de moins que 4 tonnes de colis par jour ; ces salariés subissent des troubles musculo-squelettiques si graves que, nonobstant leur jeunesse, ils sont parfois broyés.

Pour répondre à ces défis, la santé au travail devra reposer sur une approche et des équipes pluridisciplinaires, mieux à même de redonner la santé aux salariés.

Le présent texte nous semble contribuer à cette évolution, et les élus du groupe du RDSE le voteront, même si la problématique de la démographie médicale demeure préoccupante !

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Le Houerou

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui nous est présentée comme une première ; mais, nous le savons bien, ce texte assurant la transposition d’un accord national interprofessionnel n’est que prétendument d’origine parlementaire.

Je salue l’engagement des partenaires sociaux et l’ensemble des acteurs qui ont pris part à ces négociations, ainsi qu’aux travaux préalables. Toutefois, faute d’un accord ambitieux, nous n’obtenons qu’une proposition de loi a minima.

L’objectif est pourtant d’une importance considérable : il s’agit de transformer un système de santé au travail jugé unanimement à bout de souffle – manque de médecins du travail, coordination insuffisante des multiples acteurs, couverture imparfaite des besoins des petites et moyennes entreprises, des travailleurs indépendants, des salariés multi-employeurs ou des salariés portés.

La création d’une cellule de prévention de la désinsertion professionnelle au sein des services de prévention et de santé au travail interentreprises est porteuse d’espoir pour les salariés comme pour les employeurs.

Cette structure est constituée d’un panel représentatif des différents intervenants de ces services. Toutefois, les parties prenantes ne seront pas en mesure d’identifier une problématique commune à partir d’un ensemble de situations individuelles similaires relevées.

Cette proposition de loi clarifie le rôle du référent handicap, et c’est une bonne chose. Elle l’autorise à établir un lien avec les SPST, afin de contribuer au maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap et de prévenir la désinsertion professionnelle.

Néanmoins, cette mesure pourrait aller plus loin ; de nombreux salariés en situation de handicap ne demandent pas leur reconnaissance comme travailleurs handicapés. Or le référent handicap devrait pouvoir informer l’ensemble des salariés des droits spécifiques des personnes handicapées et de l’intérêt de ce statut.

Trop de porteurs de handicaps invisibles ou de maladies évolutives ignorent leurs droits et ne se déclarent pas. Certaines de ces personnes attendent jusqu’au jour où, faute d’avoir pris des mesures de prévention adaptées, elles sont frappées par une incapacité de travail majeure conduisant à leur licenciement.

L’article 15 de cette proposition de loi autorise les professionnels de santé à recourir à des pratiques médicales ou de soins à distance pour le suivi de l’état de santé des travailleurs.

Si la pandémie a démontré l’utilité du recours à la téléconsultation, la présence physique du salarié et du médecin au rendez-vous médical doit rester le principe, la téléconsultation ayant valeur d’exception. La loi doit fixer cette règle.

S’agissant des assistants maternels, nous avons défendu en commission des amendements visant à ouvrir la possibilité d’un accord de branche étendu afin d’élaborer des mesures spécifiquement adaptées à ces métiers. Les assistants maternels et les salariés du particulier employeur attendaient cette perspective : nous regrettons d’autant plus le rejet de nos amendements en commission.

Pour agir de manière préventive contre la désinsertion professionnelle, il faut accompagner les salariés. En particulier, il faut intervenir auprès de ceux qui sont encore en arrêt de travail et leur proposer un accompagnement. Nous formulerons des propositions en ce sens.

Les dispositions de certains amendements des rapporteurs adoptés en commission nous inquiètent, car, selon nous, elles menacent les intérêts des travailleurs. Nous pensons en particulier à l’article 18, qui crée un rendez-vous de préreprise, rebaptisé « rendez-vous de liaison », entre le salarié et l’employeur.

La présence obligatoire du service de prévention et de santé au travail lors de ce rendez-vous a été supprimée par voie d’amendement. De plus, la possibilité de l’organiser sur l’initiative de l’employeur a été réintroduite. Or ces dispositions fragilisent le salarié.

Enfin, au travers de cette proposition de loi, les infirmières de santé au travail ont vocation à prendre de nouvelles responsabilités, voire, dans certains cas, à se substituer au médecin du travail. Afin de les protéger, nous soutiendrons des amendements visant à éviter toute situation litigieuse en leur accordant le statut de salarié protégé.

En conclusion, malgré quelques avancées, ce texte se démarque par ses nombreuses lacunes. Il n’évoque pas le lien avec l’inspection du travail ; il n’aborde ni la question de la responsabilité des employeurs en cas d’accident du travail ou de suicide, ni la pénibilité, ni la qualité de vie au travail ni la santé des travailleurs en inter-contrat ou en recherche d’emploi. Ces questions sont pourtant cruciales.

Comme l’a dit ma collègue Mme Poumirol, les membres de notre groupe ne soutiendront pas ce texte en l’état !

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - Permalien
Laurent Pietraszewski

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au cours de nos débats, ce soir et sans doute demain, nous reviendrons sur l’ensemble des questions évoquées lors de cette discussion générale. Toutefois, je tiens d’ores et déjà à réagir à certains propos.

Monsieur Artano, vous avez souligné avec raison l’importance du document unique. Cette pièce maîtresse de la prévention des risques opérationnels assure une déclinaison des actions préventives en entreprise.

Or, comme vous le relevez, ce document est encore très rarement mis en œuvre. Les employeurs qui l’appliquent sont pour l’essentiel de grandes entreprises. Je connais bien ce type de structures, mais je connais aussi les petites entreprises. J’ai toujours plaisir à rappeler que ma mère était ébéniste, et je dois vous avouer qu’elle n’a jamais rempli son document unique, alors qu’elle employait deux salariés.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Laurent Pietraszewski

Madame Gruny, vous avez également raison d’insister sur le fait que la prévention fait partie intégrante de la santé au travail. Bien sûr, cette dimension n’était pas occultée jusqu’à présent, mais elle constitue l’élément central de cet ANI et, partant, du présent texte. C’est tout le sens des évolutions actuelles : désormais, la santé au travail donne toute sa place à la prévention, dont les axes de développement sont effectivement nombreux.

Mesdames Poncet Monge et Apourceau-Poly, je sais que vous n’avez pas soutenu la transformation du code du travail que j’ai pu mener avec Muriel Pénicaud lorsque j’étais député. Des divergences existent entre nous et elles sont tout à fait légitimes, mais je vous assure en toute objectivité que l’ensemble des prérogatives du CHSCT, sans exception, ont été transférées au comité social et économique, le CSE. C’est incontestable : je suis d’autant plus formel que j’y ai personnellement veillé lors de cette réforme du code du travail.

D’ailleurs, la situation exceptionnelle que nous vivons, et qui souligne encore l’importance de la santé au travail, prouve que ce dispositif fonctionne bien. Si la nouvelle organisation posait des difficultés particulières, cette crise nous aurait donné l’occasion de les identifier. À l’inverse, en offrant une vision extrêmement transverse, le CSE permet de parler de tout, y compris de la santé au travail. Je connais votre engagement en la matière et je sais que cet enjeu vous mobilise l’une et l’autre, comme tous les sénateurs ici présents.

Madame Apourceau-Poly, vous avez abordé un autre sujet important sur lequel je tiens à revenir, à savoir le télétravail. Un autre ANI est d’ailleurs consacré à cette question, et il faut s’en féliciter.

Je vous l’affirme, comme à plusieurs de vos collègues qui ont pris la parole au cours de la discussion générale : à l’évidence, notre démocratie sociale est vigoureuse. Alors que la crise sanitaire faisait rage, elle a même réussi à dégager deux accords importants : le premier, relatif à la santé au travail, dont nous assurons aujourd’hui la transposition législative avec vous ; le second, relatif au télétravail, qui répond en partie à vos attentes, même si nous divergeons assez nettement sur ce sujet.

Pour ma part, je crois au dialogue social de proximité. J’estime qu’il faut donner une place digne de ce nom aux partenaires sociaux dans l’entreprise. Certes, il faut fixer un cadre – nous sommes d’accord sur ce point –, mais ces acteurs n’en doivent pas moins déterminer la manière dont le télétravail doit se décliner dans l’entreprise, en fonction du type d’activité.

Monsieur Guerriau, vous insistez à juste titre sur le vaste chantier de réorientation de la médecine du travail mené à travers ce texte. Je suis déjà revenu sur ce point à propos du volet de prévention, traité par Mme Gruny, et je l’ai indiqué dans mon intervention liminaire : le document unique contiendra des informations de long terme, relatives notamment aux risques chimiques. Avec ce texte de loi, l’ensemble des dispositifs de prévention fonctionneront encore mieux.

Monsieur Lévrier, j’ai déjà débattu de ce texte avec vos collègues députés et j’ai moi-même été parlementaire : je comprends que les uns et les autres, forts de leur expérience, de leurs connaissances et des retours dont ils disposent, soient désireux d’apporter leurs éclairages. Au total, peut-être trouverez-vous qu’en tant que secrétaire d’État je vous bride un peu, même si votre liberté d’expression reste évidemment pleine et entière.

Si j’insiste sur la nécessité de respecter les équilibres, ce n’est en aucun cas par dogmatisme ; c’est parce que je mesure toute la valeur d’un tel accord, fruit d’une véritable alchimie. Le consensus dépend parfois d’un mot ou d’un engagement ; telle mesure est, en fait, adoptée en contrepartie de telle autre.

Le plaisir et la difficulté de l’exercice sont précisément là : il s’agit d’apporter sa contribution tout en respectant l’accord national interprofessionnel. Je l’ai dit en préambule, il me semble que les travaux menés en commission ont précisément atteint cet équilibre et, je le répète, ils ont toute leur importance : ils ont apporté quelques touches supplémentaires, quelques inflexions et précisions, tout en conservant le sens voulu par les signataires de l’accord.

Monsieur Henno, dès le début de votre intervention, après une citation en forme de clin d’œil, vous avez souligné toute l’importance du dialogue social. Vous vous félicitez qu’il puisse fonctionner dans un domaine comme la santé au travail et vous avez évidemment raison.

Vous avez également abordé un point assez technique, sur lequel d’autres orateurs sont revenus : l’articulation entre, d’une part, la médecine du travail et, de l’autre, la médecine de soins ou de ville. Il s’agit effectivement d’un enjeu essentiel. Il nous faut trouver des ponts et des passerelles entre la première et la seconde.

Certains ont pu remettre en cause le rôle du médecin praticien correspondant, du moins tel qu’ils le conçoivent ; d’autres voudraient aller plus loin ; d’autres encore s’inquiètent d’éventuelles discriminations à l’embauche. Répétons-le : l’employeur n’a pas accès au dossier médical.

Or la discrimination à l’embauche, c’est le fait de l’employeur et non du médecin au travail. Nous n’avons pas la même lecture juridique de la question de l’aptitude, mais je suis sûr que les débats nous permettront de dissiper cette inquiétude.

Enfin, madame Procaccia, vous l’avez rappelé à juste titre : les deux assemblées doivent se montrer respectueuses du travail accompli par les partenaires sociaux.

Plusieurs orateurs l’ont relevé : cet accord a bénéficié d’une quasi-unanimité – seul un syndicat représentant des salariés a refusé de le signer. De ce fait, il mérite toute notre considération.

Sur tel ou tel sujet, on aimerait sans doute qu’il aille encore plus loin ; mais veillons à respecter cet équilibre, en espérant que les débats parlementaires nous permettent d’aboutir à une commission mixte paritaire conclusive.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Mon intervention se fonde sur l’article 36 de notre règlement.

Comme l’a indiqué ma collègue Cathy Apourceau-Poly, un certain nombre d’amendements déposés au nom de notre groupe ont été déclarés irrecevables. Or leurs dispositions correspondaient aux thématiques de cette proposition de loi, qu’il s’agisse de l’encadrement du télétravail, de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le cadre des plans de prévention, de la mise en place d’un cadastre des maladies professionnelles, des procédures de contestation des avis d’inaptitude ou encore de la suppression des CHSCT – ma liste n’est pas exhaustive.

Ces sujets sont directement en lien avec la thématique de cette proposition de loi. Pourtant, celle-ci n’en fait nullement mention ; et, son périmètre étant extrêmement limité, nous n’avons, en tant que parlementaires, aucune marge de manœuvre pour compléter ces points ou seulement débattre de sujets liés à la santé au travail.

L’autocensure du Sénat en matière de recevabilité porte atteinte au droit d’amendement de tout parlementaire, quel que soit son groupe politique. Pour les groupes minoritaires et d’opposition, de tels choix sont encore plus lourds de conséquences.

La crise politique atteint un degré tel que deux tiers de nos concitoyennes et de nos concitoyens optent désormais pour l’abstention. Dans un tel contexte, réduire le droit d’expression des parlementaires, c’est porter un coup supplémentaire à la démocratie, d’autant que cette interprétation très stricte de la Constitution s’accompagne d’une réforme du règlement réduisant de fait le temps de parole de chacune et de chacun.

Au lieu de conforter la toute-puissance de l’exécutif, la majorité du Sénat devrait accorder davantage de latitude aux groupes politiques, notamment aux groupes minoritaires, pour débattre de propositions permettant d’échapper au libéralisme du Gouvernement.

Je suis persuadée que nombre de parlementaires d’autres familles politiques sont d’accord avec moi et avec mes collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste : nous ne saurions concevoir le Sénat comme une chambre d’enregistrement des décisions du Gouvernement ou de la droite sénatoriale.

C’est du débat et de la confrontation d’idées dans le respect des principes démocratiques que nous avons besoin. C’est ainsi que nous pouvons légiférer, dans l’intérêt de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Mais, hélas ! le couperet de l’article 45 ne nous en donne pas toute la latitude !

Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

La parole est à M. le vice-président de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Mouiller

Ma chère collègue, nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer ce sujet en commission des affaires sociales. Je sais combien il peut être frustrant de ne pouvoir aborder l’ensemble des enjeux que soulève un tel texte, et pour cause : une partie de mes amendements ont également été déclarés irrecevables cette après-midi.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Mouiller

Cela étant, nous devons respecter les règles de travail de notre assemblée. Sans revenir sur la question des temps de parole, j’observe toute l’importance de l’article 45 de notre Constitution.

D’ailleurs, si nous n’appliquons pas ces dispositions, le Conseil constitutionnel sera lui-même appelé à censurer certains pans des textes votés les assemblées, au motif qu’elles n’ont pas respecté l’esprit de la Constitution, laquelle régit le fonctionnement du Parlement.

J’ai conscience de la difficulté sur laquelle vous insistez, et votre message est entendu ; mais je ne puis qu’approuver la position de la commission, exprimée par nos rapporteurs, car c’est d’efficacité que nous avons besoin ce soir !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

TITRE Ier

RENFORCER LA PRÉVENTION AU SEIN DES ENTREPRISES ET DÉCLOISONNER LA SANTÉ PUBLIQUE ET LA SANTÉ AU TRAVAIL

(Non modifié)

I. – Le code du travail est ainsi modifié :

1° Au 1° de l’article L. 1153-1, après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou sexiste » ;

bis Le même 1° est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« Le harcèlement sexuel est également constitué :

« a) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;

« b) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ; »

2° Au 1° du I de l’article L. 2314-3, au premier alinéa des articles L. 4622-11 et L. 4622-12, au premier alinéa, au troisième alinéa, deux fois, et à l’avant-dernier alinéa de l’article L. 4622-15, aux deuxième et dernier alinéas de l’article L. 4623-1, au premier alinéa de l’article L. 4623-5, à l’article L. 4623-5-1, à la première phrase de l’article L. 4623-5-3, deux fois, aux premier et avant-dernier alinéas de l’article L. 4625-1, au premier alinéa, aux première et deuxième phrases de l’avant-dernier alinéa et au dernier alinéa de l’article L. 4625-2, à la première phrase du second alinéa de l’article L. 4631-2 et au troisième alinéa du I de l’article L. 4644-1, après le mot : « service », sont insérés les mots : « de prévention et » ;

3° À l’article L. 4622-7, à l’article L. 4622-13, à la première phrase de l’article L. 4622-14 et à l’article L. 4622-16, après la première occurrence du mot : « service », sont insérés les mots : « de prévention et » ;

4° Au deuxième alinéa de l’article L. 1251-22, à l’intitulé du titre II du livre VI de la quatrième partie, à l’article L. 4622-1, à la première phrase du premier alinéa de l’article L. 4622-2, à la première phrase de l’article L. 4622-4, à l’article L. 4622-5, au premier alinéa de l’article L. 4622-6, à l’intitulé de la section 2 du chapitre II du titre II du livre VI de la quatrième partie, aux première et deuxième phrases de l’article L. 4622-8, à l’intitulé du chapitre III du titre II du livre VI de la quatrième partie, au deuxième alinéa de l’article L. 4623-1, à l’article L. 4624-10, à l’intitulé du chapitre VI du titre II du livre VI de la quatrième partie et du chapitre II du titre II du livre VIII de la même quatrième partie et à la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 8123-1, après le mot : « services », sont insérés les mots : « de prévention et » ;

5° Aux articles L. 4622-9 et L. 4622-17, après la première occurrence du mot : « services », sont insérés les mots : « de prévention et ».

II. – L’article L. 422-6 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° À la première phrase, après le mot : « services », sont insérés les mots : « de prévention et » ;

2° À la deuxième phrase, après la première occurrence du mot : « services », sont insérés les mots : « de prévention et ».

III. – À la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 1411-8 ainsi qu’au 3° et à la seconde phrase du 4° de l’article L. 1413-7 du code de la santé publique, après le mot : « services », sont insérés les mots : « de prévention et ».

IV. – La cinquième partie du code des transports est ainsi modifiée :

1° Au premier alinéa de l’article L. 5545-13, les mots : « de service » sont remplacés par les mots : « du service de prévention et » ;

2° Au second alinéa des articles L. 5785-5 et L. 5795-6, après la première occurrence du mot : « service », sont insérés les mots : « de prévention et ».

V. –

Supprimé

VI. – À la première phrase du premier alinéa de l’article 108-2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, après la seconde occurrence du mot : « services », sont insérés les mots : « de prévention et ».

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 77 est présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 145 rectifié est présenté par Mmes Rossignol et Poumirol, MM. Jomier et Kanner, Mmes Le Houerou, Lubin, Meunier, Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, MM. Tissot, Bourgi et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéas 5 et 6

Rédiger ainsi ces alinéas :

« a) Lorsqu’une même victime subit des propos ou comportements à connotation sexuelle, qu’ils aient fait l’objet d’une concertation de plusieurs personnes, ou aient été instigués par l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;

« b) Lorsqu’une même victime subit ces propos ou comportements à connotation sexuelle, même s’ils n’ont pas fait l’objet d’une concertation, dès lors que chaque auteur d’un tel propos ou comportement sait qu’ils caractérisent une répétition pour la victime ; »

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 77.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

L’article 1er transforme à la fois la dénomination des services de santé au travail et la définition du harcèlement sexuel figurant dans le code du travail. Je centrerai mon propos sur ce second point.

Certains d’entre nous, qui siégeaient déjà dans cet hémicycle en 2012, se souviennent des débats menés pour élaborer une définition pénale du harcèlement sexuel. Sans en retracer l’historique, rappelons que cette définition a, en définitive, été abrogée par le Conseil constitutionnel. Pendant de nombreux mois, cette décision a laissé persister un vide juridique qu’ont subi de nombreuses victimes.

L’article 1er s’attaque à la définition prévue dans le code du travail ; mais les dispositions d’un amendement déposé par plusieurs députés socialistes et adopté par l’Assemblée nationale nous exposent à de grands risques.

À mon sens, le fait d’aligner la définition du code du travail sur celle du code pénal constitue à la fois une erreur et un danger. En effet, le verbe « imposer » suppose que le salarié ou la salariée victime de harcèlement sexuel prouve l’existence de cet acte.

J’ai été alertée par plusieurs associations, dont l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, l’AVFT, et par diverses organisations syndicales qui montrent très bien le danger d’une telle harmonisation.

Actuellement, si les conseils des prud’hommes et les chambres sociales des cours d’appel peuvent rendre des jugements de licenciement de harceleurs, c’est précisément parce que les définitions ne sont pas identiques : en droit du travail, il n’y a pas à démontrer de quelle manière les agissements ont été imposés à la victime.

Cette distinction et fondamentale et pleinement justifiée : au pénal, il est nécessaire de démontrer l’élément moral de l’infraction, alors qu’en droit du travail le juge se contente de la matérialité des faits.

C’est pourquoi, à l’instar de ma collègue Laurence Rossignol, je pense qu’il vaut mieux conserver le terme « subir » que de recourir au terme « imposer ». Nous saisissons cette occasion pour améliorer, par cet amendement, la définition figurant actuellement dans le code du travail.

Au-delà de ces aspects juridiques, je tiens à rappeler que 30 % des femmes salariées ont déjà subi des faits de harcèlement ou d’agression sexuelle sur leur lieu de travail. Le phénomène est massif. La modification de l’article 1er pourrait donc avoir des effets dévastateurs pour les victimes, dont on sait déjà les difficultés qu’elles éprouvent à faire connaître et sanctionner les faits.

Par ailleurs, l’AVFT, souligne que la crise sanitaire a entraîné une réduction considérable des faits de harcèlement sexuel, même si ce dernier peut se pratiquer par mail ou SMS.

Or, depuis la reprise en présentiel, les salariées ont très largement fait appel à l’AVFT : le retour au travail peut en effet constituer une prise de conscience, un électrochoc révélateur de faits anormaux ou pathogènes.

Pour conclure, je rappellerai que l’AVFT plaide depuis plusieurs années pour que les enregistrements dits « clandestins » soient recevables devant les juridictions civiles, comme ils le sont en matière pénale.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour présenter l’amendement n° 145 rectifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Émilienne Poumirol

Laurence Rossignol, qui porte cet amendement, part du même constat que Mme Cohen : dans le code du travail, l’élément intentionnel du comportement de l’auteur n’est pas mentionné.

Cet amendement, soutenu par les organisations de défense des droits des femmes et de lutte contre les violences faites aux femmes, tend à prévoir que le harcèlement sexuel au travail est matérialisé lorsqu’il est subi par la victime et non lorsqu’il est imposé par l’auteur ou les auteurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Les auteurs de ces amendements n’entendent pas calquer la définition du harcèlement sexuel au travail du code du travail sur celle du code pénal.

Ils font valoir que cette dissemblance permet aujourd’hui aux conseils de prud’hommes et aux chambres sociales des cours d’appel de se contenter de la matérialité des faits, sans tenir compte de la manière dont ils ont été imposés à la victime, ce qui n’est évidemment pas possible en droit pénal.

Ces amendements visent donc à étendre cette logique aux compléments apportés par l’Assemblée nationale à la définition du harcèlement sexuel au travail. Il faut encore préciser que les faits peuvent avoir été commis par plusieurs personnes sans qu’aucune d’entre elles ait agi de manière répétée, caractéristique d’un harcèlement sexuel d’ambiance.

Sur ce sujet important, faire preuve de précision rédactionnelle est bien évidemment indispensable. Il nous semble que cette modification serait cohérente avec la rédaction des dispositions actuelles du code du travail. Le Conseil d’État, dans son avis sur cette proposition de loi, s’est prononcé en faveur d’une harmonisation entre les deux codes.

Cependant, de notre point de vue, cette nécessaire harmonisation n’est pas incompatible avec le maintien des spécificités du droit du travail, qui se révèlent plus protectrices des victimes.

En conséquence, la commission a émis un avis favorable sur ces deux amendements.

Debut de section - Permalien
Laurent Pietraszewski

En ce qui concerne l’aspect juridique, l’adoption de ces amendements conduirait à introduire deux écritures différentes du harcèlement sexuel dans le code du travail et dans le code pénal. Une telle situation ne pourrait qu’entraîner des difficultés supplémentaires, notamment pour les victimes.

Tout en vous écoutant, je relisais les dispositions de l’article L. 1154-1 du code du travail, qui précise que, en cas de litige relatif au harcèlement sexuel, la victime doit « présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ». Et c’est bien à l’employeur de prouver que les agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement.

Les textes sont extrêmement précis : il devra ainsi déclencher une enquête très rigoureuse et se tourner vers ses instances représentatives du personnel. Or rien de tout cela ne peut se faire dans une relative discrétion : c’est extrêmement sérieux.

Le Gouvernement est donc défavorable à ces deux amendements identiques, dont l’adoption irait à l’inverse de l’objectif visé.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Je remercie la commission d’avoir émis un avis favorable sur ces deux amendements, qui visent tout simplement à protéger les femmes.

Monsieur le secrétaire d’État, les enregistrements dits « clandestins », que j’évoquais à l’instant, seront-ils bientôt recevables devant les juridictions civiles pour établir la preuve de violences sexuelles ?

L’ancien Défenseur des droits, dans son avis sur le harcèlement sexuel transmis à la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes à la suite de son audition, en janvier 2018, s’est prononcé en faveur de la recevabilité de ces enregistrements.

En outre, la jurisprudence et un arrêté du Conseil d’État ont permis d’admettre de tels enregistrements pour le secteur public.

Monsieur le secrétaire d’État, allez-vous modifier la loi pour permettre aux salariés du privé de profiter de cet acquis ? Ce serait une avancée très importante pour une meilleure reconnaissance de ces violences, partout.

Les amendements sont adoptés.

L ’ article 1 er est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’amendement n° 42, présenté par Mmes Taillé-Polian et Poncet Monge, M. Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco et MM. Parigi et Salmon, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code du travail est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa de l’article L. 4121-1 est ainsi rédigé :

« Cette obligation de sécurité est une obligation de résultat. » ;

2° Après l’article L. 4121-5, il est inséré un article L. 4121-… ainsi rédigé :

« Art. L. 4121 -…. – Tout manquement de l’employeur à son obligation de sécurité sera sanctionné par le versement au salarié d’une indemnité minimale égale à trois mois de salaire bruts. »

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymonde Poncet Monge

La sécurité au travail est une liberté fondamentale, bafouée quotidiennement par des manquements qui entraînent parfois des accidents, des mutilations, des handicaps, des incapacités de travail, ou même la mort dans les cas les plus extrêmes.

Depuis des années, les pouvoirs publics n’arrivent plus à faire reculer le taux d’accidentalité. Au contraire, dans certains secteurs, on assiste à de fortes hausses : dans les activités tertiaires, par exemple, on a constaté une augmentation de 4 % l’année dernière.

Pour sortir de l’immobilisme, les auteurs de cet amendement proposent de rétablir pour l’employeur l’obligation de résultat en matière d’obligation de sécurité et de renforcer la sanction en cas de manquement par une indemnité minimale équivalente à trois mois de salaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

L’ANI rappelle que le principe de responsabilité de l’employeur en matière de santé au travail se traduit par une obligation de moyen.

Ainsi, un employeur peut être considéré comme ayant rempli ses obligations s’il a mis en œuvre les actions de prévention prévues par la loi. La commission estime que cet équilibre doit être préservé.

Par ailleurs, madame Poncet Monge, il n’est pas exact d’affirmer que le taux de sinistralité ne diminue pas : le nombre d’accidents du travail-maladies professionnelles, ou AT-MP, a baissé en moyenne de 1 % par an entre 2010 et 2019, soit une diminution totale de 11, 6 %, notamment grâce au renforcement des mesures de prévention mises en œuvre par les entreprises, avec le soutien de la branche AT-MP.

Pour ces raisons, la commission est défavorable à cet amendement.

Debut de section - Permalien
Laurent Pietraszewski

M. le rapporteur a tout dit, et fort bien : j’émets un avis défavorable.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’amendement n° 162 rectifié ter, présenté par Mmes Billon, Doineau, Férat, Saint-Pé, Vermeillet, Sollogoub et Tetuanui et MM. Canévet, Détraigne, L. Hervé, Laugier, Le Nay, Longeot et Kern, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au 2° de l’article L. 4622-2 du code du travail, après le mot : « sexuel », sont insérés les mots : « et sexiste ».

La parole est à Mme Élisabeth Doineau.

Debut de section - PermalienPhoto de Elisabeth Doineau

La première loi mondiale contre les violences sexistes et sexuelles au travail a été adoptée en 2019, dans la foulée du mouvement #MeToo. En cohérence avec la législation mondiale, notre cadre juridique national ne doit pas rester à la marge.

Selon une enquête du conseil supérieur de l’égalité professionnelle, quelque 80 % des femmes salariées considèrent qu’elles sont régulièrement confrontées, dans le monde du travail, à des attitudes ou à des décisions sexistes.

Eu égard à ce constat, il faut poursuivre l’effort en harmonisant la définition du harcèlement sexuel et sexiste entre code du travail et code pénal, comme il est prévu à l’article 1er.

Il convient ainsi de préciser, parmi les missions des services de prévention et de santé au travail, que la lutte contre le harcèlement sexuel doit être associée aux violences « sexistes ». Aucune décorrélation ne peut être envisagée.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

La notion de harcèlement sexiste, que cet amendement tend à mentionner au titre des missions des services de santé au travail, n’a pas vraiment de définition juridique.

En outre, l’article 1er de cette proposition de loi intègre dans la définition du harcèlement sexuel au travail les propos et comportements à connotation sexiste.

Dans la mesure où cet amendement est satisfait, la commission sollicite son retrait ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Laurent Pietraszewski

Même avis, monsieur le président.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’amendement n° 162 rectifié ter est retiré.

Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 78 rectifié bis est présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 147 rectifié est présenté par Mmes Rossignol et Poumirol, MM. Jomier et Kanner, Mmes Le Houerou, Lubin, Meunier, Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, MM. Tissot, Bourgi et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 8115-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« …° Aux dispositions relatives aux mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs prévues aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2. »

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 78 rectifié bis.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Les auteurs de cet amendement ont dû réduire leurs ambitions de moitié pour éviter que leur texte ne soit déclaré irrecevable au titre de l’article 45 de la Constitution… Nous souhaitions en effet aller plus loin que l’existant dans le cadre de la mise en place obligatoire du plan de prévention du harcèlement et des agissements sexistes, en fixant des objectifs.

Toutefois, comme je l’ai souligné dans mon rappel au règlement, cette proposition de loi a un périmètre bien étriqué, alors même que la question des violences faites aux femmes émerge enfin sur la place publique, après des années d’indifférence.

La prise de conscience des réalités de ce phénomène dans la sphère privée commence à rejaillir sur le monde professionnel, lui aussi très largement empreint de patriarcat. Je considère vraiment que cette proposition de loi est une occasion manquée – je le crains, quelque peu volontaire –, pour ne pas aborder ce problème de fond et, ainsi, ne pas remettre en cause des pratiques répandues, usuelles, mais inacceptables.

Si notre amendement tend à prévoir des sanctions pour rappeler les employeurs à leurs manquements, ce qui est nécessaire et permettra aussi de combler un vide juridique, nous regrettons de ne pouvoir agir en amont en proposant des plans spécifiques de prévention obligatoires et surtout des actions concrètes.

J’en profite pour me réjouir que la ratification de la convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail visant à éliminer les violences sexuelles et sexistes soit enfin à l’ordre du jour du Parlement.

Toutefois, à l’instar de nombre d’associations et de syndicats travaillant sur ces questions, je regrette que le Gouvernement ait fait le choix d’une ratification « sèche », pour reprendre les termes de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion. Cette convention est historique et extrêmement ambitieuse. Considérer que notre droit actuel est suffisant pour la décliner et l’appliquer est une erreur.

Il est dommageable que le Gouvernement, une fois de plus, se contente d’affichage, plutôt que de saisir cette occasion pour aller plus loin et vraiment protéger les femmes sur leur lieu de travail. Monsieur le secrétaire d’État, j’espère que vous entendrez ma requête, très largement partagée par toutes celles et tous ceux qui luttent contre les violences faites aux femmes. Il est encore temps de modifier le texte.

En attendant, mes chers collègues, je vous propose de soutenir notre amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour présenter l’amendement n° 147 rectifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Émilienne Poumirol

Cet amendement est également porté par Mme Rossignol.

Selon le Défenseur des droits, quelque 82 % des employeurs n’ont pas encore mis en place de plan de prévention des violences sexistes et sexuelles, pourtant obligatoire selon le code du travail.

Il convient donc de prévoir une sanction dont le caractère dissuasif incitera davantage les employeurs à se conformer à leurs obligations.

Cet amendement est soutenu par les organisations de défense des droits des femmes et de lutte contre les violences faites aux femmes dans le monde du travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Je le rappelle, en cas de manquement à ses obligations, le chef d’entreprise s’expose déjà à des sanctions à la fois pénales et administratives.

Le tribunal correctionnel pourra être saisi sur le fondement de l’article 121-3 du code pénal. En outre, le directeur départemental en charge de l’emploi, du travail et des solidarités et l’inspecteur du travail peuvent adresser au chef d’entreprise des mises en demeure et émettre, en cas de carences répétées, des sanctions administratives allant jusqu’à l’arrêt temporaire de l’activité.

Pour ces raisons, la commission est défavorable à ces deux amendements identiques.

Debut de section - Permalien
Laurent Pietraszewski

Je comprends l’intention des auteurs de ces amendements, qui souhaitent instaurer une sanction administrative en cas de manquement à l’obligation de mise en place d’un plan de prévention spécifique des violences sexistes et sexuelles.

Il me semble toutefois que ces dispositions dépassent largement leurs intentions. Leur adoption reviendrait en effet à prévoir une amende administrative pour tout manquement aux principes généraux de prévention.

D’autres dispositifs partagent déjà le même objectif : le directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités peut déjà notifier une mise en demeure à l’entreprise et exiger une régularisation, sous peine d’une sanction pénale. En 2020, plus de 400 mises en demeure ont ainsi été notifiées en vue de régulariser des manquements en matière d’évaluation des risques professionnels.

Le Gouvernement est donc défavorable à ces deux amendements identiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je mets aux voix les amendements identiques n° 78 rectifié bis et 147 rectifié.

Les amendements ne sont pas adoptés.

L’article L. 717-2 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « les conditions d’application des articles L. 4622-10, L. 4622-14, L. 4625-1 et » sont remplacés par les mots : «, le cas échéant, les modalités d’application du chapitre II du titre II du livre VI de la quatrième partie et de l’article » ;

2° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :

« Des décrets en Conseil d’État précisent les modalités de mise en œuvre des chapitres III à V du titre II du livre VI de la quatrième partie du même code. » –

Adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.