Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 5 juillet 2021 à 16h00
Article 1er de la constitution et préservation de l'environnement — Adoption en deuxième lecture d'un projet de loi constitutionnelle modifié

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont pas souhaité donner suite aux trois points soulevés par le Sénat le 21 juin dernier.

À cet égard, monsieur le garde des sceaux, le débat entre les deux chambres n’est pas uniquement sémantique. Permettez-moi de rappeler les trois points avancés par le Sénat.

Le premier concerne l’incertitude béante quant aux conséquences d’une telle garantie par la Nation. Je veux bien admettre que, sur ce point, le choix du verbe ait une incidence.

Deux autres points n’ont pas été abordés par l’Assemblée nationale : d’une part, notre refus d’une hiérarchie entre les normes constitutionnelles ; d’autre part, notre attachement au droit dit « subjectif » et à une conception des droits de l’homme qui est traditionnelle, mais respectable, monsieur le garde des sceaux, car c’est celle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Nous nous opposons donc au basculement des droits dits « subjectifs », les droits de l’homme, vers des droits dits « objectifs », ceux de la nature. À titre personnel, il me semble que l’éthique à l’égard de l’être humain doit rester première. Parmi les motifs évoqués, ce troisième élément me semblait le principal.

Monsieur le garde des sceaux, permettez-moi tout d’abord de réagir à votre intervention, assez incisive, puisque vous avez commencé en nous disant que le Sénat n’avait pas souhaité saisir la main tendue. Mais où est la main tendue, ne serait-ce que sur l’un des trois points soulevés par le Sénat ? Où est la volonté de dialogue ? Où est le désir d’aboutir à un accord ?

Par ailleurs, vous nous dites que les propositions du Sénat n’auraient pas d’effet juridique. Nous ne partageons pas ce point de vue, puisque celles-ci visent à ajouter, à la préservation de la biodiversité et de l’environnement figurant dans la Charte de l’environnement, la référence à la lutte contre le dérèglement climatique, qui n’y figure pas.

En outre, sans même entrer dans le débat sur l’effet des propositions formulées, la contradiction intellectuelle du Gouvernement et de l’Assemblée nationale sur ce sujet est tout à fait patente.

En effet, on nous dit, d’une part, que ce texte constituerait l’expression d’une haute ambition environnementale – très bien ! –, et, d’autre part, qu’il n’y aurait pas de modification de la hiérarchie des normes juridiques. Or la seule manière de donner un sens au dispositif que vous nous proposez résiderait précisément dans le changement de hiérarchie des normes juridiques.

Il semble donc, monsieur le garde des sceaux, que la contradiction intellectuelle n’est peut-être pas là où vous l’avez située durant votre intervention.

Vous avez d’ailleurs complété votre propos en essayant de nous dire que, certes, la préservation de l’environnement et de la biodiversité figurait bien dans notre Constitution, mais que tout cela relevait d’un objectif constitutionnel qui, au fond, n’avait pas de portée réelle. Or tel n’est pas le cas : tout cela a bien une valeur normative.

Nous sommes bien d’accord pour estimer que le Conseil constitutionnel exerce un contrôle moins strict d’une disposition lorsqu’il le fait à la lumière d’un objectif à valeur constitutionnelle plutôt que d’une norme constitutionnelle précisément détaillée. Mais il s’agit uniquement de technique.

En revanche, qu’il soit bien clair pour chacun d’entre nous que l’ensemble des éléments qui figurent dans la Charte de l’environnement sont bien constitutifs d’une norme juridique applicable dans notre pays.

Enfin, déclarer qu’une révision de la Constitution serait menée pour une question de charge de la preuve est un élément assez étonnant. Assez nombreux sont les juristes siégeant dans cet hémicycle, et je n’oublie pas, monsieur le garde des sceaux, votre qualité éminente à cet égard. La charge de la preuve est une donnée procédurale : jamais personne n’a envisagé d’en faire un élément ayant un caractère, de près ou de loin, constitutionnel.

Je veux à présent tracer trois perspectives complémentaires pour expliquer la position de notre groupe et vous alerter, mes chers collègues, sur un point que vous connaissez bien, à savoir la juridictionnalisation de notre société, ainsi que sur la redécouverte de la portée des engagements.

La juridictionnalisation de la société est une donnée constante. Demandée par nos concitoyens, elle peut, à mon avis, être abordée avec beaucoup de sérénité en utilisant plus largement le dialogue avec les juges et entre eux, ainsi que nos moyens législatifs. Nombreux sont ces derniers ; je pense notamment aux articles 88-4 et 88-6 de la Constitution, relatifs à la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE.

Ce qui change aujourd’hui, en matière de juridictionnalisation de notre société, c’est que les juridictions s’emparent de dispositions adoptées par les États, soit à l’échelle nationale, soit dans le cadre d’accords internationaux.

La raison de l’arrêt Big Brother Watch de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, c’est l’existence des articles 8 et 10 de la CEDH. De la même manière, l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net, trouve sa raison d’être dans le règlement général sur la protection des données, le RGPD. Et si la Cour de cassation a pu vous poser quelques problèmes, monsieur le garde des sceaux, sur la notion de décence en matière de détention, c’est parce qu’il y a eu des dispositions en la matière.

J’en arrive à l’arrêt non négligeable rendu le 1er juillet 2021, donc il y a quelques jours, par le Conseil d’État. Ce dernier constate que notre pays ne tient pas ses engagements dans l’accord de Paris. Historiquement, dans ce pays, les engagements pris par l’exécutif n’engageaient que ceux qui les écoutaient, autant dire qu’ils n’engageaient pas. Les juges ne voient pas la question de la même manière.

Cela signifie aussi que le débat sur la notion de garantie, qui ne me paraissait pas constituer le point essentiel lors de la séance du 21 juin dernier, prend, aujourd’hui, un reflet différent. Ainsi, de plus en plus régulièrement et, finalement, d’une manière assez justifiée, les juges donneront des effets juridiques aux différentes normes européennes ou, via le Conseil constitutionnel, nationales.

Le Sénat tient d’autant plus à la référence à la Charte de l’environnement que le Gouvernement – c’est ce qui fait la curiosité de sa proposition –, à aucun moment, n’explique en quoi la Charte de l’environnement serait défaillante. En quoi cet outil mis à la disposition de notre pays ne permettrait-il pas de défendre correctement l’environnement ?

Nous sommes étonnés que, à aucun moment, le Gouvernement ne nous ait présenté un bilan de l’application de la Charte de l’environnement, laquelle a pourtant permis, à diverses reprises, une protection convenable en matière d’environnement.

C’est dire que la volonté de dialogue exprimée par le Sénat n’a pas été saisie par l’Assemblée nationale. Par conséquent, le groupe Union Centriste ne manquera pas d’approuver la proposition faite par la commission des lois.

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