Intervention de Éric Kerrouche

Réunion du 5 juillet 2021 à 16h00
Article 1er de la constitution et préservation de l'environnement — Adoption en deuxième lecture d'un projet de loi constitutionnelle modifié

Photo de Éric KerroucheÉric Kerrouche :

Deuxièmement, il s’agit de la responsabilité de ne pas honorer l’engagement pris devant la Convention citoyenne pour le climat, permettant ainsi au Président de la République de s’en dédouaner.

La majorité sénatoriale, quant à elle, tente d’échapper à ce piège politique grossier tendu par le Président de la République. Elle est face à un dilemme : faut-il offrir un référendum au chef de l’État à la veille de la présidentielle de 2022 ou faut-il le bloquer, quitte à cultiver le cliché, certes erroné, d’une chambre ringarde en décalage avec son temps ?

La majorité sénatoriale a choisi : elle préfère endosser le blâme de ne pas réviser la Constitution, tout en dénonçant l’Assemblée nationale. Ainsi, s’appuyant sur l’avis du Conseil d’État et la responsabilité du constituant, elle invoque une rédaction juridique incertaine, qui ferait peser des risques sur notre ordre constitutionnel. Elle lui préfère une rédaction dont elle reconnaît la faible portée normative, sans méconnaître sa portée symbolique, mais en la réduisant à un placebo.

Malheureusement, ces discussions sémantiques, aussi intéressantes qu’interminables, se tiennent au détriment de la finalité.

En définitive, la majorité sénatoriale fait ce que l’exécutif attendait d’elle et vient ripoliner en vert l’image d’Emmanuel Macron. Dans une des matinales radios d’aujourd’hui, le porte-parole du Gouvernement, connu pour sa hauteur de vue, son sens de la mesure et sa sincérité, parlait du Sénat qui empêcherait de lancer le référendum et dont la majorité ne serait généralement pas favorable aux mesures en faveur de l’environnement, par climatosceptisme… Fermez le ban !

Las, pendant que chaque joueur d’échecs tente de mesurer le coût politique de telle ou telle option, quel est le résultat de ce manège ? Quel est le coût pour la démocratie et pour l’avenir de la planète ? Telles sont les vraies questions que nous devrions nous poser, c’est-à-dire celle du fond, et non de la forme.

Du point de vue démocratique, tout d’abord, je crains que nos débats parlementaires suscitent plus de désintérêt qu’autre chose de la part des Français que nous avons pour responsabilité de représenter. Les calculs politiques des uns ne font qu’alimenter la crise démocratique aux yeux des autres ; à cet égard, n’oublions pas le coup de semonce du dernier scrutin électoral.

Du point de vue démocratique encore, on peut contester la mise en place de la Convention citoyenne pour le climat et considérer que ce ne sont pas 150 citoyens, pourtant impliqués, qui devraient indiquer la marche à suivre au Parlement.

Cette posture, qui confine souvent à la caricature, pose une question légitime, qui, en réalité, n’est pas la bonne. La question est davantage celle d’un Président de la République qui ne souhaite pas vraiment tenir ses promesses, en rejetant la faute sur le Parlement, alors même que ce dernier, en responsabilité, assume son travail de législateur.

Du point de vue de la planète, ensuite, la transition écologique se retrouve l’otage de considérations politiques qui n’ont rien à voir avec elle. Parlementaires et juristes, nous avons disserté à l’envi sur les verbes « agir » et « garantir », au détriment de l’enjeu final. Le rapporteur spécial des Nations unies indique lui-même que de telles avancées constitutionnelles dans d’autres pays n’ont pas eu de conséquences dramatiques…

L’environnement est ainsi complètement passé à l’arrière-plan, au profit de l’exégèse. Pourtant, avons-nous une responsabilité en matière de réchauffement climatique ? Qui, dans cet hémicycle, peut oser répondre par la négative à cette question ? Qui peut oser s’affranchir d’une quelconque responsabilité envers les générations futures ?

En effet, du club de Rome au groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, les rapports se suivent et se ressemblent, s’accumulent, s’entassent et se répètent sans jamais se contredire : la situation n’est plus tenable, et la crise sanitaire en est l’une des illustrations.

Le prérapport du GIEC indique qu’une augmentation du réchauffement climatique au-delà de 1, 5 degré pourrait déjà entraîner « des conséquences graves, pendant des siècles, et parfois irréversibles ». L’organisation météorologique mondiale estime à 40 % la probabilité de dépasser ce seuil d’ici à 2025.

Pour ceux qui préfèrent le droit – ils sont nombreux ici –, la lecture de la récente décision du Conseil d’État est éclairante : celui-ci a sommé l’État d’agir pour le climat en donnant au Gouvernement jusqu’au mois d’avril 2022 pour prendre « toutes les mesures utiles », afin d’atteindre ses objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre, sous peine d’astreinte financière – une future décision qui interviendra donc en pleine campagne présidentielle.

Pour les contemplatifs – il y en a quelques-uns –, l’actualité parle d’elle-même : vagues de sécheresse, inondations à répétition, phénomènes de submersion, cycles de canicule, dôme de chaleur au Canada, tempête de grêle en Franc, etc.

Aussi, cette révision constitutionnelle méritait mieux que des calculs politiques, au regard du défi que nous devons relever collectivement. Notre Charte de l’environnement n’est pas suffisante. La Constitution doit donc s’adapter aux nécessités de notre temps.

Deux questions éminemment politiques auraient dû animer notre débat et nos décisions.

D’une part, quelle est notre volonté politique face à cet enjeu environnemental essentiel pour l’avenir de l’humanité ? Nous pensons toujours qu’elle doit être la plus forte possible, ce qui impose une réécriture la plus ambitieuse possible de l’article 1er de notre Constitution.

Dans cette perspective, nous étions attachés à l’intégration de la notion complémentaire de « préservation des biens communs mondiaux », qui nous semblait centrale et qui a fait l’objet d’une proposition de loi socialiste forte, portée par notre collègue Nicole Bonnefoy. Le droit de propriété doit pouvoir être contraint pour préserver ces biens communs. C’était d’ailleurs l’esprit de l’un des projets de texte constitutionnel pour la IVe République, projet qui n’a pas été retenu.

D’autre part, voulons-nous ou non laisser les Français s’exprimer sur ce sujet, ou bien les priver de cette parole ? Nous pensons que ce droit leur appartient.

Ainsi, si le vote conforme est désormais plus que compromis, nous ne souhaitons pas ajouter de l’obstruction à l’obstruction. Nous avons préféré ne pas déposer d’amendement et voter contre ceux de la majorité.

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