Intervention de Émilienne Poumirol

Réunion du 5 juillet 2021 à 16h00
Renforcement de la prévention en santé au travail — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Émilienne PoumirolÉmilienne Poumirol :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, chaque année, on ne déplore pas moins de 50 à 600 morts au travail, plus de 30 000 incapacités permanentes et plus de 600 000 arrêts de travail. L’ampleur de ces chiffres révèle l’importance du sujet de la santé et du bien-être au travail de nos concitoyens.

La crise du covid-19 et les périodes de confinement successives ont entraîné une dégradation de la santé des travailleurs, avec une hausse importante des troubles psychosociaux. Cette crise a également montré toute l’importance du médecin du travail, relais des pouvoirs publics dans la lutte contre la pandémie au sein de l’entreprise et interlocuteur privilégié des salariés en télétravail.

D’après une enquête menée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la Dares, au début de l’année 2021, l’état de santé psychique des travailleurs s’est fortement dégradé, avec un doublement du risque de dépression et une forte détérioration de la santé perçue, et cela d’autant plus que leurs conditions de travail ont été affectées par la crise sanitaire. Les actifs sont également plus nombreux à déclarer des troubles du sommeil, des douleurs plus fréquentes ou plus fortes.

Le texte que nous examinons aujourd’hui a pour ambition de réformer l’offre de services et la gouvernance des services de santé, ainsi qu’à améliorer le suivi médical des salariés et la prévention de la désinsertion professionnelle ; il reprend en grande partie les dispositions de l’accord national interprofessionnel, l’ANI, sur la santé au travail, signé le 10 décembre 2020 après plus de deux années de négociations par les partenaires sociaux – nous déplorons d’ailleurs que les professionnels du secteur de la santé au travail n’aient pas été consultés à cette occasion !

Si ce texte a un objectif louable, il est loin de répondre aux attentes des acteurs concernés ; il passe à côté d’enjeux essentiels en matière de santé au travail, surtout en ce qui concerne la prévention primaire des risques professionnels ; il provoque même une confusion entre la santé au travail au regard de l’organisation du travail – les critères de pénibilité ont par exemple disparu – et la santé du travailleur en entreprise, en faisant la promotion individuelle de la santé – consommation de tabac ou d’alcool, pratique sportive, etc.

De même, le texte ne contient aucun apport concernant la reconnaissance des maladies professionnelles, en particulier celles qui sont liées aux risques psychosociaux. Ces derniers constituent pourtant le deuxième groupe de pathologies les plus fréquentes dans le monde du travail, après les troubles musculo-squelettiques.

Au-delà de ces insuffisances, ce texte comporte certains risques pour les travailleurs, en ce qu’il organise une certaine déresponsabilisation de l’employeur en matière de sécurité et de protection de la santé des salariés. De nombreuses mesures tendent à transférer cette responsabilité vers les salariés eux-mêmes ou vers les services de prévention et de santé au travail.

L’instauration d’un passeport prévention à l’article 3 en est la parfaite illustration. Ce passeport semble être un blanc-seing permettant aux employeurs de se dégager de leur responsabilité en matière de sécurité, au motif qu’un travailleur a été préalablement formé.

Un autre point doit retenir notre attention : la possibilité pour le médecin du travail d’accéder au dossier médical partagé, le DMP. Si donner accès à ce dossier au médecin du travail pour y verser des éléments présente un intérêt indéniable, l’inverse n’est pas vrai : les données personnelles de santé des salariés ne doivent pas être visibles par le médecin du travail !

En effet, la possibilité pour le médecin du travail d’accéder à ces données, même avec l’accord du patient, risque d’être préjudiciable aux salariés, en particulier lors des visites d’embauche et de reprise du travail, surtout lorsqu’il y a une nécessité d’adaptation à l’emploi.

Enfin, ce texte ne répond pas au problème concret de la pénurie de médecins du travail. Nous comptons aujourd’hui 1 médecin pour 4 000 salariés : c’est deux fois moins qu’il y a quinze ans ! Pour faire face à cette pénurie, vous proposez de recourir à des médecins correspondants. C’est pour le moins surprenant, compte tenu du contexte de désertification médicale que connaît actuellement notre pays.

En outre, ces médecins correspondants, même avec deux années de formation complémentaires, ne pourront pas faire de la prévention en entreprise – c’est pourtant le rôle essentiel du médecin du travail.

En somme, la crise sanitaire, comme dans un grand nombre d’autres domaines, a mis en lumière d’importants dysfonctionnements : pénurie de médecins du travail, systèmes illisibles et difficiles d’accès, inégalités territoriales.

Cette proposition de loi, porteuse de grands espoirs, n’apporte en réalité aucune solution concrète, et nous le regrettons.

Ainsi, en l’absence d’amélioration significative du texte à l’issue de nos débats, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne votera pas cette proposition de loi.

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