Ce n’est pas la première fois que notre assemblée examine un texte visant à transposer un accord national interprofessionnel, ou ANI. Toutefois, qu’un tel travail soit d’origine gouvernementale ou officiellement labellisé d’origine parlementaire, l’exercice est toujours un peu compliqué : il nous faut respecter l’esprit de l’ANI tout en amendant la rédaction qui nous est soumise, afin de l’améliorer.
À l’heure où certains veulent discréditer les corps intermédiaires, je considère pour ma part la transcription de cet ANI comme une preuve éloquente de la vivacité de notre démocratie sociale et, surtout, de sa compatibilité avec la démocratie politique.
Négocié en pleine crise sanitaire, l’accord du 9 décembre dernier apporte des réponses importantes, inspirées d’expériences de terrain vécues par les salariés comme par les employeurs.
Nous réformons donc notre droit du travail après que les partenaires sociaux se sont mis d’accord : c’est la concrétisation des jalons posés par la loi Larcher en 2007 pour moderniser les règles afférentes au dialogue social, texte dont j’avais eu l’honneur d’être le rapporteur au Sénat.
Le sujet de cette après-midi est d’actualité. Les précédents orateurs l’ont rappelé : nous avons vu tout au long de la crise sanitaire que le traitement curatif des risques professionnels ne suffit pas. Il convient de renforcer la vigilance en amont et de mieux identifier les risques, notamment psychosociaux, susceptibles de toucher les salariés.
Les auteurs de plusieurs travaux récents appellent ces évolutions de leurs vœux. Je pense notamment à nos deux rapporteurs, Pascale Gruny et Stéphane Artano, qui, dans un excellent rapport d’information daté de 2019, proposaient déjà des évolutions destinées à garantir en matière de santé au travail un service universel de qualité, pour tous les travailleurs.
La proposition de loi soumise à notre examen comporte des avancées significatives. Elle élargit notamment le champ de la prévention à la désinsertion professionnelle, qui contribue à des situations de chômage de longue durée et d’éloignement du marché du travail préjudiciables à notre économie comme aux intéressés.
Au-delà de la transformation des services de santé au travail en services de prévention et de santé au travail, les SPST, je tiens à mentionner un certain nombre d’améliorations. Ces dernières permettront de répondre à plusieurs préoccupations, exprimées en particulier par les entreprises.
Tout d’abord, je pense à l’amélioration du document unique d’évaluation des risques professionnels, le DUERP, qui représente une étape importante, et à l’instauration d’un passeport prévention, souhaité par les signataires de l’ANI.
Ensuite, je songe aux nouvelles missions confiées à la médecine du travail en matière de prévention, ainsi qu’à l’amélioration de l’articulation entre la médecine de ville et la médecine du travail. En témoigne en particulier l’élargissement des accès au dossier médical partagé ou au dossier médical en santé au travail.
La clarification des services que les SPST sont tenus d’offrir aux salariés est la bienvenue. En parallèle, le déploiement d’une offre socle ne pourra que renforcer l’égalité entre les différents services œuvrant à l’échelle nationale.
L’ANI consacrait des dispositions spécifiques à de nouvelles catégories de travailleurs, notamment les personnes en situation de handicap et les salariés d’entreprises sous-traitantes. Le présent texte reprend ces diverses dispositions de bon sens, qui permettront une couverture plus large des risques professionnels.
De plus, je note que les dispositions concernant la réorganisation de la gouvernance des services de prévention vont dans le sens d’un meilleur continuum de suivi, notamment en conférant aux infirmiers de santé au travail un véritable statut.
Par ailleurs, au travers du DUERP, je salue la volonté de préserver les PME de contraintes trop fortes. Je me réjouis en outre que l’on simplifie la visite de mi-carrière en la rapprochant des dispositifs existants.
Sensible aux fractures territoriales et aux risques de désertification médicale, notre commission a également souhaité adopter différentes mesures pour pallier les manques de médecins du travail dans les zones sous-dotées. Au reste, force est de consacrer que ces praticiens font défaut dans l’ensemble de notre pays.
Enfin, je salue l’expérimentation que nos rapporteurs proposent de lancer dans trois régions volontaires. Dans ce cadre, les médecins du travail pourront prescrire des arrêts de travail et des soins nécessaires à la prévention de l’altération de la santé du salarié du fait de son travail.
Mes chers collègues, du haut de cette tribune, nous avons souvent dénoncé la démocratie du tirage au sort, qui contourne les droits du Parlement : récemment encore, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience nous a encore conduits à le souligner. À ces méthodes de travail, nous préférons de loin celles de la démocratie sociale et de la négociation syndicale, qui aboutissent à des compromis exigeants, mais réalistes.
Vous l’avez compris : les élus du groupe Les Républicains accueillent ce texte avec un esprit constructif et fidèle aux équilibres trouvés par les partenaires sociaux. L’Assemblée nationale est parfois sortie de ce cadre, contrairement à nos rapporteurs, Pascale Gruny et Stéphane Artano, qui sont restés plus fidèles à l’accord négocié, tout en l’améliorant.
Je l’indiquais en préambule : l’équilibre entre transcription et initiative exige beaucoup de délicatesse. En la matière, nous ne saurions aller trop loin ; mais, en même temps, nous devons améliorer les dispositions qui nous sont soumises.
C’est précisément ce que nos rapporteurs ont réussi à faire et, je n’en doute pas, la navette parlementaire permettra d’atteindre le meilleur compromis possible : personne ne peut souhaiter que cette « proposition de loi » n’aboutisse pas !