Intervention de Richard Yung

Commission des affaires européennes — Réunion du 24 juin 2021 à 9h05
Marché intérieur économie finances fiscalité — Supervision au sein de l'union bancaire : communication et avis politique de mm. jean-françois rapin et richard yung

Photo de Richard YungRichard Yung, rapporteur :

Merci Monsieur le Président. Effectivement, nous allons essayer de vous éclairer sur l'évolution de la supervision bancaire au sein de la zone euro. C'est un sujet que nous avions déjà traité il y a quelques années mais qui n'a pas perdu son actualité. Depuis le 4 novembre 2014, c'est la Banque centrale européenne qui assure opérationnellement la surveillance des banques dans les États membres de l'Union bancaire dans le cadre du mécanisme de supervision unique (MSU).

Dans un temps très court, la BCE a démontré sa pertinence et sa crédibilité en tant que superviseur unique. C'est une particulièrement bonne nouvelle car la supervision bancaire est essentielle à la solidité du système bancaire et à la stabilité financière de la zone euro. C'est quelque chose de relativement nouveau puisqu'il y a 30 ans il n'y avait pas de supervision bancaire, ni en France d'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). C'était la Banque de France qui assumait ce rôle de supervision et l'organisation était moins structurée. Heureusement, depuis, nous avons bien avancé et avons désormais des systèmes beaucoup plus professionnels.

Les banques européennes et françaises apparaissent mieux armées pour résister aux chocs, comme en témoigne leur résilience à la crise actuelle.

La reconnaissance internationale de la Banque centrale en tant que superviseur est désormais bien établie. Alors qu'elle parle d'une seule voix vis-à-vis des pays tiers en ce domaine, le degré de maturité et d'intégration est perçu comme moins élevé au sein de l'Union bancaire. La supervision n'est en effet que le premier pilier d'une Union qu'elle contribue à configurer. Je vous rappelle que le deuxième pilier est le fonds de résolution, qui existe déjà et qui sera doté à terme de près de 70 milliards d'euros ; le troisième pilier concerne la garantie des dépôts, dont la mise en place ne progresse pas beaucoup.

Nous avons donc souhaité dresser un bilan d'étape, au terme de bientôt sept années, d'une construction européenne dont le bon fonctionnement, au-delà de la complexité des solutions parfois retenues, est crucial pour nos économies. Afin de guider notre appréciation sur les prochaines étapes de l'approfondissement de l'Union bancaire, nous avons souhaité vous présenter les principaux points de vigilance identifiés lors de nos auditions.

Comment fonctionne concrètement la supervision bancaire de la zone euro ? Nous nous sommes intéressés aux moyens mobilisés et aux modalités opérationnelles car ils en conditionnent largement l'efficacité. Le cadre de fonctionnement européen - le Mécanisme de surveillance unique (MSU) - possède un caractère unique du fait qu'il associe d'une part la BCE, qui possède la compétence exclusive de supervision prudentielle des banques de la zone euro, et, d'autre part, les superviseurs nationaux qui exercent des missions de supervision à l'échelle nationale et coopèrent entre eux au sein d'équipes communes, les Joint supervisory teams (JST), étant entendu qu'ils le font sous le contrôle de la BCE et, qu'en cas de nécessité, cette dernière peut reprendre la main.

Ce cadre rend difficile la comparaison avec les autorités de supervision qui s'insèrent dans d'autres cadres de supervision comme les États-Unis, où elles sont d'ailleurs plusieurs, ou bien l'Allemagne où, jusqu'à présent, la supervision était largement centralisée entre les mains de la Bundesbank. Toutefois, les auditions que nous avons menées indiquent que les moyens semblent en ligne avec les pratiques internationales.

Quelques éléments chiffrés : les équipes dédiées aux activités de supervision de la BCE représentent désormais environ 1 200 emplois à temps plein auxquels il convient d'ajouter environ 6 300 emplois à temps plein au sein des autorités compétentes nationales. Le total atteint 7 500 emplois à temps plein ce qui est assez comparable avec les autres grandes autorités de supervision. Le budget de fonctionnement est quant à lui financé par les redevances annuelles et atteint 514 millions d'euros en 2020, perçus auprès des entités supervisées.

Porter un jugement sur le fonctionnement d'une autorité de supervision bancaire est par nature un exercice difficile : on sait quand elle échoue, quand il y a une crise bancaire, mais pas quand elle réussit. Les périodes de crise sont à ce titre de bons indicateurs de performance. Or, force est de constater que face à la crise sanitaire, la BCE a démontré sa capacité à adopter rapidement des décisions. Qu'il s'agisse de l'assouplissement temporaire de certaines exigences en matière de capital et de liquidité ou à l'inverse du durcissement des contraintes avec les recommandations de limitation de versements de dividendes, les décisions ont été prises dans des délais records démontrant la réactivité du processus décisionnel en temps de crise.

Pour autant, la BCE a initié une réorganisation interne en 2020 avec l'ambition de tirer les leçons de près de six ans d'expérience. S'il est encore trop tôt pour en mesurer l'efficacité, l'opportunité des objectifs fait consensus : renforcement de la transversalité et de la coopération et renforcement du suivi et de la coordination des missions sur place.

Au-delà de ces considérations organisationnelles, il reste des sujets qui méritent notre attention afin de renforcer la supervision bancaire européenne.

Une des lignes de fracture au sein du MSU résulte des forces respectives entre les pays appelés « Home », où sont implantées les maisons mères des grands groupes bancaires notamment les groupes français qui font partie des plus grands groupes européens et les pays « Host » accueillant habituellement les filiales de ces grands groupes. À cet égard, l'Union bancaire est encore loin d'avoir pu démontrer toute sa valeur ajoutée.

Concrètement, un groupe bancaire transfrontalier situé dans l'Union bancaire est supervisé par la BCE en tant que superviseur unique et non plus par les superviseurs d'origine et d'accueil des pays membres. Toutefois, ses filiales sont toujours soumises à des exigences individuelles au niveau national, notamment en matière de capital et de liquidité.

Il est compréhensible que les pays hôtes soient favorables à une intégration forte des marchés bancaires et à une supervision sur base consolidée. Il l'est aussi que les pays d'accueil privilégient l'échelon national et une supervision décentralisée.

La situation actuelle pose de nombreuses difficultés car elle constitue un obstacle majeur à l'intégration du marché bancaire de la zone euro. Elle se manifeste par des politiques de cantonnement de la part des autorités de surveillance et des États membres. Ces derniers obligent les groupes transfrontières à maintenir des niveaux élevés de fonds propres et de liquidités au sein de chaque entité locale. Ces fonds ne circulent pas et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle on ne constate que peu de mouvements d'acquisition à l'intérieur du système bancaire européen alors même qu'on aurait pu penser qu'avec l'espace unique européen, leur circulation aurait été facilitée. Il s'agit pour eux de conserver au niveau national des fonds propres qui pourraient être utiles en cas de difficultés. Les groupes bancaires transfrontières ne peuvent en conséquence pas bénéficier d'une gestion intégrée des fonds propres et des liquidités entre leurs différentes filiales. Cette problématique se retrouve d'ailleurs avec l'épargne au sens large puisque lorsqu'on se place sur l'union des marchés de capitaux, chaque pays souhaite garder son épargne face aux départs à la retraite et au vieillissement de sa population.

L'équilibre entre le pays d'origine et le pays d'accueil dans le cadre de la législation existante laisse encore une marge de manoeuvre pour une intégration plus poussée. Il suffit qu'elle soit mise en oeuvre par le conseil de surveillance du MSU et les autorités du pays d'origine et du pays d'accueil.

Le second point d'attention est lié à la conception initiale du mécanisme de surveillance qui repose sur l'articulation entre le rôle de la BCE comme autorité de contrôle ultime et les autorités nationales chargées de la surveillance au jour le jour.

Le fonctionnement du MSU repose sur la distinction entre les grandes banques, quelques 120 groupes considérés comme « importants » (Significant Institutions-SI) que la BCE surveille directement, et environ 3 700 entités « moins importantes » (Less Significant Institutions-LSI) dont les autorités nationales continuent à effectuer la surveillance directe. C'est donc principalement le critère de la taille des actifs qui détermine le périmètre des établissements importants : il s'agit globalement des banques dont le total des actifs est supérieur à 30 milliards d'euros.

La conséquence de cette distinction est que la situation de supervision diffère sensiblement en fonction de la structure du système bancaire de chaque État membre. En France, l'essentiel du système bancaire national, soit onze groupes bancaires, est sous la supervision directe de la BCE. La situation est parfois très différente chez nos voisins.

Un rapport récent de la BCE évoque, officiellement pour la première fois, les petites et moyennes banques allemandes, qu'on appelle les Landesbanken, les Raiffeisen ou Sparkassen qui sont le réseau du Mittelstand allemand.

Donc, ces petites et moyennes banques allemandes représentent plus de 50 % du total des actifs des LSI de la zone euro. L'Allemagne possède ainsi le plus haut niveau d'actifs bancaires hors surveillance directe de la BCE dans la zone euro. Ces Raiffeisen et Sparkassen sont supervisées au niveau de l'Allemagne et ont même leur propre système interne. Pourtant, la grande majorité de ces entités allemandes bénéficient d'accords de soutien mutuel connus sous le nom de régimes de protection institutionnels (IPS) par lesquels ils se réassurent les uns les autres.

Cette distinction entre SI et LSI ne devrait pourtant théoriquement pas être source de différence notable en matière de surveillance prudentielle : ces entités indépendamment de leur statut sont en principe soumises aux mêmes règles européennes ainsi qu'à des pratiques de supervision de plus en plus convergentes.

Toutefois, s'il paraît excessif de parler de supervision à deux vitesses, les difficultés liées à l'articulation entre la BCE et les autorités nationales peuvent conduire à une forme de supervision hybride. D'ailleurs la BCE a fait le choix d'utiliser largement la marge d'appréciation que lui donne le règlement MSU et laisse dans les faits beaucoup de responsabilité et d'autonomie aux autorités nationales.

La récente actualité allemande concernant Wirecard illustre les risques d'insuffisances dans les pratiques locales de supervision. Elle démontre les avantages d'une autorité centrale de supervision qui prend la responsabilité des risques tout en préservant la distance nécessaire à une approche plus neutre. L'harmonisation des pratiques de supervision constitue donc l'un des éléments clés de la poursuite de l'intégration de la supervision commune ; elle doit passer par des pratiques de supervision semble-t-il plus intrusives de la part de la BCE.

L'harmonisation des pratiques comptables au sein du MSU est un autre point de vigilance. Il ne concerne pas les entités placées sous la supervision directe de la BCE. En effet, les grands groupes sont tenus d'établir leurs comptes consolidés selon le cadre comptable européen conforme aux normes internationales d'information financière (IFRS) lorsqu'ils sont cotés. L'harmonisation des normes comptables est par contre un enjeu pour les LSI.

La Commission européenne a publié récemment une étude d'impact sur les différences entre les normes comptables utilisées par les banques dans l'Union bancaire. Ce rapport dresse un aperçu des banques par pays en fonction des normes comptables : IFRS ou normes nationales. L'Allemagne se distingue avec 52,1 % des actifs bancaires déclarés selon ses normes nationales. Les ratios des autres pays sont beaucoup plus faibles, par exemple en Autriche (22,7 %), aux Pays-Bas (5 %), et inférieur à 2,5 % dans tous les autres États membres.

Les banques allemandes non cotées sont ainsi identifiées comme la principale exception aux normes internationales d'information financière adoptées par l'Union.

Finalement deux systèmes de normes comptables coexistent dans le système bancaire de la zone euro : les IFRS et les normes nationales allemandes, sachant que 88 % des actifs bancaires de la zone euro déclarés selon des normes comptables nationales se trouvent en Allemagne. Ainsi, à cause de la structure bancaire particulière de l'Allemagne, celle-ci se distingue radicalement des autres pays.

Bien que les établissements concernés n'ont par définition qu'une faible activité transfrontière, ces divergences sont potentiellement source de distorsions dans l'appréciation des risques, voire de concurrence entre les systèmes appliquant les normes IFRS et les autres. Il est donc souhaitable que pour l'avenir nous rapprochions les normes comptables de ces différents pays.

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