Intervention de Jean-François Rapin

Commission des affaires européennes — Réunion du 24 juin 2021 à 9h05
Marché intérieur économie finances fiscalité — Supervision au sein de l'union bancaire : communication et avis politique de mm. jean-françois rapin et richard yung

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, président :

Entre 2016 et 2021, la BCE a mené un très conséquent examen des modèles internes, le projet TRIM pour Targeted Revision of Internal Models.

De quoi s'agit-il ? Pour mesurer les risques et déterminer si elle respecte les exigences de fonds propres, une banque peut utiliser soit l'approche standard définie par les instances de réglementation, soit un modèle interne qui doit cependant recevoir l'autorisation expresse de l'autorité de surveillance. Ces modèles internes sont des approches statistiques utilisées très fréquemment notamment en Europe pour déterminer le montant des besoins de fonds propres des banques.

La pratique des modèles internes est au coeur des discussions concernant la mise en oeuvre en Europe du dernier volet du paquet des réformes dites de « Bâle III ». Une des dispositions phares en est le seuil de fonds propres ou l'« output floor » qu'une banque doit respecter quel que soit son mode de calcul, standard ou interne.

Ce taux plancher implique que le capital d'une banque ne doit pas tomber plus bas que 72,5 % de ce qu'il serait s'il était mesuré avec les normes standards. Il s'agit d'éviter qu'une banque ne minimise ces risques et donc le montant des fonds propres lorsqu'elle les évalue par un modèle interne.

Le projet TRIM a permis de déceler des déficiences auxquelles les banques doivent remédier dans des délais imposés par la BCE. Mais il a surtout permis de confirmer le bien-fondé des modèles internes pour le calcul des exigences en fonds propres.

Au niveau agrégé, l'impact de TRIM s'est traduit par un accroissement de +12 % entre 2018 et 2021 du montant des actifs pondérés en fonction des risques et par une réduction du ratio de fonds propres des établissements de 60 points de base. Cet impact reste limité et très variable selon les pays. Il concerne peu les banques françaises qui en ressortent plutôt confortées avec un impact moyen sur le ratio de fonds propres de 38 points de base très en dessous de la moyenne de la zone euro.

La définition de l'« output floor » résulte plus d'un compromis politique international inspiré des pratiques et préoccupations américaines que d'une analyse fine de la réalité au sein de l'Union européenne. Il paraît dès lors indispensable de tenir compte des résultats de l'étude TRIM dans la transposition du dernier volet de Bâle III.

La Commission européenne a lancé une consultation publique afin de réexaminer le cadre de gestion des crises bancaires et de garantie des dépôts. Il s'agit concrètement de revoir trois textes législatifs.

Le premier est la directive relative au redressement des banques et à la résolution de leurs défaillances qui a introduit au sein de l'Union européenne le principe du renflouement interne, dit « bail-in ». Selon ce principe, la recapitalisation d'un établissement défaillant doit reposer d'abord sur ses créanciers et non plus sur les fonds publics. Les dettes dites éligibles pour le renflouement doivent être utilisées jusqu'à un montant représentant au moins 8 % du passif de l'établissement. Au-delà l'autorité nationale de résolution pourra faire appel à un fonds de résolution national que chaque État doit avoir établi.

Le deuxième est le règlement relatif au Mécanisme de résolution unique, dit MRU, qui a créé un régime unique pour les États de la zone euro au sein de l'Union bancaire. Ce règlement a conduit, conformément aux principes de la directive, à la création d'une autorité de résolution unique ainsi que d'un fonds de résolution unique. C'est le deuxième pilier de l'Union bancaire.

Le Fonds de résolution unique est alimenté par les contributions des banques de la zone euro. Il devrait attendre environ 70 milliards d'euros en 2023 auxquels les établissements français auront contribué à plus de 30%. Les montants en jeu sont en hausse et très significatifs : la contribution des banques françaises est de 3,5 milliards d'euros pour 2021.

Le troisième texte qui sera revu est la directive relative aux systèmes de garantie des dépôts qui a harmonisé la protection des déposants et imposé la création d'un fonds de garantie des dépôts dans chaque État membre.

Que permet un système de résolution des défaillances bancaires ?

L'objectif de ce cadre législatif est de résoudre de façon ordonnée les défaillances bancaires sans perturber le système financier ou l'économie réelle et en minimisant le coût pour les contribuables. Ce cadre fait intervenir le superviseur qui peut adopter des mesures d'intervention précoce en cas de difficultés et si les mesures prises par la banque dans le cadre de son plan de redressement s'avèrent insuffisantes.

C'est ensuite l'autorité chargée de la résolution qui prend le relais en évaluant l'intérêt public de la banque, au regard notamment de la stabilité financière et de ses activités critiques. Si le test de l'intérêt public est négatif, la banque devrait être liquidée ; si le test est positif, la banque devrait rentrer en résolution. L'autorité de résolution dispose de différents outils de résolution : la cession d'activités, la création d'établissements relais, la séparation des actifs et enfin le renflouement interne.

La pratique effective du renflouement interne depuis 2014 laisse encore largement à désirer. À titre d'exemple, les Norddeutsche Landesbanken ont été recapitalisées fin 2019 pour un total de 3,5 milliards d'euros. L'examen du règlement relatif au Mécanisme de résolution unique (MRU) revêt une importance stratégique. Approfondir et crédibiliser le cadre de résolution doit permettre en effet de lever les freins à l'établissement d'une véritable Union bancaire sans modifier le cadre réglementaire existant en ce qui concerne la supervision. Cette révision doit aussi permettre de se doter des moyens de s'intéresser à la vulnérabilité de toutes les banques et non pas seulement à celle des banques les plus significatives.

Le troisième pilier de l'Union bancaire n'a pas encore été créé. Il s'agit d'un mécanisme européen de garantie des dépôts qui devrait venir en support des fonds de garantie des dépôts nationaux existants au sein de la zone euro. Les discussions achoppent sur la mise en oeuvre de ce dernier volet depuis la proposition de la Commission en 2015 pour un Système européen de garantie des dépôts (SEGD).

Aux désaccords sur la mutualisation des fonds viennent s'ajouter des inquiétudes sur la finalité d'un système unique. Certains États membres souhaiteraient que ce système unique permette non seulement de garantir les dépôts mais aussi de renflouer les pertes des banques par des interventions préventives.

En tout état de cause, ainsi que le préconise la BCE, avant qu'un tel système ne soit opérationnel, il est nécessaire de s'assurer d'une plus grande harmonisation des fonds de garantie au niveau national et d'une coordination renforcée au niveau européen.

Une vision pragmatique des conditions nécessaires à un accord sur la mise en place d'un système unique de garantie des dépôts appelle aussi à une revue préalable des situations des banques potentiellement bénéficiaires, exactement comme cela avait été fait à la mise en place de la supervision unique.

Le mécanisme de surveillance unique occupe un rôle central dans le fonctionnement de la zone euro. Il repose sur un très important transfert de souveraineté.

Dans le cadre d'une supervision unique européenne, la question du contrôle démocratique se pose d'autant plus que les États sont en situation de devoir assumer une partie des conséquences financières et politiques des décisions de supervision. D'ailleurs, la nécessité pour le superviseur de rendre compte de son action figure parmi les 29 principes identifiés par le Comité de Bâle. En ce sens, le contrôle démocratique de la supervision, dans le respect du principe d'indépendance de la BCE, est un enjeu central et particulièrement sensible.

L'obligation de rendre des comptes est inscrite dans le règlement cadre du MSU. L'article 20 prévoit que la BCE est comptable de la mise en oeuvre des missions de supervision qui lui sont confiées devant le Parlement européen et le Conseil. Pour ce faire, elle rend un rapport annuel sur l'accomplissement de ses missions. À la demande du Parlement européen, le président du conseil de surveillance de la BCE prend part à une audition. La dernière audition de M. Andrea Enria a eu lieu le 23 mars dernier.

Les modalités de contrôle avec les parlements nationaux sont quant à elles précisées à l'article 21. Il est prévu soit des questions écrites, soit un échange de vues « ayant trait à la surveillance des établissements de crédit de cet État membre » avec le président ou un membre du conseil de surveillance de la BCE. Nous avons interrogé le secrétaire général de l'ACPR, Dominique Laboureix, à ce sujet. Il a rappelé que la présidente du Conseil de résolution unique avait déjà été auditionnée par le Sénat et indiqué qu'il était tout à fait envisageable d'organiser une audition de M. Enria. Il s'agirait non pas d'évoquer exclusivement la surveillance des banques françaises mais bien d'échanger sur les missions globales du MSU, leurs perspectives ainsi que les enjeux que nous venons de vous présenter. Je vous propose donc, si vous en êtes d'accord, de prévoir une audition à la rentrée prochaine au Sénat, en y associant nos collègues de la Commission des finances et d'examiner l'avis politique qui vous a été transmis.

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