Merci pour vos mots aimables, monsieur le président. Je mesure la responsabilité que cela représente pour un collaborateur de la France d'être auditionné par la prestigieuse commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Je ne m'étendrai pas sur les élections israéliennes, les quatrièmes en deux ans, avec toujours cette incertitude électorale qui tient peut-être au mode de scrutin intégralement proportionnel. On semble s'acheminer, peut-être dimanche, à la Knesset, vers la désignation d'une nouvelle majorité et d'un nouveau Premier ministre, avec un ensemble extrêmement hétéroclite allant du parti Yamina, conduit par M. Bennett, dont je comprends qu'il pourrait être le Premier ministre de cette nouvelle formation, au parti Raam, parti islamiste israélien, en passant par des partis de gauche, comme le Meretz, ou des partis du centre. L'ambassadeur à Tel-Aviv pourrait en parler mieux que moi. Bien évidemment, cela pèse sur la situation générale.
À l'inverse, il existe certainement une pénurie côté palestinien. Les dernières élections législatives palestiniennes se sont tenues en 2006, un an après la mort d'Arafat. Des élections avaient eu lieu en 2005 pour la désignation du président Abbas, qui avait été élu au suffrage universel. Puis les élections législatives, en 2006, avaient abouti à la victoire du Hamas.
À Jérusalem, avec l'ensemble de la communauté internationale, nous avons suivi ce processus électoral qui n'a pas abouti, les élections ayant été reportées sine die.
Tout d'abord, la moitié de l'électorat palestinien, si les élections avaient eu lieu, aurait voté pour la première fois de sa vie. C'est donc un électorat très jeune. En second lieu, il existait une envie d'élection et de démocratie.
J'en veux pour preuve le nombre d'inscrits sur les listes électorales, 93 %, soit 10 points de plus qu'en 2006 et le foisonnement des listes électorales - 36 listes. On a pu noter, au-delà de ces chiffres, un véritable engouement pour la chose électorale.
J'ajoute que ces élections auraient eu pour mérite, comme toute élection, de légitimer l'Autorité palestinienne, qui procède maintenant par décret et qui, au fil du temps, se trouve de moins en moins légitime au regard de sa propre opinion publique.
Ceci a sans doute pesé sur la suite des événements. La frustration a été sourde mais forte dans la jeune opinion palestinienne, qui n'a pas voté depuis quinze ans.
Je reviens sur la question de la relance du processus électoral palestinien : la France y est bien sûr favorable, tout comme l'Union européenne également. Disons les choses comme elles se présentent : après les événements de ces dernières semaines, certains avaient quelques craintes que le Hamas ne gagne les élections. Ce serait mentir que de ne pas dire qu'il est en ce moment au faîte de sa popularité. C'est un élément à prendre en considération.
À la différence de 2005 et de 2006, l'Autorité palestinienne n'a pas pu obtenir l'assurance des Israéliens que le scrutin se tiendrait également à Jérusalem-Est. Une précision, sans entrer dans le détail : il y a à peu près 150 000 électeurs inscrits à Jérusalem-Est, sur une population totale palestinienne supérieure à 350 000 personnes.
En 2006, environ 5 000 personnes avaient voté, peut-être même un peu moins. Le scrutin s'était tenu dans des bureaux de poste. Les Palestiniens voulaient qu'on puisse avoir, même symboliquement, une expression du vote à l'urne, et pas seulement par voie électronique, à Jérusalem-Est. C'est l'argument qui a été invoqué et qui a fait que les élections n'ont pas eu lieu. Certains commentateurs considèrent qu'il y avait peut-être une autre raison, par exemple l'incertitude pour le parti dominant, le Fatah, de gagner les élections, non pas tellement parce qu'il était minoritaire, mais parce qu'il était divisé en plusieurs listes : la liste officielle, une liste dissidente de personnes venant du Fatah avec le soutien de Marouane Barghouti, détenu à vie en Israël, et une liste d'une autre obédience soutenue par Mohammed Dahlan, opposant résolu du président Abbas, qui se trouve aux Émirats et qui dispose de moyens assez conséquents.
C'est dans ce contexte que les violences sont apparues à Jérusalem, en Cisjordanie, puis à Gaza et en Israël. Je ne veux pas revenir sur tous les événements. Je vais essayer de m'en tenir aux têtes de chapitres.
Il y a d'abord eu, vous l'avez évoqué, monsieur le Président, cette affaire hautement symbolique, très sensible, de menaces d'éviction de résidents palestiniens de Jérusalem-Est, qui ne sont pas des habitants des territoires palestiniens, mais du quartier de Sheikh Jarrah. En réalité, il ne s'agit que de quelques maisons, mais c'est une affaire extrêmement symbolique et très fortement politique, qui s'inscrit dans le cadre de la politique d'implantation croissante d'Israéliens à Jérusalem-Est.
Vous l'avez rappelé, il s'agit d'une affaire qui remonte à avant 1948. Visiblement - car tout repose sur des questions de titres de propriété -, il existait des résidents juifs avant la création de l'État d'Israël dans cette partie de Jérusalem. En 1948, des Palestiniens de ce qui allait devenir l'État d'Israël ont été expulsés et se sont installés dans ce quartier jusqu'en 1967. À cette époque, ils avaient même bénéficié d'un accord conclu entre l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) et la Jordanie, celle-ci, en 1954, leur ayant permis de s'installer dans ces maisons.
En 1967, lors de la guerre des Six-Jours et la conquête de Jérusalem par Israël, la question s'est trouvée posée différemment et, en 1970, Israël a voté une loi sur les affaires juridiques et administratives qui permet aux citoyens israéliens juifs de revendiquer des biens perdus en 1948 à Jérusalem-Est. Je précise que la réciproque n'est pas vraie : les Palestiniens qui avaient perdu leur propriété à l'ouest de Jérusalem, ou ailleurs en Israël, ne pouvaient en réclamer la propriété.
C'est sur cet historique qu'est intervenue la mesure d'éviction, sachant que les tribunaux israéliens ont eu à plusieurs reprises à se prononcer sur cette question, soit dans un sens, soit dans l'autre. Il est évident que cette affaire dépasse de très loin le cadre d'une affaire domaniale privée et qu'elle a un fort retentissement politique, puisque même le président Biden et le secrétaire d'État aux affaires étrangères américain l'ont évoqué.
Bien évidemment, la France a fait référence, aux Nations unies, au cas spécifique de Sheikh Jarrah. Pour l'instant, nous sommes dans l'attente de procédures juridiques, et nous constatons de la part de la communauté internationale, notamment des États-Unis, un appel très net aux autorités israéliennes pour ne pas prendre de mesures unilatérales.
À la suite de cette affaire, moins d'un kilomètre plus bas, porte de Damas, à l'entrée de la vieille ville, dans la partie est de Jérusalem, un certain nombre d'incidents se sont produits en pleine période de ramadan.
Là également, comme souvent ici, les choses partent d'événements qui ont une apparence anecdotique et qui prennent ensuite un retentissement considérable. De quoi s'agit-il ? La porte de Damas est une des portes de la vieille ville de Jérusalem où se trouvent des passages en forme d'amphithéâtre sur lesquels la police israélienne avait installé des barrières pour éviter les attroupements. C'est à propos de ces barrières que des tensions, des affrontements puis des violences ont éclaté entre de très jeunes Palestiniens de Jérusalem et la police israélienne. L'affaire a pris une telle ampleur que la police a décidé de retirer des barrières, ce qui a apaisé les choses, mais plusieurs nuits de très grande tension se sont soldées par des blessés, des attaques de part et d'autre, et une effervescence considérable dans la ville.
Le troisième élément de ce déroulé de la violence - la planète entière l'a suivi -, ce sont les tensions sur l'esplanade des Mosquées. Des milliers de fidèles musulmans se sont regroupés pendant la période du ramadan. La police israélienne est montée sur l'esplanade. Des échauffourées ont eu lieu, des violences, y compris à l'intérieur de la mosquée Al-Aqsa.
Je ne reviens pas sur tout ce que l'on connaît. Il faut bien mesurer - mais vous le savez, j'imagine - que les chaînes satellitaires comme Al-Jazira, qui touchent des centaines de millions de personnes, ont retransmis en direct pendant des nuits entières les événements de Jérusalem. On y voyait la porte de Damas, l'esplanade des Mosquées, Sheikh Jarrah. Ces images sont présentes dans l'esprit de millions et de millions de personnes qui les ont regardées en direct tous les soirs pendant une dizaine de jours.
Quatrième temps : Gaza. Le Hamas avait prévenu Israël qu'il interviendrait si les tensions se poursuivaient sur l'esplanade des Mosquées. Ces menaces ont été mises à exécution : le 10 mai, le Hamas a tiré une dizaine de roquettes en direction de Jérusalem. Elles ont été interceptées, mais l'une d'elles est tombée en banlieue de Jérusalem, sur la route de Tel Aviv, constituant le déclic à partir duquel l'enchaînement s'est ensuivi.
On a alors assisté à un déferlement de plus de 4 200 ou 4 400 roquettes tirées depuis la bande de Gaza sur le coeur économique, humain et démographique d'Israël. Israël et l'aéroport Ben Gourion se sont trouvés, paralysés et placés sous une menace constante pendant plusieurs jours.
Tel-Aviv elle-même a vécu à ce rythme pendant plusieurs jours, provoquant naturellement - et c'est bien compréhensible - un effet de sidération ayant aussitôt entraîné la réplique que l'on sait, les roquettes du Hamas allant beaucoup plus loin que par le passé. Il semble, de sources convergentes, qu'elles soient plus puissantes et aient une portée bien plus importante qu'auparavant. On n'en connaît pas le nombre exact, mais on l'estime entre 15 à 20 000 roquettes, et on considère que le potentiel militaire du Hamas et du Jihad islamique, qui tirent depuis la bande de Gaza, et exclusivement depuis cette zone, est considérable. Il doit leur rester environ 10 à 15 000 roquettes. C'est dire si le potentiel est loin d'être décimé : tout juste a-t-il été entamé.
Dans un cinquième temps, les villes mixtes, c'est-à-dire celles qui, en Israël, comptent des citoyens israéliens juifs et des citoyens israéliens arabes, ont constitué un point tout à fait essentiel, car les tensions qui ont eu lieu à Gaza, à Jérusalem et, par extension, en Cisjordanie ont eu une répercussion immédiate auprès de la minorité arabe israélienne, qui représente 20 % de la population. Des villes comme Jaffa, Bat Yam, Lod, à côté de l'aéroport, Saint-Jean-d'Acre, Haïfa, Ramla et d'autres ont été le lieu d'affrontements. Le ministre israélien de la défense, M. Gantz, pendant l'opération militaire israélienne à Gaza, a indiqué que ce qui se passait en Israël même, entre les communautés, était plus important que l'opération militaire à Gaza. Ceci en dit long, et la personne qui l'a dit sait manifestement de quoi il parle. C'est un facteur dont on doit avoir pleinement conscience pour l'avenir.
Un mot lapidaire au regard de la souffrance humaine de part et d'autre : vous savez qu'environ 260 personnes ont été tuées à Gaza, dont 66 enfants. Nous comprenons qu'Israël s'est efforcé de cibler ses frappes pour préserver autant que possible la population civile mais, dans une opération de cette nature, celle-ci ne peut être épargnée. Il y a donc eu de nombreuses victimes pendant l'opération, qui a duré une dizaine de jours. Côté israélien, on a déploré douze morts.
Il est important d'insister sur l'effet de sidération qu'on a vécu ici physiquement, en voyant combien des villes comme Tel-Aviv, Ashdod, Ashkelon, qui constituent le coeur économique d'Israël, ont été paralysées pendant plusieurs jours ce qui, bien évidemment, a permis de mesurer la fragilité de la situation - et peut-être même la vulnérabilité de ces villes.
On peut considérer de manière paradoxale, pour risquer une formule, que la Jérusalem palestinienne, d'une certaine manière, n'a pas voté mais qu'elle s'est exprimée, ce qui démontre un ressort humain et politique très puissant parmi les Palestiniens de Jérusalem.
Je note que les gens qui sont descendus dans les rues et qui ont manifesté, côté palestinien, sont des gens très jeunes. On a vu des adolescents de 14-15 ans sortir massivement, sans mot d'ordre, sans être, je crois, instrumentalisés, spontanément, ce qui en dit long sur la frustration de cette jeunesse et de cette population palestinienne. Je rappelle tout de même que les résidents palestiniens de Jérusalem représentent 40 % des habitants de la ville.
La bande de Gaza n'a pas non plus voté, mais elle s'est également exprimée de la manière la plus puissante et la plus violente possible. Il s'agit là d'une expression politique qui, à défaut d'expression démocratique dans les urnes, a abouti à ce déferlement de violence.
Quelles en sont les conséquences ? La première, côté palestinien, c'est que le Hamas a repris le flambeau. L'Autorité palestinienne a été marginalisée par tout ce qui s'est produit. Elle a, au fond, suivi les événements, les a subis plus qu'elle ne les a menés, conduits ou maîtrisés.
Par ailleurs, on a assisté - et c'est tout à fait symptomatique - à un retour de l'unité palestinienne, de l'unité démographique, si je puis dire, à Jérusalem, en Cisjordanie - où il y a eu des mouvements, des tensions et une vingtaine de morts, essentiellement à des points de contrôle de l'armée israélienne -, dans la bande de Gaza et en Israël même. Les Palestiniens, quel que soit leur statut - arabes israéliens, habitants de Gaza, de la Cisjordanie, résidents palestiniens de Jérusalem-Est - ont réagi à l'unisson, ce qui a fait dire au ministre de la défense israélienne qu'il y avait là un sujet de préoccupation durable.
Sur les plans interne et diplomatique, on a assisté au retour de la question palestinienne. Il y a, je crois, une sorte de réplique sismique inverse aux quatre années que nous venons de vivre, qui sont celles de l'administration Trump, qui avait pris un certain nombre d'initiatives en direction d'Israël, de la Palestine et de la région. Il y a là en quelque sorte un retour de l'Histoire.
En tout cas, ce qu'on peut dire sans rien préjuger de l'avenir, c'est que la question palestinienne se pose et que la question du conflit israélo-palestinien reste ouverte, qu'on le veuille ou non - et peut-être sous une forme différente, comme vous l'évoquiez, monsieur le Président. J'ai tendance à penser, comme beaucoup d'autres, que dans ce domaine, les idées trop simples ne sont peut-être pas forcément les meilleures.
La France a joué un rôle majeur. Le Président de la République, vous le savez, a pris des initiatives pour oeuvrer à l'établissement d'un cessez-le-feu, en coordination avec nos partenaires jordaniens et avec le président égyptien Sissi, puis en concertation avec les États-Unis et la communauté internationale. La France a passé des messages. Le Président de la République a appelé le Premier ministre israélien et le président Abbas, invitant au retour au calme et travaillant diplomatiquement en ce sens.
Les États-Unis, pris sans doute par l'événement et par l'enchaînement de la violence, se sont d'une certaine manière réengagés - c'est en tout cas l'impression que cela donne - peut-être plus vite et davantage qu'ils ne le souhaitaient initialement.
Le président Biden a appelé le président palestinien pendant trois quarts d'heure. Il a bien évidemment appelé à plusieurs reprises le Premier ministre israélien. Le secrétaire d'État aux affaires étrangères américain, M. Blinken, s'est rendu sur place et, au fond, ce que l'on retient de ce qui nous a été dit par nos interlocuteurs palestiniens, c'est que les Américains veulent maintenant aller de l'avant en soutenant l'Autorité palestinienne - qui reste l'acteur reconnu par la communauté internationale et, quoi qu'on puisse en dire, un facteur de stabilité -, et en se réengageant financièrement vis-à-vis des Palestiniens et des agences des Nations unies qui les soutiennent, comme l'UNRWA, auprès desquelles ils ont repris leurs versements après cinq ans d'interruption.
Cette situation qui, comme toujours ici, part de facteurs locaux, parfois même de facteurs d'apparence anecdotique et qui produisent ensuite une déflagration politique, diplomatique et de sécurité majeure, peut-elle avoir des incidences sur les évolutions qu'on a notées ces dernières années ? Je pense aux accords de normalisation entre Israël et un certain nombre de pays arabes. Il est peut-être un peu trop tôt pour l'affirmer. On peut sans doute penser que les fondamentaux de ces accords de normalisation ne sont pas remis en question. Ce qui est certain, c'est qu'on a assisté, à des degrés divers, du Maroc aux Émirats arabes unis, du Bahreïn à l'Arabie saoudite - qui n'a pas normalisé ses relations avec Israël -, en passant par le Koweït et l'opinion arabe, à un raidissement très net qui s'est traduit lors de l'organisation de la Conférence islamique et de la réunion de la Ligue arabe, par un retour de la solidarité - peut-être verbale mais, en tout cas, assez net vis-à-vis des Palestiniens. C'est un facteur qui change la donne et qui, je le pense - nous verrons à l'avenir ce qu'il en est, car je ne préjuge de rien - aura pour effet de modérer ou de ralentir les mouvements de rapprochement entre Israël et ces différents pays.
Je ne dis pas que ces accords sont remis en cause : je dis juste qu'on constate un certain refroidissement. La question qui est posée est de savoir s'il s'agit de quelque chose de temporaire ou, au contraire, d'un mouvement plus durable, étant entendu qu'une grande partie de l'opinion arabe, et ceci dans tous les pays, y compris ceux qui ont normalisé leurs relations, reste fondamentalement sceptique pour ne pas dire hostile à ces perspectives. Il s'agit de quelque chose dont les gouvernements de ces pays devront tenir compte.
Quelles sont les perspectives ? La première est la plus immédiate : c'est celle du cessez-le-feu. Le représentant des Nations unies pour le processus de paix M. Tor Wennesland, norvégien, que j'ai rencontré à plusieurs reprises et qui a été reçu à Paris il y a quelques mois, nous confirme que le cessez-le-feu est fragile.
Tout le monde en a bien conscience. Personne ne veut que la violence reparte, que des missiles soient lancés à nouveau depuis Gaza ni que les populations de Gaza et de la bande de Gaza soient de nouveau soumises à des bombardements.
C'est la raison pour laquelle, ici même, à Jérusalem, les autorités israéliennes font preuve de beaucoup de prudence dans tout ce qui se passe. Je pense par exemple à la marche de Jérusalem, qui a réuni des citoyens israéliens et dont le parcours a été dévié. Une marche des drapeaux, d'inspiration similaire, doit se tenir la semaine prochaine. La question de son parcours est posée. Pour illustrer les choses, si elle traverse la vieille ville et les quartiers musulmans, on craint des tensions. Encore une fois, ce sont des facteurs locaux qui peuvent potentiellement déclencher de grandes tensions et une forte violence.
Nous sommes maintenant confrontés à la question de la reconstruction de la bande de Gaza, qui compte aujourd'hui 2,2 millions d'habitants. Les perspectives à 25 ans sont de plus de 5 millions d'habitants. On a donc là un sujet majeur. Dans l'immédiat, il existe deux options pour celle-ci.
La première serait une reconstruction qui se limiterait, si je puis dire, au volet humanitaire. Les Nations unies ont lancé un appel interagences pour mobiliser 95 millions de dollars afin de répondre aux besoins immédiats de la population, qui manque d'électricité et d'eau, et qui vit dans une situation qui, objectivement, ne peut être considérée comme satisfaisante - c'est le moins qu'on puisse dire.
L'Égypte a joué un rôle majeur pour amener le Hamas et le Jihad islamique à oeuvrer en direction du cessez-le-feu. Elle a servi d'intermédiaire, ce qui prouve au passage son rôle tout à fait conséquent. L'Égypte reste un acteur de tout premier plan de la bande de Gaza et a manifesté l'intention de participer à sa reconstruction.
Se pose aussi la question des moyens financiers apportés par le Qatar. Jusqu'à présent, des sommes considérables permettaient d'assurer dans la bande de Gaza un minimum de sécurité sur le plan social, avec des transferts financiers en liquide, de l'ordre de 20 à 30 millions d'euros tous les mois depuis des années, en accord avec les autorités israéliennes, comme on peut l'imaginer.
Ce dont les Israéliens ne veulent plus, c'est que l'argent du Qatar puisse être détourné et serve à armer le Hamas. La question humanitaire est donc la première question immédiate qui se pose pour la reconstruction de la bande de Gaza.
Des objections de deux natures sont formulées par différents acteurs de terrain, qu'ils soient palestiniens ou membres de la communauté internationale. La première est de se demander si l'on va reconstruire Gaza pour le redémolir dans cinq ans. Cela n'a pas de sens, financièrement, humainement, politiquement.
La deuxième perspective, c'est de considérer que le problème de Gaza n'est pas seulement humanitaire, mais d'abord politique et lié au blocus qui sévit depuis quatorze ans ainsi qu'à la perspective de développer ce territoire de telle sorte qu'on puisse, dans l'intérêt même de toutes les parties, à commencer par Israël, parvenir à une plus grande stabilité. Le fait que le chômage des jeunes soit de 60 à 70 %, que la moitié de la population soit sans emploi, qu'une grande partie vit sous le seuil de pauvreté et que la démographie soit galopante ne peut, à l'évidence, constituer un élément de stabilité dans la durée. Il y a donc là un vrai sujet, un sujet politique, qui s'adresse à la communauté internationale dans son ensemble.
Soit on recourt à l'aide humanitaire à très court terme - et la France y est prête, elle l'a dit, et les États-Unis également -, soit on envisage les choses de manière plus structurelle en quelque sorte, pour voir comment il est possible de trouver des solutions pour un règlement politique de la situation à Gaza.
À la fin de cette semaine, et toujours dans la perspective de reconstruction de Gaza et d'apaisement des tensions, l'Égypte accueille au Caire les principales factions palestiniennes, le Fatah et le Hamas, pour essayer de trouver les moyens de les accorder sur les modalités d'une reconstruction.
Nos interlocuteurs israéliens nous ont indiqué qu'ils sont prêts à aider à cette démarche, mais entendent assurer un contrôle plus strict des moyens financiers qui seront acheminés vers la bande de Gaza. La question de l'accès à la bande de Gaza, non seulement des personnes, mais également des biens, des marchandises et de tout le matériel et de l'équipement nécessaire pour le développement est un sujet vital.
L'autre perspective pour les Palestiniens, c'est la question de savoir si, compte tenu du fait qu'il n'y a pas eu d'élection, ils se lancent dans la création d'un gouvernement d'unité nationale. La question est ouverte. Un gouvernement technocrate permettrait d'englober toutes les factions sans véritablement qu'elles soient représentées dans ce gouvernement.
Je retiens deux idées. On a vu dans cette affaire la centralité de Jérusalem, d'où sont partis les événements de Sheikh Jarrah, de la porte de Damas et de l'esplanade des Mosquées. Le deuxième point que je retiens, c'est le retour de la question palestinienne, qu'on avait peut-être un peu vite enterrée au cours des années précédentes.