Mes chers collègues, nous sommes très heureux d'accueillir René Troccaz, consul général de France à Jérusalem.
Cette réunion se tient quasiment un mois jour pour jour après la journée du 10 mai dernier, marquée par de très durs affrontements sur l'esplanade des mosquées et, dans la soirée, par le déclenchement, par le Hamas, des premières salves de roquettes.
Merci, monsieur le consul Général, de vous être rendu disponible pour cette audition. Je sais que cette période est difficile pour vous. Vous êtes évidemment un observateur et un acteur très attentif dans cette crise. Vous avez vécu au coeur de cet embrasement aussi soudain que meurtrier, qui a entraîné de nombreux morts de chaque côté.
Nous allons vous écouter avec la plus grande attention, d'une part à propos du déroulement de la crise, des responsabilités et de ses significations profondes et, d'autre part, au sujet de l'avenir du cessez-le-feu du 21 mai qui nous paraît, une fois de plus, particulièrement fragile.
Avant tout, je veux saluer votre action. Nous nous connaissons bien : vous m'avez accueilli à Chypre, où vous avez fait un travail extraordinaire pour le compte de notre pays. Vous êtes maintenant un habitué des postes sensibles, signe de vos hautes compétences et de l'attachement que vous porte le Quai d'Orsay.
Je veux au passage saluer à la fois votre action et celle de votre équipe dans une circonscription diplomatique particulièrement difficile. Vous veillez bien sûr à la sécurité de nos concitoyens, mais je rappelle que vous êtes aussi administrateur des domaines nationaux en Terre sainte. Vous nous en direz peut-être un mot. Vous assurez la protection des communautés religieuses et entretenez notre relation diplomatique avec l'Autorité palestinienne, ce qui n'est pas une mince affaire. En effet, votre circonscription s'étend de la Cisjordanie au territoire de Gaza.
Nous aimerions que vous nous présentiez une analyse des événements et des prémices d'une spirale de violence qui ont certainement des causes multiples. On a pu imputer la montée des tensions à Jérusalem à l'accélération du processus de colonisation, notamment dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, là même où des procédures d'expulsion visent des résidents palestiniens qui ont bénéficié de logements entre 1948 et 1967, sous l'administration jordanienne.
Ces procédures semblent avoir été renvoyées à une date ultérieure. Vous nous direz ce qu'il en est. Il y a bien évidemment d'autres causes, liées notamment à l'impasse politique du processus de paix entre Israéliens et Palestiniens. Partagez-vous le constat selon lequel il n'y a plus de perspective ni de volonté pour avancer vers la solution à deux États, toujours soutenue par la France, et ce à l'intérieur de frontières sûres et reconnues, sur la base des lignes du 4 juin 1967 ? Existe-t-il une solution alternative ? Faut-il imaginer un seul État et, dans ce cas, selon quelles modalités ?
La formule employée par notre ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur « le risque d'apartheid » n'est pas inédite, mais elle a fait réagir les autorités israéliennes. Elle repose sur la crainte d'une pérennisation des inégalités entre des droits côté israélien et moins de droits côté palestinien.
S'agissant du processus électoral, la situation semble se débloquer côté israélien, avec peut-être, dans les prochains jours, un événement majeur, puisqu'on pourrait connaître un débouché à la crise politique avec l'investiture par la Knesset d'une coalition réunissant Yaïr Lapid, Naftali Bennett et Mansour Abbas, le chef du parti conservateur islamiste. Là aussi, vous nous direz où nous en sommes aujourd'hui, car les événements se succèdent quasiment au jour le jour.
En revanche, côté palestinien, une fois de plus, les législatives ont été reportées par l'Autorité palestinienne pour toutes sortes de bonnes et peut-être de mauvaises raisons. Vous nous direz ce que vous pensez d'une relance du processus électoral palestinien, et si c'est enfin possible.
Je voudrais excuser l'absence de notre collègue Gilbert Roger, qui suit ces questions avec la plus grande attention.
Je précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui va être retransmise en direct sur le site internet du Sénat, et qui sera consultable à la demande.
Merci pour vos mots aimables, monsieur le président. Je mesure la responsabilité que cela représente pour un collaborateur de la France d'être auditionné par la prestigieuse commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Je ne m'étendrai pas sur les élections israéliennes, les quatrièmes en deux ans, avec toujours cette incertitude électorale qui tient peut-être au mode de scrutin intégralement proportionnel. On semble s'acheminer, peut-être dimanche, à la Knesset, vers la désignation d'une nouvelle majorité et d'un nouveau Premier ministre, avec un ensemble extrêmement hétéroclite allant du parti Yamina, conduit par M. Bennett, dont je comprends qu'il pourrait être le Premier ministre de cette nouvelle formation, au parti Raam, parti islamiste israélien, en passant par des partis de gauche, comme le Meretz, ou des partis du centre. L'ambassadeur à Tel-Aviv pourrait en parler mieux que moi. Bien évidemment, cela pèse sur la situation générale.
À l'inverse, il existe certainement une pénurie côté palestinien. Les dernières élections législatives palestiniennes se sont tenues en 2006, un an après la mort d'Arafat. Des élections avaient eu lieu en 2005 pour la désignation du président Abbas, qui avait été élu au suffrage universel. Puis les élections législatives, en 2006, avaient abouti à la victoire du Hamas.
À Jérusalem, avec l'ensemble de la communauté internationale, nous avons suivi ce processus électoral qui n'a pas abouti, les élections ayant été reportées sine die.
Tout d'abord, la moitié de l'électorat palestinien, si les élections avaient eu lieu, aurait voté pour la première fois de sa vie. C'est donc un électorat très jeune. En second lieu, il existait une envie d'élection et de démocratie.
J'en veux pour preuve le nombre d'inscrits sur les listes électorales, 93 %, soit 10 points de plus qu'en 2006 et le foisonnement des listes électorales - 36 listes. On a pu noter, au-delà de ces chiffres, un véritable engouement pour la chose électorale.
J'ajoute que ces élections auraient eu pour mérite, comme toute élection, de légitimer l'Autorité palestinienne, qui procède maintenant par décret et qui, au fil du temps, se trouve de moins en moins légitime au regard de sa propre opinion publique.
Ceci a sans doute pesé sur la suite des événements. La frustration a été sourde mais forte dans la jeune opinion palestinienne, qui n'a pas voté depuis quinze ans.
Je reviens sur la question de la relance du processus électoral palestinien : la France y est bien sûr favorable, tout comme l'Union européenne également. Disons les choses comme elles se présentent : après les événements de ces dernières semaines, certains avaient quelques craintes que le Hamas ne gagne les élections. Ce serait mentir que de ne pas dire qu'il est en ce moment au faîte de sa popularité. C'est un élément à prendre en considération.
À la différence de 2005 et de 2006, l'Autorité palestinienne n'a pas pu obtenir l'assurance des Israéliens que le scrutin se tiendrait également à Jérusalem-Est. Une précision, sans entrer dans le détail : il y a à peu près 150 000 électeurs inscrits à Jérusalem-Est, sur une population totale palestinienne supérieure à 350 000 personnes.
En 2006, environ 5 000 personnes avaient voté, peut-être même un peu moins. Le scrutin s'était tenu dans des bureaux de poste. Les Palestiniens voulaient qu'on puisse avoir, même symboliquement, une expression du vote à l'urne, et pas seulement par voie électronique, à Jérusalem-Est. C'est l'argument qui a été invoqué et qui a fait que les élections n'ont pas eu lieu. Certains commentateurs considèrent qu'il y avait peut-être une autre raison, par exemple l'incertitude pour le parti dominant, le Fatah, de gagner les élections, non pas tellement parce qu'il était minoritaire, mais parce qu'il était divisé en plusieurs listes : la liste officielle, une liste dissidente de personnes venant du Fatah avec le soutien de Marouane Barghouti, détenu à vie en Israël, et une liste d'une autre obédience soutenue par Mohammed Dahlan, opposant résolu du président Abbas, qui se trouve aux Émirats et qui dispose de moyens assez conséquents.
C'est dans ce contexte que les violences sont apparues à Jérusalem, en Cisjordanie, puis à Gaza et en Israël. Je ne veux pas revenir sur tous les événements. Je vais essayer de m'en tenir aux têtes de chapitres.
Il y a d'abord eu, vous l'avez évoqué, monsieur le Président, cette affaire hautement symbolique, très sensible, de menaces d'éviction de résidents palestiniens de Jérusalem-Est, qui ne sont pas des habitants des territoires palestiniens, mais du quartier de Sheikh Jarrah. En réalité, il ne s'agit que de quelques maisons, mais c'est une affaire extrêmement symbolique et très fortement politique, qui s'inscrit dans le cadre de la politique d'implantation croissante d'Israéliens à Jérusalem-Est.
Vous l'avez rappelé, il s'agit d'une affaire qui remonte à avant 1948. Visiblement - car tout repose sur des questions de titres de propriété -, il existait des résidents juifs avant la création de l'État d'Israël dans cette partie de Jérusalem. En 1948, des Palestiniens de ce qui allait devenir l'État d'Israël ont été expulsés et se sont installés dans ce quartier jusqu'en 1967. À cette époque, ils avaient même bénéficié d'un accord conclu entre l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) et la Jordanie, celle-ci, en 1954, leur ayant permis de s'installer dans ces maisons.
En 1967, lors de la guerre des Six-Jours et la conquête de Jérusalem par Israël, la question s'est trouvée posée différemment et, en 1970, Israël a voté une loi sur les affaires juridiques et administratives qui permet aux citoyens israéliens juifs de revendiquer des biens perdus en 1948 à Jérusalem-Est. Je précise que la réciproque n'est pas vraie : les Palestiniens qui avaient perdu leur propriété à l'ouest de Jérusalem, ou ailleurs en Israël, ne pouvaient en réclamer la propriété.
C'est sur cet historique qu'est intervenue la mesure d'éviction, sachant que les tribunaux israéliens ont eu à plusieurs reprises à se prononcer sur cette question, soit dans un sens, soit dans l'autre. Il est évident que cette affaire dépasse de très loin le cadre d'une affaire domaniale privée et qu'elle a un fort retentissement politique, puisque même le président Biden et le secrétaire d'État aux affaires étrangères américain l'ont évoqué.
Bien évidemment, la France a fait référence, aux Nations unies, au cas spécifique de Sheikh Jarrah. Pour l'instant, nous sommes dans l'attente de procédures juridiques, et nous constatons de la part de la communauté internationale, notamment des États-Unis, un appel très net aux autorités israéliennes pour ne pas prendre de mesures unilatérales.
À la suite de cette affaire, moins d'un kilomètre plus bas, porte de Damas, à l'entrée de la vieille ville, dans la partie est de Jérusalem, un certain nombre d'incidents se sont produits en pleine période de ramadan.
Là également, comme souvent ici, les choses partent d'événements qui ont une apparence anecdotique et qui prennent ensuite un retentissement considérable. De quoi s'agit-il ? La porte de Damas est une des portes de la vieille ville de Jérusalem où se trouvent des passages en forme d'amphithéâtre sur lesquels la police israélienne avait installé des barrières pour éviter les attroupements. C'est à propos de ces barrières que des tensions, des affrontements puis des violences ont éclaté entre de très jeunes Palestiniens de Jérusalem et la police israélienne. L'affaire a pris une telle ampleur que la police a décidé de retirer des barrières, ce qui a apaisé les choses, mais plusieurs nuits de très grande tension se sont soldées par des blessés, des attaques de part et d'autre, et une effervescence considérable dans la ville.
Le troisième élément de ce déroulé de la violence - la planète entière l'a suivi -, ce sont les tensions sur l'esplanade des Mosquées. Des milliers de fidèles musulmans se sont regroupés pendant la période du ramadan. La police israélienne est montée sur l'esplanade. Des échauffourées ont eu lieu, des violences, y compris à l'intérieur de la mosquée Al-Aqsa.
Je ne reviens pas sur tout ce que l'on connaît. Il faut bien mesurer - mais vous le savez, j'imagine - que les chaînes satellitaires comme Al-Jazira, qui touchent des centaines de millions de personnes, ont retransmis en direct pendant des nuits entières les événements de Jérusalem. On y voyait la porte de Damas, l'esplanade des Mosquées, Sheikh Jarrah. Ces images sont présentes dans l'esprit de millions et de millions de personnes qui les ont regardées en direct tous les soirs pendant une dizaine de jours.
Quatrième temps : Gaza. Le Hamas avait prévenu Israël qu'il interviendrait si les tensions se poursuivaient sur l'esplanade des Mosquées. Ces menaces ont été mises à exécution : le 10 mai, le Hamas a tiré une dizaine de roquettes en direction de Jérusalem. Elles ont été interceptées, mais l'une d'elles est tombée en banlieue de Jérusalem, sur la route de Tel Aviv, constituant le déclic à partir duquel l'enchaînement s'est ensuivi.
On a alors assisté à un déferlement de plus de 4 200 ou 4 400 roquettes tirées depuis la bande de Gaza sur le coeur économique, humain et démographique d'Israël. Israël et l'aéroport Ben Gourion se sont trouvés, paralysés et placés sous une menace constante pendant plusieurs jours.
Tel-Aviv elle-même a vécu à ce rythme pendant plusieurs jours, provoquant naturellement - et c'est bien compréhensible - un effet de sidération ayant aussitôt entraîné la réplique que l'on sait, les roquettes du Hamas allant beaucoup plus loin que par le passé. Il semble, de sources convergentes, qu'elles soient plus puissantes et aient une portée bien plus importante qu'auparavant. On n'en connaît pas le nombre exact, mais on l'estime entre 15 à 20 000 roquettes, et on considère que le potentiel militaire du Hamas et du Jihad islamique, qui tirent depuis la bande de Gaza, et exclusivement depuis cette zone, est considérable. Il doit leur rester environ 10 à 15 000 roquettes. C'est dire si le potentiel est loin d'être décimé : tout juste a-t-il été entamé.
Dans un cinquième temps, les villes mixtes, c'est-à-dire celles qui, en Israël, comptent des citoyens israéliens juifs et des citoyens israéliens arabes, ont constitué un point tout à fait essentiel, car les tensions qui ont eu lieu à Gaza, à Jérusalem et, par extension, en Cisjordanie ont eu une répercussion immédiate auprès de la minorité arabe israélienne, qui représente 20 % de la population. Des villes comme Jaffa, Bat Yam, Lod, à côté de l'aéroport, Saint-Jean-d'Acre, Haïfa, Ramla et d'autres ont été le lieu d'affrontements. Le ministre israélien de la défense, M. Gantz, pendant l'opération militaire israélienne à Gaza, a indiqué que ce qui se passait en Israël même, entre les communautés, était plus important que l'opération militaire à Gaza. Ceci en dit long, et la personne qui l'a dit sait manifestement de quoi il parle. C'est un facteur dont on doit avoir pleinement conscience pour l'avenir.
Un mot lapidaire au regard de la souffrance humaine de part et d'autre : vous savez qu'environ 260 personnes ont été tuées à Gaza, dont 66 enfants. Nous comprenons qu'Israël s'est efforcé de cibler ses frappes pour préserver autant que possible la population civile mais, dans une opération de cette nature, celle-ci ne peut être épargnée. Il y a donc eu de nombreuses victimes pendant l'opération, qui a duré une dizaine de jours. Côté israélien, on a déploré douze morts.
Il est important d'insister sur l'effet de sidération qu'on a vécu ici physiquement, en voyant combien des villes comme Tel-Aviv, Ashdod, Ashkelon, qui constituent le coeur économique d'Israël, ont été paralysées pendant plusieurs jours ce qui, bien évidemment, a permis de mesurer la fragilité de la situation - et peut-être même la vulnérabilité de ces villes.
On peut considérer de manière paradoxale, pour risquer une formule, que la Jérusalem palestinienne, d'une certaine manière, n'a pas voté mais qu'elle s'est exprimée, ce qui démontre un ressort humain et politique très puissant parmi les Palestiniens de Jérusalem.
Je note que les gens qui sont descendus dans les rues et qui ont manifesté, côté palestinien, sont des gens très jeunes. On a vu des adolescents de 14-15 ans sortir massivement, sans mot d'ordre, sans être, je crois, instrumentalisés, spontanément, ce qui en dit long sur la frustration de cette jeunesse et de cette population palestinienne. Je rappelle tout de même que les résidents palestiniens de Jérusalem représentent 40 % des habitants de la ville.
La bande de Gaza n'a pas non plus voté, mais elle s'est également exprimée de la manière la plus puissante et la plus violente possible. Il s'agit là d'une expression politique qui, à défaut d'expression démocratique dans les urnes, a abouti à ce déferlement de violence.
Quelles en sont les conséquences ? La première, côté palestinien, c'est que le Hamas a repris le flambeau. L'Autorité palestinienne a été marginalisée par tout ce qui s'est produit. Elle a, au fond, suivi les événements, les a subis plus qu'elle ne les a menés, conduits ou maîtrisés.
Par ailleurs, on a assisté - et c'est tout à fait symptomatique - à un retour de l'unité palestinienne, de l'unité démographique, si je puis dire, à Jérusalem, en Cisjordanie - où il y a eu des mouvements, des tensions et une vingtaine de morts, essentiellement à des points de contrôle de l'armée israélienne -, dans la bande de Gaza et en Israël même. Les Palestiniens, quel que soit leur statut - arabes israéliens, habitants de Gaza, de la Cisjordanie, résidents palestiniens de Jérusalem-Est - ont réagi à l'unisson, ce qui a fait dire au ministre de la défense israélienne qu'il y avait là un sujet de préoccupation durable.
Sur les plans interne et diplomatique, on a assisté au retour de la question palestinienne. Il y a, je crois, une sorte de réplique sismique inverse aux quatre années que nous venons de vivre, qui sont celles de l'administration Trump, qui avait pris un certain nombre d'initiatives en direction d'Israël, de la Palestine et de la région. Il y a là en quelque sorte un retour de l'Histoire.
En tout cas, ce qu'on peut dire sans rien préjuger de l'avenir, c'est que la question palestinienne se pose et que la question du conflit israélo-palestinien reste ouverte, qu'on le veuille ou non - et peut-être sous une forme différente, comme vous l'évoquiez, monsieur le Président. J'ai tendance à penser, comme beaucoup d'autres, que dans ce domaine, les idées trop simples ne sont peut-être pas forcément les meilleures.
La France a joué un rôle majeur. Le Président de la République, vous le savez, a pris des initiatives pour oeuvrer à l'établissement d'un cessez-le-feu, en coordination avec nos partenaires jordaniens et avec le président égyptien Sissi, puis en concertation avec les États-Unis et la communauté internationale. La France a passé des messages. Le Président de la République a appelé le Premier ministre israélien et le président Abbas, invitant au retour au calme et travaillant diplomatiquement en ce sens.
Les États-Unis, pris sans doute par l'événement et par l'enchaînement de la violence, se sont d'une certaine manière réengagés - c'est en tout cas l'impression que cela donne - peut-être plus vite et davantage qu'ils ne le souhaitaient initialement.
Le président Biden a appelé le président palestinien pendant trois quarts d'heure. Il a bien évidemment appelé à plusieurs reprises le Premier ministre israélien. Le secrétaire d'État aux affaires étrangères américain, M. Blinken, s'est rendu sur place et, au fond, ce que l'on retient de ce qui nous a été dit par nos interlocuteurs palestiniens, c'est que les Américains veulent maintenant aller de l'avant en soutenant l'Autorité palestinienne - qui reste l'acteur reconnu par la communauté internationale et, quoi qu'on puisse en dire, un facteur de stabilité -, et en se réengageant financièrement vis-à-vis des Palestiniens et des agences des Nations unies qui les soutiennent, comme l'UNRWA, auprès desquelles ils ont repris leurs versements après cinq ans d'interruption.
Cette situation qui, comme toujours ici, part de facteurs locaux, parfois même de facteurs d'apparence anecdotique et qui produisent ensuite une déflagration politique, diplomatique et de sécurité majeure, peut-elle avoir des incidences sur les évolutions qu'on a notées ces dernières années ? Je pense aux accords de normalisation entre Israël et un certain nombre de pays arabes. Il est peut-être un peu trop tôt pour l'affirmer. On peut sans doute penser que les fondamentaux de ces accords de normalisation ne sont pas remis en question. Ce qui est certain, c'est qu'on a assisté, à des degrés divers, du Maroc aux Émirats arabes unis, du Bahreïn à l'Arabie saoudite - qui n'a pas normalisé ses relations avec Israël -, en passant par le Koweït et l'opinion arabe, à un raidissement très net qui s'est traduit lors de l'organisation de la Conférence islamique et de la réunion de la Ligue arabe, par un retour de la solidarité - peut-être verbale mais, en tout cas, assez net vis-à-vis des Palestiniens. C'est un facteur qui change la donne et qui, je le pense - nous verrons à l'avenir ce qu'il en est, car je ne préjuge de rien - aura pour effet de modérer ou de ralentir les mouvements de rapprochement entre Israël et ces différents pays.
Je ne dis pas que ces accords sont remis en cause : je dis juste qu'on constate un certain refroidissement. La question qui est posée est de savoir s'il s'agit de quelque chose de temporaire ou, au contraire, d'un mouvement plus durable, étant entendu qu'une grande partie de l'opinion arabe, et ceci dans tous les pays, y compris ceux qui ont normalisé leurs relations, reste fondamentalement sceptique pour ne pas dire hostile à ces perspectives. Il s'agit de quelque chose dont les gouvernements de ces pays devront tenir compte.
Quelles sont les perspectives ? La première est la plus immédiate : c'est celle du cessez-le-feu. Le représentant des Nations unies pour le processus de paix M. Tor Wennesland, norvégien, que j'ai rencontré à plusieurs reprises et qui a été reçu à Paris il y a quelques mois, nous confirme que le cessez-le-feu est fragile.
Tout le monde en a bien conscience. Personne ne veut que la violence reparte, que des missiles soient lancés à nouveau depuis Gaza ni que les populations de Gaza et de la bande de Gaza soient de nouveau soumises à des bombardements.
C'est la raison pour laquelle, ici même, à Jérusalem, les autorités israéliennes font preuve de beaucoup de prudence dans tout ce qui se passe. Je pense par exemple à la marche de Jérusalem, qui a réuni des citoyens israéliens et dont le parcours a été dévié. Une marche des drapeaux, d'inspiration similaire, doit se tenir la semaine prochaine. La question de son parcours est posée. Pour illustrer les choses, si elle traverse la vieille ville et les quartiers musulmans, on craint des tensions. Encore une fois, ce sont des facteurs locaux qui peuvent potentiellement déclencher de grandes tensions et une forte violence.
Nous sommes maintenant confrontés à la question de la reconstruction de la bande de Gaza, qui compte aujourd'hui 2,2 millions d'habitants. Les perspectives à 25 ans sont de plus de 5 millions d'habitants. On a donc là un sujet majeur. Dans l'immédiat, il existe deux options pour celle-ci.
La première serait une reconstruction qui se limiterait, si je puis dire, au volet humanitaire. Les Nations unies ont lancé un appel interagences pour mobiliser 95 millions de dollars afin de répondre aux besoins immédiats de la population, qui manque d'électricité et d'eau, et qui vit dans une situation qui, objectivement, ne peut être considérée comme satisfaisante - c'est le moins qu'on puisse dire.
L'Égypte a joué un rôle majeur pour amener le Hamas et le Jihad islamique à oeuvrer en direction du cessez-le-feu. Elle a servi d'intermédiaire, ce qui prouve au passage son rôle tout à fait conséquent. L'Égypte reste un acteur de tout premier plan de la bande de Gaza et a manifesté l'intention de participer à sa reconstruction.
Se pose aussi la question des moyens financiers apportés par le Qatar. Jusqu'à présent, des sommes considérables permettaient d'assurer dans la bande de Gaza un minimum de sécurité sur le plan social, avec des transferts financiers en liquide, de l'ordre de 20 à 30 millions d'euros tous les mois depuis des années, en accord avec les autorités israéliennes, comme on peut l'imaginer.
Ce dont les Israéliens ne veulent plus, c'est que l'argent du Qatar puisse être détourné et serve à armer le Hamas. La question humanitaire est donc la première question immédiate qui se pose pour la reconstruction de la bande de Gaza.
Des objections de deux natures sont formulées par différents acteurs de terrain, qu'ils soient palestiniens ou membres de la communauté internationale. La première est de se demander si l'on va reconstruire Gaza pour le redémolir dans cinq ans. Cela n'a pas de sens, financièrement, humainement, politiquement.
La deuxième perspective, c'est de considérer que le problème de Gaza n'est pas seulement humanitaire, mais d'abord politique et lié au blocus qui sévit depuis quatorze ans ainsi qu'à la perspective de développer ce territoire de telle sorte qu'on puisse, dans l'intérêt même de toutes les parties, à commencer par Israël, parvenir à une plus grande stabilité. Le fait que le chômage des jeunes soit de 60 à 70 %, que la moitié de la population soit sans emploi, qu'une grande partie vit sous le seuil de pauvreté et que la démographie soit galopante ne peut, à l'évidence, constituer un élément de stabilité dans la durée. Il y a donc là un vrai sujet, un sujet politique, qui s'adresse à la communauté internationale dans son ensemble.
Soit on recourt à l'aide humanitaire à très court terme - et la France y est prête, elle l'a dit, et les États-Unis également -, soit on envisage les choses de manière plus structurelle en quelque sorte, pour voir comment il est possible de trouver des solutions pour un règlement politique de la situation à Gaza.
À la fin de cette semaine, et toujours dans la perspective de reconstruction de Gaza et d'apaisement des tensions, l'Égypte accueille au Caire les principales factions palestiniennes, le Fatah et le Hamas, pour essayer de trouver les moyens de les accorder sur les modalités d'une reconstruction.
Nos interlocuteurs israéliens nous ont indiqué qu'ils sont prêts à aider à cette démarche, mais entendent assurer un contrôle plus strict des moyens financiers qui seront acheminés vers la bande de Gaza. La question de l'accès à la bande de Gaza, non seulement des personnes, mais également des biens, des marchandises et de tout le matériel et de l'équipement nécessaire pour le développement est un sujet vital.
L'autre perspective pour les Palestiniens, c'est la question de savoir si, compte tenu du fait qu'il n'y a pas eu d'élection, ils se lancent dans la création d'un gouvernement d'unité nationale. La question est ouverte. Un gouvernement technocrate permettrait d'englober toutes les factions sans véritablement qu'elles soient représentées dans ce gouvernement.
Je retiens deux idées. On a vu dans cette affaire la centralité de Jérusalem, d'où sont partis les événements de Sheikh Jarrah, de la porte de Damas et de l'esplanade des Mosquées. Le deuxième point que je retiens, c'est le retour de la question palestinienne, qu'on avait peut-être un peu vite enterrée au cours des années précédentes.
Merci de la présentation très complète que vous nous avez faite, en soulignant à la fois la dimension factuelle et les analyses que l'on peut en tirer.
Si, dimanche soir, une nouvelle coalition domine la Knesset, avec un nouveau Premier ministre, quels changements pourraient intervenir dans la politique d'identification de nouveaux territoires occupés ? Connaît-on d'ores et déjà le programme de M. Bennett sur ce sujet ? Y a-t-il une évolution à en attendre qui pourrait calmer le jeu ou est-ce que, pour l'instant, la coalition n'ayant pas encore été constituée, on n'est pas très au fait de ce qui peut se passer ? Un départ de M. Netanyahou représente un changement considérable dans le paysage régional.
Mon collègue ambassadeur à Tel Aviv serait plus légitime que moi pour répondre à cette question.
Ce que je peux vous dire, c'est que le caractère hétéroclite de la coalition qui s'apprête à prendre les rênes du gouvernement d'Israël amène à considérer qu'il va sans doute y avoir un effet de neutralisation à terme - mais je suis prudent dans mon propos, et je ne veux pas être catégorique. Certains partis sont contre le développement de la colonisation, d'autres y sont favorables, d'autres encore étaient favorables à l'annexion de la vallée du Jourdain, et on y trouve également un parti islamiste arabe.
Le pronostic qui est fait, y compris par les observateurs israéliens, tels que je peux les lire, c'est que tout cela risque ou peut se neutraliser. En réalité, on sera peut-être dans une situation de statu quo. Je le dis avec prudence, mais c'est la première impression qui ressort des concertations actuelles.
Monsieur le consul général, le regain de tensions actuelles entre Israël et la Palestine induit-il plus d'insécurité pour nos ressortissants ?
Vous avez évoqué les reportages d'Al-Jazira. Il se trouve qu'il y a trois semaines, les bureaux d'Al-Jazira à Gaza ont été bombardés par Israël, ainsi d'ailleurs que d'autres bureaux d'une agence américaine. Israël a affirmé que c'était à cause d'un système de brouillage électronique du Hamas. Avez-vous d'autres informations sur cette question ?
Enfin, quel est le niveau d'influence du Hezbollah à Jérusalem ? Vous disiez qu'on y compte 40 % de Palestiniens, soit environ 350 000 personnes. Le Hezbollah est-il un acteur parmi cette population ?
Monsieur le consul général, je vous livre la question de notre ami Gilbert Roger, hospitalisé, qui aurait aimé vous la poser lui-même. Certains points ont déjà été abordés.
À la fin avril, le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a annoncé le report des législatives. Elles étaient prévues le 22 mai dernier. Les dernières ont eu lieu en 2006. Ce scrutin avait alimenté une scission entre le Hamas, prenant le contrôle de la bande de Gaza, et le Fatah de Mahmoud Abbas, qui avait remporté la majorité en Cisjordanie.
Quelles actions la France pourrait-elle engager pour aider les Palestiniens à reprendre un processus démocratique ?
Lors de votre audition devant le groupe d'amitié France-Palestine, le 2 mars dernier, vous nous aviez fait part du sentiment d'abandon de Gaza par la Cisjordanie et Ramallah. Dans ces conditions, et alors que les gouvernements successifs ont échoué à organiser des élections générales, le rétablissement de l'unité interpalestinienne vous semble-t-il encore possible ? Quelle alternative politique y aurait-il à celle-ci ?
Ma question sera plus particulièrement centrée sur les élections palestiniennes qui n'ont pas eu lieu, les dernières remontant à 2006.
Dans un certain nombre d'enceintes, comme l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, nous avons eu des interlocuteurs palestiniens jusqu'en 2019. Depuis, nous n'avons plus ni contacts ni échanges. Qui dirige l'« État palestinien » entre guillemets ? Qui représente qui ? Qui sont les interlocuteurs, officiels ou non ? Quelle est leur vraie légitimité ?
Le 14 mai 2018, les États-Unis installaient leur ambassade à Jérusalem. Selon vous, la nouvelle administration Biden va-t-elle pouvoir changer fondamentalement les équilibres au sein de ce cadre très compliqué, contraire à toutes les décisions internationales en la matière ?
Pensez-vous qu'il pourrait y avoir une évolution plus équilibrée de la politique américaine au Proche-Orient ? En ce sens, la France peut-elle jouer un rôle d'accompagnateur ? Vous nous avez dit qu'elle avait oeuvré de façon essentielle, notamment en lien avec l'Égypte et la Jordanie, en faveur du cessez-le-feu : la France pourra-t-elle avoir un rôle aux côtés des États-Unis dans l'esprit d'Oslo ?
Vous avez beaucoup insisté sur l'action de la France en faveur du cessez-le-feu, tout en soulignant la fragilité de celui-ci. Il était en effet nécessaire pour éviter l'escalade meurtrière débutante, mais il n'est en aucun cas une solution : s'il n'y avait que le cessez-le-feu, le statu quo actuel demeurerait, et on sait qu'il est invivable pour les Palestiniens.
Le coeur de la situation reste donc le déni de droit que vivent, comme vous l'avez souligné, tous les Palestiniens, ceux des territoires occupés, ceux de Jérusalem-Est, victimes d'une politique d'expropriation et de colonisation permanente, avec toutes les humiliations qui vont avec, et ceux qui vivent en Israël et qui connaissent des incidents violents tout à fait nouveaux, dont vous avez souligné l'importance.
Cette situation a été amplifiée ces dernières années par l'attitude de l'administration Trump et l'impunité internationale du gouvernement de M. Netanyahou.
Quelles initiatives politiques seraient souhaitables pour reprendre le chemin d'une solution politique ? Le cessez-le-feu, de toute façon, ne suffira pas face au retour de la question palestinienne.
Vous dites que la France agit. Je dirais que la France a un grand mérite : elle n'a pas abandonné ses positions fondamentales en faveur de la solution à deux États. C'est extrêmement important dans la situation internationale, mais elle agit peu en faveur d'une nouvelle initiative politique.
Le Parlement avait voté une résolution pour la reconnaissance de l'État de Palestine : elle est restée lettre morte. Nous avons attendu des années le plan américain, dont on sait ce qu'il a été, et on ne voit aujourd'hui pas venir d'initiative politique.
Que pourrait-on faire pour redémarrer des discussions ou prendre des sanctions, notamment contre la colonisation ?
Enfin, concernant les élections palestiniennes, vous soulignez à juste titre que leur annulation pose un grave problème. Leur tenue constituerait un des éléments de la solution politique. La France n'aurait-elle pas intérêt, dans ce cadre, notamment pour voir émerger de nouveaux dirigeants politiques palestiniens, à agir pour la libération de Marouane Barghouti, dont vous avez cité le nom, qui pourrait devenir un acteur politique qui ne laisserait pas le Hamas reprendre le flambeau ?
Quel regard portez-vous sur la démocratie israélienne ? Ce pays a du mal à dégager une majorité. Quelques députés permettent de faire passer certaines décisions et peuvent faire basculer un gouvernement, ce qui rend la situation très complexe.
Benyamin Netanyahou a fait de la vaccination contre l'épidémie de Covid son cheval de bataille, voire un argument politique du Likoud.
Il existe une différence entre la population israélienne et la population palestinienne : j'aimerais savoir si les ratios de vaccination sont égaux dans les deux cas.
Les États-Unis ont appelé au cessez-le-feu, au même titre que l'Égypte, le Qatar, la Jordanie et bien d'autres pays mais, dans le même temps, ont refusé l'intervention du Conseil de sécurité de l'ONU, alors présidé par la Chine.
Cette situation est quelque peu paradoxale. Se poser la question du rôle de la Chine, c'est peut-être sous-estimer le rôle qu'elle joue dans cette région du Moyen-Orient. Est-ce que le gouvernement de Pékin entretient des relations suivies avec Israël et l'État palestinien ? Peut-on désormais considérer que la Chine est le nouveau poids lourd diplomatique dans cette région du Moyen-Orient ?
Même si on parle aujourd'hui du départ éventuel de Benyamin Netanyahou, la plainte pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité vise également le ministre de la défense et le ministre des affaires étrangères.
Ne croyez-vous pas que la France doit prendre ses responsabilités et continuer à exiger la protection du peuple palestinien ?
Monsieur Guerriau, les bureaux d'Al-Jazira et de l'agence américaine Associated Press étaient situés dans un bâtiment de Gaza qui a été détruit.
Nous n'avons pas d'autres indications sur cette affaire que ce qui est sur la place publique. Dès qu'Associated Press et Al-Jazira se sont retrouvées à la rue, les bureaux de l'Agence France Presse à Gaza les ont accueillis dans leurs locaux.
Ce qui s'est passé dans les bureaux d'Associated Press a provoqué un émoi considérable aux États-Unis. Le secrétaire d'État américain aux affaires étrangères a appelé aussitôt après le président de l'agence de presse. Je ne sais si cela a contribué à accélérer le réengagement américain mais, dans l'opinion américaine, c'est un facteur qui a été important. Je n'ai pas d'indication spécifique sur la destruction de ce bâtiment, si ce n'est ce que l'on sait déjà tous, les arguments mis en avant par les Israéliens pour le viser indiquant qu'il existait un bureau de renseignement du Hamas à l'intérieur. C'est possible.
Le Hezbollah est peu présent à Jérusalem. Il s'agit d'un mouvement libanais et non d'un mouvement palestinien. De surcroît, c'est un mouvement chiite, alors que les Palestiniens sont sunnites. En Palestine, la représentation politique de l'islamisme est principalement portée par le Hamas. Il n'y a donc pas d'influence directe du Hezbollah à Jérusalem ni dans les territoires palestiniens. Il peut y avoir de la sympathie dans une partie de l'opinion publique palestinienne à l'égard du Hezbollah, mais pas véritablement.
Si le Hezbollah avait tiré depuis le Liban des milliers de roquettes sur Israël, on aurait été véritablement dans une configuration d'une tout autre nature.
Monsieur Todeschini, vous avez posé une question pour le sénateur Gilbert Roger, à qui je souhaite un prompt rétablissement. Le processus électoral peut-il reprendre ? Que peut faire la France ?
Le processus électoral peut reprendre et nous le souhaitons. Il faut néanmoins tenir compte de la conjoncture dont je parlais dans mon exposé liminaire. Le rapport de force est actuellement nettement favorable au Hamas, d'après ce qu'on nous dit. Il est certain que le renouvellement démocratique est une condition de la légitimité de l'Autorité palestinienne et de la stabilité de l'ensemble régional. Les élections devaient conduire à l'unité palestinienne, réconcilier le Fatah et le Hamas, la bande de Gaza et la Cisjordanie et permettre à l'Autorité palestinienne de reprendre pied. Peut-être la reconstruction de la bande de Gaza, contrôlée depuis 2007 par le Hamas, y contribuera-t-elle.
Monsieur Allizard, vous avez posé la question très directe de savoir qui représente l'Autorité palestinienne, sachant que vous n'avez plus depuis 2019 de contact avec des parlementaires palestiniens. Il y a plus de Parlement palestinien. C'est le président Abbas et quelques collaborateurs qui décident, en procédant par décret.
Que représente l'Autorité palestinienne ? Pour la communauté internationale et pour la France, il s'agit de l'interlocuteur officiel et légitime des Palestiniens. Elle est censée préfigurer le futur État palestinien, dans la perspective d'une formule à deux États. En interne, soyons clairs : la légitimité de l'Autorité palestinienne s'érode et ceci pour deux raisons : tout d'abord, elle n'est pas appuyée par un soutien électoral, d'où la nécessité d'élections, et son rôle se réduit de plus en plus à assurer la coordination avec Israël en matière de sécurité et d'affaires civiles. La question de la légitimité de l'Autorité palestinienne aux yeux de l'opinion palestinienne est posée.
Monsieur Folliot, vous avez posé la question de la présence américaine et de l'évolution de la position des États-Unis. Le président Biden maintient l'ambassade américaine à Jérusalem. En revanche, le secrétaire d'État aux affaires étrangères, M. Blinken, a annoncé publiquement aux Palestiniens l'intention des États-Unis de rouvrir leur consulat général à Jérusalem, qui aura entre autres missions, d'après ce que je comprends, d'assurer la relation politique avec l'Autorité palestinienne. Oui, il y a une nette évolution. Je pense qu'elle s'est accélérée à la faveur de la crise du mois dernier. À présent, les Américains sont clairement décidés à reprendre langue, à réamorcer la coopération avec les Palestiniens et à prévoir une représentation diplomatique sous une forme qui reste à préciser. De ce point de vue, le changement de cap est assez net.
La France peut-elle jouer le rôle d'accompagnateur ? Je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est que les positions de l'administration Biden sont plus conformes au droit international. La perspective d'une solution à deux États, à cet égard, se rapproche de la position européenne. Il ne faut pas en exagérer l'impact immédiat, mais l'évolution est nettement là.
Monsieur Laurent, vous êtes revenu sur la question du cessez-le-feu. Ce que vous dites me paraît très juste : le cessez-le-feu est fragile, chacun en convient et, en tout état de cause, ne constitue pas en lui-même une solution. C'est une réponse immédiate, nécessaire, mais ce n'est pas une solution politique durable.
Bien évidemment, les positions de la France, exprimées au plus haut niveau de l'État par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, sont connues : nous restons fidèles à la perspective des deux États. Vous avez opportunément rappelé que la France tient ses positions. Elles peuvent paraître statiques à certains, mais nous faisons en réalité preuve de fermeté diplomatique et procédons à un rappel des principes.
En réalité, on ne fera pas l'économie d'un juste règlement du conflit israélo-palestinien, qu'on avait un peu vite enterré en mettant de côté la question palestinienne à proprement parler. Cette question reste entière, et les dirigeants israéliens en ont pleinement conscience, surtout après ce qui s'est passé ces dernières semaines.
On peut évidemment penser, comme vous le disiez, que des élections palestiniennes contribueraient à apporter une bouffée d'oxygène démocratique à la jeune population palestinienne, qui a envie de se prononcer, qui est formée, qui souhaite, comme tous les peuples du monde, pouvoir choisir ses dirigeants, peut-être même renouveler le personnel politique.
Dans ce contexte, la figure de Marouane Barghouti qui, je le répète, est détenu à vie en Israël et dont on avait compris qu'il serait candidat à une élection présidentielle qu'il aurait pu gagner, a toute son importance.
Monsieur Bonneau, s'agissant de la démocratie israélienne, je demeure là encore prudent. Je ne m'occupe pas directement des relations avec Israël. Non, il n'y a pas de majorité, ou celle-ci est très compliquée à trouver. Cela tient au mode de scrutin à la proportionnelle intégrale, comme je l'ai rappelé. On aboutit à des majorités extrêmement hétérogènes, comme celle qui va visiblement - attendons dimanche - se constituer avec un gouvernement qui réunit des forces politiques qui seront sur des sensibilités très différentes les unes des autres.
Monsieur Houpert, vous avez posé la question de la vaccination. En Israël, elle a été un succès. Le Gouvernement a acheté massivement des vaccins Pfizer et, d'ici quelques semaines, sans doute à la fin du mois de juin, on peut penser que 65 à 70 % de la population israélienne sera vaccinée, ce qui veut dire en clair que l'épidémie sera derrière nous.
Il n'en va pas de même pour les Palestiniens, pour lesquels la vaccination progresse, mais où les situations sont variables. Les résidents palestiniens de Jérusalem-Est seront vaccinés comme tous les Israéliens. Les 140 000 travailleurs palestiniens de Cisjordanie qui se rendent tous les jours en Israël pour travailler sont également vaccinés.
La vaccination progresse avec l'achat et la fourniture de vaccins différents - un peu de Pfizer, AstraZeneca, le vaccin russe Spoutnik, des vaccins chinois dans les territoires palestiniens -, mais on est à un taux inférieur à celui d'Israël, de l'ordre de 30 %.
La situation est encore plus compliquée dans la bande de Gaza où, alors même que, y compris en Cisjordanie, l'épidémie tend à ralentir, on n'est pas encore tiré d'affaire, loin de là. Ce qui protège la bande de Gaza, c'est la jeunesse de sa population, préservée des conséquences du Covid, même s'il y a eu des décès à déplorer.
Monsieur Cigolotti, vous avez souligné la différence qui existe entre, d'une part, l'action diplomatique des Américains, qui a accompagné le mouvement que la France a ouvert, en tout cas chronologiquement parlant, avec ses partenaires égyptiens et jordaniens, en faveur du cessez-le-feu et, d'autre part, la position beaucoup plus retenue au Conseil de sécurité. C'est vrai : il a fallu, là aussi, beaucoup travailler avec les Américains pour arriver à une résolution du Conseil de sécurité, qui a finalement été adoptée.
La Chine, en tant que présidente du Conseil de sécurité, a joué un rôle accru par rapport au passé. Constitue-elle un poids lourd diplomatique au Proche-Orient ? Je ne le crois pas encore mais, ce qui est certain, c'est qu'ayant une vocation de puissance globale - et elle en a les moyens -, elle ne pourra faire l'économie de s'intéresser à ce qui se passe au Proche-Orient. Elle a de bonnes relations avec Israël, des projets industriels, des projets économiques et des projets d'investissement. Elle veut aussi cultiver sa relation historique avec les Palestiniens et être un acteur de premier plan.
Je termine par la question de Mme Gréaume, à propos de la protection du peuple palestinien. C'est un sujet majeur. Les agences des Nations unies s'en occupent sur le plan humanitaire avec l'aide aux réfugiés palestiniens, ainsi que toute la communauté internationale. La France est extrêmement active et coopère avec les Palestiniens. Nous les faisons bénéficier de l'aide humanitaire, soutenons budgétairement l'Autorité palestinienne et sommes au plus près des populations. Je rappelle que l'Agence française de développement (AFD) est extrêmement active dans les territoires et porte des projets structurants.
S'il y a de l'eau dans la bande de Gaza - même si c'est imparfait -, c'est très largement grâce à l'action de l'Agence française de développement et d'autres bailleurs internationaux.
Bien évidemment, la situation est loin d'être parfaite. La question que vous posez est une question importante sur laquelle travaillent collectivement, au quotidien, l'Union européenne, la communauté internationale et, bien évidemment, la France.
Monsieur le Président, vous avez rappelé dans votre propos introductif que la France possède ici des domaines nationaux. En effet, le consulat général gère à Jérusalem, pour le compte de l'État, quatre domaines nationaux, dont trois avec les communautés catholiques. Elles sont l'objet de toute notre attention, car nous sommes dans une situation de fragilité et d'incertitude.
Nous apportons tout notre soutien à ces communautés. Nous sommes restés en contact avec toutes celles qui sont sous notre protection légale pendant la période de tension, afin de nous assurer qu'il n'y avait pas de violences à leur encontre, même si certaines résidaient dans des quartiers où la situation était très tendue.
Ce sont 45 000 de nos concitoyens, en majorité franco-israéliens qui vivent dans la circonscription de Jérusalem. Nous avons bien sûr quelques ressortissants binationaux dans la bande de Gaza, et quelques ressortissants en Cisjordanie. La sécurité de nos concitoyens, qu'ils soient nationaux ou binationaux, a été au coeur de notre préoccupation.
Nous les avons immédiatement contactés dès les tirs de roquettes sur Jérusalem pour s'assurer que nous étions tous en contact, bien évidemment en lien et en coordination étroite avec le Quai d'Orsay.
Monsieur le consul général, vous avez parfaitement répondu à toutes nos questions et n'avez fait que susciter plus d'intérêt encore sur ce sujet.
Je rappelle que, lors de sa réunion de bureau, notre commission a inscrit à son ordre du jour une mission associant les présidents de groupe dans une mission en Israël et dans les territoires palestiniens. Je vous serai reconnaissant, le moment venu, quand vous considérerez que la situation sera apaisée, tant sur le plan de la sécurité que sur le plan politique, et que l'on pourra avoir un certain nombre de contacts intéressants, de me dire à quelle échéance commencer à travailler sur la préparation de cette mission.
Elle serait plutôt prévue à l'automne, mais nous avons déjà reculé ce déplacement il y a un an, et nous aimerions pouvoir le monter avec votre appui. Je sais que cette visite sera passionnante. Vous êtes en effet à un poste d'action, d'observation et de contact qui nous permettra de nourrir notre réflexion.
Si vous me le permettez, monsieur le Président, je peux d'ores et déjà faire vous faire part de ma première impression : je pense que ce sera une excellente chose si cette mission peut se faire cette année, à l'automne. Elle sera extrêmement utile, pour des raisons qui tiennent à la Covid et aux événements récents. Nous n'avons en effet pas eu de visite politique, ministérielle ou parlementaire, depuis maintenant plus d'un an et demi.
À moins d'une catastrophe, si la situation sécuritaire reste à peu près stable, je pense que la situation sanitaire sera surmontée et que l'automne constituera un excellent créneau pour votre venue. Nous serons à votre entière disposition pour monter cette mission, notamment côté palestinien, et à Jérusalem.
Je prends bonne note de ces indications. Nous allons commencer à préparer ce déplacement.
Merci infiniment. Vous avez bien évidemment le soutien amical et fervent de la commission, car vous êtes une fois de plus dans un poste délicat. Toutefois, les éléments que vous nous avez communiqués démontrent qu'avec toute votre équipe, vous représentez la France avec compétence et brio. Nous vous en remercions. Ce sont des postes difficiles où l'on a besoin de talents comme le vôtre pour que flotte le drapeau français.
C'est une région qui a toujours été au coeur des préoccupations de nos gouvernements successifs. Énormément de liens nous unissent avec ces pays. Le travail que vous y faites est extraordinaire.
Soyez assuré de notre confiance et de notre soutien.
Merci beaucoup. Je suis très sensible à ce que vous avez dit, monsieur le Président.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 heures 20.