Intervention de René Troccaz

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 juin 2021 à 10h00
Suivi de la situation au proche-orient — Audition de M. René Troccaz consul général de france à jérusalem

René Troccaz, consul général de France à Jérusalem :

Monsieur Guerriau, les bureaux d'Al-Jazira et de l'agence américaine Associated Press étaient situés dans un bâtiment de Gaza qui a été détruit.

Nous n'avons pas d'autres indications sur cette affaire que ce qui est sur la place publique. Dès qu'Associated Press et Al-Jazira se sont retrouvées à la rue, les bureaux de l'Agence France Presse à Gaza les ont accueillis dans leurs locaux.

Ce qui s'est passé dans les bureaux d'Associated Press a provoqué un émoi considérable aux États-Unis. Le secrétaire d'État américain aux affaires étrangères a appelé aussitôt après le président de l'agence de presse. Je ne sais si cela a contribué à accélérer le réengagement américain mais, dans l'opinion américaine, c'est un facteur qui a été important. Je n'ai pas d'indication spécifique sur la destruction de ce bâtiment, si ce n'est ce que l'on sait déjà tous, les arguments mis en avant par les Israéliens pour le viser indiquant qu'il existait un bureau de renseignement du Hamas à l'intérieur. C'est possible.

Le Hezbollah est peu présent à Jérusalem. Il s'agit d'un mouvement libanais et non d'un mouvement palestinien. De surcroît, c'est un mouvement chiite, alors que les Palestiniens sont sunnites. En Palestine, la représentation politique de l'islamisme est principalement portée par le Hamas. Il n'y a donc pas d'influence directe du Hezbollah à Jérusalem ni dans les territoires palestiniens. Il peut y avoir de la sympathie dans une partie de l'opinion publique palestinienne à l'égard du Hezbollah, mais pas véritablement.

Si le Hezbollah avait tiré depuis le Liban des milliers de roquettes sur Israël, on aurait été véritablement dans une configuration d'une tout autre nature.

Monsieur Todeschini, vous avez posé une question pour le sénateur Gilbert Roger, à qui je souhaite un prompt rétablissement. Le processus électoral peut-il reprendre ? Que peut faire la France ?

Le processus électoral peut reprendre et nous le souhaitons. Il faut néanmoins tenir compte de la conjoncture dont je parlais dans mon exposé liminaire. Le rapport de force est actuellement nettement favorable au Hamas, d'après ce qu'on nous dit. Il est certain que le renouvellement démocratique est une condition de la légitimité de l'Autorité palestinienne et de la stabilité de l'ensemble régional. Les élections devaient conduire à l'unité palestinienne, réconcilier le Fatah et le Hamas, la bande de Gaza et la Cisjordanie et permettre à l'Autorité palestinienne de reprendre pied. Peut-être la reconstruction de la bande de Gaza, contrôlée depuis 2007 par le Hamas, y contribuera-t-elle.

Monsieur Allizard, vous avez posé la question très directe de savoir qui représente l'Autorité palestinienne, sachant que vous n'avez plus depuis 2019 de contact avec des parlementaires palestiniens. Il y a plus de Parlement palestinien. C'est le président Abbas et quelques collaborateurs qui décident, en procédant par décret.

Que représente l'Autorité palestinienne ? Pour la communauté internationale et pour la France, il s'agit de l'interlocuteur officiel et légitime des Palestiniens. Elle est censée préfigurer le futur État palestinien, dans la perspective d'une formule à deux États. En interne, soyons clairs : la légitimité de l'Autorité palestinienne s'érode et ceci pour deux raisons : tout d'abord, elle n'est pas appuyée par un soutien électoral, d'où la nécessité d'élections, et son rôle se réduit de plus en plus à assurer la coordination avec Israël en matière de sécurité et d'affaires civiles. La question de la légitimité de l'Autorité palestinienne aux yeux de l'opinion palestinienne est posée.

Monsieur Folliot, vous avez posé la question de la présence américaine et de l'évolution de la position des États-Unis. Le président Biden maintient l'ambassade américaine à Jérusalem. En revanche, le secrétaire d'État aux affaires étrangères, M. Blinken, a annoncé publiquement aux Palestiniens l'intention des États-Unis de rouvrir leur consulat général à Jérusalem, qui aura entre autres missions, d'après ce que je comprends, d'assurer la relation politique avec l'Autorité palestinienne. Oui, il y a une nette évolution. Je pense qu'elle s'est accélérée à la faveur de la crise du mois dernier. À présent, les Américains sont clairement décidés à reprendre langue, à réamorcer la coopération avec les Palestiniens et à prévoir une représentation diplomatique sous une forme qui reste à préciser. De ce point de vue, le changement de cap est assez net.

La France peut-elle jouer le rôle d'accompagnateur ? Je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est que les positions de l'administration Biden sont plus conformes au droit international. La perspective d'une solution à deux États, à cet égard, se rapproche de la position européenne. Il ne faut pas en exagérer l'impact immédiat, mais l'évolution est nettement là.

Monsieur Laurent, vous êtes revenu sur la question du cessez-le-feu. Ce que vous dites me paraît très juste : le cessez-le-feu est fragile, chacun en convient et, en tout état de cause, ne constitue pas en lui-même une solution. C'est une réponse immédiate, nécessaire, mais ce n'est pas une solution politique durable.

Bien évidemment, les positions de la France, exprimées au plus haut niveau de l'État par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, sont connues : nous restons fidèles à la perspective des deux États. Vous avez opportunément rappelé que la France tient ses positions. Elles peuvent paraître statiques à certains, mais nous faisons en réalité preuve de fermeté diplomatique et procédons à un rappel des principes.

En réalité, on ne fera pas l'économie d'un juste règlement du conflit israélo-palestinien, qu'on avait un peu vite enterré en mettant de côté la question palestinienne à proprement parler. Cette question reste entière, et les dirigeants israéliens en ont pleinement conscience, surtout après ce qui s'est passé ces dernières semaines.

On peut évidemment penser, comme vous le disiez, que des élections palestiniennes contribueraient à apporter une bouffée d'oxygène démocratique à la jeune population palestinienne, qui a envie de se prononcer, qui est formée, qui souhaite, comme tous les peuples du monde, pouvoir choisir ses dirigeants, peut-être même renouveler le personnel politique.

Dans ce contexte, la figure de Marouane Barghouti qui, je le répète, est détenu à vie en Israël et dont on avait compris qu'il serait candidat à une élection présidentielle qu'il aurait pu gagner, a toute son importance.

Monsieur Bonneau, s'agissant de la démocratie israélienne, je demeure là encore prudent. Je ne m'occupe pas directement des relations avec Israël. Non, il n'y a pas de majorité, ou celle-ci est très compliquée à trouver. Cela tient au mode de scrutin à la proportionnelle intégrale, comme je l'ai rappelé. On aboutit à des majorités extrêmement hétérogènes, comme celle qui va visiblement - attendons dimanche - se constituer avec un gouvernement qui réunit des forces politiques qui seront sur des sensibilités très différentes les unes des autres.

Monsieur Houpert, vous avez posé la question de la vaccination. En Israël, elle a été un succès. Le Gouvernement a acheté massivement des vaccins Pfizer et, d'ici quelques semaines, sans doute à la fin du mois de juin, on peut penser que 65 à 70 % de la population israélienne sera vaccinée, ce qui veut dire en clair que l'épidémie sera derrière nous.

Il n'en va pas de même pour les Palestiniens, pour lesquels la vaccination progresse, mais où les situations sont variables. Les résidents palestiniens de Jérusalem-Est seront vaccinés comme tous les Israéliens. Les 140 000 travailleurs palestiniens de Cisjordanie qui se rendent tous les jours en Israël pour travailler sont également vaccinés.

La vaccination progresse avec l'achat et la fourniture de vaccins différents - un peu de Pfizer, AstraZeneca, le vaccin russe Spoutnik, des vaccins chinois dans les territoires palestiniens -, mais on est à un taux inférieur à celui d'Israël, de l'ordre de 30 %.

La situation est encore plus compliquée dans la bande de Gaza où, alors même que, y compris en Cisjordanie, l'épidémie tend à ralentir, on n'est pas encore tiré d'affaire, loin de là. Ce qui protège la bande de Gaza, c'est la jeunesse de sa population, préservée des conséquences du Covid, même s'il y a eu des décès à déplorer.

Monsieur Cigolotti, vous avez souligné la différence qui existe entre, d'une part, l'action diplomatique des Américains, qui a accompagné le mouvement que la France a ouvert, en tout cas chronologiquement parlant, avec ses partenaires égyptiens et jordaniens, en faveur du cessez-le-feu et, d'autre part, la position beaucoup plus retenue au Conseil de sécurité. C'est vrai : il a fallu, là aussi, beaucoup travailler avec les Américains pour arriver à une résolution du Conseil de sécurité, qui a finalement été adoptée.

La Chine, en tant que présidente du Conseil de sécurité, a joué un rôle accru par rapport au passé. Constitue-elle un poids lourd diplomatique au Proche-Orient ? Je ne le crois pas encore mais, ce qui est certain, c'est qu'ayant une vocation de puissance globale - et elle en a les moyens -, elle ne pourra faire l'économie de s'intéresser à ce qui se passe au Proche-Orient. Elle a de bonnes relations avec Israël, des projets industriels, des projets économiques et des projets d'investissement. Elle veut aussi cultiver sa relation historique avec les Palestiniens et être un acteur de premier plan.

Je termine par la question de Mme Gréaume, à propos de la protection du peuple palestinien. C'est un sujet majeur. Les agences des Nations unies s'en occupent sur le plan humanitaire avec l'aide aux réfugiés palestiniens, ainsi que toute la communauté internationale. La France est extrêmement active et coopère avec les Palestiniens. Nous les faisons bénéficier de l'aide humanitaire, soutenons budgétairement l'Autorité palestinienne et sommes au plus près des populations. Je rappelle que l'Agence française de développement (AFD) est extrêmement active dans les territoires et porte des projets structurants.

S'il y a de l'eau dans la bande de Gaza - même si c'est imparfait -, c'est très largement grâce à l'action de l'Agence française de développement et d'autres bailleurs internationaux.

Bien évidemment, la situation est loin d'être parfaite. La question que vous posez est une question importante sur laquelle travaillent collectivement, au quotidien, l'Union européenne, la communauté internationale et, bien évidemment, la France.

Monsieur le Président, vous avez rappelé dans votre propos introductif que la France possède ici des domaines nationaux. En effet, le consulat général gère à Jérusalem, pour le compte de l'État, quatre domaines nationaux, dont trois avec les communautés catholiques. Elles sont l'objet de toute notre attention, car nous sommes dans une situation de fragilité et d'incertitude.

Nous apportons tout notre soutien à ces communautés. Nous sommes restés en contact avec toutes celles qui sont sous notre protection légale pendant la période de tension, afin de nous assurer qu'il n'y avait pas de violences à leur encontre, même si certaines résidaient dans des quartiers où la situation était très tendue.

Ce sont 45 000 de nos concitoyens, en majorité franco-israéliens qui vivent dans la circonscription de Jérusalem. Nous avons bien sûr quelques ressortissants binationaux dans la bande de Gaza, et quelques ressortissants en Cisjordanie. La sécurité de nos concitoyens, qu'ils soient nationaux ou binationaux, a été au coeur de notre préoccupation.

Nous les avons immédiatement contactés dès les tirs de roquettes sur Jérusalem pour s'assurer que nous étions tous en contact, bien évidemment en lien et en coordination étroite avec le Quai d'Orsay.

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