Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, chère Françoise Gatel, monsieur le rapporteur, cher Mathieu Darnaud, madame, messieurs les rapporteurs pour avis, chers Dominique Estrosi Sassone, Alain Milon et Daniel Gueret, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a près de quarante ans, Gaston Defferre présentait ici même, devant la Haute Assemblée, la première loi de décentralisation.
Douze lois ont suivi depuis, défendues par mes prédécesseurs, dont certains siègent sur ces travées… Douze lois qui, au fond, ont porté la même idée que, face aux défis auxquels nos sociétés étaient confrontées, l’action publique ne pouvait plus être menée à distance de nos concitoyens.
Étape après étape, la France a fait le choix de tourner la page de sa longue tradition centralisatrice, qui, comme l’écrivait Michel Rocard, « a façonné à la fois les institutions et les mentalités collectives ».
« Le cadre centralisateur se heurte aux réalités du territoire », écrivait-il encore en 1966. L’acuité avec laquelle ces mots résonnent aujourd’hui nous dit bien à la fois le chemin qui a été parcouru et ce qu’il nous reste à accomplir.
Ces lois, nous en sommes les héritiers. J’en ai moi-même été actrice et témoin tout au long de mes quarante années de vie politique. J’ai vu, comme maire, émerger ce grand élan de l’intercommunalité. J’ai vu les départements monter en puissance et les régions devenir des acteurs incontournables. J’ai vu aussi l’État et ses services déconcentrés s’éloigner.
J’ai également vu grandir cette vague silencieuse, l’abstention, qui, élection après élection, nous place tous devant nos responsabilités… Elle nous oblige à nous saisir de toutes les occasions – ce projet de loi en est une – pour redonner du souffle à notre démocratie et pour répondre à la grande insatisfaction que nos concitoyens expriment par leur silence.
Dans les débats que nous aurons, que je sais riches et nombreux, je tiens à ce que nous gardions toujours à l’esprit cette exigence démocratique.
Ce projet de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, traduit l’engagement du Président de la République de porter une ambition nouvelle pour nos territoires. Cette « nouvelle donne territoriale », c’est celle de la confiance aux territoires, de l’efficacité de l’action publique et aussi de la stabilité institutionnelle.
Je sais la lassitude des élus face à la répétition des réformes institutionnelles depuis 2010, l’impression même d’une réforme continue et sans fin, qui n’a pas permis d’offrir davantage de légitimité ou de lisibilité à l’organisation de nos territoires.
C’est pourquoi je vous le dis d’emblée et en toute honnêteté, car je l’assume : je souhaite, avant toute chose, stabiliser la répartition des compétences et construire des réponses concrètes pour faciliter leur exercice. C’est dans cet esprit que nous avons fait le choix d’une longue concertation.
Pendant plus de dix-huit mois, j’ai parcouru les territoires français, vos territoires, à la rencontre des acteurs et des élus locaux. J’ai ressenti des attentes fortes, souvent des besoins concrets et opérationnels. J’ai surtout entendu un souhait, partagé par l’immense majorité des élus que j’ai rencontrés, de leur permettre d’adapter plus finement leur action aux réalités de leur territoire.
La crise sanitaire nous a d’ailleurs montré à quel point la souplesse et l’agilité étaient des valeurs cardinales dans la coordination de l’action publique.
C’est pourquoi nous avons fait de la différenciation le fil rouge de ce projet de loi.
La différenciation doit redonner toute sa force et son effectivité au principe d’égalité, car « l’égalité, qui crée de l’uniformité n’assure plus l’égalité des chances sur la totalité de notre territoire », comme l’affirmait le Président de la République dès 2017.
Depuis quatre ans, la différenciation aura ainsi été une boussole pour l’action du Gouvernement et pour celle que je mène au service de la cohésion des territoires.
Une République différenciée, j’en suis convaincue, ce n’est pas une République morcelée. C’est, au contraire, une République qui n’est pas aveugle à ses diversités et qui valorise les dynamiques locales sans chercher à les niveler.
Une République différenciée, c’est aussi une République davantage décentralisée, où les compétences des collectivités sont confortées et clarifiées. C’est un État plus agile, plus réactif et plus proche, qui adapte sa réponse et accompagne main dans la main les initiatives des collectivités. C’est aussi une administration publique plus efficace, qui simplifie ses procédures au bénéfice des citoyens.
C’est tout le sens des 4D, pour différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification, qui constituent l’architecture de ce projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter.
Je tenais à vous remercier, mesdames, messieurs les rapporteurs, ainsi que toutes les commissions – en particulier la commission des lois – et l’ensemble des groupes, qui ont mené un travail exigeant et constructif.
Des points importants feront l’objet, je le sais, de débats francs en séance, mais je suis sûre que ce texte de loi sortira grandement enrichi de son examen au Sénat, ici, dans cette chambre des territoires.
Je voudrais vous présenter les grandes orientations que nous y avons inscrites.
Le titre Ier permettra d’adapter l’organisation des compétences des collectivités qui le souhaitent, dans le respect de la Constitution. Il affirme le principe de différenciation qui est, je le redis, la pierre angulaire de ce projet de loi.
Il augmente les possibilités d’extension du pouvoir réglementaire local. Il élargit les dispositifs de participation citoyenne pour faire pleinement confiance à la démocratie locale. Enfin, je souhaite qu’il soit l’occasion de renforcer l’effectivité des conférences territoriales de l’action publique, afin que les collectivités puissent s’organiser librement et définir le bon niveau d’exercice de leurs compétences pour conduire des projets.
L’examen de ce texte n’est délibérément pas le lieu pour revenir sur les débats en matière d’organisation entre communes et intercommunalités qui se sont tenus lors de la discussion de la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique entrée en vigueur très récemment.
Le titre II du projet de loi offre de nouveaux moyens aux collectivités pour mener des politiques publiques efficaces de mobilité et de transition écologique. S’agissant des routes, le texte vise à donner toute sa cohérence à la décentralisation intervenue il y a dix ans, en assurant la continuité de la gestion du réseau.
Pour les départements et les régions qui le souhaitent, les préfets poursuivront les concertations locales afin d’assurer une répartition la plus pertinente possible, permettant d’arrêter une carte finale en 2022. L’objectif est simple : renforcer la qualité de service pour les citoyens et limiter le nombre d’interlocuteurs.
Enfin, le texte renforcera l’action des régions en matière de biodiversité et permettra aux maires d’avoir des marges de manœuvre supplémentaires pour réglementer l’accès aux espaces naturels protégés.
Le titre III vise à offrir des outils aux collectivités dans le champ de l’aménagement du territoire.
En matière d’habitat, notre impératif était avant tout de conforter la politique du logement social, pour faire en sorte que les objectifs fixés par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, ne s’éteignent pas en 2025.
La loi SRU a des effets très concrets au bénéfice de nos concitoyens, qui ont besoin de se loger pour un coût abordable, mais aussi pour les communes qui veulent concilier l’accueil de nouvelles populations et le respect des équilibres territoriaux.
Nous proposons une approche exigeante, mais réaliste, en prenant mieux en compte les marges de manœuvre des communes dans le rattrapage. Sur ce sujet, je suis sûre que nous allons trouver ensemble le bon équilibre entre la recherche d’une souplesse nécessaire et la responsabilisation des collectivités dans la production de logement social.
Dans le champ de l’urbanisme, plusieurs articles permettront de renforcer les outils d’intervention dans le tissu urbain existant. Vous le savez, c’est une priorité du Gouvernement et de mon ministère, qui s’incarne dans les programmes pilotés par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Pour conforter le rôle puissant de cet outil, nous accélérerons la récupération par les collectivités des biens sans maître, ce qui est une mesure particulièrement attendue.
Le titre IV a pour objectif de renforcer la cohésion sociale et la sécurité sanitaire.
Il porte une réforme de la gouvernance des agences régionales de santé, rendue nécessaire par le besoin d’une meilleure association des élus qui s’est révélé à l’occasion de la crise sanitaire. Je serai particulière vigilante à ce qu’elle reste équilibrée, comme le Gouvernement l’a proposé dans le texte initial.
Le projet de loi permettra également d’élargir les capacités d’action des collectivités pour renforcer l’offre de soins sur tous les territoires.
Enfin, le Gouvernement est particulièrement attaché à ce qu’il permette l’expérimentation de la recentralisation du revenu de solidarité active, le RSA. Il s’agit, je crois, d’un enjeu de justice sociale et territoriale.
Le titre V rappelle des dispositions financières et statutaires classiques.
Le titre VI accompagne notre ambition de renforcer l’action déconcentrée de l’État. Il parachève la politique que nous avons menée depuis 2017 pour remettre l’État au plus près des territoires et lui redonner la capacité d’accompagner « sur mesure » les projets des collectivités.
Cette politique s’est incarnée dans la création de l’ANCT en janvier 2020 et, dernièrement, par la territorialisation du plan de relance et la forte ambition contractuelle qui l’accompagne.
En matière d’aide en ingénierie en faveur des territoires, une disposition facilitera le recours des collectivités au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), qui possède une ingénierie forte, technique et utile, en particulier pour les territoires les moins bien dotés.
Nous proposons également que le préfet de département soit désigné délégué territorial de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique) pour unifier la parole de l’État sur les territoires.
Nous aurons, je crois, un débat nécessaire sur les évolutions introduites par la commission sur le pouvoir de dérogation des préfets dans la prise de décision de l’État dans les territoires.
Enfin, un article confortera le programme France Services qui permet le retour des services publics en proximité.
Le titre VII comporte diverses mesures relatives à la simplification de l’action publique, ce qui est une attente forte de nos élus locaux comme de nos concitoyens : accélération du partage de données entre administrations, simplification du fonctionnement des institutions locales et des établissements publics…
Plusieurs mesures permettront de prolonger ou d’élargir des expérimentations. La discussion parlementaire sur l’ensemble de ce titre permettra, je l’espère, d’en enrichir significativement les possibilités.
Enfin, le titre VIII contient différentes dispositions relatives à l’outre-mer, qui sont issues, là encore, d’une vaste concertation et qui répondent à des attentes très précises de ces territoires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, « Quarante ans est un âge terrible. Car c’est l’âge où nous devenons ce que nous sommes », écrivait Charles Péguy.