Intervention de Didier Marie

Réunion du 7 juillet 2021 à 15h00
Différenciation décentralisation déconcentration et simplification — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, après qu’il a changé trois fois de titre – 3D, puis 4D et, aujourd’hui, 3DS –, voici enfin ce texte portant différenciation, décentralisation, déconcentration et diverses mesures de simplification de l’action publique locale ; un texte annoncé il y a plus de deux ans, à la suite du grand débat national orchestré par et pour le Président de la République pour éteindre l’incendie social des « gilets jaunes ». Le Président de la République avait en effet sillonné la France à la rencontre des élus locaux, qui se sentaient bien mal considérés depuis le début du quinquennat et dont on redécouvrait à cette occasion l’importance.

Rappelons-nous les questions alors portées au débat par l’exécutif : y a-t-il trop d’échelons administratifs ou de niveaux de collectivités territoriales ? Faut-il renforcer la décentralisation et donner plus de pouvoirs de décision et d’action au plus près des citoyens ? À quel niveau et pour quel service ? Le tout avec l’ambition affichée par le Président de la République « de changer le mode d’organisation de notre République » et de proposer in fine une réforme de la Constitution.

Ce texte était attendu, alors que la crise sanitaire, économique, sociale et démocratique démontre le besoin de proximité, d’une plus grande coordination de l’action publique entre l’État et les collectivités au plus près possible de la maille territoriale, de plus de démocratie.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? La promesse a-t-elle été tenue ? La réponse est sans appel : 83 articles de détails, portés à 158 après examen en commission, constitués de dispositions hétéroclites sans armature ni cohérence. Cela ne fait pas une architecture.

Le Conseil national d’évaluation des normes a rendu un avis très défavorable sur le projet du Gouvernement.

Le Conseil d’État, que l’on a connu plus mesuré, « s’il admet que le texte comporte un certain nombre d’avancées concrètes, est défavorable au regard tant du caractère jugé limité des dispositions qu’il contient, que des sujets qu’il n’aborde pas ».

L’objectif du Gouvernement, plutôt que de proposer un nouvel acte de décentralisation et de déconcentration, est d’entériner la fin des grandes réformes et de tenter de boucher les trous. Or, sous couvert de pragmatisme maquillé en simplification, le texte introduit au final de la complexité supplémentaire en faisant du sur-mesure et en multipliant les dérogations aux textes existants.

Ce texte pèche d’abord par ce qu’il n’aborde pas.

Le premier sujet, le plus important, celui dont parlent tous les élus locaux et toutes les associations représentatives, c’est celui des relations financières entre l’État et les collectivités. Il est abordé à la marge au titre V, composé de trois articles anecdotiques, alors que nous réclamons la présentation au Parlement d’une loi de financement des collectivités locales qui fixerait les dispositions financières, budgétaires et fiscales les concernant, afin de permettre une meilleure lisibilité et une transparence de leur financement et de garantir les moyens de leur action.

La seconde absente, c’est la démocratie locale. Il est étonnant qu’au lendemain d’un déraillement démocratique sans précédent, avec plus de 65 % d’abstention aux élections locales, le texte soit totalement muet sur le sujet, à l’exception de l’article 4 sur le droit de pétition, et qu’une grande partie des amendements que nous avions déposés soient tombés sous le coup de l’article 45 de la Constitution ou aient été repoussés par les rapporteurs, qu’ils concernent la parité, la démocratisation des fonctions exécutives intercommunales ou la participation citoyenne.

Enfin, le texte reste bien pauvre sur les moyens d’améliorer la coordination de l’action publique, faute d’un cadre stable et fiable de dialogue entre l’État et les collectivités, qui fait cruellement défaut depuis l’échec de la Conférence nationale des territoires.

Nous avons, avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, dans nos commissions respectives, tenté d’améliorer ce qui pouvait l’être. Mais les points de satisfaction sont peu nombreux, les rapporteurs ne nous ayant que trop rarement ouvert la porte.

On peut saluer ainsi, au fil du texte, quelques avancées : la possibilité pour les collectivités de verser des aides à l’installation des professionnels de santé ; l’assouplissement de la procédure de délégation de compétences entre l’État et les collectivités ; l’attribution aux régions de la conduite de la politique de l’apprentissage, de la formation professionnelle et de la coordination des acteurs du service public de l’emploi ; le transfert à la carte des compétences facultatives au sein des EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) ; la possibilité pour les pôles métropolitains d’assurer le rôle d’autorité organisatrice de la mobilité.

Pour ce qui concerne le titre relatif à l’hébergement et au logement, qui aurait dû faire l’objet d’un texte à part tant les besoins sont criants et les résultats médiocres, nous enregistrons positivement quelques avancées.

Nous notons par ailleurs avec satisfaction l’attribution à l’ensemble des départements frontaliers des prérogatives octroyées à la Collectivité européenne d’Alsace, ou encore la clarification du droit funéraire, sujet cher à notre collègue Jean-Pierre Sueur.

Tout cela est bien, mais bien peu, d’autant que les regrets, les points de vigilance et les désaccords sont légion.

Au titre des regrets, citons parmi d’autres : à l’article 1er, la réécriture cosmétique de la définition de la différenciation ; à l’article 1er bis, une généralisation de la procédure de proposition de modification législative et réglementaire à la main des régions et des départements, malheureusement quasi virtuelle en l’absence d’obligation pour le Premier ministre d’y répondre dans un délai contraint, ce qui rend la mesure caduque, comme on l’a constaté pour celle octroyée à la collectivité territoriale de Corse.

Nous regrettons aussi la suppression de l’article 35, qui permettait une expérimentation de la recentralisation du RSA.

Sur le volet sanitaire, nous déplorons que le rôle des collectivités ne soit pas suffisamment renforcé, au-delà de la coprésidence des ARS par l’État et la région.

Enfin, nous regrettons particulièrement l’absence de dispositions sur la gouvernance hospitalière.

Parmi les points de vigilance, je citerai, au titre III portant sur l’urbanisme et le logement, l’allégement des contraintes à l’égard des communes ne respectant pas la loi SRU et les différentes dérogations introduites. Nos collègues de la commission des affaires économiques, saisie au fond, y reviendront pendant nos débats.

Enfin, nous déplorons une fois de plus les coups de canif portés à l’intercommunalité, avec le rétablissement du critère de l’intérêt communautaire pour la détermination de diverses compétences, en particulier celles qui concernent les zones d’activités, ainsi que le retour sur le caractère obligatoire du transfert de la compétence « eau et assainissement » aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération.

Je pourrais ajouter d’autres sujets, comme la permission donnée à toute collectivité de mettre en place des radars automatiques, le renforcement du pouvoir du préfet sur l’Ademe et les agences de l’eau…

Au final, ce texte est celui du grand écart entre des intitulés ronflants et leur contenu.

Alors que la crise sanitaire, économique, sociale et démocratique sans précédent que nous traversons a montré le besoin de proximité et d’une plus grande coordination de l’action publique, le Gouvernement, suivi par les rapporteurs, a fait le choix d’un texte « catalogue » sans souffle.

Ce projet de loi ne change rien à la vie quotidienne des Françaises et des Français et n’éclaire en aucune façon la compréhension pour les électeurs des compétences de chaque niveau de collectivité. Il ne répond pas à la méfiance croissante des citoyens envers la démocratie et à leur demande de proximité de l’action publique. Nous attendions trois « D » majuscules, puissants, nous récoltons finalement un quatrième « D », celui de la déception !

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