Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, l’organisation territoriale est au cœur des débats depuis de nombreuses années. Cette question est si essentielle que je me permettrai de déplorer le calendrier qui a été choisi pour en débattre : dans la foulée de la loi Climat et alors même que les élections locales se déroulaient.
Outre la question de l’agenda, notre déception vient du fait que ce texte est très hétéroclite. Renfloué d’un volet sur le logement social initialement prévu dans la loi dite Séparatisme, il n’en reste pas moins un véhicule législatif qui porte a minima sur les enjeux auxquels sont confrontés nos territoires, en n’y apportant que des réponses parcellaires. Le grand soir promis lors du tour de France présidentiel après la crise des « gilets jaunes » n’est pas au rendez-vous : pas de consécration d’une nouvelle décentralisation, pas de mise en œuvre d’une différenciation efficace, une certaine reconcentration du rôle du préfet au niveau local et un oubli, celui de développer la démocratie et la participation citoyenne.
La crise des « gilets jaunes » et la crise sanitaire ont constitué un rappel de l’attachement des Français à un échelon local plus souple et plus agile pour répondre à leurs attentes. Mais, entre l’affichage d’une ambition forte en faveur d’un pouvoir réglementaire local étendu et adapté et sa transcription dans le texte, l’écart est immense, et personne n’y trouve son compte.
Ce texte, si disparate dans ses mesures, a donc servi de trame succincte, et le Sénat et ses rapporteurs l’ont réécrit à leur guise en réintroduisant des propositions retoquées lors de lois précédentes, comme le transfert à la carte des compétences des communes vers les EPCI justifié par la création d’un « intérêt communautaire », sésame supposé de la naissance de projets territoriaux partagés.
Si je salue le souhait de permettre une différenciation plus effective et un renforcement du pouvoir réglementaire local, je désapprouve les possibilités offertes par la nouvelle rédaction du texte de modifier, sous couvert de simplification, la portée des réglementations, notamment en matière d’aide sociale et de procédure d’urbanisme. La simplification ne doit pas être synonyme de moins-disance. Avec mon groupe, nous porterons des amendements qui vont dans le sens d’un plus grand équilibre, par exemple pour que le Ceser ne devienne pas une chambre partisane nommée et dépendante d’une majorité politique régionale, quelle qu’elle soit.
Je m’attarderai sur la vision limitée qu’a une majorité de notre assemblée de la démocratie participative. L’idée de limiter le droit de pétition et de rendre optionnelle son inscription à l’ordre du jour d’un conseil municipal est un couteau planté dans le dos de notre pacte républicain. Les élus sont certes responsables devant leurs électeurs au travers des élections, mais empêcher une expression libre, vivante, démocratique sur un sujet porté par ces derniers au travers d’une pétition, alors que notre devoir est de tout faire pour permettre à notre démocratie de sortir de la crise actuelle, est une faute.
Que dire du titre II sur la transition écologique ?
Après le fiasco de la modification de l’article 1er de la Constitution lundi dernier et les débats souvent d’une autre époque lors de l’examen de la loi Climat, dire que ce titre ne permet pas de répondre aux défis auxquels nous devons faire face est un euphémisme bienveillant.
Le transfert hypothétique des routes nationales aux départements et aux régions et celui des petites lignes ferroviaires pointent une autre lacune de ce texte de loi : ces transferts de compétences se font dans un certain flou s’agissant du financement à long terme. Ce manque de transparence sur le financement et sur les transferts de personnels induits par cette remodélisation fonde une critique largement partagée portant sur l’ensemble de ce texte.
Quant à la remise sous coupe préfectorale, c’est-à-dire sous celle du ministère de l’intérieur, de l’Ademe – une agence qui a fait ses preuves dans le domaine de l’environnement –, elle laisse encore perplexes les intéressés et tous ceux qui ont bénéficié de son soutien.
Ni le Gouvernement ni la majorité n’ont à cœur de combattre l’assignation à résidence des populations précaires qu’ils dénoncent pourtant souvent.
Tout comme pour les éoliennes, la théorie du « pas chez moi » revient de plus belle : comment justifier auprès de nos concitoyens la possibilité pour les communes de comptabiliser des casernes militaires comme logements sociaux ?
Autre exemple de cette lutte contre les précaires plus que contre la précarité : le renforcement du contrôle des allocataires du RSA, la suppression de l’élargissement de la recentralisation du RSA, ou le refus de pérenniser l’encadrement des loyers.
Mes chers collègues, outre que nous restons sur notre faim, dans l’attente d’un big-bang territorial ou même d’un acte III de la décentralisation, nous regrettons l’extrême timidité du Gouvernement.
Quoique plus légitime à porter un véritable projet d’organisation, en s’appuyant sur ses travaux et sa proximité avec les territoires, je regrette que la majorité sénatoriale ait également choisi de se contenter de reprendre la vision partielle et partiale de ses propositions antérieures, sans aucune ouverture ou compromis.
Madame notre rapportrice, je vous cite : « S’il n’y a pas tout, il vaut mieux qu’il n’y ait rien. » Vous l’avez dit ce matin en commission des lois.
À l’image des dispositions sur la métropole Aix-Marseille-Provence, ce texte part d’un constat sans appel et partagé par tous, mais n’y répond que très partiellement, voire témoigne d’une ambition trop partisane.
Cette non-loi fourre-tout proposée par le Gouvernement est devenue un texte sans vision réelle structurante qui ne résoudra aucun problème d’organisation et de coordination des communes, des métropoles et des régions. Quant aux citoyens, toujours trop absents, ils continueront à ne pas pouvoir participer suffisamment et à ne pas pouvoir comprendre comment les choses marchent. C’est pourquoi, fervent défenseur d’une décentralisation à la hauteur des spécificités locales et d’une différenciation synonyme d’efficacité et non de compétition et d’inégalités, le groupe GEST a déposé près de 200 amendements afin d’améliorer ce texte, que nous ne voterons pas en l’état.