Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après plus d’un an de concertations et d’hésitations, d’atermoiements, sur l’inscription à l’ordre du jour de ce texte, nous entamons enfin l’examen du projet de loi 3DS. Ce texte devait traduire la vision qu’avait le chef de l’État de la République territoriale, en réponse notamment à la crise des « gilets jaunes », en s’inspirant du débat avec les maires, dont le Président de la République avait redécouvert l’utilité.
Las, comme l’a précédemment indiqué mon collègue Didier Marie, ce texte est une succession de mesures. Si c’était un animal, ce serait un invertébré… C’est, au bout du compte, la désillusion qui l’emporte, sur toutes les travées et chez les élus locaux. Par ailleurs, ce texte ne tire pas les conséquences de la crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire, il s’agit d’un texte « nid-de-poule » : il répare des choses de-ci, de-là, parfois à juste titre, parfois non, mais il ne trace aucun itinéraire, ne porte aucun souffle. Résultat : un nombre d’articles doublé et de nombreux amendements, en dépit des déclarations d’irrecevabilité, le tout à examiner dans un délai record, ce gouvernement ne voyant aucun intérêt à créer les conditions requises pour un examen serein des textes. Nous pouvons donc remercier les services du Sénat et les collaborateurs de groupe.
Pourtant, il y avait des propositions, émanant tant de la majorité sénatoriale que de notre groupe, auteur de la proposition de résolution pour une nouvelle ère de la décentralisation.
Nous examinons un texte portant sur la différenciation. L’État français a réussi sa construction par la centralisation, mais cette réussite s’est traduite par la méfiance à l’égard des territoires, souvent considérés comme immatures. L’intitulé du titre I du présent projet de loi laissait augurer une petite révolution en la matière, mais celle-ci a été démentie par son contenu. C’est parce que le Gouvernement refuse d’assumer une véritable logique de différenciation que des difficultés demeurent, par exemple avec la compétence « eau et assainissement ». Ainsi, si l’annonce d’une différenciation marque l’amorce d’un changement de référentiel, l’exécutif se contente de faire la charité d’une parcelle de liberté en matière de pouvoir réglementaire…
L’article 1er bis a été opportunément introduit par les rapporteurs. Il représente, il faut le souligner, un changement de mentalité pour la majorité sénatoriale, qui s’était opposée à cette évolution, proposée par des parlementaires socialistes dans le cadre de l’examen du projet de loi NOTRe. Nous proposerons d’ajouter d’autres dispositions, afin de garantir une réponse de l’exécutif aux demandes d’adaptation législative et réglementaire des collectivités.
Nous serons en revanche en désaccord avec certaines évolutions proposées par la majorité sénatoriale, notamment celle, scandaleuse, qui consiste à autoriser les départements à poser une condition de patrimoine pour pouvoir bénéficier du RSA.
Nous serons également en désaccord avec le rétablissement de la notion d’intérêt communautaire pour des compétences qui constituent le cœur de l’intercommunalité ; cela n’a aucun sens. Les modifications apportées par la loi Engagement et proximité ainsi que la possibilité, que nous avons également proposée, de transférer des compétences facultatives à la carte suffisaient.
Nous aurions pu nous retrouver sur les dispositions concernant les CTAP, car il s’agit d’interterritorialité, mais votre approche est trop instrumentale, mes chers collègues, dans la mesure où elle repose sur des délégations de compétences. La rédaction initiale de cette disposition était floue, et, en ce qui concerne les délégations « ascendantes », l’accord des communes membres d’un EPCI nous semble indispensable.
En matière de décentralisation, les compétences transférées sont résiduelles et les modalités de transfert soulèvent des interrogations ; je pense par exemple aux routes nationales. Pour ce qui concerne la transition écologique, l’incompréhension domine, puisque nous sortons à peine de l’examen du projet de loi Climat, qui n’a même pas été promulgué. Quel est l’intérêt de cette méthode, madame la ministre ?
Malgré tout, nous défendrons quelques amendements, notamment pour sécuriser les droits des salariés lors du transfert des petites lignes ferroviaires ou pour faire avancer la question du fret ferroviaire. Nous sommes par ailleurs favorables – nous l’avions également proposé – au transfert aux régions du service public de l’emploi.
En matière de logement se pose encore la question de la quasi-concomitance des examens de ce texte et du projet de loi Climat. En outre, l’exécutif ne répond pas au problème principal, celui de la cherté du foncier et de la production de logements sociaux, qu’il a mise en péril depuis 2017. Ce sont la préservation et l’application de la loi SRU qui ont guidé nos propositions, la tentation de la droite de cet hémicycle étant de l’entailler…
La même tentation hante nos collègues à propos des questions de justice sociale, quand ils souhaitent contrôler davantage encore les bénéficiaires du RSA. Pour notre part, nous défendrons la lutte contre les non-recours aux prestations sociales.
La déconcentration consiste à optimiser les services territoriaux de l’État et à les faire mieux travailler avec les collectivités territoriales. Or le texte n’aborde pas réellement cette dimension. On y traite davantage de recentralisation dans les mains du préfet, notamment des compétences des agences de l’eau, disposition sévèrement critiquée par le Conseil national d’évaluation des normes et que nous proposons de supprimer.
Je ne m’étendrai pas sur France Services, grossière tentative de récupération de ce qui a été réalisé par les collectivités locales.
En matière de simplification, si certaines mesures peuvent sembler utiles, il s’agit plutôt – étonnamment – de complexification, si possible par voie d’ordonnances.
Face à tout cela, nous avons essayé de tenir une ligne, une gageure avec un texte aussi désarticulé. Cette ligne, c’est celle de l’option sociale et écologique dans une République des territoires, mais aussi celle de l’orientation démocratique et féministe.
J’en finirai avec un « D », qui nous manque cruellement, la grande absente du texte : la démocratie locale. Ce texte devait constituer, normalement, une réponse à l’éloignement démocratique. Nous avions déposé de multiples amendements visant à réparer ce manque, mais la plupart d’entre eux ont été déclarés irrecevables. Pour autant, il en reste quelques-uns : budget participatif, questions orales citoyennes, référendum local d’initiative partagée, rétablissement des conseils de développement, abaissement du seuil de signatures pour solliciter une consultation du public. Tout cela paraît mineur à la majorité, …