Intervention de Max Brisson

Réunion du 7 juillet 2021 à 15h00
Différenciation décentralisation déconcentration et simplification — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Max BrissonMax Brisson :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà quarante ans, le 27 juillet 1981, Gaston Defferre disait aux représentants de la Nation : « ouvrons les yeux, regardons autour de nous. En quelques années, tout a changé […]. Partout, un nouveau droit a été reconnu. Partout, pour y parvenir, la décentralisation est devenue la règle de vie ; partout, sauf en France. » Or, cinquante ans plus tard, pour beaucoup d’élus, ces mots résonnent toujours avec force, car notre pays a conservé, en matière de décentralisation, plusieurs trains de retard sur ses voisins. Cela constitue, à mes yeux, une des raisons majeures de son incapacité à se réformer.

Ce texte marque-t-il une avancée ? La réponse est apportée par le Conseil d’État : « Les mesures qu’il comporte sont d’ampleur limitée en matière de décentralisation. » C’est là le malentendu majeur entre ce gouvernement et ceux qui attendaient, comme en 1982 ou 2004, qu’on ouvrît un nouveau cycle de décentralisation grâce à un transfert substantiel de nouvelles compétences vers les collectivités, accompagné des moyens financiers et humains correspondants.

Ce projet de loi est, après la loi Engagement et proximité, au mieux un nouveau volet de la réforme territoriale portant sur l’organisation des collectivités, au pire un second volet de la loi Accélération et simplification de l’action publique, un ASAP bis, en quelque sorte. Non, ce n’est pas une loi de décentralisation, et la France conservera bien plusieurs trains de retard sur ses voisins !

Vous n’avez même pas osé, après y avoir pensé, décentraliser une médecine scolaire sinistrée au profit des départements, qui ont pourtant fait leurs preuves en matière de PMI. Vous avez reculé au premier grognement des syndicats. Heureusement que Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin n’en firent pas autant en 2004.

Sur le transfert des gestionnaires des collèges et lycées, la mesure que vous nous proposiez était en deçà de l’attente des collectivités. Là aussi, vous avez cédé aux corporatismes syndicaux.

Nos rapporteurs, Françoise Gatel et Mathieu Darnaud, que je salue chaleureusement, vous invitent désormais à préciser vos intentions et à mettre un terme à une curieuse incongruité, où des fonctionnaires d’État commandent encore à des fonctionnaires territoriaux, comme s’il y avait une hiérarchie de noblesse des fonctions publiques dans ce pays.

Sur la différenciation, les dispositions que vous portez sont également très modestes. On est loin de l’attente de certains territoires, comme le mien, en la matière. Heureusement, les rapporteurs nous proposent un transfert à la carte des compétences sur les territoires intercommunaux ou le rétablissement du critère de l’intérêt communautaire, autorisant l’agilité tant réclamée pour s’adapter à la réalité très diverse des EPCI. De même, j’ai apprécié la réécriture par nos rapporteurs des passages sur la différenciation.

Madame la ministre, vous nous dites que ce projet de loi répond aux attentes des élus. Effectivement, les maires, les élus départementaux et régionaux plaident, presque à l’unisson, pour ne pas subir un nouveau big-bang territorial. Pour autant, tout en entendant la demande de stabilité des élus locaux, vous aviez la possibilité d’aller plus loin et de donner un souffle nouveau à l’action publique. Pour vous y aider, le Sénat avait formulé, dès 2019, 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales. Vous en avez fort peu tenu compte.

Voilà presque un an jour pour jour, au lendemain des élections municipales, le président Larcher nous rappelait qu’il existait un lien entre abstention et absence de décentralisation. Ce constat résonne plus fort encore aujourd’hui. Nos concitoyens ont en effet compris que le pouvoir reste concentré à Paris, pour ne pas dire à l’Élysée. Ailleurs, il demeure émietté, atomisé, contrôlé, d’où le retrait des électeurs. Pourtant, il existe en Europe des pays où la participation électorale est aussi forte aux élections locales qu’aux élections nationales. Ce sont des pays profondément décentralisés.

Chez nous aussi, les territoires et les besoins de ceux qui les habitent sont pluriels. Ignorer cela en uniformisant l’action des collectivités territoriales, c’est aggraver l’éloignement des citoyens de l’action publique ; c’est alimenter à leur encontre ce sentiment d’impuissance et de défiance.

À force de retarder la libération des énergies territoriales et d’entraver les libertés locales, à force de reprendre d’une main, celle, toujours suspicieuse, de l’administration, ce que le pouvoir central fut obligé de concéder de l’autre, notre pays s’enlise dans un lourd et désuet jacobinisme, meilleur rempart des conservatismes, qui ne se trouvent pas toujours là où on le croit. Il est donc temps de rompre avec ce carcan. Ce quinquennat a, hélas, sur ce point échoué.

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