Je pense que cette polarisation existe déjà, même si nous n'avons pas su l'anticiper. Une partie des travailleurs dits indépendants, peu qualifiés, sont des personnes qui subsistaient par un travail au noir. Aujourd'hui, les plateformes leur offrent la possibilité de ne plus être dans une économie parallèle mais dans une économie transparente, qui les met cependant parfois dans une situation de précarité importante. Quand des États africains me questionnent sur la possibilité de l'ouverture de certaines plateformes comme Uber ou Deliveroo, je leur réponds franchement que les populations africaines sont plus fragiles qu'en Europe, plus précaires, moins formées et que la population formée est souvent déjà uberisée. Les personnes qualifiées et diplômées ne trouvent pas d'emploi dans des secteurs d'activité classique et se retrouvent chauffeur de taxi, petits commerçants ou pompiste. C'est le mal de l'Afrique. Il est difficile d'avoir des données précises par pays. Et ce type de petits métiers touche une majorité de femmes. On trouve une majorité de travailleurs du clic en Afrique qui gagnent deux centimes de l'heure ! J'ai pu constater, pendant ma présidence de deux ans et demi du CNNum, que l'évolution technologique a permis à une certaine époque à l'être humain de s'émanciper, d'alléger des contraintes et des aliénations du travail, notamment physiques. Aujourd'hui, elle tend vers un asservissement des travailleurs car nous sommes sur une technologie de service. Je pense que cette polarisation va se renforcer, mais qu'il est utopique de penser que c'est la mort du salariat. Je ne crois pas qu'un jour tout le monde sera à son compte. En fait, on va accentuer la polarisation entre les travailleurs non qualifiés et ceux extrêmement qualifiés et il arrivera un moment où on ne pourra plus soutenir ce système sans crise sociale. Je fais un parallèle avec la pandémie. On pourrait croire que les outils technologiques peuvent nous aider, mais ils ont aidé qui ? Ceux qui disposaient déjà de la technologie, des outils et/ou la compétence. J'attends toujours cette issue technologique qui permettra à l'épidémie de s'arrêter. Pour moi, les clefs sont pédagogie et éducation. Il faut faire monter en compétence toute la population sur l'usage personnel et professionnel de ces plateformes. Dans le cadre de la réinsertion publique à l'emploi, l'éducation technologique est particulièrement importante. La population doit être armée et outillée, et ne pas croire que tous auront la carrière d'une influenceuse beauté ! On devrait également se pencher sur ces influenceurs. Comment leurs revenus sont-ils générés ? La pression est telle que des revendications syndicales apparaissent. Ils ont le droit de vouloir gagner leur vie de cette manière, nous sommes au XXIème siècle ! Nous ne sommes pas tous obligé de travailler dans un secteur d'activité classique. Mais comment faire que ces outils n'aboutissent pas à l'effet inverse et qu'ils restent un support ?