Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous poursuivons aujourd’hui le marathon de l’examen des différents projets de loi organique résultant de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Constatons, monsieur le ministre, que la surcharge de l’ordre du jour parlementaire résulte pour beaucoup de l’empressement fréquent du Gouvernement à légiférer en fonction de l’actualité médiatique, surcharge qui explique le retard dans l’examen de beaucoup de ces projets de loi organique.
Le Conseil économique, social et environnemental est une institution méconnue, d’abord par nos concitoyens, mais aussi – oserai-je le dire ? – par nombre de responsables politiques.
Sa charge de travail a considérablement varié au fil des décennies, les gouvernements successifs ne voyant pas toujours un grand intérêt à consulter une institution pourtant utile à notre démocratie.
Depuis 1958, le recours immodéré à des nominations à titre discrétionnaire des membres de section par les gouvernements de toutes sensibilités n’a sans doute pas contribué à doter le Conseil de la crédibilité qui aurait assis sa légitimité.
Le Conseil économique, social et environnemental ne peut ni ne doit pas être l’expression des corporatismes, qui sont si nocifs à l’intérêt général. Il doit être l’expression de la technicité et de l’excellence, au sens noble du terme, dans les domaines essentiels de la vie en société.
Le Conseil ne peut ni ne doit non plus se confondre avec une récompense pour services rendus, se résumer à l’accumulation de lots de consolation ou de files d’attente pour des lendemains meilleurs. Sa crédibilité et, plus largement, celle des institutions de notre République en dépendent. Considérer que le Conseil serait l’expression de la société civile – terme contestable et inadéquat, qui me choque, car nous ne sommes pas tous des militaires ; sans doute faudra-t-il faire un effort dialectique sur ce sujet – et la représentation démocratique ne pourrait qu'aboutir à des échecs et à une absence d’efficacité.
Les assemblées ont un besoin croissant d’expertise. Nous avons tous en mémoire la qualité des conclusions du rapport de M. Philippe Valletoux : Évaluation et suivi des relations financières entre l’État et les collectivités locales. Nous avons eu la démonstration qu’un rapport, lorsqu’il est rédigé par les meilleurs experts, permet au Parlement d’approfondir sa réflexion. Est-il vraiment utopique de souhaiter qu’il en aille toujours ainsi ?
Le Conseil économique, social et environnemental trouve sa source dans l’idée selon laquelle la démocratie ne se résume pas à des relations exclusivement verticales entre gouvernants et gouvernés. La Révolution de 1789 avait accrédité et enraciné l’immanence de la souveraineté, que proclame l’article III de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »
Inspirée d’un projet émanant de la Confédération générale du travail, la CGT, la création, en 1925, du Conseil national économique procède d’un schéma selon lequel la légitimité démocratique du Parlement est compatible avec l’association des corps intermédiaires à la prise de décision politique. L’institutionnalisation de leur représentation ne faisait finalement que prolonger le vaste mouvement de reconnaissance de nouveaux droits économiques et sociaux pour les travailleurs, initié dès la fin du xixe siècle, notamment par les radicaux.
L’avènement de la IVe République et d’un Conseil économique et social constitutionnalisé n’ont pas remis en cause cette idée. En fait, le débat s’est concentré sur la place et sur les pouvoirs qu’il convenait d’attribuer à une telle assemblée. L’idée de la participation, avancée par le général de Gaulle, impliquait d’ériger la seconde chambre du Parlement en assemblée représentative des acteurs économiques et sociaux. Cette orientation se dessinait déjà dans le discours de Bayeux, en 1946.
Le référendum de 1969 portait notamment sur le projet de fusion du Sénat et du Conseil économique et social, afin de constituer un nouveau Sénat qui aurait exercé une fonction consultative et n’aurait disposé d’aucun pouvoir de blocage. Le Sénat, derrière le président Monnerville, avait clairement exprimé et fait triompher son opposition à ce projet.
Force est de constater que le Conseil économique et social, et demain environnemental, n’a pas encore pleinement trouvé sa place parmi nos institutions. Parfois ignoré par l’exécutif, parfois simple caution politique, le Conseil peine à trouver un nouveau souffle.
Permettez-moi de vous livrer une anecdote. Récemment, j’ai demandé au Conseil économique et social régional la liste de ses membres présents aux dix-sept réunions qui ont eu lieu depuis 2007. Pour obtenir une réponse, j’ai dû saisir la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, ce qui est révélateur de l’exceptionnel manque de transparence de l’institution.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a doté le Conseil de nouveaux moyens afin d’accroître l’influence de ses expertises. L’article 69 de la Constitution a créé un droit de saisine par voie de pétition au profit des citoyens. L’article 70 a étendu sa compétence aux questions environnementales et élargi sa saisine par le Parlement à toute question à caractère économique, social ou environnemental. Ces dispositions doivent être précisées par les législateurs organiques que nous sommes aujourd’hui.
Notre groupe considère que l’économie globale de ce projet de loi organique a des aspects positifs, mais cela ne nous empêche pas de formuler quelques réserves et observations.
La composition même du Conseil reste l’objet de débats, notamment sur la question du maintien des 72 membres de section désignés par le Premier ministre pour deux ans et qui sont censés tenir un rôle d’expert auprès de la section qui les accueille.
Le rapport de Dominique-Jean Chertier, Pour une modernisation du dialogue social, paru en 2006, suggérait leur suppression, évoquant, d’un doux euphémisme, des « conseillers de second rang dont la présence fragilise la représentativité de l’institution ». Nous partageons pleinement cette analyse. Le caractère largement discrétionnaire de ces nominations apparaît aujourd’hui anachronique.
Malgré des imperfections que nous avions dénoncées en leur temps, le dispositif du nouvel alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution associe, par souci de transparence, le Parlement aux nominations à certains emplois ou postes de la fonction publique parmi les plus éminents. Notre propos vise non pas à transposer une telle procédure, mais à souligner qu’il n’est plus justifiable, dans une démocratie moderne, de laisser l’exécutif procéder à de tels trains de nominations, parfois inutiles ou partisanes. L’Histoire doit prendre une autre direction.
Le Gouvernement souhaitait initialement substituer des hautes personnalités aux conseillers de section. Ces hautes personnalités auraient toujours été nommées de manière discrétionnaire par le Gouvernement, qui aurait de surcroît fixé, de façon unilatérale, leur indemnisation, laquelle est aujourd’hui encadrée par le règlement intérieur du Conseil.
En dépit des améliorations apportées par l’Assemblée nationale, ces dispositions restent insatisfaisantes, car elles se limitent à aménager à la marge le principe même des nominations discrétionnaires. Telle sera toujours la problématique d’une assemblée désignée, dont l’essence est de conseiller des assemblées et un gouvernement élus au suffrage universel.
La question de la représentativité des 233 autres conseillers, notamment des 63 conseillers désignés par les organisations socioprofessionnelles, constitue également une antienne puisqu’elle fut soulevée dès 1963. Une première réforme, toujours effective, fut adoptée en 1984.
En ce qui concerne la représentation spécifique des syndicats de salariés, le choix des organismes au sein de chaque groupe relève du domaine réglementaire, c’est-à-dire exclusivement du Gouvernement, qui intervient sous le contrôle du Conseil d’État. Aujourd’hui, cette représentation obéit à une règle quasi forfaitaire pour les principales organisations, mais moins claire pour d’autres. Il est ainsi difficile de définir des critères objectifs justifiant les choix qui sont effectués. Or, le présent projet de loi doit s’articuler avec la loi de 2008 portant réforme de la démocratie sociale et réforme du temps de travail qui a profondément modifié les règles en retenant le principe d’une représentativité des syndicats issue du vote des salariés. La composition du Conseil doit tenir compte de ce nouveau principe qu’elle semble pourtant éluder, ce qui est regrettable.
Toujours en matière de représentation, nous souhaitons la réintroduction des représentants des entreprises publiques. Le poids économique de ce secteur, combiné à son importance sociale, justifie amplement qu’il soit spécifiquement représenté parmi les dix personnalités qualifiées du domaine économique.
Nous apporterons également notre soutien à l’initiative du rapporteur qui permet d’assurer une révision décennale de la composition du Conseil à partir de 2014, afin de traduire le plus fidèlement possible l’importance économique et sociale des principales activités de notre pays.
Enfin, la révision constitutionnelle de 2008 a ouvert au Parlement le droit de saisir le Conseil sur toute question relevant de sa compétence. Cette innovation, intéressante parce qu’elle ouvre l’expertise du Conseil aux parlementaires, est vite tempérée par le présent texte qui limite cette saisine aux seuls présidents des deux assemblées. Il s’agit donc d’un droit potentiel soumis au filtrage des présidents, ce qui revient, dans les faits, à conférer un droit de véto à la majorité. Ce choix est d’autant plus dommageable que la révision constitutionnelle de 2008 a accordé toute leur place aux groupes parlementaires. Il nous semblerait donc logique d’étendre ce droit de saisine, dans l’intérêt tant du Conseil que de la représentation nationale.
Mes chers collègues, si nous partageons certains des objectifs de ce texte, nous considérons que la revalorisation du Conseil économique, social et environnemental ne sera pas complète si ses avis et rapports, souvent pertinents, restent lettre morte. Le pouvoir exécutif et le Parlement ont tout à gagner à une expertise accrue. Évitons que le diagnostic de Maxime Blocq-Mascart ne se pérennise. En 1958, il écrivait ceci : « les travaux du Conseil économique ont toujours été remarquables depuis une trentaine d’années… mais vains… Ses activités se déploient dans le vide. Nos improvisations constitutionnelles ne remédient pas à un état de fait aussi fâcheux que prolongé ». Il serait souhaitable de ne pas devoir poser le même diagnostic dans quelques années.
Sous les réserves que je viens de présenter, et en fonction du sort qui sera réservé à certains amendements, le groupe RDSE décidera s’il doit voter ce texte ou s’abstenir.