Il ressort de cette enquête que les freins à la mobilité sont évidemment exacerbés en milieu rural. Ils sont corrélés à d'autres freins qui viennent entraver la capacité des femmes à mettre en oeuvre une démarche de changement visant une plus grande mobilité.
En premier lieu et sans surprise, l'absence de transport pour rejoindre les gares ou le lieu de travail est citée comme frein principal. Vient ensuite l'absence de permis de conduire et de véhicule personnel. Le fait que les femmes ne disposent pas du permis doit évidemment être mis en lien avec les difficultés économiques pour le financer et, à terme, entretenir le véhicule. Il questionne également l'impact des stéréotypes de genre. En zone rurale, les jeunes filles n'ont pas les mêmes opportunités que les jeunes garçons, jugés plus compétents pour conduire sur des routes dites « dangereuses » et pour intervenir en cas de panne. Elles sont donc moins encouragées à passer le permis. Très tôt, elles intègrent le fait que la conduite n'est pas pour elles.
L'un des enjeux majeurs, en lien avec la mobilité et renforcé par la crise sanitaire, reste l'isolement de certaines femmes dans les territoires ruraux. Confrontées à une situation inédite, elles ont parfois renoncé à chercher du travail. Elles surinvestissent alors leur place à la maison. Trois types d'actions ont été menés à la suite de la crise sanitaire, à partir du premier confinement, pour rompre cette forme d'isolement qui a commencé à se développer.
Certains CIDFF ont renforcé le déploiement de leurs permanences en milieu rural. C'est le cas du CIDFF du Lunévillois qui a mis en place trois nouvelles permanences animées par deux chargées d'insertion socioprofessionnelle au sein de maisons de services au public et au sein de maisons de Familles Rurales. Elles reçoivent les personnes au plus proche de leur domicile, en entretiens individuels mais aussi lors de temps collectifs permettant de travailler sur des freins spécifiques tels que la mobilité et l'articulation des temps de vie. Les femmes suivies sont majoritairement des femmes élevant seules leurs enfants et qui ne sont pas originaires de leur commune de résidence. Elles ont été amenées à y emménager en raison de loyers plus faibles, eu égard à leur situation économique - la plupart touchent le RSA.
Dans la continuité des lieux éphémères créés pour lutter contre les violences faites aux femmes pendant le confinement, le dispositif Nina et Simon.e.s a été créé en juillet 2020 par la Direction régionale aux droits des femmes et à l'égalité de la préfecture des Hauts-de-France. Il regroupe dix associations, dont le CIDFF du Nord. Il permet un accueil gratuit et confidentiel autour des questions d'égalité hommes-femmes, de la vie affective et sexuelle, de la vie de couple, des droits, de l'insertion professionnelle, de la violence, mais aussi de l'isolement. Il est en cours au sein du centre commercial de Villeneuve-d'Ascq. À partir de ce dispositif s'est développée une nouvelle initiative expérimentale unique en France. Depuis le mois de février, En voiture Nina et Simon.e.s, un point d'écoute itinérant, porté par le CIDFF et l'association Solfa au sein d'une camionnette jaune, se déplace de village en village afin d'offrir conseils, écoutes et orientations sur les thématiques citées.
Enfin, beaucoup de CIDFF sont engagés dans les programmes Maisons digitales : agir pour l'autonomie de la Fondation Orange. Certains envisagent de développer, dès la rentrée de septembre, des permanences dans les territoires pour mettre en place des cycles numériques organisés de façon collective autour de grands thèmes tels que l'apprentissage des bases informatiques, la prévention de la cyberviolence, l'accès aux droits et l'insertion professionnelle. Nous reparlerons certainement dès le mois de septembre de la caravane numérique.
Ces trois exemples démontrent combien il est important de venir au plus près des territoires afin de travailler sur l'ensemble des freins et de permettre aux femmes d'accéder à une plus grande autonomie. L'approche globale, à travers la prise en compte des questions de santé, des difficultés administratives, des problèmes de garde d'enfant, de couple ou d'autres difficultés familiales, peut permettre d'accompagner la mobilité des femmes.
Le sport peut également être un très bon médiateur sur la question de l'insertion professionnelle et de la mobilité. Nous avons développé depuis 2016 l'action TouteSport. Ce programme, déployé sur plusieurs régions, permet au travers de nouvelles pratiques d'insertion professionnelle d'explorer d'autres pistes d'autonomisation en intégrant le sport dans les outils d'accompagnement des femmes vers l'emploi. C'est un projet souple et flexible, construit avec et en fonction des attentes des groupes de femmes, des réalités de terrain ou des territoires, et des objectifs spécifiques gérés par les équipes du CIDFF. La pratique sportive devient alors un médiateur pour explorer la culture, les loisirs, son territoire, et questionner son employabilité. C'est ainsi que certains projets peuvent intégrer la problématique de la mobilité à travers l'accès aux loisirs. Au sein du CIDFF de la Seine-Maritime, qui travaille avec le club nautique de Dieppe et le centre social Saint-Nicolas d'Aliermont, la mobilité a été organisée pour permettre la pratique sportive et l'accès aux événements sportifs. C'est ainsi que le centre social met à disposition un bus pour emmener les participantes au projet de Saint-Nicolas vers le club nautique de Dieppe. Le bus a également permis d'accompagner les participantes à des événements culturels ou sportifs, comme à un match de la Coupe du monde de football féminin en juin 2019. Certains CIDFF, dont celui de l'Ardèche par exemple, travaillent avec des plateformes de mobilité sur leur territoire. Les bénéficiaires ont la possibilité de réaliser des bilans de compétences mobilités afin d'évaluer leurs freins et capacités, d'identifier leurs besoins et engagements dans la démarche. La plateforme peut ensuite proposer un module de découverte de conduite.
D'autres projets portés par les CIDFF intervenant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) sont actuellement à l'étude pour être déployés dans les territoires ruraux. C'est le cas notamment au sein du CIDFF du Puy-de-Dôme qui, grâce à une subvention du conseil départemental, a pu acheter deux vélos électriques, deux vélos classiques et un scooter électrique. En lien avec la plateforme de mobilité, dix ateliers de prise en main et trois ateliers théoriques ont été organisés. Ces vélos et scooters pourront ensuite être mis à disposition des femmes pour lever les freins à la mobilité dans le cadre de futurs entretiens d'embauche, de prises de postes et d'entrées en formation.
Sur la question de l'insertion professionnelle, la problématique des modes de garde reste très prégnante. Lorsqu'ils existent, ces modes de garde peuvent être éloignés des lieux de travail ou de formation, ce qui vient allonger les temps de trajet entre domicile et travail. Leurs horaires sont en outre majoritairement inadaptés aux personnes travaillant le week-end ou en horaire atypique.
Il convient également de souligner le frein psychologique observé chez beaucoup de femmes, qui est à mettre en lien avec leur isolement, pour confier leur enfant à un tiers. Cela peut s'avérer difficile et douloureux. Certaines familles peuvent également considérer que les modes de garde sont trop onéreux ou complexes. C'est le cas des parents employeurs qui ont souvent peur du travail administratif engendré par le recours aux assistantes maternelles. Dans ce cadre, il paraît important de travailler sur ce frein psychologique avant même de rechercher une solution de garde. Le CIDFF du Cantal coordonne un dispositif innovant permettant aux parents en recherche d'emploi de s'autoriser, même ponctuellement, à utiliser un mode de garde adapté pour leur enfant. Partis du constat que l'interface Ma cigogne, permettant de réserver des places en crèche depuis Pôle Emploi, ne fonctionnait pas de manière optimale, la CAF, Pôle Emploi et le CIDFF ont identifié la nécessité d'accompagner plus en amont les parents. Pour garantir le succès de la démarche d'insertion professionnelle, il convient de mettre en place un accompagnement permettant aux parents de se projeter dans un mode de garde adapté pour leur enfant, en considérant que la séparation ne s'improvise pas, mais se prépare.
Dans la Drôme, le CIDFF est mobilisé sur un dispositif Partage (Partenariat, action, retour au travail et aide à la garde d'enfant). Ce dispositif, financé par la DES et la CAF, vise à renforcer le travail entre les professionnels de la petite enfance et ceux de l'insertion. Ils travaillent ensemble à la recherche de partenariats, notamment à partir de situations concrètes de besoins de garde non satisfaits. La conseillère du CIDFF accompagne l'ensemble des bénéficiaires orientés par les structures d'insertion et les aide à mieux comprendre les solutions de garde, à monter leur projet de demande en crèche, à identifier des assistantes maternelles à proximité. Elle peut même tenir des entretiens avec les parents et mener leurs démarches administratives. Elle anime également plusieurs groupes de travail sur plusieurs territoires de la Drôme, avec des professionnels de la petite enfance et de l'insertion. Dans ce cadre, un pointage régulier de l'offre de formation, de la situation de l'emploi et des modes de garde existants est réalisé. Sont par exemple mises en rapport les dates de démarrage de formations et les places disponibles en crèche, ce qui permet d'identifier les besoins et de rechercher des solutions, le cas échéant.
Nous avons également pris le temps d'analyser la situation des nouvelles formes d'emploi et des modes d'exercice de l'emploi. Interrogés sur le sujet, les CIDFF plébiscitent l'économie sociale et solidaire via le développement de structures favorisant la mobilité (garages solidaires ou auto-écoles sociales et solidaires). Le télétravail et la création d'entreprises ont également été étudiés. La crise sanitaire a démontré que ces deux formes de travail demandent une réelle vigilance quant au risque d'isolement et de charge mentale qu'elles peuvent renforcer auprès des publics installés dans les territoires ruraux.
Enfin, interrogés sur les pratiques de mobilité innovantes sur le territoire, les exemples de plateformes de covoiturage restent les plus cités par les CIDFF.
Pour conclure notre présentation, la FNCIDFF propose de penser la mobilité des femmes à travers trois axes :
- développer une offre de services de proximité (maisons de services, bus itinérants, crèches mobiles) afin de rompre l'isolement et de prévenir les risques ;
- accompagner la mobilité et l'égalité entre les hommes et les femmes en sensibilisant dès le plus jeune âge aux enjeux de déplacement et en intégrant dans le parcours scolaire l'apprentissage de la compétence mobilité ;
- faciliter l'articulation des temps de vie en incitant les entreprises à financer des places en crèche et en les accompagnant davantage dans la recherche de solutions de mobilité pour leurs salariés.