Nous parlons ce matin de la mobilité autour de l'articulation des temps de vie des femmes en territoires ruraux. Je vais vous parler de transports scolaires et des difficultés liées à leur mise en place dans les territoires ruraux. Cette mise en place de transports scolaires a inévitablement un impact sur l'emploi du temps des femmes ou, plus généralement, du conjoint restant à la maison pour s'occuper des enfants. À partir d'exemples concrets, je vais vous présenter les difficultés rencontrées dans les territoires et les recommandations ou solutions à étudier pour améliorer l'efficience de ces modes de transport.
La région Provence-Alpes-Côte d'Azur est compétente en matière de transport scolaire régulier depuis les transferts issus de la loi NOTRe. Pour ma part, j'exerce sur le territoire des Hautes-Alpes, département classé en zone montagne. Il dénombre 140 000 habitants, pour une densité moyenne de 23,56 habitants par kilomètre carré mais cette densité peut descendre à 4,2 habitants dans certains secteurs très ruraux. La moyenne d'âge de la population y est élevée.
Cela a été dit, certaines familles s'installent en territoire rural pour des raisons sociales. Elles n'ont souvent qu'un seul véhicule par couple. Il est utilisé par le conjoint qui travaille. Leur domicile est éloigné des centres urbains et des services que l'on peut y trouver : santé, travail, commerces et école. Ce constat est partagé et a déjà fait l'objet d'études sur lesquelles je ne reviendrai pas.
Le transport scolaire pourrait constituer un outil pour libérer du temps de vie aux femmes. Lorsqu'il existe, il leur permet d'avoir du temps à consacrer à elles-mêmes ou à d'autres activités.
Cependant, il est de plus en plus complexe à organiser pour différentes raisons :
- l'éloignement des centres opérationnels des transporteurs, qui induit un nombre élevé de kilomètres à parcourir avant d'arriver dans les villages reculés ;
- la géographie du territoire en vallée, qui rend difficiles les regroupements d'élèves dans un seul véhicule ;
- le faible nombre d'enfants à transporter en raison de la faible densité de population ;
- la difficulté à recruter du personnel qualifié.
Le déficit de conducteurs est un vrai sujet pour la profession. Dans le secteur géographique du Rosanais, j'ai été sollicitée par un élu pour mettre en place un circuit de transport pour trois enfants. Il existait déjà un circuit, auquel j'aurai pu ajouter les trois enfants concernés. Malheureusement, j'aurais alors dépassé la limite de huit élèves dans le véhicule. Le conducteur ne disposait pas du permis D (transport en commun), mais uniquement du permis B.
En effet, les transporteurs ne trouvent pas de candidats titulaires du permis D adéquat, et ce pour plusieurs raisons. Le transport scolaire occupe tout au plus une heure le matin et une heure le soir. Il conduit à des contrats précaires, qui eux-mêmes ne favorisent pas l'installation de familles dans les zones rurales. En outre, le permis D coûte environ 2 500 euros, ce qui n'est pas négligeable. La moyenne d'âge des conducteurs est aujourd'hui supérieure à 50 ans. Par le passé, les hommes pouvaient passer leur permis lors de leur service militaire. Ce n'est plus le cas. Ils doivent désormais le financer eux-mêmes, ce qui représente un réel problème.
Pour pallier ce déficit de personnel de conduite, la région PACA, la Fédération nationale de transport de voyageurs (FNTV) et l'AFTRAL (Apprendre et se Former en TRAnsport et Logistique) de Marseille ont travaillé conjointement pour mettre en place un programme de formation en apprentissage au titre professionnel de conducteur. Malheureusement, cette formation n'a pas pu être mise en oeuvre pour diverses raisons. Premièrement, son ouverture rapide a laissé moins de deux mois aux candidats pour s'y inscrire. De plus, les entreprises n'ont pas été très mobilisées pour proposer des contrats aux apprentis malgré la mobilisation forte de la FNTV et de la région. Enfin, le CFA (Centre d'apprentissage) était basé à Marseille et les stagiaires avaient trouvé des entreprises acceptant de les accueillir dans d'autres départements, ce qui supposait une mobilité pour pouvoir aller en cours. Nous n'avons pas pu renouveler cette expérience les années suivantes en raison de la crise sanitaire.
Une avancée a tout de même eu lieu entre-temps. En effet, l'âge minimal d'obtention du permis D, jusqu'alors fixé à 21 ans dans le cadre d'une formation longue et à 23 ans pour une formation courte, est passé à 18 ans depuis le 2 mai dernier, comme l'autorise la réglementation européenne. Nous espérons tous que cela permettra très prochainement d'accueillir de nouvelles recrues. La réforme était très attendue par la profession. Elle va permettre de créer, avec la FNTV et les partenaires sociaux, des filières de formation qui seront présentées à l'Éducation nationale afin d'y ajouter des épreuves de conduite. Ainsi, la formation des jeunes dans le cadre de leur scolarité en CAP leur permettra d'accéder pour la première fois au métier de conducteur de transport en commun. Lorsque les jeunes arrivaient à 21 ans, ils avaient souvent commencé une orientation professionnelle. Ils ne revenaient pas vers le passage du permis D pour se réorienter vers les métiers de la conduite. Le passer à 18 ans semble pertinent dans ce cadre.
Je peux proposer quelques solutions pour pallier le déficit de conducteurs et conserver ainsi un service de transport scolaire sur les territoires :
- s'assurer que la formation présentée au ministère de l'éducation nationale soit validée et qu'elle puisse bien être incluse dans le cursus des formations scolaires ;
- remettre en place les formations proposées par la région PACA, la FNTV (Fédération nationale des transports de voyageurs) et l'AFTRAL (Apprendre et se Former en TRAnsport et Logistique) ;
- envisager une aide pour préparer le permis D, comme cela existe pour le permis B ;
- enfin et surtout, comme nous avons vu que le transport scolaire ne proposait pas suffisamment d'heures de travail au conducteur pour lui verser une rémunération l'incitant à rester sur le territoire, nous devrions pouvoir favoriser un double emploi, une mixité d'emploi. Un conducteur pourrait travailler pour deux ou trois employeurs. Les critères qui autorisent les doubles emplois dans la fonction publique devraient pouvoir évoluer et être élargis à l'emploi de conducteur. Les employeurs locaux pourraient également être incités à autoriser leur personnel à avoir une activité le matin et le soir et adapter les horaires en conséquence, ce qui permettrait une meilleure rémunération de ces conducteurs. Aujourd'hui, ceux qui sont en situation de précarité déménagent avec leur famille et s'orientent vers des centres économiquement plus dynamiques où leur activité pourra être plus rémunératrice.
Je peux vous citer un autre exemple concernant trois enfants pour lesquels nous n'arrivions pas à mettre en place un service de transport scolaire, en raison d'un déficit de conducteurs dans le secteur concerné. Une habitante du bourg se rendait chaque jour à côté de l'école de ces élèves pour son travail. Nous avons décidé de la rémunérer en tant que conductrice pour faire du covoiturage scolaire. Une subvention lui était allouée pour emmener ces enfants à l'école. Après un an, nous avons toutefois arrêté cette expérimentation, qui pouvait s'apparenter à du travail dissimulé. La famille a ensuite déménagé.
Aujourd'hui, la loi d'orientation des mobilités autorise les autorités organisatrices de la mobilité à subventionner des co-voitureurs. Les décrets d'application fixent les conditions dans lesquelles peuvent être réalisés ces co-voiturages. Ils laissent un vide quant aux possibilités offertes pour utiliser ce dispositif dans le cadre du transport scolaire. Dans le cas où un transporteur serait dans l'incapacité de mettre en place un service de transport, est-il possible de recourir à cette possibilité ? Comment des trajets réguliers de transport scolaire peuvent-ils entrer dans ces critères ? Quelles seraient les responsabilités partagées du co-voitureur, du co-voituré et des AOM (Autorités organisatrices de la mobilité), compétentes en matière de transport scolaire ? Nous devrions saisir cette opportunité et aller plus loin dans cette expérimentation, qui doit être encadrée juridiquement pour préciser les responsabilités de chacun.
Ces difficultés en matière de transport scolaire influent nécessairement sur la vie des femmes qui sont obligées d'emmener et d'aller chercher les enfants à l'école.
La région Sud a offert la possibilité sur les territoires des Hautes-Alpes et des Alpes-de-Haute-Provence, principalement ruraux, d'ouvrir les transports scolaires à tous les publics. Chacun peut les emprunter selon un calendrier scolaire et des horaires définis. Cette possibilité n'existe cependant qu'à la condition qu'un service de transports en commun ait pu être mis en place. Si le conducteur n'a pas le permis D et que son véhicule transporte déjà huit enfants, il ne sera pas possible de lui fournir un car de capacité supérieure pour transporter davantage de personnes. C'est un vrai frein dans l'offre de service de transport aux publics à faible mobilité.
La région PACA a également mis en place sur les territoires du Var et des Alpes-Maritimes des TAD, transports en commun sur réservation. Les personnes appellent la veille de leur déplacement pour se rendre à leur destination, selon un trajet défini. Ces TAD représentent un réel coût pour la collectivité. En moyenne mensuelle, nous transportons sur ces deux territoires 118 personnes pour approximativement 1 000 trajets, soit sept trajets par personne en moyenne, pour un coût de 1 300 euros mensuels par personne transportée. Le montant de cette dépense pourrait être mis à profit pour des solutions plus optimisées, moins onéreuses, pouvant satisfaire un public plus nombreux.
Le maintien du transport scolaire est un enjeu essentiel pour les raisons que je viens d'évoquer. Il libère les femmes de leurs obligations quotidiennes et peut offrir à la population locale, féminine ou non, une solution de transport. Il ne peut toutefois être seul. Il doit être accompagné d'autres dispositifs. Les représentants de la FNCIDFF ont déjà évoqué quelques clés.
La non-mobilité peut apparaître comme une solution. Nous pourrions nous appuyer sur les SDAASP (Schémas départementaux d'accessibilité aux services publics) ou sur des initiatives itinérantes de santé ou de commerce. Nous devons toutefois veiller à ce que cette non-mobilité n'entraîne pas un isolement plus problématique.
Il existe aussi des plans de mobilité solidaire, qui doivent être mis en place à l'échelle de chaque bassin de mobilité. Ils pourront également apporter quelques réponses, avec un travail transversal entre les services de mobilité et les services sociaux.
Enfin, nous pourrions nous appuyer sur les réseaux locaux, les maisons de service au public ou les maisons de la mobilité pour recenser et informer sur toutes les possibilités offertes. Il existe parfois des initiatives individuelles, associatives ou collectives peu connues. Il est ardu de les recenser, de les identifier et de les centraliser pour ensuite diffuser l'information.
En matière de mobilité sur nos territoires ruraux, il n'y a pas de solution miracle. Il existe en revanche une somme de solutions. C'est l'un des enjeux pour conserver notre population sur nos territoires et en faire une vraie dynamique économique.