Intervention de Agnès Lacassie-Dechosal

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 24 juin 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur la mobilité au coeur de l'articulation des temps de vie des femmes dans les territoires ruraux

Agnès Lacassie-Dechosal, médecin départemental de Protection maternelle et infantile (PMI), directrice adjointe de la Direction Enfance-Famille du département de la Haute-Savoie :

Je vous propose un petit tour d'horizon de ce qui existe en Haute-Savoie. Je vous montrerai également que certaines solutions qui semblent innovantes peuvent être compliquées à mettre en oeuvre en raison de la crise que nous traversons.

La Haute-Savoie compte 800 000 habitants, sur quatre territoires contrastés :

- le bassin d'Annecy, très urbain, jouxtant des territoires ruraux et des zones de transition urbaine ;

- le Chablais avec deux villes importantes, Évian et Thonon-les-Bains, entourées de territoires ruraux et de montagnes ;

- la vallée de l'Arve, avec des villes de taille moyenne tournées vers l'industrie du décolletage et des territoires de montagne ;

- le Genevois français, prolongation de l'agglomération de Genève avec des territoires urbains, une forte densification d'habitations et des problématiques de grandes villes.

Nous constatons une augmentation de 7 000 habitants par an depuis cinq ans, avec un taux de chômage assez faible, mais en augmentation du fait de la crise. Le taux d'équipement est faible et la population vieillit. Elle est malgré tout très mobile. 10 % des trajets domicile-travail se font en transports en commun. C'est très peu. Les réseaux ont été peu développés. Nous avons assisté à une densification des routes, à l'inverse de ce qui se passe sur le reste du territoire national.

Comme dans d'autres départements, nous disposons de multi-accueils publics, au nombre de 136, sur un total de 271. Ils sont de moins en moins nombreux. Ces établissements accueillent des équipes plutôt stables et bien qualifiées. Cependant, la crise a eu des effets très délétères. De plus en plus de familles ne peuvent pas avoir accès à ces équipements. Pourtant, l'attractivité de l'accueil collectif reste dominante.

Les multi-accueils privés, au nombre de 133, se développent et prennent le pas sur les structures publiques. La majorité relève du complément de libre choix du mode de garde (CMG). Le reste à charge pour les parents ne permet pas à tous de bénéficier de ces établissements. Se creusent alors d'importants écarts entre les familles, selon leurs possibilités financières. Les établissements à gestion associative sont également en difficulté aujourd'hui, du fait d'une diminution des accueils parentaux et parce que les femmes travaillent de plus en plus à l'extérieur. Le taux d'activité des femmes s'élève à 77 % en Haute-Savoie. C'est davantage que la moyenne nationale.

Depuis l'arrivée des multi-accueils à gestion privée, certaines communes, y compris rurales, ont acheté des places dans ces établissements. Nous constatons tout de même un recul de ces achats et des non-renouvellements des contrats. Nous n'avons pas actuellement la possibilité d'évaluer les recours à des accueils non déclarés mais nous supposons que les familles essaient de plus en plus de se tourner vers des gardes non déclarées.

Les micro-crèches sont des petits établissements assez faciles à créer. Nous avons observé une augmentation très rapide du nombre de ces structures privées. Sur cent micro-crèches actuellement installées dans le département, seules dix-huit sont publiques. Les porteurs de projet sont de plus en plus éloignés des métiers de la petite enfance. Moins de 50 % ont une connaissance de ce milieu. Se pose également le problème de la pérennité financière de ces micro-crèches. Gérer un seul de ces établissements ne suffit pas à la pérennité d'une société. Pour être stable, il faut gérer trois structures, réparties dans les territoires ruraux notamment. Cela pose des problèmes à la direction, puisqu'une directrice de trois micro-crèches est obligée de parcourir de nombreux kilomètres, ce qui diminue sa présence au sein des structures. Les effectifs sont calculés au plus juste au moment de l'ouverture. Nous constatons beaucoup de mouvements de personnel, ainsi qu'un manque d'expérience et de formation initiale. La grande variabilité de la fréquentation de ces établissements n'est en outre pas prise en compte lors du montage du projet.

Le département rencontre d'importants problèmes en termes de recrutement de personnel de la petite enfance. Nous sommes situés à la frontière avec la Suisse, où les salaires sont plus attractifs et vers laquelle de nombreux professionnels partent. Restent sur notre territoire les personnels à qualification minimum, avec le passage de professionnels qui travaillaient en structures multi-accueil vers les micro-crèches, ou éventuellement les MAM (maisons d'assistantes maternelles) : des éducatrices de jeunes enfants se font agréer en tant qu'assistantes maternelles et ouvrent leur propre structure. Ces mouvements déstabilisent les multi-accueils. Les conditions de travail sont difficiles pour les référents techniques de ces structures. L'une des propositions pour maintenir ces accueils serait de compléter les prises de poste par un plan de formation.

Comme tous les départements de France, nous observons une importante diminution du nombre d'assistants maternels. Nous en perdons 300 par an depuis plus de cinq ans, avec une nette diminution des premières demandes, qui sont 50 % moins nombreuses qu'il y a dix ans. Cela entraîne un renouvellement insuffisant. L'exigence de professionnalisation, les logements très onéreux en Haute-Savoie et les attentes sur les conditions de sécurité des logements constituent une réelle difficulté pour nous. Ils représentent des dépenses supplémentaires pour les assistantes maternelles. Celles-ci exercent souvent cette profession pour un temps très court, souvent moins de cinq ans, avant de changer d'emploi. Elles restent pourtant des recours importants en milieu rural et en montagne.

Le modèle des MAM correspond bien aux petites communes rurales. Nous en comptons actuellement trente. Les assistantes maternelles sont encouragées et soutenues par les élus municipaux. Certains maires démarrent ce type de projet sans avoir de candidats pour intégrer les locaux. Ils lancent en quelque sorte un appel d'offres. Ces projets s'inscrivent souvent sur les sites d'anciens locaux publics en rénovation, grâce au co-financement de fonds publics. Ce sont par exemple des appartements de fonction, des écoles, des presbytères. Cette aide publique paraît indispensable au démarrage et à l'équilibre budgétaire des structures. La stabilité de ces maisons pose question car les assistantes maternelles doivent réussir à entretenir des relations d'équipe sans cadre responsable. Les relations avec les parents ne sont pas toujours sereines. C'est tout cet accompagnement qui doit être développé. Les évolutions prévues par l'ordonnance du 19 mai 2021, notamment l'intégration d'une sixième assistante maternelle et l'extension de la capacité d'accueil de ces maisons à vingt places sont à examiner car nous assisterons probablement à une augmentation des difficultés de coordination entre les professionnels qui y travaillent.

Je souhaite m'attarder sur la garderie itinérante Karapat, mise en place depuis 2006 sur notre département. Elle a pour objectif de couvrir les zones rurales dans lesquelles il n'existe pas de structure d'accueil en nombre suffisant pour proposer des accueils ponctuels ou occasionnels et permettre aux assistantes maternelles de confier des enfants, notamment pendant leurs formations, ou en dépannage ponctuel. Des bus ont été aménagés avec des berceaux, plans de change, réfrigérateurs, lieux pour entreposer les biberons... Le matériel est déplacé de point en point. L'accueil se fait une journée par semaine dans les communes desservies. Trois bus ont ainsi été équipés. La crise du Covid-19 a entraîné l'arrêt du troisième en raison d'une baisse de fréquentation. Nous avons rencontré quelques difficultés sur lesquelles nous devons travailler. Les accueils ne sont pas suffisamment sécurisés. Ce sont des salles polyvalentes, qui nécessitent un aménagement important. Après quelques années, nous constatons une diminution d'usage de cet équipement itinérant, certainement due au développement des MAM. L'offre peut également ne plus correspondre aux attentes des parents. Ceux-ci demandent de plus en plus d'accueils réguliers, puisque viennent s'installer en milieu rural des familles qui travaillent. Les femmes ne restent pas à domicile. Elles ont besoin de gardes beaucoup plus régulières.

Pour les gestionnaires, et notamment pour celle de cet équipement, il est ardu de recruter des professionnels de la petite enfance qui ne restent pas sur le territoire en raison du niveau de vie, de transports collectifs insuffisants qui les empêchent de se rendre sur les points d'arrêt du camion et d'une géographie qui laisse des territoires enclavés, à l'économie peu développée.

Nous devons également réfléchir au taux de remplissage qui pénalise les structures et remet en question la qualité de l'accueil. Nous examinons dans notre département beaucoup de demandes de dérogation, notamment sur les conditions d'expérience et de diplômes. Nous essayons de le faire en accompagnement, pour ne pas avoir à fermer de structures. Nous sommes également confrontés à des cas particuliers pour les accueils en station de montagne. Nous disposons majoritairement de haltes-garderies touristiques, pas vraiment adaptées aux besoins des saisonniers. Nous devons réfléchir à des modes de garde alternatifs plus souples.

J'ai quelques propositions :

- revoir le rapport entre les structures CMG et PSU (Prestation de service unique) pour rendre les modes de garde collectifs plus abordables ;

- revoir la répartition territoriale des Établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE) et des MAM, car tout entrepreneur privé qui souhaite s'installer sur une commune peut actuellement le faire, l'avis du maire n'étant que consultatif. Nous avons beaucoup de mal à réguler la répartition des nouveaux projets sur le territoire ;

- renforcer les solutions d'accueil pour les personnels saisonniers en station avec des structures mixtes, ouvertes sur l'année, avec des capacités d'accueil à réguler en hiver et en intersaison ;

- développer les relais d'assistants maternels qui deviendront des relais petite enfance, fixes ou itinérants ;

- soutenir financièrement la garde à domicile en milieu rural, notamment sur des horaires atypiques, pour les parents habitant loin de leur lieu de travail. Les modes de garde collectifs et l'accueil chez un assistant maternel ne sont pas adaptés à ces nouveaux rythmes de travail ;

- développer les accueils itinérants, bien que nous constations que la structure existante est en difficulté.

Le département a décidé d'expérimenter une externalisation des agréments à la CAF, ce qu'ont rendu possible la loi ASAP et l'ordonnance du 19 mai 2021. Cette expérimentation a débuté le 1er avril 2020. LA CAF instruit les nouvelles demandes d'agrément des EAJE. La PMI reste en soutien pour des visites de chantier de conformité. Nous attendons avec impatience le décret sur le référentiel bâtimentaire. Cela permet de raccourcir le délai entre l'instruction et l'ouverture de l'établissement et de percevoir plus rapidement les subventions pour répondre aux besoins de la population.

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