À bien des égards, les élections européennes apparaissent comme des « élections de seconde zone », qui ne permettent pas aux citoyens européens de se faire entendre : le taux de participation y est souvent plus bas qu'aux élections nationales, l'effet sur le choix des dirigeants est limité du fait des prérogatives des États et les enjeux nationaux tendent à prédominer, faisant de cette élection une juxtaposition de 27 élections nationales, comme nous l'avons d'ailleurs vu lors des dernières élections européennes. Ceci s'explique sans doute, en partie, par la difficulté à « incarner l'Union » et par les limites de la couverture médiatique de son actualité. Les dirigeants européens demeurent peu connus de nos compatriotes.
Les deux propositions que nous étudions aujourd'hui visent à répondre à ce constat.
Il s'agit tout d'abord de la circonscription unique. Je fonderai mon propos sur la proposition de notre collègue eurodéputé Domènec Ruiz Devesa, qui devrait constituer la base de discussion du débat qui s'ouvre pour les prochains mois.
Très concrètement, l'électeur serait appelé à voter deux fois : la première dans le cadre des listes nationales classiques, la seconde dans le cadre des listes transnationales, communes à toute l'Union. Celles-ci pourraient compter 46 noms, ce qui correspond au solde des sièges britanniques non réattribués après le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne. Elles devraient permettre d'européaniser la campagne, en donnant aux partis politiques européens la responsabilité de désigner les candidats des listes transnationales et de conduire une campagne pan-européenne, sur la base de leur manifeste.
Mettre en place cette circonscription unique ne devrait pas poser de difficulté juridiquement. Il faudra cependant réunir l'unanimité des États - et de leurs parlements -, ce qui semble plus difficile étant donné que certains ont déjà exprimé leur désaccord.
L'équilibre entre États membres, dans la composition des listes, sera particulièrement difficile à trouver : il faut instituer des règles qui rassureront les États les moins peuplés, qui pourraient craindre qu'on attribue les positions éligibles aux États les plus peuplés. Nous estimons cependant que le système proposé risque d'accroître encore le déséquilibre entre les États les plus peuplés et les moins peuplés : serait désigné un député pour 25 millions d'habitants dans les cinq États les plus peuplés et un député pour un million d'habitants dans les cinq États les moins peuplés.
On peut de plus craindre que les députés élus sur ces listes soient des « députés hors sol », qui, paradoxalement, joueront les premiers rôles : l'élection pan-européenne leur donnerait une légitimité européenne considérable, la campagne transnationale une grande visibilité et l'investiture des partis européens l'assurance d'être immédiatement au centre du jeu.
Enfin, mettre en place une circonscription unique aura des conséquences importantes sur notre droit électoral national. Le principe d'égalité entre électeurs nous conduira en effet, par les normes adoptées ou par la jurisprudence, à harmoniser nos droits électoraux. Plusieurs pays utilisent le vote par correspondance et le vote par anticipation : la France devra probablement envisager de mettre en place ces possibilités, qui n'appartiennent pas à nos traditions électorales. De même, la décision du Conseil de 2018 autorise le vote électronique et le vote par internet. Enfin, il pourrait s'avérer nécessaire d'harmoniser les règles en matière de campagnes électorales, pour assurer l'égalité entre les listes, ce qui pourrait avoir des effets sur les règles de financement, la régulation audiovisuelle, l'autorisation des publicités commerciales, la diffusion des sondages électoraux, la conception des bulletins de vote, etc. À la lumière des dernières élections régionales, j'ajouterai que se posera également la question de la distribution de la propagande électorale.