La Conférence sur l'avenir de l'Europe, lancée le 9 mai dernier par l'Union européenne pour offrir aux citoyens l'opportunité d'exprimer leurs attentes envers elle, se penchera notamment sur deux hypothèses d'évolutions institutionnelles majeures qui concernent les élections européennes et leurs conséquences sur la désignation de la Commission européenne : d'une part, les listes transnationales, qui consistent à élire une partie des eurodéputés au sein d'une circonscription unique, à l'échelle de l'Union, afin de donner à la campagne électorale une dimension pan-européenne ; d'autre part, le système des spitzenkandidaten, selon le terme allemand, qui consiste à ce que le Conseil européen désigne automatiquement, comme candidat à la présidence de la Commission, le candidat tête de liste du parti qui sera arrivé en tête aux élections.
Portées par certains groupes politiques du Parlement européen et défendues par le Président de la République française, ces évolutions visent à répondre en partie au « déficit démocratique » de l'Union, en « européanisant » le scrutin et en donnant plus de pouvoir aux électeurs.
Le Parlement européen, qui dispose du droit d'initiative en la matière, devrait adopter au printemps prochain ses propositions sur le sujet, mais a déjà commencé ses travaux. En tout état de cause, il faudra prendre une décision début 2023 au plus tard, pour ne pas modifier les règles du scrutin moins d'un an à l'avance, conformément aux principes du Conseil de l'Europe. Nous avons souhaité avec Laurence Harribey étudier les conséquences concrètes de ces mesures, afin d'éclairer le débat que nous aurons dans les mois qui viennent.
Les États membres ne sont jamais vraiment parvenus à adopter une procédure uniforme pour les élections européennes, qui sont dès lors régies à la fois par des règles communautaires et par des règles nationales. Je souligne qu'il est déjà possible « d'européaniser » le bulletin de vote, en faisant apparaître le logo du parti politique européen ou le nom du candidat tête de liste soutenu. Cette possibilité a été utilisée mais seulement par deux listes françaises en 2014 et par aucune en 2019 ; au niveau de l'Union, à peine 6-7 % des listes y ont eu recours.
Concernant la désignation de la Commission, elle fait intervenir à la fois les États membres et le Parlement européen, ce qui souligne le caractère hybride de la légitimité dans l'Union européenne, qui repose à la fois sur les États membres et sur un parlement élu au suffrage universel, devant lequel la Commission est d'ailleurs responsable. Concrètement, les chefs d'État et de gouvernement désignent un candidat à la présidence de la Commission, « en tenant compte du résultat des élections », qui doit être approuvé par le Parlement européen ; le Conseil adopte ensuite la liste des autres commissaires, sur la base des suggestions des États membres. Le Parlement, après une audition individuelle de chacun des candidats, approuve l'ensemble du collège. Cette procédure de désignation de la Commission a sensiblement évolué depuis les origines, au fur et à mesure de la montée en puissance du Parlement européen, élu au suffrage universel depuis 1979.
La campagne électorale et la désignation du Président de la Commission sont des moments où les partis politiques européens peuvent jouer un rôle : en particulier, ils adoptent un manifeste politique au niveau de l'ensemble de l'Union et désignent leur candidat à la présidence de la Commission.
Le fonctionnement interne des partis politiques européens repose notamment sur un « congrès », qui réunit, d'une part, les titulaires de certains postes (commissaires, président de groupe, etc.), et, d'autre part, des représentants des partis nationaux membres, selon une répartition faisant généralement intervenir le nombre de députés européens et/ou le score aux élections européennes, voire le nombre de parlementaires nationaux.
Le poids d'un parti national au sein du parti européen correspondant dépend donc fortement de son score aux élections européennes ; et l'on peut souligner que la France est rarement parmi les premières délégations nationales du groupe du parti populaire européen (PPE) ou du groupe socialiste, qui sont les deux principaux groupes du Parlement.
J'ajoute qu'on a pu voir des députés européens français, élus sur la même liste, se répartir dans des groupes politiques européens différents, ce qui interroge là encore sur la réalité des partis européens.
À bien des égards, les élections européennes apparaissent comme des « élections de seconde zone », qui ne permettent pas aux citoyens européens de se faire entendre : le taux de participation y est souvent plus bas qu'aux élections nationales, l'effet sur le choix des dirigeants est limité du fait des prérogatives des États et les enjeux nationaux tendent à prédominer, faisant de cette élection une juxtaposition de 27 élections nationales, comme nous l'avons d'ailleurs vu lors des dernières élections européennes. Ceci s'explique sans doute, en partie, par la difficulté à « incarner l'Union » et par les limites de la couverture médiatique de son actualité. Les dirigeants européens demeurent peu connus de nos compatriotes.
Les deux propositions que nous étudions aujourd'hui visent à répondre à ce constat.
Il s'agit tout d'abord de la circonscription unique. Je fonderai mon propos sur la proposition de notre collègue eurodéputé Domènec Ruiz Devesa, qui devrait constituer la base de discussion du débat qui s'ouvre pour les prochains mois.
Très concrètement, l'électeur serait appelé à voter deux fois : la première dans le cadre des listes nationales classiques, la seconde dans le cadre des listes transnationales, communes à toute l'Union. Celles-ci pourraient compter 46 noms, ce qui correspond au solde des sièges britanniques non réattribués après le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne. Elles devraient permettre d'européaniser la campagne, en donnant aux partis politiques européens la responsabilité de désigner les candidats des listes transnationales et de conduire une campagne pan-européenne, sur la base de leur manifeste.
Mettre en place cette circonscription unique ne devrait pas poser de difficulté juridiquement. Il faudra cependant réunir l'unanimité des États - et de leurs parlements -, ce qui semble plus difficile étant donné que certains ont déjà exprimé leur désaccord.
L'équilibre entre États membres, dans la composition des listes, sera particulièrement difficile à trouver : il faut instituer des règles qui rassureront les États les moins peuplés, qui pourraient craindre qu'on attribue les positions éligibles aux États les plus peuplés. Nous estimons cependant que le système proposé risque d'accroître encore le déséquilibre entre les États les plus peuplés et les moins peuplés : serait désigné un député pour 25 millions d'habitants dans les cinq États les plus peuplés et un député pour un million d'habitants dans les cinq États les moins peuplés.
On peut de plus craindre que les députés élus sur ces listes soient des « députés hors sol », qui, paradoxalement, joueront les premiers rôles : l'élection pan-européenne leur donnerait une légitimité européenne considérable, la campagne transnationale une grande visibilité et l'investiture des partis européens l'assurance d'être immédiatement au centre du jeu.
Enfin, mettre en place une circonscription unique aura des conséquences importantes sur notre droit électoral national. Le principe d'égalité entre électeurs nous conduira en effet, par les normes adoptées ou par la jurisprudence, à harmoniser nos droits électoraux. Plusieurs pays utilisent le vote par correspondance et le vote par anticipation : la France devra probablement envisager de mettre en place ces possibilités, qui n'appartiennent pas à nos traditions électorales. De même, la décision du Conseil de 2018 autorise le vote électronique et le vote par internet. Enfin, il pourrait s'avérer nécessaire d'harmoniser les règles en matière de campagnes électorales, pour assurer l'égalité entre les listes, ce qui pourrait avoir des effets sur les règles de financement, la régulation audiovisuelle, l'autorisation des publicités commerciales, la diffusion des sondages électoraux, la conception des bulletins de vote, etc. À la lumière des dernières élections régionales, j'ajouterai que se posera également la question de la distribution de la propagande électorale.
La deuxième proposition sur laquelle nous avons travaillé dans le cadre de ce rapport est celle des candidats tête de liste. La situation est ici différente, car ce système a de facto déjà été utilisé : en 2014, le Conseil européen désigna Jean-Claude Juncker, candidat du PPE arrivé en tête des élections, comme Président de la Commission. En 2019 en revanche, il refusa de désigner Manfred Weber, candidat du même PPE, pourtant également arrivé en tête aux élections.
La question qui se pose est ici plus politique que juridique : il faudrait que la majorité des membres du Conseil européen s'accordent sur le principe en 2024, ce qui n'est pas certain.
Sur le fond, si l'identification d'une tête de liste est intéressante, les avantages de ce système nous paraissent incertains. Une étude portant sur les précédents de 2014 et 2019 montre que les effets des candidats tête de liste sur la participation, « s'il y en a, semblent être minimes, asymétriques et volatiles ». Or, l'objectif de ces propositions est d'obtenir plus de participation.
Quant à l'européanisation du scrutin, elle dépendrait avant tout de la volonté des partis politiques nationaux, selon qu'ils choisiront ou non de mettre en avant les candidats tête de liste. Au demeurant, la visibilité de ce dernier était extrêmement faible lors des expériences passées, notamment en 2019. Moins de 15 % des électeurs étaient capables d'identifier correctement leur parti politique européen, ce qui témoigne qu'un saut qualitatif est encore nécessaire.
De plus, le système des candidats tête de liste n'augmentera pas forcément la transparence du choix du président de la Commission européenne. Ainsi, en 2014, il aurait suffi que 69 personnes changent d'avis pour que Michel Barnier soit désigné à la place de Jean-Claude Juncker. Le choix du Président de la Commission serait juste transféré du Conseil européen aux partis européens, au profit des acteurs qui, en leur sein, sont les plus puissants. On peut certes imaginer un système de primaires ouvertes, qui donnerait une vraie légitimité aux candidats désignés. Mais on ne peut s'empêcher de souligner que la primaire ouverte organisée par les Verts en 2014, par vote électronique, ouverte à tous les résidents de l'Union de plus de 16 ans, n'avait réuni que 24 000 votants. La question de la légitimité de la désignation des candidats tête de liste demeure donc ouverte.
Par ailleurs, ce système fait apparaître des difficultés. Tout d'abord, il n'y a pas de raison a priori de penser que le candidat du parti arrivé en tête disposera d'une majorité au sein du Parlement européen. De nombreux observateurs considèrent d'ailleurs que Manfred Weber ne l'aurait pas obtenue en 2019.
De plus, le système des candidats tête de liste pourrait susciter une vraie déception parmi les citoyens européens, en leur donnant la fausse impression de participer à la désignation de la Commission, comme ils désignent leur Gouvernement dans une élection nationale. Or, le choix des autres commissaires demeurera une prérogative du Conseil, sur proposition des États membres, en fonction de leur propre équilibre politique. Ni l'orientation politique de la Commission, ni la ligne des politiques publiques menées ne seraient donc modifiées. L'attente que l'on créerait pourrait être ainsi profondément déçue. L'idée pourrait donc être contreproductive en termes d'appropriation ou de confiance dans le système européen. Nous sommes à cheval entre deux formes de légitimités, comme je le disais tout à l'heure, et c'est donc plutôt le statut de la Commission, qui n'est pas un véritable « gouvernement » de l'Union, qui est en cause que celui des têtes de liste.
À l'issue de nos travaux, nous considérons que ces deux propositions ne sont pas le remède miracle qui mettrait fin au « déficit démocratique » de l'Union et elles s'accompagnent de risques que nous ne pouvons pas ignorer. Ce sont finalement des solutions en trompe-l'oeil.
L'espoir est que ces deux outils enclenchent un processus d'européanisation du scrutin et donnent de la consistance à une vie politique proprement européenne et à la création d'un espace public européen dépassant les limites étroites de la « bulle bruxelloise » pour atteindre tous les citoyens de l'Union. À la suite de nos auditions et de nos réflexions, nous constatons que cet espoir repose sur deux acteurs : les partis politiques nationaux et les partis politiques européens. Mais il suppose aussi, peut-être, une mutation du Parlement européen. Ces partis politiques européens et nationaux devraient jouer le jeu de l'européanisation du scrutin car, comme le disait Jean-François Rapin, tant que nous sommes sur des discours nationaux, nous ne pouvons pas faire émerger un débat européen. Il y a donc une forte responsabilité des partis politiques nationaux.
Il nous semble également que les partis européens doivent évoluer. Ils constituent aujourd'hui un conglomérat de partis nationaux, plutôt que l'émergence de forces politiques proprement européennes. Leur fonctionnement manque de transparence et leur rôle est aujourd'hui trop limité.
La circonscription unique et des candidats tête de liste conduiraient à remettre la démocratie européenne entre les mains de partis politiques européens qui n'existent pas encore vraiment. Les partisans de ces réformes répondront que c'est justement le moyen de les faire exister. Certes. Mais le risque de voir la démocratie européenne confisquée par la « bulle bruxelloise » n'est pas anodin.
Une alternative serait d'avancer sur la voie de l'européanisation du scrutin indépendamment de ces réformes : les élections de 2024 seront l'occasion de voir si les partis nationaux joueront le jeu de mettre en avant le candidat et le programme de leur parti européen ; de même, les partis politiques européens auront l'occasion de se montrer à la hauteur du rôle qu'ils entendent jouer, en désignant leurs candidats tête de liste de 2019 dans des conditions de transparence satisfaisantes.
Merci à nos deux rapporteurs pour ce travail. Globalement, je partage tout ce qui a été dit. Mais il y a une chose qui me dérange : nous ne pouvons pas nous contenter de dire que la question est difficile. Il nous faut aller de l'avant sur ce sujet, d'une manière ou d'une autre. Nous sentons bien que la construction européenne est arrivée à un moment clé où, si nous n'arrivons pas à avoir un vrai débat politique au niveau européen, la construction n'est, à mon avis, plus stable. Les politiques intégrées sont trop nombreuses pour que nous puissions continuer à les faire fonctionner sans qu'il y ait un contrôle politique au niveau européen et non seulement national ou intergouvernemental.
Ces propositions, quelles que soient les difficultés de leur mise en oeuvre, vont dans cette direction. D'ailleurs, nous avions fait un rapport sur ce sujet avec Fabienne Keller, en 2016, où nous reconnaissions que c'était très difficile. Mais nous avions également envisagé, comme première étape, de mettre en place une circonscription unique pour les ressortissants européens qui vivent hors de l'UE. Certains peuvent voter aux élections européennes, d'autres non, en fonction des choix de leur État membre, ce qui est quand même assez aberrant.
Un autre sujet particulièrement sensible est celui des financements. Dans un certain nombre de pays, il est possible de voter et d'être candidat, mais il n'est pas possible de participer au financement des campagnes. C'est un vrai sujet, au-delà de la difficulté que soulève la décision du Conseil d'État avant la dernière élection européenne, concernant le financement de la campagne des élections européennes par les partis politiques européens.
En revanche, dans la proposition du Parlement européen, certains points posent problème. À partir du moment où nous décidons de faire des listes transnationales, il nous faut croire au projet. Et donc, nous ne pouvons pas dire qu'il faut y mettre un Allemand et un Français mais pas de Luxembourgeois. Cela ne serait pas très sérieux et pourrait même tuer l'idée. Soit nous croyons au transnational, soit nous n'y croyons pas. Les partis européens sont aujourd'hui plus des topologies que des structures qui partagent des valeurs. Si une personne est de gauche en Bulgarie et qu'une autre est de gauche en France, elles se retrouvent dans le même parti européen, alors qu'elles ne partagent presque rien. Nous l'avons vu avec Viktor Orban et Angela Merkel. Cette configuration n'arriverait pas si des élections sur des listes communes avaient véritablement lieu. De ce point de vue, nous avons besoin de faire évoluer les choses.
Le système des spitzenkandidaten qui avait fonctionné en 2014 n'a pas été mis en oeuvre en 2019 ; mais c'est aussi parce qu'en 2019, pour la première fois, les groupes PPE et socialiste n'avaient pas la majorité à eux seuls. S'il avait eu la possibilité d'imposer un candidat, le Parlement européen l'aurait fait. Naturellement, il faut que ce candidat ait une majorité derrière lui. Si cela avait été le cas en 2019, le Parlement européen aurait pu imposer un candidat au Conseil européen, qui n'aurait pu l'écarter, compte tenu des traités. Le Président de la République n'y était pas très favorable, mais la difficulté venait surtout du fait que le Parlement n'avait pas véritablement le pouvoir de décider, puisqu'il n'y avait plus ce bloc majoritaire PPE/socialistes.
J'aimerais rappeler les conditions de constitution de la Commission présidée par Romano Prodi, en 1999. La fin de la Commission Santer avait été particulièrement difficile et Romano Prodi décida de mettre des conditions sur les commissaires qui lui étaient envoyés par les États membres. La Commission ne doit pas être une espèce de conglomérat de représentants des États, surtout si un jour où l'autre elle ne compte plus un commissaire par pays. Si nous voulons aller vers plus de démocratie européenne, la Commission doit aussi être réellement responsable et ses membres ne doivent plus être considérés comme des représentants de leur État dans l'exécutif européen. De ce point de vue, nous avons beaucoup reculé depuis l'élargissement. J'ai été très choqué de voir un certain nombre de pays nouvellement arrivés dans l'Union faire valider leur proposition de commissaire par leur parlement national. C'est une aberration absolue.
Au fond, le maintien d'une Commission sans cohérence politique et dont les membres ne sont pas choisis par son Président empêche toute réforme complète de l'Union.
C'est une question qui est sur la table depuis trente ou quarante ans. J'étais parmi les premiers à militer pour l'élection du Parlement au suffrage universel et, là-dessus, nous avons eu gain de cause ; mais les autres projets de réforme se sont enlisés. J'ai une certaine préférence pour le système à deux niveaux, avec des listes nationales et des listes transnationales communes à toute l'Union. Cela me semble un bon compromis, même si certains pays y seront probablement opposés. Mais il est tout de même possible d'avancer. Vous disiez que l'instauration d'un tel système créerait un déséquilibre entre les pays les plus peuplés et ceux qui le sont moins. Nous pourrions trouver un système pour encadrer ce déséquilibre et limiter le poids prépondérant des grands pays.
Une autre critique réside dans le fait que les députés deviendraient « hors sol ». Il s'agit d'une critique que nous, sénateurs français représentant les Français à l'étranger, nous connaissons bien. Nous avons toujours été qualifiés de « hors sol ». Ce n'est pas vrai, je n'ai pas ce sentiment-là. Je vous signale qu'en Allemagne, le bulletin de vote aux élections législatives comporte deux parties : on vote pour un candidat mais aussi pour une liste, ce qui sert à répartir une part des votes à la proportionnelle. Ce système ne marche pas mal. C'est pourquoi, je ne crois pas que cette critique soit recevable. De plus, l'élection pan-européenne de certains députés leur donnerait une certaine légitimité.
Il faut bien reconnaître qu'on trouve un peu de tout au Parlement européen, en termes d'implication. Certains députés, allemands notamment, sont présents et actifs. D'autres pays, dont la France, y envoient ceux qui ont été recalés au suffrage universel. C'est dramatique pour nous mais également pour la construction européenne. Je militerai donc pour les listes transnationales, car je pense qu'elles aideraient à structurer ces pauvres partis européens qui sont plus des confédérations de partis que de véritables partis, sans réel programme.
J'avais remarqué pendant la campagne des élections européennes que les électeurs n'avaient pas conscience que nous sommes dans un système d'élections à deux tours : les eurodéputés élus nationalement, même si leur liste arrive en tête au niveau national, ne seront pas forcément majoritaires au Parlement européen et ne pourront donc pas forcément peser sur le cours des choses. C'est peut-être notre mode d'élection qui veut cela, puisque nous faisons de ces élections européennes des élections nationales. Les listes transnationales pourraient peut-être rendre cette réalité plus visible pour les électeurs : ils se prononceraient sur une ligne européenne, portée par un parti européen, dont le parti en France n'est pas forcément celui qui aura un pouvoir de décision au niveau de l'UE.
S'agissant de la mise en oeuvre pratique, est-ce à dire que les électeurs auraient deux bulletins de vote ?
Ils voteraient deux fois, que ce soit avec deux bulletins ou sur le même bulletin.
Les électeurs pourraient donc exprimer deux votes complètement différents ?
C'est théoriquement envisageable. Les électeurs allemands ont par exemple cette possibilité.
Effectivement, ils cochent une case pour soutenir un candidat, puis une seconde case pour soutenir une liste.
Pourriez-vous repréciser les déséquilibres à craindre en termes de représentation des États les plus peuplés et les moins peuplés ?
La proposition actuelle prévoit que les listes comportent des candidats issus d'États membres différents, jusqu'à une certaine position sur la liste, en les alternant parmi cinq groupes d'États de poids démographique comparable. D'après nos estimations, cette proposition conduirait à élire un député pour 25 millions d'habitants dans les cinq États les plus peuplés, mais un député pour 1 million d'habitants dans les six États les moins peuplés.
Nous aurions le même type de déséquilibres si jamais nous introduisions chez nous une quelconque proportionnalité.
Ce débat ressemble beaucoup, au niveau national, à celui sur les intercommunalités. Nous nous interrogeons également sur les modes de scrutins, hors suffrage universel direct, qui permettraient de leur donner plus de visibilité.
De la même façon que les intercommunalités sont des établissements publics et en aucun cas des collectivités territoriales, l'Union européenne n'est pas un État et encore moins un État souverain.
Personnellement, je ne suis absolument pas convaincu par la proposition d'un scrutin supranational. Est-ce que les citoyens français ont une attente particulière sur ce sujet ? Je ne le crois pas. Je crains qu'une fois de plus, avec ce genre d'idée bizarre, nous alimentions la répulsion de nos concitoyens envers l'idée européenne. Je préconise donc une certaine prudence sur le sujet. Peut-être faut-il quelques évolutions du système électoral mais in fine, c'est aux États et aux citoyens des États d'envoyer leurs délégués.
Par ailleurs, s'il devait y avoir un scrutin à deux niveau - ce que j'ai du mal à croire compte tenu des difficultés qui ont été parfaitement rappelées -, il faudrait étudier les exemples des pays ayant des systèmes comparables et notamment le cas allemand. Il faudrait sans doute assurer une meilleure représentativité de tous les courants de pensées, mais en aucun cas instaurer une proportionnalité à l'échelle européenne. Peut-être la solution serait-elle de prendre en compte les voix restantes après application des quotients, pour que les partis minoritaires obtiennent quelques sièges supplémentaires.
Merci pour ce travail qui est un excellent éclairage et je réitère mes réserves sur la mise en place de ce scrutin transnational.
Nos conclusions à ce sujet sont claires et sont totalement partagées entre Laurence Harribey et moi-même. Nous avons abordé ce sujet sans préjugés et écouté les différents points de vue, mais en définitive, nous considérons que ce sont de « fausses bonnes idées ».
« Fausse bonne idée », non ; je pense que c'est plutôt une bonne idée, qui doit encore mûrir, mais qu'elle est indispensable pour réussir la construction européenne. L'Union ne pourra pas continuer à fonctionner comme elle le fait aujourd'hui sans un véritable contrôle démocratique de niveau supranational.
En revanche, si nous allions dans la direction des listes transnationales pour un certain quota des députés européens, nous pourrions imaginer que les autres de ces députés ne soient plus élus dans des circonscriptions aussi grandes que celles actuelles, ce qui est d'ailleurs compatible avec l'acte électoral. Nous aurions ainsi des eurodéputés fortement liés aux territoires, ce qui n'empêche pas d'assurer une bonne représentation des partis minoritaires, comme le proposait Pascal Allizard.
Nous, les co-rapporteurs, sommes effectivement d'accord pour considérer que ces propositions ne sont pas de véritables solutions. Ce qui ne m'empêche pas de partager l'avis de Jean-Yves Leconte : nous devons trouver des solutions pour que les citoyens européens s'approprient l'Union européenne. Je partage d'ailleurs tout à fait son analyse des limites des modalités actuelles de composition de la Commission. Composée parfois de techniciens et fruit des équilibres politiques des États membres, celle-ci n'est pas un véritable gouvernement européen. Il faut mieux articuler sa composition avec le Conseil et le Parlement. Rappelons que, depuis le début, la Commission est responsable devant le Parlement européen, qui n'a jamais utilisé ce pouvoir pour des raisons politiques, mais uniquement pour sanctionner des comportements de commissaires concernant des affaires financières.
Je rejoins Pascal Allizard sur son parallèle avec l'intercommunalité, que j'utilise régulièrement pour expliquer le fonctionnement de l'Union. Quand je demande aux gens s'ils s'ils seraient prêts à retirer toute voix au chapitre à une petite commune, au sein de son intercommunalité, ils reconnaissent que ce n'est pas possible. Je leur explique que c'est exactement pareil pour les Luxembourgeois au sein de l'UE. Jacques Delors avait raison : nous sommes bien sur un objet politique non identifié, fondé sur une légitimité interétatique et sur une légitimité citoyenne, qui vient de l'élection au suffrage universel direct du Parlement européen. Mais les deux propositions que nous évoquons ce matin sont à mon sens des solutions en trompe-l'oeil et ce n'est pas comme cela que nous allons réconcilier les citoyens avec la question européenne.
Les citoyens doivent sentir que leur vote a un poids ; et pour cela, il faut une identification à un projet politique, qui doit être porté par des partis politiques européens, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Nous prenons le problème à l'envers.
Vous nous avez interrogés sur la composition des listes transnationales et sur le système assez complexe proposé par le Parlement européen pour prendre en compte la démographie. Le risque est de dénaturer l'idée même et d'aboutir à un « bricolage » pour représenter tout le monde. L'idée d'une liste transnationale pour les Européens résidant dans un État tiers me semble plus intéressante et symboliquement significative, même si cela nécessiterait une harmonisation des droits électoraux.
Cette piste pourrait servir de « démonstrateur », tout en sachant qu'elle ne bouleverserait pas les grands équilibres européens. Mais elle comporte tout de même certains écueils.
Par rapport au débat sur la taille des circonscriptions, je voudrais souligner que le passage des circonscriptions régionales à la circonscription nationale n'a eu aucune influence sur le fait que les Français se sentent plus ou moins citoyens européens mais a simplement encouragé la nationalisation du débat. Nous étudions les effets de ces propositions sur l'Union, sur le Parlement européen... mais nous ne tenons absolument pas compte de ce que vont ressentir les Français, de la façon dont ils souhaitent s'exprimer sur l'Europe. Je ne les vois pas demain s'intéresser davantage à des scrutins de listes transnationales.
Richard Yung semblait soutenir ces propositions, mais nous craignons véritablement d'avoir, d'un côté, des « supers députés », élus sur les listes transnationales et qui seraient alors une référence lourde politiquement et, de l'autre, des « députés supplétifs », qui seraient élus sur des listes nationales et qui ne seraient pas forcément considérés au Parlement européen de la même manière que les premiers.
Si vous transmettez ce rapport aux députés européens, il serait intéressant de recueillir leurs remarques.
Nous enverrons naturellement ce rapport à nos collègues eurodéputés, pour alimenter le débat qui a commencé. Nous pourrons instaurer une veille et faire un point d'étape au cours de l'année prochaine, en fonction de l'avancée des travaux.
La commission des affaires européennes autorise la publication du rapport d'information présenté par les rapporteurs.
La réunion est close à 10 h 20.