La deuxième proposition sur laquelle nous avons travaillé dans le cadre de ce rapport est celle des candidats tête de liste. La situation est ici différente, car ce système a de facto déjà été utilisé : en 2014, le Conseil européen désigna Jean-Claude Juncker, candidat du PPE arrivé en tête des élections, comme Président de la Commission. En 2019 en revanche, il refusa de désigner Manfred Weber, candidat du même PPE, pourtant également arrivé en tête aux élections.
La question qui se pose est ici plus politique que juridique : il faudrait que la majorité des membres du Conseil européen s'accordent sur le principe en 2024, ce qui n'est pas certain.
Sur le fond, si l'identification d'une tête de liste est intéressante, les avantages de ce système nous paraissent incertains. Une étude portant sur les précédents de 2014 et 2019 montre que les effets des candidats tête de liste sur la participation, « s'il y en a, semblent être minimes, asymétriques et volatiles ». Or, l'objectif de ces propositions est d'obtenir plus de participation.
Quant à l'européanisation du scrutin, elle dépendrait avant tout de la volonté des partis politiques nationaux, selon qu'ils choisiront ou non de mettre en avant les candidats tête de liste. Au demeurant, la visibilité de ce dernier était extrêmement faible lors des expériences passées, notamment en 2019. Moins de 15 % des électeurs étaient capables d'identifier correctement leur parti politique européen, ce qui témoigne qu'un saut qualitatif est encore nécessaire.
De plus, le système des candidats tête de liste n'augmentera pas forcément la transparence du choix du président de la Commission européenne. Ainsi, en 2014, il aurait suffi que 69 personnes changent d'avis pour que Michel Barnier soit désigné à la place de Jean-Claude Juncker. Le choix du Président de la Commission serait juste transféré du Conseil européen aux partis européens, au profit des acteurs qui, en leur sein, sont les plus puissants. On peut certes imaginer un système de primaires ouvertes, qui donnerait une vraie légitimité aux candidats désignés. Mais on ne peut s'empêcher de souligner que la primaire ouverte organisée par les Verts en 2014, par vote électronique, ouverte à tous les résidents de l'Union de plus de 16 ans, n'avait réuni que 24 000 votants. La question de la légitimité de la désignation des candidats tête de liste demeure donc ouverte.
Par ailleurs, ce système fait apparaître des difficultés. Tout d'abord, il n'y a pas de raison a priori de penser que le candidat du parti arrivé en tête disposera d'une majorité au sein du Parlement européen. De nombreux observateurs considèrent d'ailleurs que Manfred Weber ne l'aurait pas obtenue en 2019.
De plus, le système des candidats tête de liste pourrait susciter une vraie déception parmi les citoyens européens, en leur donnant la fausse impression de participer à la désignation de la Commission, comme ils désignent leur Gouvernement dans une élection nationale. Or, le choix des autres commissaires demeurera une prérogative du Conseil, sur proposition des États membres, en fonction de leur propre équilibre politique. Ni l'orientation politique de la Commission, ni la ligne des politiques publiques menées ne seraient donc modifiées. L'attente que l'on créerait pourrait être ainsi profondément déçue. L'idée pourrait donc être contreproductive en termes d'appropriation ou de confiance dans le système européen. Nous sommes à cheval entre deux formes de légitimités, comme je le disais tout à l'heure, et c'est donc plutôt le statut de la Commission, qui n'est pas un véritable « gouvernement » de l'Union, qui est en cause que celui des têtes de liste.
À l'issue de nos travaux, nous considérons que ces deux propositions ne sont pas le remède miracle qui mettrait fin au « déficit démocratique » de l'Union et elles s'accompagnent de risques que nous ne pouvons pas ignorer. Ce sont finalement des solutions en trompe-l'oeil.
L'espoir est que ces deux outils enclenchent un processus d'européanisation du scrutin et donnent de la consistance à une vie politique proprement européenne et à la création d'un espace public européen dépassant les limites étroites de la « bulle bruxelloise » pour atteindre tous les citoyens de l'Union. À la suite de nos auditions et de nos réflexions, nous constatons que cet espoir repose sur deux acteurs : les partis politiques nationaux et les partis politiques européens. Mais il suppose aussi, peut-être, une mutation du Parlement européen. Ces partis politiques européens et nationaux devraient jouer le jeu de l'européanisation du scrutin car, comme le disait Jean-François Rapin, tant que nous sommes sur des discours nationaux, nous ne pouvons pas faire émerger un débat européen. Il y a donc une forte responsabilité des partis politiques nationaux.
Il nous semble également que les partis européens doivent évoluer. Ils constituent aujourd'hui un conglomérat de partis nationaux, plutôt que l'émergence de forces politiques proprement européennes. Leur fonctionnement manque de transparence et leur rôle est aujourd'hui trop limité.