Intervention de Laurence Rossignol

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 7 juillet 2021 : 1ère réunion
Audition de M. éric duPond-moretti garde des sceaux ministre de la justice

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Monsieur le garde des Sceaux, merci pour tous vos chiffres. J'aimerais revenir sur plusieurs sujets, en commençant par la question des juridictions spécialisées et en insistant sur l'articulation entre la justice civile et la justice pénale en matière de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants.

Les féminicides ont acquis une visibilité qu'ils n'avaient pas auparavant. Ils sont sortis de la page des faits divers pour apparaître parmi les violences systémiques. Les cas sont donc mieux connus. Nous nous rendons compte que beaucoup de féminicides sont liés à des situations de ruptures de couple. Certains correspondent à l'aboutissement de violences quotidiennes et répétées, mais une part importante découle d'une rupture. Ces situations, bien souvent, se nouent ou se dénouent dans le cabinet du juge aux affaires familiales. Vous indiquez que tous les juges sont en situation de traiter ces situations de violences intrafamiliales. J'ai envie de penser la même chose. Pour autant, l'analyse des jugements civils de séparation ne dit pas toujours cela. Certaines situations de violence ne sont pas identifiées dans le cabinet du juge aux affaires familiales. Surtout, à côté des féminicides qui nous mobilisent, ne doivent pas être oubliées toutes les violences qui ne vont pas jusqu'au meurtre ou à l'assassinat, heureusement, mais qui sont liées à des séparations. Ces violences ne sont pas toujours bien prises en compte et appréhendées. Il existe une forme de violence institutionnelle à l'égard des femmes, dans le cadre de la justice civile. L'intérêt de l'Espagne, outre les grilles de référencement des situations de dangerosité que vous évoquiez, réside également dans le fait de décloisonner la justice civile et la justice pénale à des fins de prévention. À ce propos, pourriez-vous être plus insistant auprès de nos juges, et notamment du juge aux affaires familiales, pour que la notion de syndrome d'aliénation parentale (SAP) disparaisse complètement des jugements de divorce ? Il fait partie des outils des violences contre les femmes.

Je souhaite également revenir sur ce que nous ont appris les différents cas dont nous avons eu connaissance et sur une série de propositions discutées au Sénat, qui n'ont malheureusement pas été retenues. Elles concernent la nécessité de protéger la mise à l'anonymat des femmes une fois qu'elles sont parties du domicile conjugal. Je regrette que nous n'ayons pas retenu le fait que l'adresse de l'école des enfants ne puisse être communiquée au père dans le cadre d'une ordonnance de protection. S'il exerce toujours l'autorité parentale, il conserve le droit de savoir où se trouvent ses enfants. Or, l'exercice de l'autorité parentale d'un père, lorsqu'il s'en sert pour menacer les mères et les enfants, ne devrait pas peser lourd. Je pense que nous pourrions aller plus loin dans la protection de l'anonymat de résidence des victimes, quitte à priver les pères d'une partie de l'exercice de leur autorité parentale.

Ne pensez-vous pas qu'il serait temps de revoir le droit de visite et d'hébergement d'un côté, qui n'est qu'un droit que les pères - puisque c'est bien souvent eux qui sont concernés - exercent ou non, et le devoir de représentation d'enfants des mères ? Il y a là une grande inégalité. Le droit de visite ou d'hébergement, c'est le droit de garde du week-end ou des vacances. Il n'est pas forcément exercé. Les pères viennent chercher les enfants ou pas. En général, ils ne le font pas pour continuer de harceler la mère en l'empêchant d'avoir une vie les week-ends en question. En revanche, lorsqu'une mère n'est pas en situation de présenter l'enfant au père, c'est un devoir qui la conduit systématiquement en correctionnelle. Puisque c'est une procédure de citation directe, elle est systématiquement condamnée. J'avais proposé de réformer le délit de non-représentation de l'enfant car c'est un outil des violences exercées contre les femmes par les pères. Cela nous obligerait à revenir devant le Parlement, mais assumons le fait que d'affaire en affaire, de compréhension collective en compréhension collective, nous devons en permanence continuer à améliorer la loi.

S'agissant de la loi de 2016, nous ne pourrons pas réduire la prostitution des mineurs si nous n'adoptons pas une action beaucoup plus ferme à l'égard des clients de la prostitution des majeurs. Ce que vous racontent les policiers ou les gendarmes auditionnant les jeunes, c'est que celles-ci leur répondent que c'est leurs droits, leurs corps. Elles estiment être en droit de se prostituer à 14 ans. Elles pensent qu'agir comme les grands les fait grandir. Tant que nous resterons complaisants à l'égard des personnes qui pensent que la prostitution est une liberté, un droit, nous ne pourrons pas convaincre ces gamines qu'à 14 ans, ce n'est pas être grande que de se prostituer. Je pense que nous ne sommes pas au niveau, en matière de mobilisation, sur l'application de la loi de 2016 et en particulier sur la pénalisation et la chasse aux clients. Je le dis très clairement, je suis clientophobe. Je ne suis pas « putophobe », comme je l'entends parfois. Je sais que tout dépend de la mobilisation des parquets. J'en ai connu qui étaient très mobilisés dans l'application de la loi de 2016, affichant des résultats importants. D'autres, nombreux, ne s'impliquent pas, indépendamment des commissions de suivi. C'est vraiment à la main des procureurs d'utiliser la loi de 2016, a minima pour protéger les mineurs, faute de convaincre tout le monde de l'intérêt pour toute la société de mettre fin à l'achat de services sexuels.

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