Madame la sénatrice Nadège Havet, vous m'interrogez sur la formation. L'École nationale de la magistrature (ENM) a renforcé celle des magistrats aux spécificités des violences conjugales, ce qui fait écho au sujet des juridictions spécialisées dont nous parlions plus tôt. L'ENM a été attentive à la mise en place d'une formation particulière, puisqu'il existe en effet un certain nombre de spécificités. Je rappelle toutefois que c'est bien différent, d'un point de vue technique, de la lutte antiterroriste.
La formation de l'ENM a donné un caractère interprofessionnel aux cours dispensés pour mobiliser plus largement et puissamment les différents acteurs qui interviennent. Un kit de formation pédagogique en ligne propose des fiches « réflexe » par fonction, des interviews, des vidéos d'experts sur les mécanismes de l'emprise... S'y ajoute l'organisation de formations délocalisées auprès des cours d'appel, ouvertes aux magistrats et aux acteurs locaux investis dans ce domaine. Cent professionnels - magistrats, avocats, policiers, gendarmes, conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, travailleurs sociaux, représentants des associations d'aide aux victimes ou de suivi des auteurs - se sont par exemple réunis à Grasse le 11 juin dernier. La matinée était consacrée à la sensibilisation sur les notions d'emprise et le psycho-traumatisme. L'après-midi, des petits groupes ont travaillé sur des cas pratiques. Tout cela me semble répondre à vos interrogations légitimes.
Les procureurs travaillent constamment sur la coordination et le dépôt de plaintes. Ils organisent notamment la relecture des mains courantes par les services, pour éviter les « trous dans la raquette ». Si ce n'est pas mon périmètre, je crois pouvoir dire, sans dénaturer la vérité, que beaucoup d'efforts ont été faits concernant les forces de sécurité intérieure. Un certain nombre d'affaires ont démontré que les dossiers ne sont pas toujours pris en compte ou en charge. Nous en gardons certaines à l'esprit. Je pense toutefois que le ministère de l'intérieur a donné un certain nombre de consignes pour que des plaintes ou des alertes ne soient pas laissées sans réponse.
Madame la sénatrice Marie-Pierre Monier, vous m'interrogez sur les recommandations de l'Inspection générale de la justice, que nous avons appelées de nos voeux avec le ministre de l'intérieur après l'affaire de Mérignac. La première recommandation vise à conditionner, par voie législative, le prononcé de tout aménagement de peine concernant les auteurs de violences conjugales graves à la réalisation d'une expertise psychiatrique ou médico-psychologique. Cette recommandation est à l'étude. Je ne peux vous en dire plus pour le moment.
La deuxième recommandation vise à modifier la loi en vue de systématiser l'information de la victime concernant la date de libération de l'auteur des faits. C'est déjà fait. Je l'ai demandé par dépêche le 19 mai 2021. Cette donnée me paraît capitale. Il serait extraordinaire qu'une femme ayant été menacée n'en soit pas informée. Je suis en train d'examiner la possibilité d'étendre cette connaissance par décret.
Enfin, la recommandation n° 5 préconise le lancement d'un travail conjoint en vue de fusionner la grille d'évaluation du danger et la grille EVVI. J'y suis favorable. Un travail de coordination et d'harmonisation des grilles et des pratiques est nécessaire sur tout le territoire pour une évaluation efficiente des besoins de protection.
Monsieur le sénateur Jean-Michel Arnaud, des juridictions ont mis en place des systèmes permettant aux victimes en milieu rural d'être mises en relation directe avec des associations d'aide par visioconférence. Je me suis rendu dans différentes juridictions, où ces bonnes pratiques ont été diffusées par le truchement notamment de l'intranet que j'évoquais plus tôt. J'ai vu comment une gendarmerie recevant une victime la met en relation directe avec l'association locale qui la prendra immédiatement en charge et lui donnera un certain nombre de conseils : mise en présence de l'avocat, aide juridictionnelle, sorties... Je ne peux amener toutes les associations dans la ruralité. C'est le problème de ces zones. Nous avons toutefois songé à ce type de solutions. Nous y travaillons pour que la victime en zone rurale dispose des mêmes droits et possibilités d'accès à la justice qu'en zone urbaine.
Sur les schémas de médecine légale, un travail d'expertise est achevé et validé. Les besoins ont été remontés par les chefs de Cour. Ils ont été pris en compte et satisfaits. Les UMJ vont aussi être renforcées dans le maillage territorial de médecine légale de proximité. Cela sera amélioré sur le territoire national. Évidemment, ce sont là des mots, et non des chiffres, que nous vous communiquerons dès que nous les aurons. Vous me dites que vous avez reçu des doléances de magistrats. Nous vous indiquerons comment, chez vous, nous mettrons en place et renforcerons la présence d'UMJ.
L'hébergement des auteurs fait partie de nos préoccupations. Il existe des centres les prenant en charge. Vous dites que ce n'est pas à la victime de quitter son domicile et son lieu de travail, si elle est agricultrice par exemple. Vous avez raison. Nous en avons pleinement conscience. Nous essayons de développer des solutions par des impulsions venant de la Chancellerie, mais également par des pratiques mises en place localement par des procureurs et dont nous voulons diffuser la pertinence via notre site intranet. Je ne sais pas si mes services pourraient vous communiquer les chiffres des consultations, qui sont impressionnants, sachant qu'ils ne concernent que les agents du ministère, le site n'étant bien évidemment pas accessible au tout public.
Madame la sénatrice Martine Filleul, vous me posez une question intéressante. Vous me demandez si les sous confisqués par l'AGRASC devraient revenir au ministère de la justice. J'ai envie de vous dire oui. Un petit bémol s'appelle toutefois Bercy. L'AGRASC ne reverse pas tout ce qu'il saisit à la Justice. Si vous prenez cette initiative, je vous soutiendrai, mais je ne suis pas certain que ce soit possible en termes de finances publiques.