Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 15 juillet 2021 à 14h45
Orientation des finances publiques et règlement du budget et approbation des comptes de 2020 — Débat et rejet d'un projet de loi

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme il est de tradition, cette séance est consacrée à la fois à l’examen du passé, puisque nous nous prononcerons sur l’exécution de l’année 2020 et le respect de l’autorisation parlementaire, et à celui de l’avenir, avec le débat d’orientation de nos finances publiques pour 2022, qui s’accompagne d’un rapport préparatoire, dans lequel le Gouvernement présente la situation et les perspectives de l’économie pour les années à venir, en précisant sa stratégie en matière de finances publiques.

Concernant, tout d’abord, l’exécution budgétaire de l’année 2020, on peut sans nul doute la qualifier « d’exceptionnelle », compte tenu bien sûr de l’épidémie de covid-19 et de ses conséquences sur l’économie mondiale.

L’économie française a ainsi subi un choc historique, avec une récession de 7, 8 % du PIB, plus forte que dans le reste de la zone euro et, surtout, beaucoup plus forte que pour notre voisin allemand.

Chacun le sait, cette crise a rendu urgente et vitale la mise en œuvre de mesures de soutien, tant aux entreprises qu’aux ménages. Ainsi, les dépenses de l’État ont augmenté considérablement, avec en particulier plus de 40 milliards d’euros consacrés à la seule mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire » qui n’existait même pas initialement.

Au total, les effets de la crise ont été absorbés à plus de 80 % par les administrations publiques.

Toutefois, nous avons subi au cours des dernières années, et allons encore subir, le choix du Gouvernement de reporter systématiquement le redressement des comptes publics, alors que l’exécutif bénéficiait à la fois d’une croissance supérieure à son potentiel et d’un fort dynamisme des prélèvements obligatoires.

Mon prédécesseur Albéric de Montgolfier l’avait souligné dans cette même enceinte, et cela nous a fragilisés lorsque la crise est survenue. Fort heureusement, les conditions de financement sur les marchés financiers sont restées historiquement favorables.

Ainsi, les administrations n’ont pas pu prendre à leur compte les pertes de revenus des entreprises dans des proportions équivalentes à celles qu’a supportées l’Allemagne ou l’ensemble de la zone euro. Plus de 20 % de ces pertes sont restées à leur charge. Selon moi, cette situation découle du choix réalisé par le Gouvernement de recourir aux prêts garantis par l’État, plutôt qu’à des aides directes sur fonds publics.

Il convient en revanche de souligner que les ménages dans leur ensemble – je dis bien dans leur ensemble, sans me prononcer sur des situations particulières, ni sur des catégories de populations pour lesquelles la précarité s’est accentuée – ont été préservés du choc économique, leur revenu brut ayant progressé.

Au total, cette année d’exécution exceptionnelle du budget de l’État, mais aussi des comptes sociaux et des comptes des collectivités locales, s’accompagne d’une dégradation d’une ampleur inédite des comptes publics. Le solde des administrations de sécurité sociale et des administrations publiques locales devient déficitaire en 2020, tandis que le déficit budgétaire de l’État atteint le niveau inédit de 178 milliards d’euros.

Je veux aussi souligner les conséquences très importantes des pertes de recettes tarifaires et domaniales subies par les collectivités territoriales, au-delà de la réduction de près de 2 % de leurs recettes issues des prélèvements obligatoires, et saluer la mise en œuvre, puis la reconduction, de mécanismes de compensation adaptés, sous l’impulsion notamment de notre assemblée.

En ce qui concerne l’emploi public, d’importantes créations ont été opérées en fin d’année, et l’objectif initial du Gouvernement de réduire de 50 000 emplois le plafond d’emplois au sein de l’État et de ses opérateurs durant le quinquennat semble désormais totalement abandonné, voire inatteignable.

Nous avons certes, dans un esprit de responsabilité, voté les quatre projets de loi de finances rectificative pour 2020, en obtenant d’ailleurs d’importantes évolutions, devenues des apports du Sénat. Nous avons en particulier adopté les mesures de soutien, essentielles pour maintenir les entreprises à flot et protéger les ménages.

Toutefois, nous ne partagions pas les choix du Gouvernement qui ont guidé la construction de la loi de finances initiale pour 2020.

En particulier, nous déplorions votre renoncement à redresser les comptes publics ; nous nous étions aussi opposés à de nombreuses mesures et avions regretté de n’avoir pas été entendus sur le schéma de financement des collectivités territoriales au titre de la suppression de la taxe d’habitation.

Du point de vue du respect de l’autorisation parlementaire, enfin, si la sous-exécution des crédits votés lors du dernier projet de loi de finances rectificative ne pose aucune difficulté en tant que telle, les opérations de report massif vers 2021, réalisées en fin d’année, sont davantage contestables.

Au lieu d’être annulés, 36 milliards d’euros de crédits ont été reportés, et cela sans que la destination initialement prévue soit nécessairement respectée. Monsieur le ministre, cette pratique nuit au contrôle parlementaire. Elle est une entorse à la sincérité des lois de finances.

Quoi qu’il en soit, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter ce projet de loi de règlement.

J’en viens maintenant au débat d’orientation des finances publiques pour 2022.

Dans mon intervention devant la commission, lundi dernier, j’ai principalement démontré que, une fois encore, cette étape de la procédure budgétaire n’apportait pas beaucoup plus d’informations que le programme de stabilité présenté en avril dernier. En effet, le rapport du Gouvernement, qui nous a été transmis le 30 juin, ne modifie pas la trajectoire des finances établie et confirmée par le programme de stabilité, puis le projet de loi de finances rectificative pour 2021, définitivement voté en début de semaine.

En outre, le document ne permet pas vraiment non plus de lever le voile sur les intentions du Gouvernement pour les prochaines lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale.

À peine constations-nous que les efforts pour redresser les comptes publics seraient considérables, puisque, selon l’évolution tendancielle retenue, cela équivaudrait à une baisse des dépenses de 45, 8 milliards d’euros à 69, 1 milliards d’euros entre 2023 et 2027, que nous observions que les moyens pour y parvenir restaient totalement inconnus.

Néanmoins, je ne vais pas m’étendre davantage sur le sujet, puisque, en réalité, c’était l’allocution du Président de la République qu’il fallait écouter ! En effet, lundi soir, le rapport préparatoire, transmis pourtant au Parlement une dizaine de jours plus tôt pour préparer notre débat, apparaissait de facto totalement dépassé, réduisant le Gouvernement et son chef à jouer les utilités.

Le Président de la République a, tout d’abord, annoncé une croissance révisée à 6 %, contre une hypothèse à 5 % posée dans le rapport préparatoire au débat d’orientation. Ce chiffre reprend certes les dernières prévisions de l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’Insee, et de la Commission européenne, mais ces prévisions ont été réalisées alors que l’on envisageait une levée complète des restrictions cet été.

Il est loin d’être acquis que les récentes nouvelles sur le front épidémique et le passe sanitaire obligatoire ne freineront pas ce rebond économique, au moins à court terme. Quel sera l’impact de ces nouvelles contraintes, monsieur le ministre, notamment sur les secteurs concernés ?

Il est également permis de se demander si les mesures d’accompagnement de sortie de crise que nous venons de voter dans le cadre du projet de loi de finances rectificative suffiront vraiment, dès lors que la reprise de certaines activités pourrait se voir freinée par l’obligation de respecter le passe sanitaire, que ce soit dans les transports, les lieux de culture, l’hôtellerie-restauration ou les bars. Des adaptations seront-elles nécessaires ?

En tout état de cause, selon les informations que vous nous avez fait parvenir ce matin, cette prévision de croissance a pour conséquence de réduire le déficit à un peu moins de 9 %, sans davantage de justification. Par ailleurs, aucune révision des prévisions de croissance n’est opérée pour les années à venir. Pouvez-vous nous en dire davantage, monsieur le ministre ?

Le Président de la République n’a pas uniquement révisé la croissance à la hausse : il a également annoncé une série de dépenses supplémentaires, actuellement absentes de la trajectoire des finances publiques, à l’instar d’un plan d’investissement et d’un « revenu d’engagement » pour les jeunes sans emploi, dans le prolongement de la garantie jeunes universelle.

Quel sera le montant de ce plan d’investissement ? Quel serait le montant d’un tel revenu garanti aux jeunes précaires ? Et comment seront-ils financés ? Autant de questions qui restent actuellement sans réponse, mais qui, à n’en pas douter, rendent obsolète le peu d’éléments qui figuraient dans le rapport du Gouvernement.

Bien entendu, nous ne disposons d’aucune information nouvelle sur la stratégie de redressement des comptes publics.

Enfin, s’agissant du « tiré à part » sur les plafonds par mission et l’évolution prévisionnelle des emplois en vue du projet de loi de finances pour 2022, je note surtout un accroissement de près de 11 milliards d’euros des crédits du budget de l’État, qui n’inclut ni les appels en garantie ni les dépenses du plan de relance et du futur plan d’investissement.

La plupart des missions du budget général sont concernées, sans que ces dépenses supplémentaires soient gagées par des économies, à l’exception d’économies de constatation sur le service public de l’énergie et de 150 millions d’euros au titre du plan d’économies sur les achats de l’État.

Le « tiré à part » ne fait par ailleurs que confirmer votre renoncement à la baisse de l’emploi public, monsieur le ministre, puisque vous visez désormais un objectif de stabilisation que vous réduisez à un simple constat.

Finalement, votre mot d’ordre pour l’avenir semble être : ouvrir complètement les vannes pour les dépenses, sans qu’il soit fait état de recettes nouvelles, sans que vos mesures pour réduire la dépense publique soient connues et sans que soient identifiées les lignes de partage entre acteurs publics et acteurs privés pour mieux coordonner et rendre plus efficaces nos dépenses, au service du redressement et de l’amélioration de nos indicateurs budgétaires et fiscaux.

Nous en reparlerons cet automne, mais les échanges de ce jour s’en trouvent amputés d’autant, ce qui ne sert pas le débat parlementaire auquel nous sommes pourtant tous très attachés.

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