Intervention de Sophie Taillé-Polian

Réunion du 15 juillet 2021 à 14h45
Orientation des finances publiques et règlement du budget et approbation des comptes de 2020 — Débat et rejet d'un projet de loi

Photo de Sophie Taillé-PolianSophie Taillé-Polian :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne votera pas cette loi de règlement.

Nul ne peut nier que le contexte est extraordinaire et que le Gouvernement a consenti des efforts exceptionnels face à cette crise. Nous considérons, néanmoins, que ces efforts ont été mal calibrés, mal ciblés et mal financés.

Il y a l’ampleur de ces reports de crédits de 2020 vers 2021 – ils représentent une trentaine de milliards d’euros. Vous plaidez la prudence… C’est bien, mais notre interrogation sur la sincérité budgétaire et la portée réelle de l’autorisation parlementaire est plus ample que cela.

Nous avons souvent alerté sur l’illisibilité de la répartition des crédits entre ce qui relevait de l’urgence, de la relance et du budget ordinaire. S’y ajoute la question des comptes sociaux. À force de prélèvements et de remboursements, d’exonérations de cotisations, l’autonomie de la sphère sociale est aujourd’hui une chimère. L’État décide, la sécurité sociale paie, et les flux financiers entre les deux sont de plus en plus insaisissables.

Au-delà de ces éléments, monsieur le ministre, vos choix nous laissent pantois. Pourquoi n’avez-vous jamais conditionné aucune des aides accordées aux entreprises pour faire face à la crise ? Voilà que vous, qui êtes pourtant les parangons de l’efficacité de la dépense publique, déversez des milliards d’euros sans savoir ce qu’il en adviendra !

Comment peut-on accepter qu’une entreprise fermant des usines en France ou versant des dividendes soit bénéficiaire du fonds de solidarité ou des aides du plan de relance, alors que, en même temps, l’État a renforcé les contrôles sur les Français ?

J’en veux pour preuve cette réforme de l’assurance chômage, qui a été mise de côté par le Conseil d’État et dont le Président de la République vient, dans son intervention, d’annoncer le retour pour la rentrée. La chasse au fraudeur social fait rage ; elle abîme ceux qui la subissent, mais aussi les fonctionnaires qui, je crois, ne se sont pas engagés dans le service public pour « chasser les pauvres ».

Pendant ce temps, donc, l’État réserve ses largesses aux entreprises sans rien leur demander en échange. On connaît le résultat ! Nous sommes face à une gestion de crise profondément déséquilibrée, avec, d’un côté, une crise sociale minimisée, de l’autre, une richesse indécente qui s’étale dans les colonnes des journaux. Le magazine Challenges a publié, la semaine dernière, son classement annuel des fortunes du pays et constate, je cite, « les plus fortes progressions annuelles jamais enregistrées ».

Malgré cela, malgré nos demandes répétées, vous n’avez de cesse de refuser le financement de l’action de l’État par la solidarité, la taxation de la fortune ou encore celle des héritages.

Nous vivons pourtant un changement de paradigme à l’échelle mondiale. Je citerai l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, ses efforts pour rénover l’économie américaine, en commençant par les infrastructures, la transition écologique et la consommation populaire.

Je citerai les discussions mondiales, freinées par la France – vous le savez bien, monsieur le ministre –, pour tourner la page de quarante ans de dérégulation fiscale.

Je citerai la revue stratégique de la Banque centrale européenne, la BCE, la modification de la cible d’inflation, désormais symétrique, et son engagement, encore à concrétiser, pour le verdissement de la politique monétaire.

Alors, oui, vous mettez de l’argent public sur la table, mais c’est à notre tour de vous demander de ne pas faire de dépenses dans le vide ou sans résultat !

Pendant des années, nous, les écologistes, la gauche, avons demandé des moyens : l’arrêt de la baisse du nombre de fonctionnaires et la préservation des services publics. Non, répondiez-vous, il faut examiner la qualité de la dépense, évaluer les performances et faire mieux avec moins. Eh bien, aujourd’hui, c’est nous qui exigeons une dépense publique de qualité.

Les moyens sont là, c’est indéniable, mais il faut les utiliser correctement. Il faut s’attaquer aux 90 milliards d’euros de dépenses fiscales, pour une grande partie « brunes » et finançant les pollutions. Il faut conditionner toutes les aides d’État à des critères sociaux et environnementaux et évaluer la performance des milliards d’euros déversés.

Cette crise a réhabilité l’État. C’est une grande victoire. Mais notre appareil d’État a été abîmé par des décennies de coupes, de management néolibéral, de pertes de compétences et d’externalisations.

Voilà le combat des prochaines années, pour nous qui devons contrôler les autorisations budgétaires et les finances publiques : s’assurer que l’État soit en capacité de faire bon usage des crédits que nous votons.

Il faudra, par exemple, s’interroger sur l’ampleur de l’argent public dépensé en audits et prestations de sociétés de conseil pour pallier la perte de compétences en interne. On l’a bien vu au cœur de la crise, lorsque des cabinets privés ont dû se substituer au Gouvernement pour élaborer les stratégies sanitaires.

Si vous voulez que l’on vous prenne au sérieux quand vous parlez d’écologie et de social, tel est le sens dans lequel il faudrait réformer la LOLF.

Tout d’abord, s’assurer que l’administration dispose des moyens et des compétences nécessaires.

Ensuite, au-delà du « budget vert » intégrer une comptabilité écologique, privée et publique, pour savoir où vont nos milliards et répondre à l’ultimatum du Conseil d’État, qui nous donne neuf mois pour agir, ainsi qu’aux alertes du Haut Conseil pour le climat et du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC.

Ainsi, lier nos discussions budgétaires avec les grands engagements de la France : ceux de la 21e conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la COP21, signée à Paris, et ceux que nous nous sommes nous-mêmes fixés dans la stratégie nationale bas-carbone, tout cela dans le cadre d’un changement majeur de politique fiscale au service de la justice sociale.

Toutefois, monsieur le ministre, vos yeux sont rivés sur des indicateurs du passé, comme le produit intérieur brut, le PIB, qui devient problématique. Son usage montre effectivement que nous courons la mauvaise course, celle d’un productivisme effréné dans le capitalisme financier, qui est strictement incompatible avec les limites planétaires et qui se heurte, on le voit, à toute idée de justice sociale.

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