Intervention de Christine Lavarde

Réunion du 15 juillet 2021 à 14h45
Orientation des finances publiques et règlement du budget et approbation des comptes de 2020 — Débat et rejet d'un projet de loi

Photo de Christine LavardeChristine Lavarde :

Je tiens toutefois à apporter quelques nuances à ce tableau.

Dans son rapport en date du 2 juin 2021, la Commission européenne dresse un bilan approfondi de notre plan de relance et a une vision légèrement différente. Elle relève notamment que notre ratio de dette publique est élevé, elle note aussi la faiblesse de notre compétitivité, souligne l’existence de restrictions réglementaires importantes dans les services et de charges administratives significatives, de même que des niveaux et une efficacité faibles des investissements dans la recherche et le développement (R&D).

La Cour des comptes, quant à elle, indique dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques que la France est le seul pays de la zone euro à être entré dans la crise avec un déficit primaire. En conséquence, elle dispose de moins de marges de manœuvre que ses partenaires européens.

Monsieur le ministre, je vous accorde que la critique n’a pas vocation à être uniquement dirigée contre vous et que ses fondements doivent être considérés dans une perspective historique plus longue. Il nous faut regarder l’évolution de notre dépense publique entre 2001 et 2019 et la comparer à celle de nos partenaires européens : de cette opération, je retire que nous avons diminué en relatif nos actions dans les domaines de la défense, de la famille, de l’enseignement et de la santé ; dans le même temps, nous avons augmenté nos dépenses pour le chômage et les retraites. En d’autres termes, nous avons moins dépensé pour l’avenir que pour répondre aux urgences du présent.

Je ne reviens pas sur l’année 2020, Stéphane Sautarel en parlera lorsqu’il abordera le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2020. Quant à l’année 2021, nous l’avons récemment évoquée lors de l’examen du premier projet de loi de finances rectificative. Portons donc notre attention sur 2022 et au-delà.

Je veux exprimer ici ma déception : seule une part minime du rapport est dédiée à 2022, soit huit pages sur trente-cinq. Quand une collectivité territoriale prépare son débat d’orientation budgétaire, ses élus, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, attendent des perspectives sur plusieurs années. C’est d’ailleurs là tout l’objet du rapport d’orientation budgétaire. Le législateur a largement encadré ce document, puisqu’il exige de la collectivité qu’elle présente son programme pluriannuel des investissements et sa politique en matière de ressources humaines. Sur le modèle des collectivités territoriales, je m’efforcerai de me livrer à cet exercice pour le compte de l’État.

Concernant les ressources humaines, le rapport note une stabilité des effectifs de l’État et de ses opérateurs, avec un renforcement des moyens dans la police et dans la justice, qui sera contrebalancé par une réduction dans tous les secteurs où cela est possible. On a l’objectif, mais pas les moyens…

On a envie de vous croire, monsieur le ministre, malheureusement, les résultats des premières années du quinquennat s’apprécient sur des données très factuelles. Lorsqu’il était candidat, Emmanuel Macron s’était engagé à supprimer 50 000 emplois, objectif qu’il avait revu et ramené à 10 000 emplois après le grand débat national. En réalité, on observe une hausse de 1 857 équivalents temps plein (ETP) sur la période 2018-2019, même si, je le concède, 3 601 postes ont été supprimés en 2019. Pour 2022, je n’ai pas trouvé aucun chiffre très précis dans le « tiré à part », si ce n’est cet objectif de stabilisation.

J’en viens maintenant à la programmation pluriannuelle des investissements. Il me semble avoir compris, comme le rapporteur général, qu’il faudra actualiser tous ces documents, puisqu’un nouveau plan serait en préparation. Doit-on concevoir celui-ci comme une continuité du grand plan d’investissement de 2017 ou comme une rupture ? Je ne suis pas forcément contre ce nouveau plan d’investissements ; je reconnais ne pas partager le regard très optimiste de la Commission européenne sur le plan de relance français.

Je m’explique : une grande partie des dépenses que nous avons présentées cochent bien les items retenus à l’échelon européen : participation au numérique, à la croissance verte, à la formation professionnelle… Pour autant, elles ne sont qu’une réponse à la crise ; en d’autres termes, elles ne correspondent pas vraiment à des investissements pour l’avenir.

Je prendrai deux exemples.

En premier lieu, dans le domaine des transports, la recapitalisation de la SNCF à hauteur de 4, 5 milliards d’euros n’est qu’une réponse de court terme. Bien entendu, sans une telle aide, l’entreprise se serait retrouvée dans la plus grande difficulté – ce n’est pas Jérôme Bascher, aujourd’hui empêché par une avarie de train, qui nous dira le contraire ! §J’ai toutefois bien noté que des crédits supplémentaires seront affectés en 2022 au secteur ferroviaire.

En second lieu, si 2 milliards d’euros de soutien ont été alloués aux autorités organisatrices de la mobilité, c’est uniquement pour faire face à la chute de leurs recettes tarifaires.

Pour notre part, ce que nous attendons aujourd’hui, ce sont véritablement des investissements pour l’avenir, c’est-à-dire des investissements qui changeront notre économie, qui nous donneront les moyens de répondre au défi du changement climatique et qui serviront à la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, présenté hier par la Commission européenne. Ces investissements sont nécessaires si nous voulons que cette transition puisse inclure tout le monde, sans laisser les personnes les plus vulnérables sur le bord de la route.

Il existe aujourd’hui un outil pour augmenter notre potentiel de croissance : les programmes d’investissements d’avenir (PIA). Ne détournons pas cet investissement ! Cette année encore, la rapporteure spéciale, Nadine Bellurot, a dénoncé le fait que les crédits du PIA ont été mobilisés dans le but de répondre à une absence de crédits budgétaires. Je ne citerai qu’un seul exemple : le plan Nano 2022.

Sur les réformes structurelles, la Cour des comptes relève que la croissance économique est une condition nécessaire au redressement de nos finances publiques, tout en précisant qu’elle n’est pas une condition suffisante pour une décrue durable de notre dette. Comme cela a été dit, il faut agir sur la dépense et surtout améliorer son efficacité. La France a creusé son écart avec ses partenaires européens « sans que les indicateurs économiques, sociaux, de développement humain ou en termes de qualité et d’efficacité des services publics permettent de justifier une telle évolution », indique la Cour des comptes.

La maîtrise de notre dette, sa diminution, emporte un enjeu de souveraineté. C’est elle qui permettra aux acteurs économiques de continuer à avoir confiance en l’État – Jérôme Bascher aurait très certainement expliqué tout cela mieux que moi. Bref, nous relevons qu’il manque vraiment quelque chose sur la croissance potentielle…

Enfin, je veux vous faire part de l’inquiétude que j’ai ressentie à la lecture de la page vingt-neuf du rapport, qui concerne les collectivités locales. J’ai compris, en filigrane, qu’il était question d’un retour aux contrats de Cahors. Monsieur le ministre, vous persistez à penser que c’est la contractualisation qui a permis la maîtrise de la dépense publique locale.

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