Intervention de Bruno Retailleau

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 juillet 2021 à 16h35
Situation des chrétiens et minorités d'orient — Audition de M. Jean-Yves Le drian ministre de l'europe et des affaires étrangères

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Merci, monsieur le ministre, de vous prêter à cette audition commune à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et au groupe de liaison avec les chrétiens d'Orient et les minorités, que j'ai l'honneur de présider.

Vous l'avez dit en filigrane dans votre déclaration liminaire, la présence de ces minorités, chrétiennes et autres, concerne l'identité, l'histoire mais aussi l'avenir de ces pays. J'ai souvent utilisé une métaphore entre l'abeille, l'environnement, ces minorités et la paix. Ces minorités sont pour les pays ce que l'abeille est à l'environnement, c'est-à-dire les témoins de la santé civique et de la concorde civile.

Ainsi, la communauté des chrétiens d'Orient, que je connais bien, assure très souvent une sorte de passerelles, entre les sunnites et les chiites d'un certain nombre de pays, pour des raisons historiques et culturelles que je veux souligner.

Je ne reviens pas sur ce que vous avez rappelé au sujet des relations historiques et des responsabilités particulières de la France vis-à-vis de ces communautés, et notamment des chrétiens d'Orient.

S'agissant du Liban, vous avez cité la sénatrice Christine Lavarde, qui préside le groupe d'amitié. Avec quelques autres sénateurs, nous nous rendrons au Liban dans quelque temps. Le pays est en train de s'effondrer et ce n'est pas faute de la volonté de la France de le redresser.

Face à cet effondrement, le risque est de perdre des infrastructures et des services publics essentiels dans le domaine de la santé et de l'éducation. Charles Personnaz a écrit au Président de la République pour lui faire part d'une idée que nous souhaitons soutenir, celle d'une agence des bailleurs internationaux, qui pourvoiraient l'aide internationale. Face à la corruption, cette agence recueillerait l'aide pour qu'elle ne s'évapore pas. Elle permettrait de payer directement les salaires des réseaux de santé et d'éducation, car si ceux-ci s'écroulent à leur tour, il sera très difficile de reconstruire le pays. C'est capital pour la population. Cela me semble une idée positive, peu compliquée à mettre en place et qui pourrait être très utile. Je voudrais recueillir votre analyse sur ce sujet, monsieur le ministre.

Le problème du Liban, c'est aussi la Syrie et ses 2 millions de réfugiés. C'est comme si, en France, nous avions 20 millions de réfugiés - et même peut-être plus. Imaginez-vous ce que représente, pour un pays qui est en train de s'effondrer, le fait de devoir soutenir une telle proportion de réfugiés.

La stabilisation de la Syrie est donc importante. J'attire votre attention sur le fait que nous sommes à trois jours de la fin du délai pour la résolution portant sur les corridors humanitaires dans le Nord-Ouest du pays. Les Russes pourraient mettre un veto au Conseil de sécurité, et nous sommes très concernés par l'accès de Bab al Hawa, qui pourrait ne pas être renouvelé. Si c'est le cas, c'est plus d'un million de personnes qui vivent dans le Nord-Ouest du pays qui seront privées d'aide vitale et qui sont en grand danger. Quelle contribution pourrait apporter la France sur ce point ?

Certes, Bachar al-Assad est un criminel, mais certaines des personnalités que vous croisez ont aussi du sang sur les mains. La diplomatie ne consiste pas à dialoguer uniquement avec des gens fréquentables. Comment établir un dialogue constructif avec ce pays pour l'aider à se relever ?

Concernant l'Irak, vous avez souligné la visite du pape François à l'ayatollah al-Sistani. On a tous vu ces deux personnalités se donner la main. C'étaient de très belles images, propres à restaurer un peu de paix civile.

Le retrait militaire américain se poursuivant, où en est-on vraiment du point de vue de l'administration Biden, des cellules dormantes et de la sécurité ? L'attaque de drones sur Erbil pourrait être d'origine iranienne. Vous nous le direz peut-être.

Je suis très heureux que vous ayez abordé le sujet du patrimoine. Dans l'histoire, tous les totalitarismes s'en sont toujours pris à la culture. La culture, c'est l'âme des peuples et, dans la volonté farouche d'éliminer ceux-ci, on va jusqu'à éliminer leur identité culturelle.

Nous avons organisé ici même, il y a quelques jours, une table ronde sur la question de la préservation du patrimoine regroupant l'ALIPH, M. Jean-Luc Martinez et d'autres personnalités. Il n'y aura pas de reconstruction matérielle sans reconstruction immatérielle. Nous avons également accueilli la remplaçante de M. Martinez au Louvre, qui va y créer un département consacré aux chrétiens d'Orient. Nous avons apprécié la nomination de M. Jean-Luc Martinez comme ambassadeur chargé de la préservation du patrimoine à partir de la rentrée.

Il faut par ailleurs soutenir l'ALIPH, non seulement parce que sa vice-présidente est une ancienne sénatrice que vous connaissez bien et que nous aimons beaucoup, mais aussi parce que l'ALIPH fait un travail fantastique. Le monastère de Mar Behnam est d'ailleurs, de ce point de vue, un symbole, puisqu'il est un lieu consacré et vénéré à la fois par les Yézidis, les musulmans et les chrétiens. Je pense que la culture constitue un lien au sein d'un même groupe civilisationnel, religieux, mais, et peut-être aussi entre différents groupes.

Je comptais vous interroger sur la conférence internationale et sur les victimes de violences ethniques et religieuses. La dernière conférence a eu lieu Bruxelles, il y a trois ans. J'y étais. Je suis favorable à ce qu'elle se tienne prochainement à Bagdad, mais il ne faudrait pas qu'on perde encore une année. Je préférerais encore qu'elle se tienne à Paris ou ailleurs, mais qu'elle ait lieu, même si je comprends parfaitement les raisons qui vous poussent à souhaiter l'organiser à Bagdad.

Un dernier mot à propos du fonds de soutien. On l'a vu presque disparaître budgétairement. Cinq millions, c'est assez peu. Il a constitué un levier extrêmement puissant. J'y ai participé. Vous avez aidé des ONG. Des actions très concrètes ont ainsi pu échapper à la corruption. Je pense qu'il faudrait renforcer ce fonds, y associer à nouveau les ONG et quelques élus. Cela permettrait de participer à l'effort de relèvement commun en faveur de ces minorités.

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