Intervention de Jean-Yves Le Drian

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 juillet 2021 à 16h35
Situation des chrétiens et minorités d'orient — Audition de M. Jean-Yves Le drian ministre de l'europe et des affaires étrangères

Jean-Yves Le Drian, ministre :

Je veux tout d'abord saluer l'action de Mme Lavarde.

Pour ce qui est des sanctions concernant les responsables libanais qui, pour diverses raisons, contribuent au blocage politique ou sont supposés être complices de corruption, nous avons pris position en matière de retrait de visas. On ne voit pas pourquoi aujourd'hui, dans la situation que connaît le Liban, telle ou telle personnalité pourrait venir faire des courses sur les Champs-Élysées, tout en se lamentant sur la situation que connaît son pays. Il y a des moments où il faut exprimer son mécontentement. Les déclarations ne suffisent pas, et d'autres mesures seront soumises au Conseil des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne lundi prochain à Bruxelles.

Les États-Unis d'Amérique ont fait de même, de façon tout à fait complémentaire. Certains États membres peuvent s'interroger sur les sanctions qui pourraient viser des chrétiens. C'est d'ailleurs le cas des sanctions américaines. Ceux qui m'entendent se reconnaîtront.

Je reviens à la question du Hezbollah, qui m'a été posée tout à l'heure : certains chrétiens sont alliés avec le Hezbollah. Je le constate.

C'est sans doute une des raisons pour laquelle tout est bloqué. Il faut assumer ses alliances. C'est ce que je dirai à mes collègues qui connaissent moins bien la situation libanaise et qui peuvent éventuellement être influencés par tel ou tel, dont on connaît les arrière-pensées. Je serai très clair à ce sujet.

Pour revenir à ce que disait M. Guerriau, ce qui s'est passé entre Mme Grillo, l'ambassadeur des États-Unis à Riyad et les responsables saoudiens s'est produit à la suite de la rencontre que j'ai eue avec M. Blinken, à Rome, la semaine dernière. Tout ceci relève du même processus. Il s'agit d'agir en faveur de la composition d'un gouvernement. Tant qu'il n'y aura pas un gouvernement à Beyrouth, on n'arrivera à rien.

Nous proposons un gouvernement de techniciens. Le Premier ministre a été désigné par l'Assemblée. Il faut qu'il puisse composer son gouvernement, mais les contraintes sont telles qu'il n'y parvient pas. S'il y parvenait, le gouvernement ne gouvernerait d'ailleurs pas, ce qui n'est pas la solution. Certains sont spécialistes du blocage. Le Premier ministre désigné considère qu'il ne peut gouverner face à un droit de blocage. Optons donc pour un gouvernement qui gouverne, avec des techniciens !

Nous sommes en train d'essayer de travailler sur cette réorientation, mais il faut peser de toutes nos forces pour y aboutir. C'est le sens de la démarche que vous avez évoquée. Pour que les chrétiens restent sur le territoire, il faut un gouvernement qui mène des réformes permettant à ce pays qui bénéficie de nombreuses ressources de retrouver une dynamique. C'est la seule solution : pour éviter que la fuite ne se produise, il faut qu'ils se prennent eux-mêmes en main.

Quant au cardinal Raï, je le vois à chaque fois que je vais à Beyrouth mais, à ma connaissance, les communautés chrétienne et maronite ne l'écoutent pas. C'est la raison pour laquelle il s'exprime publiquement et va voir le pape pour obtenir un message commun.

Aujourd'hui, les forces armées libanaises (FAL) sont la seule colonne vertébrale du Liban. Elles connaissent de très grandes difficultés parce qu'elles n'arrivent plus à payer les soldes des soldats. Leur force vient de leur capacité d'inclusion. C'est une structure qui n'est pas soumise à toutes les difficultés claniques qui existent par ailleurs. Il faut la soutenir.

Nous avons organisé, il y a quelques jours, une réunion de soutien financier aux FAL, le 17 juin. C'est la seule entité qui tienne encore. Les chrétiens ont des positions politiques différentes, que je respecte. Certains soutiennent le Hezbollah, d'autres veulent qu'une autre solution s'impose dans ce pays. Nous souhaitons que le cardinal Raï soit entendu par les chrétiens du Liban. Cela nous permettra peut-être d'avancer.

Monsieur Folliot, vous disiez que le pays est au bord de l'écroulement. Je crois que l'écroulement a commencé. La dernière fois que je suis allé au Liban, j'ai dit que c'était le Titanic sans l'orchestre. Le bateau commence à couler. C'est vraiment dramatique. L'électricité ne fonctionne plus que durant deux heures par jour. La réforme de l'énergie fait partie du sujet que nous avions abordé ici, à Paris, lors de la réunion du groupement international de soutien (GIS) au Liban, que j'avais organisé moi-même. C'était une priorité.

C'est une préoccupation qui s'impose, y compris la fin du subventionnement de l'essence. Le travail est gigantesque. Ce pays ne s'est pas réformé depuis de très nombreuses années. Personne ne veut bouger. Voilà où en est à présent la situation, la corruption aidant. L'aide humanitaire d'urgence sera bien sûr au rendez-vous de la conférence humanitaire que nous organisons.

Pour ce qui est du poids du Saint-Siège, je suis convaincu de l'intérêt de la diplomatie vaticane. Lorsque je vais à Rome, je rencontre généralement le cardinal Pietro Parolin, qui joue le rôle de Premier ministre du Saint-Père, et je le reçois à Paris. Nous avançons utilement sur des sujets importants, dont certains concernant l'Amérique latine ou l'Afrique. Il y aura d'ailleurs une manifestation particulière sur la diplomatie vaticane sous forme de colloque, à l'automne, avec le cardinal Parolin, afin de marquer l'anniversaire des relations diplomatiques entre la France et le Vatican. Ce sont des relations auxquelles je suis attaché et qui fonctionnent concernant le Proche-Orient, l'Afrique et l'Amérique latine.

Monsieur Cuypers, la solution politique passe par une réforme constitutionnelle qui puisse aboutir à un processus inclusif débouchant sur des élections, quels que soient leurs résultats. Pour l'instant, rien ne bouge, mais il faudra aussi que la solution politique prenne en compte les minorités et l'histoire des populations des différentes parties de la Syrie. Ce sera un processus inévitablement très long, qui n'a pas encore commencé.

L'envoyé spécial des Nations unies est à la manoeuvre. Nous parlons souvent avec lui. Il serait souhaitable que nous puissions obtenir de la Russie qu'elle évolue. Pour l'instant, ce n'est pas le cas. On peut penser que la pression de la communauté internationale et, singulièrement, des pays arabes voisins pourra aider à en sortir car, aujourd'hui, le statu quo n'est plus possible pour personne, pas même pour Bachar al-Assad. Il faut donc trouver une porte de sortie. Nous ne prétendons pas qu'il faut d'abord que Bachar al-Assad s'en aille avant de trouver une solution politique. Ce n'est pas ce que je dis. Je réaffirme qu'il faut une solution politique et l'élaborer avec tous les acteurs qui interviennent sur le territoire. On vient de sortir de situations conflictuelles, qui perdurent dans le Nord-Ouest et le Nord-Est de la Syrie, pour ne pas parler de guerre larvée.

Monsieur Gattolin, j'entends ce que vous dites à propos de l'Inde. Je n'avais pas mesuré la situation. Nous avons de bonnes relations avec ce pays. Si d'aventure il fallait agir, nous pourrions le faire. C'est un pays, d'après ce que disent les ONG, où la liberté de religion recule le plus. Vous faites donc bien de le signaler. Les musulmans en sont les principales victimes, mais les chrétiens aussi. Ce n'est pas un dossier sur lequel nous étions très mobilisés jusqu'à présent. J'en ferai part.

S'agissant de la situation en Iran, le nouveau président n'a pas encore composé son gouvernement. Ce sera chose faite début août. Les difficultés se concentrent sur les personnes de confession baha'ie. C'est une de nos grandes préoccupations, car ces populations subissent de mauvais traitements, sans parler des autres atteintes aux droits de l'homme.

Nous interpellons sans cesse le gouvernement iranien, y compris s'agissant des personnes que vous indiquez, pour que la question des droits de l'homme en Iran soit prise en compte et soit à l'ordre du jour de l'Assemblée générale des Nations unies, en septembre prochain. La situation est extrêmement alarmante et les victimes nombreuses. Le régime est de plus en plus autoritaire, et je ne suis pas certain que la nouvelle présidence permette des ouvertures comme on pouvait en attendre précédemment. Le président Raïssi est un élément très conservateur soumis au guide suprême.

Pour ce qui est des accords de Taëf, il est vraisemblable que ceux-ci ne correspondent plus à la réalité de la situation actuelle, mais les remettre en cause supposerait de modifier la constitution du Liban. Je pense qu'il ne faut pas entrer dans cette logique. Un certain nombre d'acteurs, au Liban, développent l'idée qu'il faudrait la réformer avant toute chose : c'est le meilleur moyen de faire durer la situation !

Un gouvernement de transition, composé de techniciens, doit engager les réformes jusqu'aux élections de 2022, qui devront se dérouler sur la base de la loi constitutionnelle actuelle, afin que le nouveau parlement puisse envisager la réforme constitutionnelle, voire la remise en question des accords de Taëf.

Enfin, concernant les poursuites contre les crimes qui se sont déroulés en Irak, nous n'avons pas la possibilité de saisir aujourd'hui la Cour pénale internationale (CPI). Seul le Conseil de sécurité pourrait agir, mais notre proposition est bloquée par la Russie.

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