C'est un honneur de vous présenter un projet de loi longuement nourri de mes 36 années de barreau et qui vise l'un des principaux objectifs que je me suis fixé en venant à la Chancellerie : renforcer la confiance de nos concitoyens dans leur justice.
Nous le constatons tous, cette confiance, qui est pourtant au coeur de notre pacte républicain, se délite progressivement : aujourd'hui, dans la plupart des sondages, moins d'un Français sur deux dit avoir confiance dans la justice de son pays.
J'ai amplement exposé devant les députés mon analyse sur les causes de la défiance des Français envers l'autorité judiciaire : lenteur des procédures, insuffisance des moyens mais aussi méconnaissance du fonctionnement de la justice.
En plus du renforcement sans précédent des moyens donnés à la justice en 2020, ce projet de loi constitue le second pilier de mon action, à une époque où désinformation et opportunisme politique se conjuguent pour déstabiliser l'institution judiciaire, et à travers elle notre démocratie.
Ma première conviction, c'est qu'il faut que la justice se donne à voir pour être mieux comprise par nos concitoyens. Les débats récents sur la justice de notre pays nous ont montré à quel point cela était désormais indispensable. Pour apprécier leur justice, les Français doivent la connaître un minimum.
Pour cela, j'ai souhaité par ce projet de loi ouvrir les prétoires aux caméras, dans un double souci de transparence et de pédagogie. L'objectif est simple et clair : faire entrer la justice dans le salon des Français. Il ne s'agit en aucune manière d'une justice spectacle qui ne dirait pas son nom. Pour garantir l'utilité pédagogique et publique de ces enregistrements, la rédaction initiale prévoyait de nombreuses garanties, que vos collègues de l'Assemblée nationale ont renforcées. Par exemple, le texte dispose désormais expressément que la diffusion sera accompagnée d'explications pédagogiques sur le fonctionnement de la justice. De même, en amont de l'enregistrement, son autorisation, donnée par les responsables des juridictions, sera subordonnée à la démonstration d'un motif d'intérêt public.
Cette possibilité de filmer et de diffuser les débats doit aller de pair avec des garde-fous en temps réel lors du procès, afin de faire respecter la sérénité des débats, la présomption d'innocence, la sécurité des personnes, le droit à l'oubli, le respect de la vie privée, ou encore l'intérêt supérieur des mineurs ou des majeurs protégés. Tous ces motifs pourront justifier l'interruption de l'enregistrement à la demande du président de l'audience.
Parce que ces enregistrements ont vocation à être diffusés, il était important d'établir un certain nombre de garanties en aval. Leur diffusion ne pourra donc intervenir qu'après que la décision juridictionnelle est devenue définitive, et l'enregistrement des audiences non publiques ne pourra avoir lieu qu'avec l'accord des parties.
Toujours au stade de la diffusion, les personnes enregistrées feront l'objet d'une anonymisation automatique, que l'audience soit publique ou non, sauf si elles donnent leur consentement écrit qu'elles pourront également rétracter. Je tiens à préciser que les mineurs, les majeurs protégés et les membres des forces de l'ordre, dont les missions exigent pour des raisons de sécurité le respect de l'anonymat, seront quant à eux obligatoirement anonymisés, sans exception possible.
Par ailleurs, pour garantir le respect de ces règles, un délit spécifique a été créé en cas de violation de l'une d'entre elles par le diffuseur.
Nous avons veillé à ce que ce régime concilie le droit à l'information de nos concitoyens et la préservation des principes fondamentaux de la justice, tout en restant opérationnel pour les diffuseurs sans lesquels nous ne parviendrons pas à atteindre l'objectif ambitieux que nous nous sommes fixés : démocratiser la connaissance de notre justice.
Deuxième axe de la reconquête de cette confiance, je souhaite le renforcement des droits que la justice offre aux citoyens
Tout d'abord, les enquêtes préliminaires seront mieux encadrées afin d'offrir des garanties supplémentaires aux justiciables.
Je vous propose que la durée des enquêtes préliminaires de droit commun soit par principe limitée à deux ans, avec la possibilité, sur autorisation du procureur de la République, de la prolonger d'une année supplémentaire.
Un tel délai couvre 97 % des enquêtes de droit commun et cet encadrement permettra au ministère public d'exercer pleinement son rôle de directeur d'enquête, en contrôlant les investigations mais aussi leur rythme, comme il permettra à terme de réduire les stocks d'enquêtes qui restent en souffrance faute d'être traitées assez rapidement. L'introduction de ces délais ne concernera pas les stocks actuels et le recrutement massif de fonctionnaires, de contractuels ainsi que le développement de la politique pénale numérique seront autant de moyens pour réduire les délais.
Par exception, les délais d'enquête pourront être étendus à cinq ans pour tenir compte des affaires nécessitant des investigations particulièrement complexes ou portant sur les faits les plus graves, s'agissant du terrorisme et de la criminalité organisée.
Autre innovation proposée : l'enquête préliminaire pourra, en cas d'audition ou de perquisition, être ouverte au contradictoire après un délai d'un an. Les parties pourront ainsi avoir connaissance des investigations qui les concernent puisqu'on sait que la mise en cause médiatique attend rarement l'issue du jugement. Parallèlement, les sanctions encourues en cas de violation du secret de l'enquête ou de l'instruction seront renforcées afin de mieux protéger la présomption d'innocence.
Ensuite, pour améliorer le droit des justiciables et parce que c'est la marque d'une grande démocratie, il faut renforcer ce que j'ai souhaité appeler le secret professionnel de la défense. Il sera consacré dans le code de procédure pénale : les actes d'enquête diligentés à l'encontre d'un avocat seront plus strictement encadrés, avec l'intervention du juge des libertés et de la détention.
Enfin, c'est ma conviction profonde : il est indispensable que le peuple français ne soit pas seulement spectateur, mais acteur dans le jugement des crimes les plus graves.
Cela concerne les cours d'assises composées, comme vous le savez, à la fois de magistrats et de citoyens tirés au sort. Pour consacrer leur rôle et restaurer la souveraineté populaire, une décision de culpabilité ne pourra être prise qu'à la majorité du vote des jurés.
Pour que les cours d'assises jouent pleinement leur rôle dans les affaires les plus graves, il faut leur permettre de juger dans de meilleurs délais. La généralisation des cours criminelles départementales, dont magistrats et avocats soulignent la qualité, apportera cette plus-value.
D'après le rapport issu de la mission des députés Stéphane Mazars et Antoine Savignat mais aussi de l'évaluation réalisée par mes services, les cours criminelles départementales réduissent les délais d'audiencement, passant de treize à huit mois en moyenne, tout en permettant de reconnaître la véritable nature criminelle des faits poursuivis en n'ayant plus recours à leur correctionnalisation.
Je souhaite également expérimenter la participation de l'avocat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles dans la composition de la cour d'assises ou de la cour criminelle. Un court projet de loi organique est adossé au présent texte afin de définir les règles statutaires de cette nouvelle catégorie de juges non professionnels apportant toutes les garanties notamment d'indépendance.
Troisième ligne forte : il faut que nos concitoyens aient le sentiment qu'on a restauré le sens de la peine. Comme je l'ai constaté et dit à de multiples reprises, le dispositif actuel des réductions de peine est devenu incompréhensible pour nos concitoyens. La réforme que je vous propose vise à supprimer le caractère automatique des remises de peine et à s'appuyer sur le mérite, et par là j'entends la bonne conduite en détention ainsi que les efforts de réinsertion.
Ces réductions seront désormais accordées par un juge de l'application des peines, avec l'avis des personnels pénitentiaires qui voient leurs missions enrichies dans la charte que nous avons conclue avec les trois organisations syndicales les plus représentatives.
Ensuite, il s'agit également de repenser la détention provisoire en matière correctionnelle en favorisant l'assignation à résidence sous surveillance électronique pour les situations où elle est la plus pertinente. Le texte vise également à éviter les fins de peine sèches, ces sorties de prison sans aménagement de peine qui augmentent le risque de récidive.
Ainsi, la libération sous contrainte à trois mois de la fin de peine permettra de soumettre les personnes détenues à des obligations renforcées et à un suivi plus étroit pour, là encore, réduire le risque de récidive.
Dans cette même logique de prévention, je vous propose de créer un contrat entre le détenu qui travaille, les entreprises et l'administration, et de l'assortir d'un certain nombre de droits sociaux mobilisables dès la libération tels que l'assurance-chômage ou l'accès à l'assurance-vieillesse.
Enfin, comme l'a indiqué devant le Sénat le Premier ministre, la mesure de rappel à la loi a trop longtemps affaibli l'autorité de l'État. C'est pourquoi j'ai proposé de supprimer cette mesure et je vous proposerai de la remplacer par une mesure d'avertissement pénal probatoire, qui permettra une mise à l'épreuve et ne sera ainsi plus source d'un sentiment d'impunité.
Enfin, redonner confiance dans la justice, c'est redonner confiance dans les hommes et les femmes qui la font et y concourent. Or, la diversité et la complexité des régimes disciplinaires des professions du droit ont conduit à un traitement insatisfaisant des réclamations des usagers quand ils rencontrent une difficulté et à un contrôle disciplinaire défaillant. La refonte du système disciplinaire passe par la modernisation de l'échelle des peines et par la création de nouvelles juridictions disciplinaires composées de manière échevinale, c'est-à-dire de magistrats professionnels et de représentants des professions juridiques concernées.
Enfin, dès lors que les actes sont contresignés par les avocats des deux parties, le projet prévoit que le greffe pourra apposer une formule exécutoire sur les accords issus d'une conciliation ou d'une médiation, par exemple en matière de reconnaissances de dettes. Cela permettra une accélération majeure de nombreuses procédures aujourd'hui trop longues bien que pourtant simples et peu litigieuse.
Je vous sais particulièrement attachés à la qualité de la justice de notre pays et à l'amélioration de son fonctionnement, comme en témoignent les nombreux travaux déjà menés par votre commission mais aussi ceux à venir dans le cadre des États généraux de la justice.
Si la confiance est une idée noble, au fondement de notre contrat social, elle n'a de valeur que dans la pratique et le concret, au quotidien, lorsqu'elle améliore le fonctionnement de nos juridictions et change la vie de nos concitoyens. C'est pour ces raisons que la confiance ne se décrète pas, elle se construit patiemment, pas à pas, à force d'efforts conjugués et de moyens, dans la proximité et le quotidien. Vous le savez, il revient à mon ministère de tout mettre en oeuvre pour la faire vivre, c'est ce que je m'attache à faire depuis mon arrivée à la Chancellerie.
Une justice que l'on donne à voir à tous nos concitoyens, qui rend ses décisions plus rapidement, qui renforce la souveraineté du jury populaire, qui donne des garanties renforcées pour le respect des droits des justiciables, qui redonne tout son sens à la peine, une justice qui réinsère autant qu'elle punit, et qui renforce la discipline des professions du droit : voilà ce qui sous-tend cette réforme pour reconstruire, et j'assume le mot, l'indispensable lien de confiance entre l'institution judiciaire et nos concitoyens. Voilà l'ambition de ce texte, inscrite dans son titre même - et je ne doute pas que nos débats l'enrichiront encore de façon substantielle.