Intervention de Olivier Véran

Réunion du 23 juillet 2021 à 21h30
Gestion de la crise sanitaire — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Olivier Véran  :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’engager devant la Haute Assemblée l’examen d’un projet de loi crucial dans le combat que nous menons contre cette pandémie.

Je vous remercie très sincèrement de l’investissement dont vous faites preuve en voulant bien examiner dans des délais aussi contraints un texte d’une telle importance, de manière à nous aider à juguler la reprise épidémique.

La dernière fois que je me suis présenté devant vous, nous nous trouvions dans une tout autre situation sanitaire. Nous étions alors confrontés à un variant alpha, qui nous était venu de Grande-Bretagne, nous connaissions également le variant brésilien, un variant sud-africain et nous étions loin d’imaginer qu’un variant venu d’Inde, appelé delta, allait progressivement, mais très rapidement, se répandre sur toute la planète.

Vous le savez, il est apparu en Europe, en Grande-Bretagne, où il a entraîné une vague épidémique extrêmement intense et rapide, qui a surpris beaucoup d’observateurs. On en a rapidement trouvé quelques traces en France, en Allemagne, en Italie, au Portugal, qui avait été, selon les vagues, plus ou moins épargné et qui a subi une ascension virale assez forte, ou bien en Espagne, lorsque, à la faveur des beaux jours, la Catalogne s’est trouvée elle-même sujette à une reprise épidémique.

On l’a repéré également un peu plus au Nord, aux Pays-Bas, avec, là-bas aussi, une fulgurance dans les contaminations, telle que nous n’en avions jamais connue : une multiplication par huit en une semaine des taux d’incidence à l’échelle du pays.

On l’a identifié également aux États-Unis ainsi qu’en Australie, qui a été obligée de confiner quelques grandes villes.

Bref, ce variant delta présente des caractéristiques très particulières, vous le savez et nous le savons. Il est extrêmement contagieux, entre deux et trois fois plus que le virus initial ; des études publiées cette semaine attestent une charge virale mille fois plus élevée, ce qui est extrêmement important, dans la mesure où la charge virale est un des reflets de la contagiosité.

Ce variant delta nous pousse à nous retrouver, ce soir, parce que la reprise épidémique qu’il provoque est une réalité. Nous sommes dans une quatrième vague, avec plus de 20 000 cas diagnostiqués par jour, dernièrement, sur le territoire national, et des taux d’incidence tels que nous n’en avions jamais connus depuis le début de la pandémie dans certains départements, comme les Pyrénées-Orientales.

C’est une épidémie qui touche les jeunes, avec plusieurs caractéristiques : tout d’abord, ceux-ci ont retrouvé la vie – c’est heureux, c’était attendu ! –, ils fréquentent peut-être un peu plus les milieux festifs, ils ont beaucoup de relations sociales et ils ne sont pas suffisamment vaccinés. L’été dernier, nous avions constaté la même situation, mais dans des proportions bien moindres. Souvenez-vous, l’épidémie était repartie par la jeunesse et avait ensuite touché les catégories les plus âgées, entraînant une deuxième vague.

Ensuite, nous observons une augmentation des hospitalisations dans notre pays. Certes, nous partons d’un taux bas – tant mieux ! –, puisque l’on compte à peu près 900 patients en soins critiques et de réanimation dans nos hôpitaux. Toutefois, l’ascension est réelle, avec un taux qui a augmenté de 72 % sur une semaine. Même si nous partons de bas, cette dynamique hospitalière n’a rien à voir avec les vagues que nous avions connues auparavant.

Nous nous trouvons dans le contexte très particulier d’une épidémie estivale, une rareté dans l’histoire de la virologie, alors que les écoles sont fermées et que les Français sont nombreux à s’être retrouvés en famille. Or, une fois passé le premier brassage, ils sont normalement moins enclins à multiplier les contacts avec les gens.

Nos modélisateurs, les scientifiques du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), de l’Institut Pasteur, travaillent dans ce contexte, en partant des données dont ils disposent, de la contagiosité du variant, de l’observation de ce qui se passe à l’étranger, à commencer par l’Inde où, souvenons-nous, la situation avait été terrible.

Ils tiennent compte de notre système « tester, alerter, protéger », qui a montré son opérationnalité dans les Landes, par exemple, grâce à l’effort considérable fourni par les équipes de traçage de l’assurance maladie et de l’agence régionale de santé (ARS). Cela a permis de freiner l’épidémie, sans empêcher toutefois qu’elle ne reparte très fort dans l’ensemble du territoire.

Ils considèrent également le taux de vaccination. Je ne veux pas dire de bêtise, mais nous ne sommes pas très loin des 40 millions de primo-injections, nous en sommes ce soir à 39 millions et demi environ – 860 000 injections ont été réalisées, pour moitié des primo-injections. Nous avions fixé un objectif à 40 millions de primo-vaccinés à la fin du mois d’août ; nous y serons dès la fin de cette semaine.

Néanmoins, cela laisse encore 12 millions de personnes vaccinables qui ne le sont pas. Surtout, parmi les populations fragiles, âgées et/ou atteintes de maladies chroniques qui les exposent au risque de développer une forme grave de la covid-19 – qu’il s’agisse d’une obésité sévère, du diabète ou d’un cancer –, il reste encore 5 millions de nos compatriotes qui n’ont pas été vaccinés, quelles qu’en soient les raisons : refus ou peur du vaccin, ou bien difficultés d’accès à la vaccination.

Les modélisations prédisent une vague forte. J’avais évoqué cette possibilité devant vous, il y a quelques semaines, et je n’avais pas tort en parlant d’au moins 15 000 à 20 000 cas d’ici à la fin du mois de juillet – nous y sommes ! –, avec la possibilité d’un impact hospitalier qui pourrait être très dur d’ici à la mi-août ou à la fin du mois d’août. Je dis bien « qui pourrait », parce que les modélisations sont toujours au conditionnel et qu’il existe des paramètres que nous ne maîtrisons pas encore complètement en ce qui concerne ce variant delta.

J’observe, comme vous peut-être, que l’on constate, en Angleterre ou en Espagne, depuis vingt-quatre ou quarante-huit heures, un frémissement à la baisse, mais avec des taux de contamination qui restent encore très élevés. Or l’expérience nous a appris que ce n’est pas parce que les chiffres fluctuent sur deux jours que l’épidémie touche à sa fin ; parfois, une fluctuation précède une hausse qui peut être importante. Nous devons donc anticiper la situation face à laquelle nous pourrions nous trouver dans quelques semaines.

Jusqu’ici, nous connaissions deux scénarios.

Le premier est le confinement : nous fermons l’accès à tous les espaces culturels, sportifs, économiques pour tous les Français. C’est la distanciation sociale poussée à son paroxysme, de sorte que les gens ne se contaminent plus. L’épidémie reflue et nous avons vaincu la vague.

La deuxième option, et certains pays ont fait ce choix, est de considérer que, au vu du taux de couverture vaccinale et dans la mesure où la vaccination a été proposée à un grand nombre de Français, aucune mesure de gestion ne saurait être prise : il ne faut surtout pas confiner, quelle que soit la situation, mais attendre de voir si la vaccination produit un effet sanitaire.

Il y a maintenant une troisième voie, que nous ne pouvions pas envisager lors des trois vagues précédentes, celle du passe sanitaire. Je comprends, je le dis tout de suite, que cette mesure puisse heurter certains de nos compatriotes, dans ses fondements pour ainsi dire philosophiques. Je ne les stigmatise pas, je ne les juge pas, je ne les critique pas ; les Français ont le droit de ne pas être d’accord avec une telle mesure.

Pourtant, il faut bien choisir entre ces trois scénarios.

Tout d’abord, que nous disent les scientifiques et qu’est-ce qui fonde la proposition que nous faisons ce soir ? Ils nous disent que si nous fermions l’accès de tous les établissements recevant du public à tous les Français, l’impact sur l’épidémie serait le même que si nous en fermions l’accès aux seules personnes non vaccinées.

En effet, les personnes vaccinées présentent un risque résiduel de contamination faible, un risque de développer une forme grave de la maladie extrêmement faible et ne font donc pas peser de menaces sur les hôpitaux et sur la courbe de mortalité de notre pays.

Telle est la logique. Je sais que je vous ai indiqué, il y a quelques mois, que je n’étais pas favorable à l’extension du passe sanitaire aux bars ou aux restaurants – nous étions d’ailleurs un certain nombre à le dire. Parmi vous, certains seront sans doute amenés à voter cette mesure sans que ce soit de gaîté de cœur. Je n’ai aucun problème à l’admettre, mais parmi ces trois scénarios, les deux premiers me paraissent plus inacceptables que le troisième.

Reconfiner tout le pays, avec toutes les conséquences que cela emporte en matière sociale, économique ou psychique, serait une catastrophe ; laisser filer l’épidémie sans se poser trop de questions et en croisant les doigts ne me semble pas être un choix conforme à la philosophie de notre pays et de notre protection sociale.

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