Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 23 juillet 2021 à 21h30
Gestion de la crise sanitaire — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Quelques mots sur notre diagnostic : la crise de la covid-19 dure depuis dix-huit mois, la maladie est installée probablement pour longtemps et le virus ne connaît pas les frontières.

Nous avons demandé, hier matin, au professeur Jean-François Delfraissy de nous aider à nous projeter sur le long terme.

Il nous a exprimé les doutes et les incertitudes de la communauté scientifique, et nous a présenté les deux thèses privilégiées. Pour les optimistes, après une vaccination généralisée, le virus continuera d’évoluer – avec peut-être une ou deux mutations encore – tout en perdant progressivement sa capacité à contaminer ou, plus simplement, sa dangerosité. Pour les pessimistes, il pourrait connaître de nouveaux variants à « échappement vaccinal », pour utiliser la terminologie employée par le professeur, conduisant alors à une nécessaire évolution des vaccins au fur et à mesure des mutations.

Que les scénarios soient pessimistes ou optimistes, une forme de « normalité », si vous me permettez l’expression, de la présence du virus s’impose à nous. Comment pouvons-nous la gérer ? La réponse nécessite de choisir entre de mauvaises ou de très mauvaises solutions.

Nous abordons cette question avec humilité, en étant conscients que nous sommes dans une société, sinon de peur, au moins de défiance, où l’émotion l’emporte régulièrement sur la rationalité et où l’individualisme a souvent, vous le savez bien, pris le pas sur le collectif.

Cela nous conduit à ne pas trop asséner de vérités, à exprimer des réponses mesurées, dont nous devons admettre qu’elles pourront évoluer, à cultiver en définitive une éthique du doute et du respect des opinions.

La réponse en matière de santé publique est connue, je l’ai mentionnée en préambule : la vaccination, couplée aux gestes dits « barrières ». Les vaccins ont été trouvés, ils sont disponibles, gratuits et proposés à toute la population.

Notre débat de ce soir est donc typiquement – je le dis sans être discourtois – une forme de débat de riches.

Vaccinons ! Nous avons le recul nécessaire, pour répondre à une question qui nous est régulièrement posée, grâce aux plus de 3 milliards de vaccinations déjà réalisées à travers le monde. Nous n’avons pas d’alternative sérieuse : le retour à un confinement serait un drame et, comme vous le savez, il n’y a pas plus de solutions disponibles sous forme de médicament.

Tenons aussi compte du fait que nous sommes dans une société où chaque vie est essentielle. Il n’est pas possible de raisonner sur une forme d’acceptation d’un nombre de morts ou de malades graves, même s’il n’est interdit à aucun d’entre nous d’avoir une réflexion sur la place de la spiritualité ou sur une notion de transcendance.

Dans le contexte de l’accélération des contaminations par le variant delta, la vaccination et le maintien complémentaire des gestes barrières sont, pour les sénateurs centristes, la priorité. Il reste à les traduire dans les règles de la vie publique. Deux solutions s’offrent alors à nous : la vaccination obligatoire générale ou le passe sanitaire.

La vaccination obligatoire générale a le mérite de répondre clairement à l’enjeu de santé publique. Le dispositif est simple, précis, conforme à une autre passion française, celle de l’égalité. Il est aussi pédagogique.

Le Gouvernement ne propose pas cette solution, la question posée – plusieurs de mes prédécesseurs ont déjà formulé l’argument – étant celle de son acceptabilité sociale. Ce qui est souhaitable, mes chers collègues, est-il possible ? Nos concitoyens accepteront-ils une telle mesure ? Comment l’État la fera-t-il respecter ? Si la vaccination devenait obligatoire, l’État engagerait évidemment sa crédibilité sur l’exécution de ces dispositions.

Toutefois, au sein de notre groupe, nous n’écartons pas la possibilité de devoir envisager la vaccination obligatoire générale. C’est une question, nous semble-t-il, de calendrier. Les observations critiques formulées à l’égard de cette solution, comme on a pu l’entendre au fil des interventions, sont surtout liées à un risque d’engorgement des demandes de vaccination, à la rentrée, mais il faut continuer d’envisager cette solution comme une perspective possible.

La proposition de rendre obligatoire la vaccination des soignants ne fait aucune difficulté dans notre groupe. Il s’agit, à nos yeux, de la simple application de règles éthiques. C’est aussi une question de confiance dans notre pacte social.

Reste la question du passe sanitaire…

Le passe sanitaire prévu pour un seul été, comme on nous l’avait dit et répété, pour nous convaincre de donner notre accord à ce qui allait devenir la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, n’est bien sûr plus d’actualité. Cela n’est pas de nature à favoriser la confiance…

Le passe sanitaire porte-t-il atteinte aux libertés ? Oui.

S’agit-il d’une atteinte grave aux libertés ? Oui, à la fois par son étendue et, peut-être et surtout, par une forme de banalisation de la situation, puisque nous en sommes tout de même à notre quatorzième période d’état d’urgence depuis 2015.

Cette atteinte est-elle proportionnelle au risque ? C’est notre interrogation.

Le Gouvernement avance l’argument de l’urgence, et nous avons entendu les chiffres quant aux évolutions du variant delta, notamment ceux, cités par M. le rapporteur, relatifs à la charge virale et à la rapidité de transmission.

À l’Assemblée nationale, le passe sanitaire a été décrit comme un outil de liberté, une incitation à se faire vacciner, pour permettre à chacun d’entre nous d’avoir une vie normale. Le discours est efficace d’un point de vue psychologique, les prises de rendez-vous massives en vue de la vaccination, dans les heures qui ont suivi l’intervention du Président de la République, l’ont démontré.

Je voudrais cependant attirer votre attention, mes chers collègues, sur la limite de cet exercice, en tout cas la contradiction ou l’ambiguïté du passe sanitaire : celui-ci nous est proposé à titre incitatif, pour favoriser la vaccination, alors que sa vocation devrait être sanitaire.

Le passe sanitaire n’est pas, à l’inverse de la vaccination, une réponse de santé publique en tant que telle. Il ne soigne pas. Il peut le devenir s’il contribue à réduire le brassage social et, ainsi, les risques de transmission. Telle est sa justification.

Cela signifie, madame la ministre, qu’au moment où régulièrement depuis l’intervention du Président de la République les membres du Gouvernement prennent la parole pour annoncer un assouplissement supplémentaire ou la suppression d’un « irritant », le passe sanitaire risquerait, d’assouplissement en assouplissement, de coup de rabot en coup de rabot – et il y aura des amendements en ce sens –, de perdre sa vocation sanitaire pour n’avoir plus qu’un rôle incitatif. Dès lors, il serait sans fondement juridique, en particulier constitutionnel.

Bien sûr, je resterai prudent quant à la position arrêtée par le Conseil constitutionnel. Cependant, ne sous-estimons pas cet aspect de la question, ou ce risque, dans notre débat.

Quant à la défense des libertés, qui constitue notre deuxième ligne directrice, les questions qu’elle soulève ont bien été prises en compte dans le travail de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, mené par les rapporteurs Philippe Bas et Chantal Deseyne.

J’insiste sur le changement de logiciel. En décidant, si le texte est voté, d’un état d’urgence sanitaire et non pas d’un régime de sortie de cet état, nous marquerons par définition le caractère exceptionnel et temporaire des mesures que le Gouvernement propose.

J’ajoute, bien sûr, qu’il est nécessaire de préciser le volet d’encadrement des mesures, notamment la date butoir fixée au 31 octobre 2021 et le compte rendu hebdomadaire dont elles doivent faire l’objet. Il faut aussi favoriser la fermeture administrative plutôt que les sanctions pénales, mettre en place le suivi de l’isolement par les agents de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), garantir que les services préfectoraux n’auront pas accès aux dossiers médicaux et prévoir la suspension du contrat plutôt que le licenciement.

Enfin, madame la ministre, j’appelle votre attention sur la maladresse qu’a commise M. Véran lorsque, dans son propos introductif, il a insisté sur les points de désaccord à venir avec le Sénat. J’espère qu’elle sera corrigée demain, si tant est que le Gouvernement souhaite que la commission mixte paritaire ait une issue positive.

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