Intervention de Monique Lubin

Réunion du 23 juillet 2021 à 21h30
Gestion de la crise sanitaire — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Monique LubinMonique Lubin :

Madame la ministre, l’examen du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire se déroule dans un agenda excessivement contraint, signe d’un manque d’anticipation de votre part, qui donne une impression de chaos, au moment où nous avons tous collectivement besoin d’un cap clair.

Nous sommes convaincus, au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat, que vous en viendrez nécessairement à la position qui est la nôtre ; pour nous, le seul chemin aujourd’hui envisageable pour prendre la main sur l’épidémie est celui d’une vaccination universelle. Nous faisons ce choix pour que chacun puisse être protégé et protège les siens, tout en jouissant de ses droits fondamentaux.

Plusieurs institutions du champ scientifique et médical se sont d’ores et déjà prononcées en faveur de l’obligation vaccinale généralisée. C’est notamment le cas de l’Académie nationale de médecine, qui a pris position dans un communiqué, le 19 juillet dernier, jour de présentation en conseil des ministres du présent projet de loi. Je vous rappelle d’ailleurs qu’elle s’était prononcée publiquement en faveur du port du masque dès avril 2020, quand le Gouvernement soutenait encore qu’il ne servait à rien en population générale.

Nous espérons que l’alignement du Gouvernement sur ces positions n’interviendra pas trop tard. En attendant, nous voilà contraints de travailler sur une politique qui menace d’être inopérante, incohérente et liberticide. Et c’est si flagrant que vous vous retrouvez dans la position de devoir procéder à ajustement sur ajustement, dans l’espoir de consolider un édifice de plus en plus bancal.

C’est tout particulièrement le cas pour les modalités relatives à l’instauration d’un passe sanitaire, qui aboutissent à la stigmatisation des professionnels intervenant dans le secteur de la santé. Vous créez une nouvelle obligation vaccinale, mais seulement pour certaines catégories professionnelles, avec un système de sanctions parfois très lourdes, qui pourrait s’avérer contre-productif. Et vous le faites en dehors de tout cadre de santé publique, puisqu’aucune obligation de cette sorte n’existe dans le code de la santé publique.

Mis bout à bout à bout, ces éléments pourraient bien devenir une usine à gaz.

La définition du périmètre de votre dispositif est particulièrement large ; les critères sont flous, à la limite d’un certain arbitraire. Sont visées par l’obligation que vous entendez mettre en place des catégories de personnes définies non seulement par leur profession, mais aussi par leur lieu d’exercice professionnel. Vous dressez une sorte d’inventaire à la Prévert, allant des aides à domicile aux sapeurs-pompiers, en passant par les élèves et les psychanalystes. En revanche, policiers et professeurs ne sont pas concernés par l’obligation vaccinale, alors même que ces derniers travaillent tout particulièrement au contact de publics au sein desquels la circulation du virus est forte et incontrôlée.

Signe du caractère hasardeux de votre démarche, vous prenez le risque de fracturer la société française en désignant des professionnels qui pourraient en plus faire l’objet d’un traitement différencié, évoluant au gré des rectifications que vous y apporterez.

Le Gouvernement a en effet introduit une nouvelle disposition annoncée la veille par la ministre du travail : la possibilité pour le salarié de convenir avec son employeur de prendre des réductions de temps de travail (RTT) ou des jours de congés pour éviter une suspension du contrat de travail. C’est dire si la mesure initiale était pertinente !

Vous vous donnez beaucoup de mal, et vous nous donnez beaucoup de mal, pour imposer sans le dire une vaccination généralisée. Dans cette pandémie qui n’en finit pas, le courage politique consisterait à dire à tous les Français qu’ils doivent obligatoirement se faire vacciner, quel que soit leur environnement professionnel.

Le courage politique serait d’affirmer que se faire vacciner pose un acte de solidarité, de fraternité même, en ce qu’il induit l’intérêt de l’autre au-delà de l’intérêt propre à chacun et en ce qu’il positionne l’individu non pas comme une pièce unique et autocentrée, mais comme un citoyen conscient du rôle qu’il doit jouer dans un moment crucial pour le groupe auquel il appartient.

Le courage politique serait d’assumer une décision de vaccination universelle obligatoire, qui permettrait d’assurer la concorde au sein de la société française.

Ce ne sont pas les libertés publiques que l’on doit combattre : la liberté de circulation et d’accès aux biens et aux services, l’égalité de traitement et la protection contre l’arbitraire ne sont pas la maladie ! Nous ne voulons pas d’un passe liberticide. Ce que nous souhaitons, c’est atteindre l’immunité collective – celle-ci est fixée à un taux de population vaccinée contre la covid-19 de 90 %, du fait des variants en circulation, tout particulièrement le variant delta.

Nous nous inscrivons également dans une démarche de santé publique claire, assise sur des connaissances médicales et scientifiques. Elle nous évitera le risque de « glissement vers des pratiques de surveillance sociale générale », pointé par la Défenseure des droits, et vers une extension du passe sanitaire à tous les gestes de la vie quotidienne, qui serait attentatoire aux libertés.

C’est d’une politique de santé publique dont nous avons besoin aujourd’hui. Nous attendons des mesures et des textes pertinents, de même que les moyens humains et budgétaires nécessaires pour lutter contre cette maladie et assurer la protection sociale de nos concitoyens. Cela implique que l’État s’inscrive dans une démarche de lutte contre les inégalités territoriales et sociales, pour assumer son devoir d’aller vers les publics les plus éloignés de la vaccination. Sans moyens supplémentaires, les mesures envisagées s’avéreront encore plus dures pour les publics précaires. Or nous savons que ce sont eux qui ont le moins accès aux vaccins.

Nous sommes confrontés à un problème de santé qui remet fondamentalement en cause l’équilibre de la société. Le pays est prêt à des efforts, fussent-ils coûteux – il l’a démontré depuis plus d’un an. Poursuivre l’objectif de vaccination obligatoire universelle sans l’assumer, c’est autre chose : c’est le pire des choix !

Vous avancez masqués avec l’outil pervers du passe sanitaire, imposant tout en la dissimulant, une obligation vaccinale généralisée. Le caractère trouble de votre démarche est perçu par la population ; il suscite un rejet qui met en péril non seulement l’efficacité de la politique de lutte contre la covid-19, mais aussi les assises de notre système politique tout entier.

Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin de solidarité et d’unité. Et cela passe nécessairement par la vaccination généralisée

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion