Intervention de Yvon Collin

Réunion du 17 février 2011 à 9h00
Coordination des politiques économiques au sein de l'union européenne — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de Yvon CollinYvon Collin, auteur de la proposition de résolution :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis plusieurs générations déjà, l’Europe est un projet politique de premier plan, qui vise à accroître la prospérité des États et des peuples en créant les conditions d’une paix durable et du progrès économique et social pour tous. L’Europe, c’est encore et toujours une volonté politique au service du bonheur des peuples.

Confrontons un instant ce discours à quelques notions.

La démocratie. La souveraineté des peuples est-elle à ce point redoutée que l’on s’efforce par tous les moyens de se passer de la décision des citoyens sur des choix aussi essentiels que ceux qui portent, par exemple, sur les éléments les plus fondamentaux de la politique économique, à savoir les politiques monétaire et budgétaire ?

La solidarité entre les États. La voyons-nous à l’œuvre quand chacun s’emploie, par des politiques d’attractivité insoutenables – sauf à saper les bases économiques de ses partenaires – à attirer sur son territoire le plus de ressources économiques possible ?

L’économie sociale de marché. Les marchés dictent-ils leur loi aux États en les obligeant à une répartition des revenus au bénéfice prioritaire, et même parfois exclusif, des détenteurs du capital ?

La puissance économique. Est-elle réalisée quand l’Europe est la zone du monde, le Japon mis à part, où la croissance est la plus languissante et où la monnaie évolue au gré des seuls intérêts des autres ensembles économiques ?

La justice sociale. La voyons-nous à l’œuvre quand les inégalités augmentent, quand le taux de pauvreté s’accroît, quand les protections sociales sont démantelées au nom d’une compétitivité toujours brandie comme un étendard, mais sans cesse déclinante ?

Je ne voudrais pas alimenter ici l’euroscepticisme en incriminant l’échelon européen plutôt que celui des nations. Je n’ignore pas ce que le bilan plutôt accablant de la Commission européenne doit à une idéologie qui voit dans la dimension politique un mal presque absolu et qui la fait se détourner de sa mission première de défense de l’intérêt général européen. Surtout, je sais que, quoique l’on prétende, hormis dans les domaines très précis où ils ont délégué leur souveraineté, ce sont les États qui sont les ultimes responsables de l’abandon le plus grave de tous : l’oubli des objectifs de l’Europe et, avec lui, le renoncement à l’idéal européen.

Il ne faut pas craindre de l’affirmer : la crise que nous subissons n’est pas seulement une crise de l’Europe ; c’est une crise en Europe – et du politique en Europe.

À ce propos, nous avons tous entendu les discours complaisants sur l’origine transatlantique de la crise économique, ainsi que bien des lamentations sur la perte d’éthique et la morale défaillante des acteurs de la finance. Ces ritournelles, pour sonner parfois justes, me semblent bien loin de ce qu’il faut dire et penser de la crise. En effet, celle-ci ne fut pas seulement le produit délétère des arrière-salles des banques américaines ni la chose de quelques jeunes apprentis sorciers à la cupidité malsaine. Elle ne fut pas non plus le résultat d’un malheureux concours de circonstances où les événements les plus improbables se seraient déclenchés par l’effet d’un funeste hasard.

Non, cette crise fut bien celle d’un système économique dans son ensemble, à savoir le capitalisme court-termiste globalisé et l’ultralibéralisme, avec ses mots d’ordre dérégulateurs – flexibilité, attractivité, compétitivité –, qui reflètent un monde économique fictif et enfantent l’enfer pour de plus en plus d’individus.

En somme, les déséquilibres sur lesquels ce système danse ne sont pas seulement ceux de la finance mondiale. Ce sont aussi des dérèglements économiques, logés dans la sphère réelle elle-même, où la répartition des revenus se déstabilise tellement que l’ensemble est voué à des incohérences qui mettent le danseur à terre.

L’Europe ne fut nullement l’infortunée victime collatérale de l’un de ces tremblements de terre économiques dont la fréquence s’accroît dangereusement depuis quelques années. Elle fut pleinement un acteur de ce séisme. Tout autant que les autres, elle fut touchée par les conséquences des jeux auxquels elle s’est livrée. Tout autant – et même plus – que les autres, les pays européens peinent à se sortir de cette nasse, qui est particulièrement redoutable quand on sait combien leur avenir dépend de leur capacité à s’extraire vite du trou noir qui semble les absorber.

À cet égard, ce n’est pas de moins, mais de plus d’Europe que nous avons besoin, et d’une autre Europe, celle de la croissance, de la justice sociale, de l’équilibre, où le travail trouve toute sa place, donc d’une Europe qui porte un projet politique partagé.

Beaucoup a été fait pour sauver les banques, et je suis de ceux qui, dans cet hémicycle, ont accepté cette politique. Toutefois, ces secours, dont les modalités auraient dû être différentes, devaient avoir des contreparties. Or celles-ci ne sont pas venues. Et ce sont les États, par leur absence de volonté politique, qui sont ici responsables.

Pis encore, aujourd’hui, c’est avec une coupable complaisance que ces États, avec l’active complicité de la Banque centrale européenne, la BCE, autorisent la finance à dégager des marges d’intérêt faramineuses sur les titres de dette publique de pays européens de plus en plus nombreux à être étranglés par les mains auxquelles ils ont tendu les leurs.

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