Intervention de Yvon Collin

Réunion du 17 février 2011 à 9h00
Coordination des politiques économiques au sein de l'union européenne — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de Yvon CollinYvon Collin, auteur de la proposition de résolution :

L’Europe peut-elle à la fois prétendre adopter un modèle d’économie sociale de marché et verser dans le néo-libéralisme le plus caricatural ?

Une Europe des politiques économiques coopératives doit se substituer à l’Europe des États mis au service des rentes contreproductives. Ce sont la pérennité du projet européen et la prospérité des nations européennes qui sont en jeu !

Dans l’Europe intégrée, les interdépendances entre nations sont fortes : ce que fait l’une concerne toutes les autres. C’est tout particulièrement le cas pour les grandes économies européennes – France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie –, mais cela l’est tout autant pour les pays de plus petites dimensions. Ainsi, la concurrence fiscale exercée par l’Irlande assèche les ressources de ses partenaires : l’activité économique est localisée chez eux, mais les profits et les recettes de l’imposition des sociétés sont dans la verte Erin. Que n’avons-nous obtenu sur ce point des engagements fermes de l’Irlande ?

Dans le rapport d’information adopté en 2007 et fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification présidée par Joël Bourdin, qui vous prie d’ailleurs d’excuser son absence aujourd'hui, rapport que nous avions intitulé Le Malaise avant la crise – titre prémonitoire ! –, nous avions mis en évidence la réalité des antagonismes économiques en Europe. Nous avions alerté sur l’insoutenabilité économique, financière, sociale et, finalement, politique de la confrontation des trois modèles que nous avions identifiés : d’abord, l’économie d’endettement, d’inflation et de bulles du type espagnol ou britannique ; ensuite, l’économie de la déflation salariale à la mode germanique, tirée par ses partenaires ; enfin, le modèle français qui, non exempt de défauts, paraissait malgré tout le plus équilibré de tous sur le plan macroéconomique.

L’analyse économique n’a pas toujours été aveugle, comme on le prétend parfois trop facilement. Il suffisait d’analyser les externalités produites par chacun de ces modèles sur les pays partenaires.

Ainsi, dans ce rapport d’information, nous avions mis en évidence le caractère insoutenable du concert économique européen, des déficits extérieurs et des finances publiques, mais aussi de la finance privée. Nous avions souligné à la fois le caractère tout aussi insoutenable, du point de vue tant social qu’économique, des modes de répartition à l’œuvre dans les économies européennes et l’impossible coexistence de modèles économiques antagoniques.

Le concert européen nous semblait si discordant que nous évoquions comme une probabilité assez forte le déclenchement d’une crise présentant plusieurs visages – les crises globales le sont toujours –, dont l’un était pour nous la montée des menaces pesant sur l’euro. Tiens, tiens !

Nous savons depuis Robert Mundell qu’il existe des conditions de viabilité d’une zone à monnaie unique, comme l’est la zone euro, et nous savons que ces conditions ne sont réunies en Europe que théoriquement.

L’histoire récente a, sous l’effet de l’urgence, permis d’envisager quelques progrès sur ce point avec la constitution, trop poussive, du Fonds européen de stabilité financière. Je n’ai rien contre ce fonds puisque, avec Joël Bourdin, j’en avais proposé la création dès 2009, dans un autre rapport d’information consacré à la crise de l’Europe. D’ailleurs, il faut impérativement en abonder les moyens ; le plus tôt sera le mieux. Mais ce fonds ne sera pas et ne doit pas être la clef de voûte de l’euro. Si nous cédions à cette tentation minimaliste, nous n’aurions fait qu’installer un petit FMI européen ; en d’autres termes, nous n’aurions fait qu’installer une caserne de pompiers au cœur de l’Europe. Or, si nous aimons tous les pompiers, nous préférons tous aussi, dans cet hémicycle, nous en passer. Comme le dit la sagesse populaire, mieux vaut prévenir que guérir !

Il est symptomatique que, plutôt que de s’accorder sur un renforcement du budget européen, les États soient passés par l’instauration d’une nouvelle institution financière pour traiter le grave problème des dettes souveraines en Europe, dont chacun sait qu’il est aussi – et peut-être avant tout ! – celui des établissements financiers privés opérant en Europe.

Ce n’est pas ainsi que la condition tout à fait essentielle, et pourtant toujours négligée, énoncée par Robert Mundell, celle de la convergence des préférences collectives dans une zone monétaire unique, sera respectée. Pour qu’elle le soit, il faudrait qu’un esprit de coopération bien plus fort anime les partenaires réunis dans le projet européen. Une fois de plus cette condition est clairement ménagée par les traités. Mais, en accord avec l’idéologie sur laquelle se construit l’Europe, elle n’est mise en œuvre avec une certaine vigueur que dans le domaine de la surveillance des positions budgétaires.

La coordination des politiques économiques, la concurrence fiscale, les objectifs sociaux que l’Europe a pourtant entendu consacrer, tout cela est traité par prétérition, comme s’il s’agissait de sujets secondaires.

À cet égard, mes chers collègues, je tiens à vous alerter sur les conséquences proprement régressives de ce qui se prépare dans les cénacles européens autour de la réforme de la gouvernance économique et du prétendu « pacte de compétitivité », c’est-à-dire la généralisation en Europe du malthusianisme allemand. Plutôt que d’inciter l’Allemagne à sortir de ce modèle – vous verrez qu’elle en sortira un jour tant celui-ci est insoutenable –, on nous propose de l’adopter.

Je n’insiste pas sur les aspects économiques des orientations qui nous seront détaillées. On en connaît la logique : déflation salariale, hausse de la rentabilité financière du capital, remise en cause radicale de l’État protecteur. On en sait les impasses : disparition de toute perspective de croissance, montée des inégalités de revenus et des patrimoines, exportation des richesses créées en Europe vers les zones où la rentabilité du capital est maximisée par le dumping social et fiscal.

Où est la cohérence avec l’engagement du Président de la République d’être le président du pouvoir d’achat ? Où retrouver trace de l’important débat ouvert par lui sur le partage de la valeur ajoutée ? Nous y reviendrons sans doute dans des débats futurs.

C’est sur des aspects plus politiques extrêmement préoccupants pour tous les démocrates – je sais que nous le sommes tous ici – que je souhaite m’attarder maintenant. Il entre dans ces projets de faire régner les règles plutôt que les décisions politiques. Ainsi, l’on nous annonce un projet de révision constitutionnelle, qui ne vise rien d’autre qu’à « constitutionnaliser » Maastricht.

En effet, si nous n’y prenons pas garde, notre constitution politique sera remplacée par une constitution économique qui nous aura privés de tout pouvoir pour mieux instaurer la tyrannie de prétendus marchés, c’est-à-dire des intérêts des grands oligopoles qui, aujourd’hui, décident déjà de tout ou presque.

Le Président de la République a fondé une partie de son succès il y a quatre ans sur le thème du retour de la politique. Pourtant, hormis quelques grands discours et certaines petites phrases, on attend toujours que cette thématique trouve un semblant de traduction en actes. Il faut dire que le triomphe accepté de l’ordo-libéralisme que représentent les règlements concoctés par le cabinet d’audit qu’est devenue la Commission européenne sur la coordination des politiques économiques européennes – disons le clairement : c’est en fait la disparition de toute politique économique – implique la défaite d’une ambition qui se sera révélée comme une posture, pour ne pas dire une imposture.

Mes chers collègues il faudra expliquer aux Français qu’ils ne seront plus libres demain, parce que le pouvoir de décider des conditions dans lesquelles leur État ou leurs collectivités locales pourront financer leurs interventions nous aura été retiré. Il faudra les convaincre que la prohibition de tout emprunt public que porte le projet de révision constitutionnelle que l’on nous annonce traduit ce fameux retour du politique. J’entends déjà le sophisme résonner : « Échapper à la dette, c’est échapper à la dépendance des marchés financiers. » Étrange défense venant d’un horizon politique qui, sans s’embarrasser de nuances, accepte – revendique même tous les jours ! – le patronage de l’économie de marché.

C’est parce que ce débat démocratique doit avoir lieu et que le politique doit être respecté qu’il est inacceptable de brader notre souveraineté, ainsi qu’on le projette, à un paradigme abstrait et sans cohérence, qui plus est régressif, qui veut qu’une bonne politique économique soit le renoncement par avance de toute politique économique.

Dans ce qui se prépare, rien ne correspond aux principes de notre souveraineté, rien ne correspond aux valeurs européennes. Pas un mot de la croissance économique, nul élan vers des projets concrets pour relever les défis du xxie siècle, l’oubli de toute ambition sociale et même de tout réalisme social.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion